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Date : 20140110


Dossier :

T‑696‑10

 

Référence : 2014 CF 17

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

INSTANCE AUTORISÉE À TITRE DE RECOURS COLLECTIF

 

 

 

ENTRE :

MARK CUZZETTO

 

 

demandeur

et

BUSINESS IN MOTION INTERNATIONAL CORPORATION, ALAN KIPPAX

et ASHIF MOHAMED

 

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 


TABLE DES MATIÈRES

 

 

APERÇU..................................................................................................................................... 1

LE CONTEXTE FACTUEL........................................................................................................ 3

Historique de BIM................................................................................................................. 3

Les séminaires BIM............................................................................................................... 5

Le système BIM..................................................................................................................... 8

Les déclarations de BIM au sujet des gains........................................................................ 14

Les déclarations de BIM au sujet de sa légitimité............................................................... 19

Les produits Perpetual Motion........................................................................................... 22

L’effondrement de BIM....................................................................................................... 24

L’implication de M. Kippax dans le système BIM............................................................... 26

La possibilité d’un jugement par défaut............................................................................. 28

ANALYSE................................................................................................................................ 34

Le système de vente pyramidale......................................................................................... 34

Les déclarations concernant la rémunération.................................................................... 38

La responsabilité à l’égard des déclarations faites par les distributeurs BIM.................... 40

La rémunération typique dans le cadre du système BIM.................................................... 41

LES DOMMAGES‑INTÉRÊTS................................................................................................ 42

Les pertes subies par les membres du groupe..................................................................... 42

Les dommages‑intérêts globaux......................................................................................... 42

Les dommages‑intérêts punitifs.......................................................................................... 47

JUGEMENT.............................................................................................................................. 49

 

 


APERÇU

 

  • [1] Le demandeur sollicite un jugement par défaut contre les défendeurs Alan Kippax (M. Kippax) et Business in Motion International Corporation (BIM). L’action a été autorisée à titre de recours collectif contre M. Kippax et BIM le 10 novembre 2011, pour le compte du demandeur et du groupe défini comme :

[traduction] Toutes les personnes résidant au Canada qui ont acheté un produit Perpetual Motion à BIM ou par son entremise (les membres du groupe).

 

 

  • [2] Le demandeur allègue des manquements à la partie VI de la Loi sur la concurrence, LRC, 1985, c C‑34 ayant trait à un système de commercialisation à paliers multiples, ou système de vente pyramidale, exploité par les défendeurs. Il réclame des dommages‑intérêts pour ces manquements en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur la concurrence, en son propre nom et au nom des autres membres du groupe.

 

  • [3] Le demandeur sollicite un jugement par défaut sur les questions communes certifiées par ordonnance de la Cour le 10 novembre 2011. Les questions que la Cour doit trancher sont les suivantes :

  • a) BIM ou M. Kippax ont‑ils mis sur pied, exploité, promu un système de vente pyramidale ou en ont‑ils fait la publicité, en contravention du paragraphe 55.1(2) de la Loi sur la concurrence?

  • b) BIM ou M. Kippax ont‑ils exploité un système de commercialisation à paliers multiples au sens du paragraphe 55(1) de la Loi sur la concurrence? Le cas échéant, BIM ou M. Kippax ont‑ils fait des déclarations au demandeur et aux autres membres du groupe quant à une rémunération? Le cas échéant :

    1. Ces déclarations étaient‑elles contraires au paragraphe 55(2) de la Loi sur la concurrence?

    2. Ces déclarations étaient‑elles conformes aux obligations de diligence raisonnable énoncées au paragraphe 55(2.1) de la Loi sur la concurrence?

  • c) Dans la mesure où BIM et M. Kippax ont violé les paragraphes 55.1(2), 55(2) ou 55(2.1) de la Loi sur la concurrence, BIM et M. Kippax sont solidairement tenus de payer au demandeur et aux autres membres du groupe des dommages‑intérêts pour le préjudice qu’ils ont subi en raison des violations?

  • d) La Cour devrait‑elle procéder à une évaluation globale des dommages‑intérêts, totale ou partielle? Si elle opte pour une évaluation globale, à combien devraient s’élever les dommages‑intérêts globaux?

  • e) La conduite de BIM ou de M. Kippax satisfait‑elle au critère d’octroi de dommages‑intérêts punitifs? Une fois déterminés les dommages‑intérêts compensatoires, à qui seront versés les dommages‑intérêts punitifs et à combien s’élèveront‑ils?

  • [4] En l’absence d’une défense dans le cadre d’une requête en jugement par défaut, chaque allégation contenue dans la déclaration doit être tenue pour niée. Il faut présenter une preuve qui permet à la Cour de conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’une responsabilité est engagée et que le demandeur a droit aux réparations demandées. Pour les motifs que j’exposerai ci‑après, les questions a) à d) sont tranchées en faveur des membres du groupe et le jugement par défaut est accordé et les défendeurs sont condamnés à verser des dommages‑intérêts de 6 560 000 $. Je réponds par la négative à la question e) relative aux dommages‑intérêts punitifs.

  • [5] BIM a été constituée en société en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, LRC, 1985, c C‑44, le 13 mars 2006 par Mark Wilson (M. Wilson). Le même jour, la société a émis 100 actions à l’intention de M. Wilson, qui a été nommé président, secrétaire et trésorier.

 

LE CONTEXTE FactuEl

  Historique de BIM

 

  • [6] Un an plus tard, le 5 mars 2007, M. Wilson a démissionné de son poste d’administrateur. Le même jour, M. Kippax a été nommé au poste d’administrateur de BIM et M. Wilson a transféré ses actions dans BIM à M. Kippax.

 

  • [7] Le lendemain, le 6 mars 2007, M. Kippax a démissionné de son poste d’administrateur et a transféré ses actions dans BIM à Colin Fox (M. Fox), qui a alors été nommé administrateur de BIM.

 

  • [8] Le 4 novembre 2009, M. Fox a démissionné de son poste d’administrateur et a transféré ses actions dans BIM au défendeur Ashif Mohamed (M. Mohamed), qui a alors été nommé administrateur.

 

  • [9] Bien que M. Kippax ait démissionné de son poste d’administrateur de BIM, il a continué de contrôler l’exploitation de BIM et était un participant actif et un promoteur du système en question. M. Kippax a occupé divers postes au sein de BIM, notamment celui de [traduction] « directeur des ventes mondiales ». En fait, comme on le verra, M. Kippax et BIM ne faisaient qu’un.

 

  • [10] L’affidavit de Mark Cuzzetto (M. Cuzzetto), le représentant demandeur, conjugué à ceux de Cori Piers, d’Ellen Aitchison, de Jentje Abma et de Ken Chung, dresse un panorama complet du modèle d’affaires des défendeurs en général et des conséquences malheureuses vécues par les membres du groupe du recours collectif. BIM s’est présentée comme une [traduction] « occasion d’affaires révolutionnaire ». BIM organisait régulièrement des séminaires à l’intention de ses participants potentiels. Ces séminaires avaient lieu généralement en soirée, dans la salle de conférence d’un hôtel. Les membres de BIM étaient encouragés à inviter leurs amis et leur famille à assister à ces séminaires, et on leur conseillait de ne pas parler à ces recrues du modèle d’affaires de BIM. Je trouve ce fait révélateur. C’était effectivement de bon conseil du point de vue de BIM, puisque le modèle d’affaires de l’entreprise était, au mieux, opaque. Le fait d’en parler ne pouvait que nuire à la société et soulever bon nombre de questions qui demeureraient sans réponse cohérente. M. Kippax cherchait à contrôler le message.

[traduction]

  Les séminaires BIM

  • [11] Le lancement de BIM a eu lieu à Etobicoke, en Ontario, le 17 juin 2006. Les participants assistaient à des séminaires, animés par M. Kippax et d’autres personnes, dans lesquels on expliquait le système de BIM et étaient conviés à visiter une salle d’exposition sur les produits BIM et un salon de voitures de luxe.

 

  • [12] Selon la preuve soumise à la Cour, BIM fournissait à ses distributeurs de la documentation à utiliser pour le recrutement. Ces derniers recevaient ainsi un texte à enregistrer dans leur messagerie vocale à l’intention des recrues potentielles. Le texte en question promettait un [traduction] « système éprouvé » et aux participants [traduction] « le succès dont vous avez toujours rêvé ». Le message mentionnait en outre que [traduction] « les distributeurs gagnent 13 000 $ par mois à temps partiel » et présentait l’exemple d’un camionneur qui avait été en mesure de quitter son emploi et celui d’une infirmière de Calgary qui [traduction] « vient tout juste d’atteindre l’échelon qui lui permettra de gagner plus de 340 000 $ en moins de six semaines dans l’entreprise ». Il promettait : [traduction] « Vous aussi, vous pouvez être au départ de cette explosion massive de la commercialisation par réseau et gagner un revenu à six chiffres dans un délai très court. »

 

  • [13] Avant d’emmener des recrues à un séminaire BIM, on demandait aux distributeurs BIM d’inscrire leurs recrues sur le site Web de [traduction] « pré‑commercialisation » earnfirm.com. L’enregistrement au site earnfirm.com générait un numéro d’identification unique que la recrue pouvait utiliser ultérieurement si elle décidait de devenir un distributeur BIM. Je reviendrai sur cet aspect lorsque j’aborderai la question de l’attribution de dommages‑intérêts globaux.

 

  • [14] Les séminaires BIM incorporaient à leur matériel promotionnel des images de prospérité et de succès, suggérant par là, d’une manière très peu subtile, que la participation des distributeurs BIM se traduirait par leur enrichissement. Les présentations qui accompagnaient les séminaires BIM comportaient des images de jets privés, de résidences cossues, de sites de villégiature sous les Tropiques et de parcours de golf.

 

  • [15] Au cours des séminaires BIM, d’une durée d’une heure et demie à deux heures, une présentation PowerPoint, créée et distribuée par BIM, était projetée. Les séminaires comptaient trois volets, dont chacun était présenté par un conférencier différent. Un premier conférencier préparait le terrain pour la soirée, suivi d’un deuxième qui présentait les produits vendus par BIM et un dernier qui expliquait l’occasion d’affaires. Habituellement, environ les deux tiers de la durée du séminaire BIM étaient réservés au système BIM et aux témoignages de distributeurs BIM faisant état de leur prétendue réussite dans le système BIM.

 

  • [16] Tous les souscripteurs d’affidavit affirment que M. Kippax donnait aux formateurs la directive de s’en tenir strictement au texte fourni et aux présentations PowerPoint, tous deux préparés par BIM. Les textes BIM devaient être lus mot pour mot par le présentateur. Ils indiquaient ce qui devait être mis en relief et proposaient des pauses, des mots d’esprit, et même des anecdotes « personnelles » sur des gens qui auraient connu le succès grâce au système BIM.

 

  • [17] Les séminaires BIM étaient à peu près identiques dans les diverses villes où ils avaient lieu et pendant toute la durée des activités de BIM grâce à ces séances de formation et à la normalisation des présentations et des textes fournis par BIM. Le contenu est demeuré essentiellement inchangé pendant toute la durée des activités de la société. Cette conclusion peut être raisonnablement tirée compte tenu des expériences similaires décrites dans la preuve présentée par les membres du groupe.

 

  • [18] BIM a tenu régulièrement des séminaires dans de grandes collectivités. Des séminaires ont également été donnés dans le cadre de « tournées », en particulier dans l’Ouest canadien, où les arrêts dans les grands centres étaient publicisés des mois à l’avance. M. Kippax et d’autres membres du personnel de BIM se sont déplacés dans des autocars personnalisés portant sur les côtés des images de jets privés et d’îles tropicales. On pouvait y voir aussi les mots [traduction] « Je n’en crois pas mes yeux! » et les adresses Web icbit.com ou icantbelieveitstrue.com. Les gens auraient été bien avisés de porter une plus grande attention à ce logo.

 

  • [19] D’après les observations des demandeurs, je constate qu’il y a notamment eu les tournées suivantes :

  • a) la [traduction] « Tournée de lancement de Kelowna » du 5 au 28 août 2008; la « Tournée de lancement de Kelowna » a comporté des arrêts à Winnipeg (Manitoba), à Red Deer (Alberta), à Kelowna (Colombie‑Britannique) et à Calgary (Alberta), et faisait suite à un [traduction] « fructueux voyage de 45 jours sur la côte Ouest »;

  • b) la tournée [traduction] « On réveille les voisins », du 7 novembre 2008 à Winnipeg (Manitoba) au 2 décembre 2008 à Burnaby (Colombie‑Britannique);

  • c) la tournée [traduction] « On appuie sur le champignon », qui a commencé le 23 mars 2009 à Toronto (Ontario), s’est terminée le 12 juin 2009 à Cobourg (Ontario), et a comporté 14 arrêts en Ontario, 26 en Colombie‑Britannique, 13 au Manitoba, 5 en Saskatchewan et 22 en Alberta; le matériel promotionnel de cette tournée demandait aux participants potentiels s’ils voulaient [traduction] « sérieusement gagner un million de dollars cette année » et promettait une [traduction] « formation du tonnerre » donnée par M. Kippax;

  • d) la tournée [traduction] « Prendre le micro », qui a eu lieu en septembre 2009, est passée par [traduction] « 18 villes en 18 jours » dans tout l’Ouest canadien; cette tournée comportait des présentations par M. Kippax et des témoignages de distributeurs BIM [traduction] « inquiets pour l’avenir de BIM », mais qui avaient été rassurés par M. Kippax.

  Le système BIM

  • [20] Le système BIM a été présenté comme un système de commercialisation à paliers multiples classique. Les participants achètent un produit BIM et sont rémunérés en commissions lorsqu’ils parviennent à vendre des produits BIM à des clients [traduction] « au détail » ou à des [traduction] « distributeurs en aval » qu’ils ont recrutés pour qu’ils achètent eux‑mêmes les produits auprès d’eux.

 

  • [21] BIM offrait plusieurs produits destinés à la vente, notamment des forfaits dans des centres de villégiature (adhésions au club Ultra Life), des pierres précieuses préemballées (Gem Caches) et un bâton‑mélangeur d’eau potable [traduction] « bon pour la santé » (Quantum Stylus). Ces produits et d’autres vendus par BIM sont connus sous l’appellation générique « Perpetual Motion Products » ([traduction] « Produits en mouvement perpétuel », ci‑après désignés sous le nom de produits Perpetual Motion). Je note qu’un « mouvement perpétuel » est une impossibilité scientifique – autre signe de la suite des choses.

 

  • [22] Les participants avaient deux options pour acquérir un produit Perpetual Motion. Premièrement, ils pouvaient payer le prix de détail facturé par BIM : 9 000 $ pour une adhésion au club Ultra Life ou un autre produit Perpetual Motion. Deuxièmement, ils se voyaient offrir la possibilité d’acheter le produit Perpetual Motion pour un prix « de gros » réduit – 3 200 $ pour une adhésion au club Ultra Life – en versant des droits de 80 $ pour devenir un distributeur BIM autorisé à vendre des produits Perpetual Motion.

 

  • [23] En devenant distributeurs BIM, les participants étaient admis à faire partie d’une [traduction] « échelle administrative BIM » (BIM Corporate Ladder). La seule façon de faire partie d’une échelle administrative BIM était de devenir un distributeur BIM en achetant un produit Perpetual Motion et en payant les droits de distributeur BIM. La documentation de BIM promettait aux distributeurs BIM une [traduction] « rémunération pour chaque vente de produit réalisée ».

 

  • [24] BIM fournissait à chaque distributeur BIM un nom d’utilisateur et un mot de passe pour accéder au site Web bimcorporation.com, où les distributeurs BIM pouvaient ouvrir une session et visualiser leur progrès dans leur échelle administrative BIM. Je reviendrai sur ce point lorsque j’examinerai la question des dommages‑intérêts globaux.

 

  • [25] Le modèle hiérarchique de l’échelle administrative BIM s’inspirait d’un milieu d’un bureau de vente typique, composé de huit représentants commerciaux au bas de la pyramide, de quatre superviseurs au palier au‑dessus des représentants commerciaux, de deux gérants au‑dessus des superviseurs et d’un directeur des ventes au sommet. Voici un aperçu de l’organigramme d’une échelle administrative BIM qui faisait partie de la présentation de BIM, avec le texte qui l’accompagne : 

[traduction]

[traduction]

Lorsque vous commencez, vous occupez l’un des huit postes de représentant commercial au bas de l’échelle. Ensuite, vous êtes promu superviseur, puis vous êtes promu gérant, puis vous êtes promu directeur des ventes. Est‑ce que tout le monde a compris? Je voudrais m’en assurer, parce que c’est là l’un des aspects uniques de notre entreprise. Il est IMPOSSIBLE de rester en bas, ou en bas alors que tous les autres autour de vous sont promus. Ce serait très inhabituel et pour autant que je sache, ça ne s’est jamais vu. Tout le monde est promu! Aucune qualification n’est nécessaire pour chacun des paliers de notre échelle administrative. Il est vrai que vous devez posséder des qualifications pour passer à notre poste de vice‑président; nous allons voir de quelles qualifications il s’agit dans les prochaines diapositives.

 

  • [26] Les superviseurs étaient chargés de veiller à ce qu’il y ait huit ventes réalisées dans chaque échelle administrative. Les ventes réalisées étaient indiquées dans l’échelle administrative BIM par des icônes ayant la forme d’une clé de couleur variable. Les superviseurs pouvaient gagner une [traduction] « Clé verte » pour chaque vente.

 

  • [27] Si un superviseur ne réalisait pas deux ventes dans les 170 premières heures d’activité de l’échelle administrative BIM, celle‑ci passait en mode [traduction] « Saisissez la clé ». Dans ce mode, n’importe qui dans l’échelle administrative BIM pouvait réaliser les ventes requises et gagner des crédits supplémentaires pour ces ventes, lesquelles étaient représentées par une [traduction] « Clé d’or » attribuée au distributeur ayant réalisé la vente supplémentaire. Le superviseur qui n’avait pas réalisé la vente requise recevait une icône représentant un cercle barré d’une ligne rouge à l’endroit où aurait dû se trouver l’icône de la Clé verte dans son échelle administrative BIM en ligne.

 

  • [28] Une fois les huit ventes conclues, le directeur des ventes était payé et tous les membres de l’échelle administrative BIM étaient promus au palier suivant. Le directeur des ventes était retiré de l’échelle administrative BIM ou, dans certaines circonstances, pouvait demeurer et gagner des commissions additionnelles sur chacune des nouvelles échelles administratives BIM.

 

  • [29] À ce stade, l’échelle administrative BIM se scindait en deux. Chaque gérant devenait le directeur des ventes d’une nouvelle échelle administrative BIM, et ses subordonnés de l’échelle administrative BIM passaient à de nouvelles échelles administratives BIM.

 

  • [30] BIM promettait des paiements aux distributeurs BIM qui atteignaient le poste de directeur des ventes après que leurs superviseurs ou les autres membres de leur échelle administrative BIM avaient effectué huit ventes de produits Perpetual Motion. Le directeur des ventes devait toucher 3 200 $ en ouvrant une session dans le site Web bimcorporation.com et en cliquant sur un bouton pour compléter l’échelle administrative BIM, 5 000 $ pour chaque Clé verte qu’il avait gagnée et 5 000 $ pour chaque Clé verte additionnelle; il pouvait en outre « garder » le produit Perpetual Motion qu’il achetait. Ainsi, un directeur des ventes qui réussissait sa mission gagnait ce que BIM décrivait comme étant 22 200 $ [traduction] « en argent et en valeur » pour sa participation à l’échelle administrative BIM.

 

  • [31] Fait à remarquer, BIM insistait dans ses séminaires sur le fait que même si un distributeur BIM ne réalisait aucune vente, il serait néanmoins promu directeur des ventes et récupérerait les 3 200 $ engagés dans un produit Perpetual Motion. M. Kippax appelait cela une [traduction] « situation gagnant‑gagnant‑gagnant ». Comme le promettait la documentation de BIM : [traduction] « Tout le monde devient [directeur des ventes], même avec 0 clé! » Les textes fournis par BIM l’affirmaient : [traduction] « Tout le monde est promu » et il était [traduction] « IMPOSSIBLE que vous restiez en bas », aux paliers inférieurs de l’échelle administrative BIM, à un poste de représentant commercial, de superviseur ou de gérant.

 

  • [32] Les textes fournis par BIM donnaient l’exemple d’une grand‑mère qui n’avait aucun intérêt pour l’échelle administrative BIM, mais qui avait quand même pu récupérer son argent et garder le produit Perpetual Motion. Simplement, la grand‑mère en question ne recevrait pas de commission pour les deux ventes; ces commissions iraient à la personne de l’échelle administrative BIM ayant réalisé les ventes à sa place, une fois que cette personne atteindrait le palier de directeur des ventes.

 

  • [33] Les présentations et les textes de BIM insistaient sur la rapidité avec laquelle les ventes pouvaient se conclure et soulignaient que si 170 heures constituaient un maximum, les ventes pouvaient se faire beaucoup plus rapidement. Voici, par exemple, un extrait du texte fourni par BIM :

[traduction] [Les ventes requises] auraient pu se faire en trois jours, ou même en un jour. Il n’y a pas de limite à la vitesse à laquelle l’équipe de vente remplit sa mission. La période de protection de 170 heures est là uniquement EN CAS DE BESOIN.

 

 

  • [34] Les témoignages donnés à l’occasion des séminaires BIM soulignaient la rapidité avec laquelle les distributeurs BIM montaient dans l’échelle administrative BIM jusqu’au poste de directeur des ventes. Par exemple, dans l’enregistrement d’un séminaire BIM donné par M. Kippax, celui‑ci demandait aux participants qui avaient atteint le palier de directeur des ventes de dire à l’assistance combien de temps il leur avait fallu pour atteindre ce palier, puis M. Kippax révélait les prétendus gains du distributeur BIM. Cette pratique était conforme au témoignage d’autres membres du groupe.

  • [35] BIM encourageait ses distributeurs à faire des achats supplémentaires pour entrer plus d’une fois dans des échelles administratives BIM. Les présentations BIM faisaient valoir que les distributeurs BIM pouvaient évoluer dans l’échelle administrative BIM et s’élever au palier de directeur des ventes plusieurs fois. Elles insistaient sur cette possibilité plutôt que d’encourager les distributeurs à fonder une entreprise stable ayant une clientèle acquise.

 

  • [36] Cette mise en contexte étant faite, je vais enfin aborder la partie « c’est trop beau pour être vrai » de cette saga. Les distributeurs BIM n’avaient aucune garantie d’atteindre le palier de directeur des ventes ou de recevoir une rémunération pour leur travail. Les présentations BIM n’expliquaient aucunement que si une échelle administrative BIM ne réussissait pas à effectuer ses huit ventes obligatoires à l’intérieur du délai imparti, aucune rémunération ne serait versée à quiconque dans cette échelle administrative BIM. Si les huit ventes obligatoires ne se faisaient pas dans la période prescrite, l’échelle administrative était « abolie » par BIM, de sorte qu’aucune rémunération n’était versée au directeur des ventes ou à quiconque dans cette échelle administrative BIM, peu importe le nombre de ventes que ces personnes avaient réalisées, et aucune autre promotion ne pouvait avoir lieu dans cette échelle administrative.

 

  Les déclarations de BIM au sujet des gains

  • [37] Les présentations BIM et les autres documents promotionnels de BIM insistaient sur les gains potentiels que les distributeurs BIM pouvaient faire. Ces déclarations évoquaient des gains potentiels dépassant de beaucoup les montants gagnés par le membre moyen du groupe qui a pris contact avec l’avocat du groupe, comme nous le verrons en détail ci‑après.

 

  • [38] Comme le décrit Ken Chung dans son affidavit, les présentations BIM comportaient des déclarations selon lesquelles le système BIM :

  • a) était [traduction] « le Système ultime » et pouvait [traduction] « faire de votre revenu annuel un revenu mensuel », affirmation ayant comme arrière‑plan un jet privé;

  • b) était une occasion de [traduction] « gagner beaucoup, beaucoup plus d’argent », affirmation ayant comme arrière‑plan une plage sous les Tropiques;

  • c) permettait au participant d’atteindre rapidement le palier de directeur des ventes et de gagner [traduction] « 22 200 $ en argent et en valeur » pour sa participation, 36 200 $ s’il devenait vice‑président, et 44 200 $ s’il conservait sa qualification au palier de vice‑président;

  • d) comprenait un [traduction] « programme de paiements perpétuels » d’une valeur pouvant s’élever à 100 000 $;

  • e) offrait une [traduction] « rentabilité massive » et permettait au participant de [traduction] « profiter beaucoup, beaucoup plus… » et de recevoir [traduction] « 13 200 $ ou plus en argent! » et un [traduction] « potentiel de 100 000 $ à titre de vice‑président »;

  • f) instaurait un système grâce auquel [traduction] « vous ne pouvez pas perdre! » et donnait [traduction] « l’assurance » que la participation serait [traduction] « une situation gagnant‑gagnant‑gagnant! »;

  • g) permettait d’obtenir [traduction] « des $$$ d’avance », [traduction] « des $$$ pour le moyen terme (argent dormant) » et [traduction] « des $$$ résiduels », affirmations présentées sur des images d’arrière‑plan de résidences cossues, de bijoux incrustés de diamants et des paysages maritimes sous les tropiques;

  • h) allait [traduction] « enseigner un système qui crée un “STYLE DE VIE DE RÊVE” pour toute l’humanité! ».

  • [39] Les textes fournis par BIM prévoyaient aussi des déclarations pour accompagner les présentations BIM. Je conclus, sur la foi du dossier qui m’a été présenté, notamment la documentation, les affidavits et les fichiers audio et vidéo, que les textes fournis par BIM comportaient les déclarations suivantes ou des déclarations ayant une signification similaire :

  • a) [traduction] « Ce que vous avez devant vous est un système ÉPROUVÉ, conçu pour que des gens moyens gagnent un revenu AU‑DESSUS DE LA MOYENNE »;

  • b) [traduction] « Nous pouvons littéralement faire du revenu annuel d’une personne un revenu mensuel. Je reconnais que cette affirmation paraît audacieuse, mais j’ai rencontré plusieurs personnes qui y sont déjà arrivées grâce à notre programme et d’autres qui sont bien avancées dans cette voie »;

  • c) [traduction] « Notre entreprise a un produit appelé Perpetual Motion, qui NE RESSEMBLE À RIEN que vous ayez déjà vu; et avec cela, nous pouvons faire beaucoup, beaucoup, beaucoup plus d’argent. » […] « Dans notre entreprise, le fait de saisir la clé vaut (pause) 100 000 $!!! Est‑ce que tout le monde a entendu? Vous autres aussi, à l’arrière? 100 000 $!!! »

  • d) [traduction] « “Saisir la clé” vaut CENT MILLE DOLLARS! Au compte de trois, tout le monde répète 100 000 $ après moi… 1, 2, 3…100 000 $! C’était pitoyable! Si je jetais parmi vous un ballon de football, une balle de baseball ou une rondelle de hockey, vous seriez bien plus enthousiastes. On recommence, mais cette fois, levez‑vous et CRIEZ‑LE MOI! Comme si vous l’aviez dans vos mains! Alors, au compte de trois, criez‑le moi! – un, deux, trois (tout le monde crie 100 000 $). Extraordinaire! N’est‑ce pas que ça fait du bien? Vous pouvez vous rasseoir. »

  • e) [traduction] « Si vous arriviez à obtenir une commission de 50 p. cent, soit 1 600 $ sur une vente de 3 200 $, ce serait déjà pas mal, pas vrai? Particulièrement dans une entreprise conventionnelle. Mais nous sommes loin, très loin des conventions. Nous ne payons pas 50 p. cent. Nous ne payons pas 100 p. cent. Nous payons 156 p. cent! Ainsi, pour chaque vente de 3 200 $ que vous réalisez personnellement, vous obtenez (pause) 5 000 $!»

  • f) [traduction] « Et en combien de temps, tout ça? Eh bien, la société aime donner des chiffres très prudents. D’après la société, en moyenne, pour la plupart des gens, il faut de cinq à huit semaines environ pour aller d’ici à ici. Mais on a vu les deux extrémités du spectre. On a vu trois mois, même quatre mois pour atteindre l’échelon de directeur des ventes, mais on a aussi vu le contraire : on a vu trois semaines, on a vu deux semaines. Il y a quelqu’un, ici à Kelowna, qui est devenu directeur des ventes en six jours! La vitesse de votre avancement est donc vraiment illimitée. Donc, pour revenir à notre tableau, aucun des quatre directeurs des ventes ne s’est qualifié pour devenir vice‑président, et comme je l’ai dit, c’est une très bonne nouvelle pour [nom omis]. Cela signifie qu’elle est sur le point de devenir la vice‑présidente de quatre autres équipes de ventes, ce qui représente au total 8 000 $ de plus. Donc, si vous faites le compte, vous arrivez à 44 200 $. Je connais personnellement des distributeurs dans cette société qui ont pulvérisé cette somme en un mois sans problème! Sans compter les 9 000 $ du club Ultra Life. Rien qu’en argent comptant, ils ont dépassé ce montant en un mois. Il y a des gens qui font vraiment beaucoup d’argent avec notre programme. »

  • g) [traduction] « Nous avons des distributeurs qui se sont requalifiés eux‑mêmes quatre, cinq, six fois, jusqu’à neuf fois de suite. Cela représente un total de 800 000 ou 900 000 dès que leurs échelles administratives se scindent et qu’elles versent tout cet argent. Il s’agit donc d’une solution très simple. Nous avons donc 13 200 $ en paiement au directeur des ventes; à temps partiel, vous réalisez deux ventes ou plus si vous voulez; vous obtenez nos 9 000 $ en valeur au détail du club Ultra Life, plus notre potentiel de 100 000 $ à titre de vice‑président. »

  • h) [traduction] « Elle a pu récupérer son argent, littéralement en un clic‑clic, avec en plus les primes de directrice des ventes, et vous, qu’est‑ce que vous y gagnez? 5 000 $ en commission! Alors, qui reste les mains vides!!! Personne ne reste les mains vides, et c’est pour ça que nous pouvons dire que vous ne pouvez pas perdre. C’est une situation gagnant‑gagnant à coup sûr. »

  • i) [traduction] « Nous avons donc ici une entreprise, BIM, fondée par un MDP, un mathématicien de profession, qui a travaillé à un système multiplicateur éprouvé depuis 50 ans, qui l’a amélioré pendant 14 ans, pour le rendre toujours meilleur, pour le perfectionner au point où on peut aller conclure deux ventes et être payé pour huit. »

  • j) [traduction] « Non, cette entreprise n’est pas faite pour moi. Il est clair que mon compte bancaire ne pourrait jamais contenir autant d’argent. »

  • [40] BIM distribuait aussi des documents promotionnels qui comprenaient des déclarations sur la rémunération promise aux distributeurs BIM :

  • a) On y prétendait que [traduction] « le poste de vice‑président a un potentiel de 100 000 $ US! » et que [traduction] « dans cette course, PERSONNE ne perd ».

  • b) On y offrait [traduction] « une occasion de gagner une prime additionnelle pouvant atteindre 100 000 $ » et [traduction] « des gains potentiels combinés des postes de vice‑président et de vice‑président directeur totalisant 250 000 $! ».

  • c) On y promettait une [traduction] « rentabilité massive » et on y prétendait que [traduction] « BIM est un programme GIGANTESQUE! » avec « des $$$ d’avance, des $$$ pour le moyen terme (argent dormant) et des $$$ résiduels », et on y demandait : [traduction] « Pourquoi gagner votre vie en travaillant alors que vous pourriez plutôt faire de l’argent? ».

  Les déclarations de BIM au sujet de sa légitimité

  • [41] Les séminaires BIM incluaient un bref avertissement concernant le revenu potentiel, qui figurait à la deuxième diapositive de la présentation BIM. Je constate qu’il s’agit de l’une des quelque 50 diapositives présentées au cours d’un séminaire qui durait en moyenne de 90 à 120 minutes. Le texte fourni par BIM demandait au présentateur BIM de parler devant la diapositive affichée, en faisant valoir que le travail sérieux serait récompensé et en comparant le succès du système BIM à un fermier qui travaille fort et sème beaucoup de grains, comparativement à un fermier qui n’en sème pas beaucoup. Dans les exemples de séminaires BIM enregistrés, dont certains ont été entendus en preuve, cet avertissement prenait moins de vingt secondes. Voici la diapositive et le texte qui l’accompagne :

[traduction]

 

[traduction]

« Le revenu gagné est directement proportionnel au temps et aux efforts consentis par les participants. »

 

Qu’est‑ce que cela signifie? Cela signifie que nous ne sommes pas une loterie. Vous DEVEZ consacrer du temps et des efforts dans cette entreprise. C’est comme cultiver un jardin : si vous plantez quelques grains, vous aurez un petit rendement, mais si vous plantez beaucoup de grains et que vous en prenez soin, le rendement sera énorme. C’est la même chose ici, sauf que nous plantons une autre sorte de carats [sic]. [Souligné dans l’original.]

 

  • [42] Je constate également que M. Kippax et BIM faisaient des déclarations destinées à rassurer les distributeurs BIM potentiels, à qui ils disent que BIM était un système de commercialisation à paliers multiples licite plutôt qu’un système pyramidal illicite. En effet, les présentations BIM, les textes fournis par BIM et les autres documents de la société comportaient les caractéristiques suivantes :

  • a) on y comparait la structure de BIM avec la structure caractéristique des sociétés, ayant au sommet un poste occupé par un président, suivi de vice‑présidents, de directeurs, de superviseurs et de représentants commerciaux;

  • b) on y mettait en évidence la constitution de BIM en société « auprès d’Industrie Canada » et son enregistrement « auprès de l’Agence du revenu du Canada »;

  • c) on y prétendait qu’une femme à l’emploi de [traduction] « Revenu Canada », qui [traduction] « pensait qu’il devait bien y avoir une ou deux attrapes dans le système quelque part », avait assisté à plusieurs présentations et avait été, « tout à fait impressionnée par la qualité de la conception du programme. Elle a donc adhéré à Business in Motion »;

  • d) on y prétendait qu’un individu avait [traduction] « embauché un avocat, dépensé 20 000 $ pour faire des recherches sur les antécédents de l’entreprise et la vérifier sous tous les angles possibles » et, n’ayant découvert aucun problème, avait décidé de s’inscrire;

  • e) on y présentait des témoignages d’individus censés être des agents d’application de la loi.

  • [43] M. Kippax utilisait ces analogies et ces prétendues associations pour présenter BIM comme une entreprise licite. Il mentionnait la participation et des témoignages [traduction] « d’agents de la GRC, de policiers actifs, d’analystes d’entreprise professionnels, de pasteurs – nous avons beaucoup de pasteurs », ouvrant la porte à l’inférence raisonnable que si ces personnes avaient participé au système BIM, il était sûrement conforme à la loi.

 

  • [44] Les documents promotionnels de BIM comportaient aussi des témoignages de prétendus distributeurs BIM dont on disait que même s’ils avaient été sceptiques au début, ils avaient finalement tiré profit de leur participation au système BIM. Voici quelques déclarations tirées de ces témoignages :

  • a) [traduction] « J’ai pu voir immédiatement que chacun est un gagnant instantané […] Nous n’avons jamais fait autant d’argent. »

  • b) [traduction] « Nous n’avions aucune idée à quel point cette occasion était réellement formidable […] c’est une source de revenus incroyable qui dépasse nos rêves les plus fous. »

  • c) [traduction] « Ça a permis à mon mari de prendre sa retraite à 42 ans! Toute notre famille et des milliers d’autres peuvent non seulement continuer de rêver, mais réaliser vraiment ce rêve. »

  • d) [traduction] « Je suis devenu le tout premier “sceptique de la semaine” et quelques jours plus tard, J’ÉTAIS INSCRIT!!! Au bout de mes trois premières journées, j’avais cinq clés. Tout en conservant mon emploi à temps plein, j’ai atteint l’échelon [directeur des ventes] en 10 jours, j’ai reçu de l’argent dormant [réservé au vice‑président] au 16e jour et au 26e, j’avais 18 clés, trois postes autorisés de vice‑président directeur, et j’avais transformé mon revenu annuel en revenu mensuel!!! J’avais juste un peu plus de 49 000 $ dans mon compte le 26e jour! »

  Les produits Perpetual Motion

  • [45] En plus de payer les droits de distributeur BIM, les distributeurs BIM devaient acheter au moins un produit Perpetual Motion. Comme il sera expliqué plus en détail, la nature des produits Perpetual Motion distingue le système BIM des systèmes de commercialisation à paliers multiples légitime et confirme que le système avait pour objectif le recrutement de participants plutôt que le développement d’une clientèle fidèle cherchant vraiment à acheter des produits. Les produits vendus par BIM étaient des articles coûteux, peu susceptibles de faire l’objet d’achats répétés.

 

  • [46] La plupart des séminaires BIM portaient sur la vente d’adhésions au club Ultra Life. Or, l’adhésion au club Ultra Life était censée être un forfait‑vacances à tarif réduit. Dans le matériel promotionnel et les séminaires BIM, l’entreprise prétendait que l’adhésion au club Ultra Life valait plus de 75 000 $, qu’elle était vendue [traduction] « au détail » pour 15 000 $, mais qu’elle était offerte aux distributeurs BIM pour 3 200 $. En mars 2009, BIM a fait passer à 3 600 $ le prix [traduction] « de gros » de l’adhésion au club Ultra Life.

 

  • [47] L’adhésion au club Ultra Life était censée offrir un [traduction] « forfait‑accès complet à tarif réduit » qui permettait à l’acheteur d’obtenir 150 « semaines de vacances ». BIM présentait les prix des forfaits‑vacances achetés par l’entremise du club Ultra Life comme étant nettement inférieurs à ceux des forfaits‑vacances achetés sans adhésion au club Ultra Life.

 

  • [48] Or, selon l’expérience de M. Cuzzetto et de Mmes Piers et Aitchison, ce n’était pas le cas. Des forfaits‑vacances plus économiques pour les mêmes destinations étaient disponibles sans adhésion au club Ultra Life dans les sites Web publics des hôtels de villégiature en question, dans des sites Web de voyagistes comme Expedia.ca ou par l’entremise d’agents de voyage. Je ne peux pas accorder de valeur probante à ces affirmations, mais les prix offerts aux membres du club Ultra Life ont fait l’objet d’un reportage à l’émission The Marketplace de CBC, dans lequel on arrive à la conclusion que les prix du club Ultra Life sont plus élevés que les prix offerts au grand public par l’entremise de sites de vacances comme Expedia.ca. J’entends cependant me fonder sur les témoignages par affidavit des membres du groupe.

 

  • [49] Mme Piers a acheté une adhésion au club Ultra Life au prix de gros à titre de distributrice BIM, mais on l’a ensuite informée qu’elle n’était pas autorisée à vendre l’adhésion au club Ultra Life parce que cette adhésion avait été enregistrée à son nom. Elle a fini par convaincre le personnel de BIM de l’autoriser à [traduction] « retirer son nom » de l’effectif du club et de vendre son adhésion. Cependant, personne n’a manifesté d’intérêt pour l’achat de son adhésion au club Ultra Life, en dépit de ses nombreuses tentatives de le vendre à un prix très réduit. Les témoignages selon lesquels l’adhésion était essentiellement sans valeur donnent poids à la conclusion que l’achat et la vente de produits Perpetual Motion ne constituaient pas le but du système, mais une diversion de son véritable objectif, soit le recrutement d’autres membres.

 

  • [50] Les distributeurs BIM pouvaient aussi acheter des Gem Caches (pierres précieuses préemballées), BIM avait fait inscrire sur l’emballage la valeur estimative, selon elle, des pierres. Le matériel promotionnel de BIM présentait ces Gem Caches comme ayant été [traduction] « expertisées par le fondateur du site largement reconnu et de grande réputation The Jewellery Judge, M. Steven A. Knight, GG, RMV, CJI‑APP, dont les [traduction] « techniques d’estimation prudentes ont été utilisées par la GRC, Douanes Canada, des banques, des sociétés de fiducie ainsi que bon nombre d’avocats. Steven est aussi un gemmologiste/estimateur judiciaire ainsi qu’un témoin‑expert agréé auprès de la Cour suprême ».

 

  • [51] Par ailleurs, les distributeurs BIM ne pouvaient ni retourner les produits Perpetual Motion lorsqu’ils tentaient de le faire, ni obtenir un remboursement.

  • [52] Le 6 février 2009, un reportage sur BIM a été présenté à l’émission The Marketplace de CBC. M. Kippax y était interviewé, de même que des distributeurs BIM mécontents. Très critique à l’endroit de BIM, le reportage de The Marketplace a fait observer que si on exige huit ventes de chaque échelle administrative constituée, la formation de nouvelles échelles ne peut guère se poursuivre au‑delà de 20 niveaux avant que toute la population du Canada n’ait été recrutée. Le reportage de The Marketplace conclut que BIM est un système pyramidal et que les produits Perpetual Motions étaient loin de valoir le prix payé.


  L’effondrement de BIM

 

  • [53] En entrevue, M. Kippax estime à [traduction] « plus de 8 000 » le nombre de distributeurs BIM et dit s’attendre à [traduction] « dépasser les 40 000 » membres avant la fin de 2009. Il y affirme que BIM a réalisé un chiffre d’affaires de [traduction] « plus de 30 000 000 $ » en 2008. Lorsque l’animatrice insiste sur le fait que les distributeurs BIM risquent en réalité de perdre de l’argent, M. Kippax réplique : [traduction] « Comment peuvent‑ils perdre? Comment peuvent‑ils perdre? C’est impossible! … S’ils achètent un produit à 3 200 $ et qu’il vaut plus de 9 000 $, comment peuvent‑ils perdre? » L’interview a été produite en preuve et je suis convaincu que la personne qui a fait ces déclarations est bien M. Kippax.

 

  • [54] Je tiens à préciser que si j’ai cité le reportage de The Marketplace, je n’ai tiré aucune inférence ni accueilli ses conclusions; si j’y fais référence, c’est en raison des admissions de M. Kippax dans l’entrevue.

 

  • [55] Après la diffusion du reportage à l’émission The Marketplace, BIM a diffusé en réponse une brochure promotionnelle intitulée [traduction] « Nous pouvons garder la tête haute ». La couverture de la brochure montre un assemblage de photographies de M. Kippax en compagnie de gens qui paraissent être des distributeurs BIM. La brochure explique que le reportage de The Marketplace dénotait [traduction] « une absence de vérité renversante ».

 

  • [56] De plus, M. Kippax a mis en ligne trois vidéos sur YouTube. Dans ces vidéos, M. Kippax affirme : [traduction] « Je dirige ce système et je travaille avec ce système depuis 15 ans. » Il déclare que BIM dispose de [traduction] « témoignages d’agents de la GRC, de policiers actifs, d’analystes d’entreprise professionnels, de pasteurs – nous avons beaucoup de pasteurs, d’anciens fonctionnaires ». Il dément les allégations selon lesquelles les ventes sont en train de diminuer et que le système BIM est sur le point de s’effondrer en affirmant que [traduction] « les ventes ont monté en flèche! C’est la chose la plus emballante que j’aie jamais vue! » Il conclut en racontant l’histoire d’une femme qui « ne pouvait même pas se payer un billet d’autobus; maintenant, elle gagne entre 13 000 $ et 15 000 $ par mois, à temps partiel ».

 

  • [57] Le 24 mars 2010, M. Kippax a convoqué une conférence téléphonique où il a annoncé aux distributeurs BIM que les activités de BIM étaient [traduction] « suspendues » indéfiniment. Plus précisément, il a annoncé que les produits Perpetual Motion déjà payés ne seraient pas livrés et que les commissions gagnées par les distributeurs BIM ne seraient pas versées non plus.

  • [58] Il ressort de la preuve que M. Kippax a joué un rôle central dans BIM et que l’entreprise et lui avaient des intérêts communs. Bien qu’il n’ait été administrateur qu’une seule journée, M. Kippax a occupé des postes de direction au sein de BIM. La documentation de BIM fait référence à M. Kippax en tant que [traduction] « directeur des ventes mondiales », « directeur mondial », « maître d’œuvre », membre de « l’équipe de direction », « l’homme plus grand que nature » et « le baron et le consul général à la barre de Business in Motion ». Le matériel promotionnel qui accompagnait la tournée [traduction] « On appuie sur le champignon » décrit M. Kippax comme étant [traduction] « l’honorable Lord, baron de Tranent et consul général » et affirme ce qui suit :


  L’implication de M. Kippax dans le système BIM

[traduction] De nombreux privilèges et immunités – tels que ceux qu’accorde la Convention de Vienne sur les relations consulaires et diplomatiques entrée en vigueur le 19 mars 1967 (Nations‑Unies, Recueil des traités, vol. 596, à la page 261) – ont été conférés à BIM en raison des réalisations de l’honorable Alan Kippax.

 

 

  • [59] M. Kippax disait aussi de lui‑même qu’il était [traduction] « mathématicien de profession » (ou MDP) et s’accordait le crédit d’avoir mis au point le système BIM et le [traduction] « système multiplicateur temporel » qui sont au cœur de son entreprise.

 

  • [60] M. Kippax s’est placé dès le départ au centre de BIM, utilisant ses prestations spéciales aux séminaires BIM comme un argument de vente. Il figure en bonne place dans la documentation de BIM. La brochure [traduction] « Je n’en crois pas mes yeux! » et la brochure [traduction] « Nous pouvons garder la tête haute » sont couvertes de photos de M. Kippax en compagnie de distributeurs BIM. Comme nous l’avons vu, M. Kippax a été actionnaire de BIM et son unique administrateur pendant une journée de 2007 avant que ses actions ne soient transférées à M. Fox. M. Kippax a aussi engagé sa responsabilité personnelle pour des impôts manifestement impayés par BIM et était le véritable propriétaire des actions détenues en fiducie par M. Mohamed.

 

  • [61] Aux séminaires BIM, M. Kippax présentait les distributeurs BIM qui avaient atteint le poste de directeur des ventes et s’appuyait sur leurs expériences pour susciter de nouvelles inscriptions. Dans l’enregistrement d’un séminaire BIM entendu en preuve, M. Kippax demande à tous ceux qui ont atteint le poste de directeur des ventes de venir à l’avant de la salle. Il demande à chacun d’entre eux combien de clés il a gagnées, puis il annonce à l’auditoire la valeur de l’argent « d’avance » que ces clés représentent. Dans un autre séminaire BIM, M. Kippax présente un distributeur BIM – Johnny Abma – à l’auditoire et déclare que M. Abma a déjà gagné 76 000 $ en tant que distributeur BIM. Mais dans son témoignage, M. Abma affirme qu’il avait dit à M. Kippax qu’il n’avait jamais été payé pour son travail en tant que distributeur BIM.

 

  • [62] M. Kippax agissait aussi en coulisse, s’occupant d’opérations techniques pour le compte de BIM. C’est M. Kippax qui a enregistré les noms de domaine Internet intégrés au système BIM. M. Kippax a été le titulaire d’enregistrement et le contact administratif du site bimcorporation.com du 20 juillet 2007 au 28 janvier 2008, ainsi que du site earnfirm.com depuis le 14 mars 2006, du site icbit.com depuis le 25 juin 2007 et du site icantbelieveitstrue.com depuis le 14 mars 2006.

 

  La possibilité d’un jugement par défaut

 

  • [63] L’article 210 des Règles des Cours fédérales dispose que lorsqu’un défendeur ne dépose pas sa défense dans le délai de 30 jours prévus par les Règles, le demandeur peut, par voie de requête ex‑parte, demander un jugement contre le défendeur. La Cour peut accorder le jugement demandé, rejeter l’action ou ordonner que l’action soit instruite.

 

  • [64] Le 7 juin 2010, les défendeurs BIM et M. Kippax ont reçu à Goderich, en Ontario, la signification de la déclaration dans la présente affaire. La preuve de signification a été confirmée par l’affidavit de Katherine Henderson, huissière des services judiciaires, assermentée le lendemain, soit le 8 juin 2010. Une tentative précédente de signifier le document aux défendeurs au siège social de BIM à l’adresse utilisée pour la correspondance de l’entreprise avait été infructueuse. L’affidavit de l’huissier des services judiciaires, Michael Saunders, indique que la réceptionniste l’a informé que BIM avait déménagé sans laisser d’adresse de réexpédition. M. Saunders a donc essayé à une deuxième adresse, utilisée aussi dans certaines correspondances de BIM. Lorsqu’il s’est rendu à cette adresse, le 7275, Rapistan Court à Mississauga, en Ontario, on l’a informé que la société n’était plus à cette adresse et que l’entreprise avait fermé ses portes.

 

  • [65] Le 16 septembre 2013, la Cour a rendu une ordonnance autorisant la signification aux défendeurs M. Kippax et BIM de la requête en jugement par défaut du demandeur selon un mode substitutif. La preuve par affidavit déposée à l’appui de la requête en autorisation d’une signification substitutive faisait état du fait que M. Kippax était en détention à Lindsay, en Ontario, en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et faisait l’objet d’accusations criminelles à Winnipeg, au Manitoba. En conséquence, l’ordonnance prévoyait que la signification se ferait comme suit :

  • a) envoi par messagerie de l’avis de requête et des affidavits au cabinet d’avocats Rusonik, O’Connor, Robbins, Ross, Gorham & Anglini LLP, avec demande que les documents soient portés à l’attention de M. Kippax;

  • b) envoi par courriel de l’avis de requête et des corps des affidavits à M. Kippax à son adresse alankippax@yahoo.com;

  • c) signification par un huissier des services judiciaires de l’avis de requête et des affidavits à Alan Kippax, au centre correctionnel, ou, si cela s’avérait impossible, à l’administrateur du centre correctionnel, avec demande que les documents soient portés à l’attention de M. Kippax.

  • [66] Les affidavits de signification ont été déposés lorsqu’il a été confirmé que la signification de la présente requête en jugement par défaut avait été effectuée conformément à l’ordonnance du 16 septembre 2013.

 

  • [67] Le 22 novembre 2013, soit quatre jours avant l’audition de cette requête, les avocats chargés des procédures d’immigration de M. Kippax ont écrit à l’avocat du groupe et accusent réception d’une copie des documents de la requête qui avait avaient été signifiés à l’avocat chargé de sa procédure au criminel. Ils écrivent :

[traduction] Toutefois, nous avons reçu de Nathan Gorham, son avocat au criminel, certains actes de procédures concernant l’action susmentionnée, notamment un avis de requête en jugement par défaut qui doit être présenté le 28 novembre 2013.

 

 

  • [68] Les avocats en immigration précisent clairement qu’ils n’ont pas le mandat de représenter M. Kippax et que leurs services n’ont pas été retenus dans la procédure en Cour fédérale.

 

  • [69] La veille de l’audition de la requête en jugement par défaut, le greffier a reçu un affidavit de M. Kippax dans lequel il déclarait être détenu à Lindsay, en Ontario. Dans son affidavit, M. Kippax déclare que le directeur lui a refusé l’accès aux documents laissés pour lui à l’administration du centre correctionnel. Il décrit ses difficultés à recourir aux services d’un avocat et demande qu’il soit sursis à l’instruction de la requête :

[traduction]

À maintes reprises, j’ai tenté de consulter les documents que l’on a signifiés à mon intention la semaine dernière au centre correctionnel, en demandant notamment au garde en chef de me donner accès aux documents. Je n’ai toujours rien pu consulter, hormis quelques pages que l’huissier des services judiciaires m’a remises et qui ne me permettent pas de prendre suffisamment connaissance des allégations portées contre moi pour que je puisse formuler une réponse. Le personnel du centre correctionnel m’a informé qu’un ou des dossiers de documents seraient gardés sous clé dans mon casier d’effets personnels et que nous, en tant que détenus, ne sommes pas autorisés à les avoir en notre possession. À de nombreuses reprises, j’ai tenté en vain de consulter les documents, et on m’a même dit de ne plus importuner le garde en chef parce qu’il était irrité par mes demandes répétées toutes les deux à quatre heures.

 

De plus, j’ai tenté de retenir les services d’un avocat privé pour me représenter à la procédure du jugement par défaut. Mais ce n’est pas facile étant donné que je suis détenu dans une petite ville de l’Ontario, sans ressources financières. J’ai notamment demandé à un associé de prendre contact avec le cabinet Adair Barristers LLP à Toronto, mais on m’a avisé que le cabinet ne pouvait se charger de l’affaire dans un délai aussi bref.

 

 

  • [70] À l’audition de la requête, j’ai demandé qu’on me présente les observations des avocats et j’ai conclu, après avoir soupesé les intérêts divergents en jeu, à savoir ceux du défendeur (comparaître et se défendre, soit en personne soit par l’entremise d’un avocat) et ceux des membres du groupe (voir leur demande tranchée), que la balance penchait résolument en faveur des membres du groupe. À l’appui de cette conclusion, mentionnons notamment les multiples incohérences dans l’argumentation du M. Kippax sur la question de savoir si la requête lui avait été signifiée ou non.

 

  • [71] À titre d’exemple, comme en fait foi la lettre adressée à la Cour par les avocats de M. Kippax, ce dernier avait avisé ses avocats en immigration qu’il avait en sa possession la déclaration, l’ordonnance de certification, l’ordonnance autorisant une signification substitutive et l’avis de requête en jugement par défaut, et qu’il en avait pris connaissance. Or, dans son affidavit, M. Kippax déclare, au paragraphe 4 :

[traduction] J’ai été informé que certains documents juridiques qui m’étaient destinés concernant une instance en recours collectif en Cour fédérale ont été signifiés au centre correctionnel. Avant cet événement, je n’ai reçu aucun avis de cette instance ou d’une quelconque autre réclamation ou action, et j’ignorais totalement l’existence de ces procédures.

 

 

  • [72] Deuxièmement, les motifs avancés par M. Kippax en faveur d’un ajournement parce que la signification n’avait pas été effectuée reposent sur des affirmations non étayées selon lesquelles plusieurs personnes ont fait de fausses déclarations dans des affidavits. À cet égard, M. Kippax nie qu’on lui ait signifié la déclaration le 7 juin 2010. Pour que cela soit vrai, il aurait fallu que Mme Katherine Henderson, l’huissière des services judiciaires, fasse une fausse déclaration dans un affidavit. Je note aussi que cette déclaration dans l’affidavit de M. Kippax contredit ce qu’il a dit à ses avocats en immigration, et qui a été rapporté à la Cour le 22 novembre 2013.

 

  • [73] Troisièmement, M. Kippax soutient, en se fondant sur une lettre envoyée par un associé d’affaires, Patrick Power, le 28 novembre 2013, soit le jour de l’audition de la requête en jugement par défaut, que son avocat au criminel ne s’est pas vu signifier les documents de la requête. Cette affirmation contredit l’affidavit de signification déposé par les avocats du groupe et même la lettre transmise au greffier par ses avocats en immigration.

 

  • [74] Quatrièmement, il y a eu un certain nombre d’échanges entre les avocats du groupe et les avocats en immigration de M. Kippax. Bien qu’il ait été déposé et signifié par les avocats en immigration, l’affidavit de M. Kippax indique que M. Kippax n’était pas représenté par un avocat. Certes, M. Kippax communiquait de toute évidence avec ses avocats, mais ceux‑ci n’ont jamais reçu le mandat de le défendre ou de comparaître pour son compte.

 

  • [75] Cinquièmement, pour admettre la thèse de M. Kippax, la Cour doit présumer que le directeur du centre correctionnel de Lindsay refusait continuellement, sans aucune raison apparente, de fournir aux avocats des copies de documents juridiques signifiés à un détenu par ordonnance de la Cour.

 

  • [76] D’autres éléments de ces procédures jouent contre M. Kippax. À la suite de l’ordonnance de publication dans de nombreux journaux nationaux et locaux, plus de 400 personnes se sont déclarées membres du groupe. Il n’est tout simplement pas crédible que M. Kippax ait [traduction] « ignor[é] totalement » l’existence de ces procédures dont plus de 400 autres Canadiens avaient été informés par les avis.

 

  • [77] Certes, M. Kippax a affirmé dans son affidavit qu’il était [traduction] « prêt à [s]e défendre dans le cadre d’une audience complète sur le bien‑fondé de ce recours collectif et [qu’il avait] exprimé [s]on intention expresse de le faire », mais ce n’est pas ce que sa conduite laisse supposer, comme cela est devenu manifeste durant l’audition de la requête en jugement par défaut. Après que la Cour eut décidé de procéder à l’audition de la requête, l’avocat dont M. Kippax avait retenu les services a comparu. M. David L. Varty a informé la Cour que M. Kippax avait fait appel à lui pour contester le caractère adéquat de la signification. Il a fait observer qu’il y avait des disparités entre l’affidavit de M. Kippax et ceux des huissiers des services judiciaires et que des contre‑interrogatoires étaient nécessaires.

 

  • [78] Des contre‑interrogatoires au sujet des affidavits ne serviraient ni les intérêts du groupe, ni ceux du défendeur ou de l’administration de la justice. La comparution de M. Varty a confirmé que la signification avait été effectuée, ce que M. Kippax cherche précisément à contester. La question de la signification est donc sans objet. De plus, M. Varty a indiqué qu’il n’avait pas le mandat de déposer une défense ou de fournir une réponse sur le bien‑fondé de la requête. Il cherchait simplement à obtenir un ajournement pour contester la signification. Cela aurait été une perte de temps, puisqu’il était alors en possession des documents de la requête.

 

  • [79] La partie qui cherche à faire annuler une ordonnance présumant que la signification a été faite d’une certaine manière doit établir, selon toutes probabilités, que la signification n’a pas eu lieu et qu’en conséquence, le défendeur, qui a pris des mesures raisonnables, n’a pas présenté de défense ou ne pouvait en présenter une. Les explications du défendeur à cet égard sont loin de satisfaire à ce critère. En fait, elles sont contradictoires et, pour qu’elles soient vraies, il aurait fallu que des personnes n’ayant aucun intérêt à l’affaire fassent des déclarations fausses ou inexactes dans leurs affidavits. Malgré les contacts du défendeur avec trois groupes de conseillers juridiques différents (en immigration, au criminel et dans la présente procédure), aucun d’entre eux n’a reçu d’instructions pour présenter une défense. Enfin, l’affirmation de M. Kippax, faite sous serment, voulant qu’il [traduction] « ignorai[t] totalement » l’existence de ces procédures n’est tout simplement pas crédible.

 

 

ANALYSE

  Le système de vente pyramidale

 

  • [82] La Loi sur la concurrence interdit la mise sur pied, l’exploitation, la promotion ou la publicité d’un système de vente pyramidale. La Loi sur la concurrence définit comme suit un « système de vente pyramidale » :

 

55.1 (1) […] « système de vente pyramidale » s’entend d’un système de commercialisation à paliers multiples dans lequel, selon le cas :

 

a) un participant fournit une contrepartie en échange du droit d’être rémunéré pour avoir recruté un autre participant qui, à son tour, donne une contrepartie pour obtenir le même droit;

 

b) la condition de participation est réalisée par la fourniture d’une contrepartie pour une quantité déterminée d’un produit, sauf quand l’achat est fait au prix coûtant à des fins promotionnelles;

 

 

 

c) une personne fournit, sciemment, le produit en quantité injustifiable sur le plan commercial;

 

 

d) le participant à qui on fournit le produit :

 

(i) soit ne bénéficie pas d’une garantie de rachat ou d’un droit de retour du produit en bon état de vente, à des conditions commerciales raisonnables,

 

 

(ii) soit n’en a pas été informé ni ne sait comment s’en prévaloir.

 

55.1 (1) […] means a multi‑level marketing plan whereby;

 

 

 

(a) a participant in the plan gives consideration for the right to receive compensation by reason of the recruitment into the plan of another participant in the plan who gives consideration for the same right;

 

(b) a participant in the plan gives consideration, as a condition of participating in the plan, for a specified amount of the product, other than a specified amount of the product that is bought at the seller’s cost price for the purpose only of facilitating sales;

 

(c) a person knowingly supplies the product to a participant in the plan in an amount that is commercially unreasonable; or

 

(d) a participant in the plan who is supplied with the product

 

(i) does not have a buy‑back guarantee that is exercisable on reasonable commercial terms or a right to return the product in saleable condition on reasonable commercial terms, or

 

(ii) is not informed of the existence of the guarantee or right and the manner in which it can be exercised.

 

 

 

  • [83] La Loi sur la concurrence définit comme suit un « système de commercialisation à paliers multiples » :

55. (1) […] « commercialisation à paliers multiples » s’entend d’un système de distribution de produits dans lequel un participant reçoit une rémunération pour la fourniture d’un produit à un autre participant qui, à son tour, reçoit une rémunération pour la fourniture de ce même produit ou d’un autre produit à d’autres participants.

55. (1) […] “multi‑level marketing plan” means a plan for the supply of a product whereby a participant in the plan receives compensation for the supply of the product to another participant in the plan who, in turn, receives compensation for the supply of the same or another product to other participants in the plan.

 

 

 

  • [84] Je constate que BIM déclarait que les distributeurs BIM recevraient une rémunération pour la fourniture de produits Perpetual Motion à d’autres individus, qui en retour pouvaient devenir des distributeurs BIM et recevoir une rémunération pour la fourniture de produits Perpetual Motion à d’autres distributeurs BIM. À première vue, le système BIM répond à la définition d’un système de commercialisation à paliers multiples.

 

  • [85] Le système BIM constitue un système de vente pyramidale parce qu’il s’agit d’un système de commercialisation à paliers multiples qui oblige un participant à fournir une contrepartie en échange du droit d’être rémunéré pour avoir recruté un autre participant qui, à son tour, donne une contrepartie pour obtenir le même droit.

 

  • [86] Certes, on disait aux distributeurs BIM que leurs commissions étaient basées sur la vente d’un produit, mais j’estime, sur la foi des témoignages des membres du groupe, que le véritable incitatif était la formation d’une échelle administrative BIM et le recrutement de nouveaux participants. Je vois d’autres éléments probants dans le mode de fonctionnement de l’échelle administrative. Les échelles administratives qui ne se formaient pas assez rapidement étaient « abolies » et la rémunération était refusée aux personnes qui avaient vendu des produits. Dans un système licite de commercialisations à paliers multiples, les commissions sont payées lors de la vente de produits, pas après le recrutement d’autres participants et la formation d’une échelle administrative complète. De même, selon la preuve, les participants ne considéraient pas les produits Perpetual Motion en soi comme le bien qu’ils achetaient.

 

  • [87] La légalité d’un régime comme le système BIM, où les distributeurs devaient payer des « droits d’inscription » de 30 $ pour y participer, a été examinée dans la décision R c CLP Canmarket Lifestyle Products, 1989 CarswellMan 272 (MBQB), aux paragraphes 12 et 28. Dans cette décision, la Cour a jugé qu’une telle obligation constituait une infraction à la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions (qui est devenue plus tard la Loi sur la concurrence):

[traduction] De fait, un individu ne pouvait participer au système sans être un distributeur et ne pouvait être un distributeur sans payer les droits initiaux de 30 $, même si ces droits pouvaient être affectés au remboursement de certaines des dépenses engagées par Canmarket. La contrepartie du droit était donc, du moins en partie, le droit de participer au système; donc, à mon sens, le droit constituait « un droit de participation » au sens des dispositions pertinentes de la Loi.

 

 

  • [88] Pour que les distributeurs BIM aient le droit de participer à l’échelle administrative BIM, BIM exigeait qu’ils lui achètent au moins un produit Perpetual Motion, et ce, à un prix supérieur à celui qu’avait payé BIM, ce qui contrevient à l’alinéa 55(1)b) de la Loi sur la concurrence.

 

  • [89] Les distributeurs BIM ne pouvaient pas retourner les produits Perpetual Motion qu’ils achetaient. Rien dans le dossier n’indique que BIM offrait la moindre garantie de rachat. L’obligation d’offrir une garantie de rachat vise à donner au public une mesure de protection, protection dont ne disposaient pas les distributeurs BIM.

  • [90] La Loi sur la concurrence stipule ce qui suit :

 

  Les déclarations concernant la rémunération

55 (2) Il est interdit à l’exploitant d’un système de commercialisation à paliers multiples, ou à quiconque y participe déjà, de faire à d’éventuels participants, quant à la rémunération offerte par le système, des déclarations qui ne constituent ou ne comportent pas des assertions loyales, faites en temps opportun et non exagérées, fondées sur les informations dont il a connaissance concernant la rémunération soit effectivement reçue par les participants ordinaires, soit susceptible de l’être par eux compte tenu de tous facteurs utiles relatifs notamment à la nature du produit, à son prix, à sa disponibilité et à ses débouchés de même qu’aux caractéristiques du système et de systèmes similaires et à la forme juridique de l’exploitation.

 

55 (2) No person who operates or participates in a multi‑level marketing plan shall make any representations relating to compensation under the plan to a prospective participant in the plan unless the representations constitute or include fair, reasonable and timely disclosure of the information within the knowledge of the person making the representations relating to

 

(a) compensation actually received by typical participants in the plan; or

 

(b) compensation likely to be received by typical participants in the plan, having regard to any relevant considerations, including

 

(i) the nature of the product, including its price and availability,

 

(ii) the nature of the relevant market for the product,

 

(iii) the nature of the plan and similar plans, and

 

(iv) whether the person who operates the plan is a corporation, partnership, sole proprietorship or other form of business organization.

 

 

  • [91] La société BIM et M. Kippax ont, ensemble ou séparément, formulé à maintes reprises des déclarations dans le cadre du système BIM. Ces déclarations ne constituaient une divulgation ni juste, ni raisonnable ni faite en temps opportun de l’information dont BIM ou M. Kippax avaient connaissance concernant la rémunération qu’un participant ordinaire recevait réellement ou était susceptible de recevoir. La rémunération réelle ou probable gagnée par tous les distributeurs BIM, ordinaires ou autres, était connue de BIM et de M. Kippax, que ce soit de par la nature propre de leurs fonctions ou par l’entremise de la base de données des ventes tenue à jour aux fins de l’exploitation du site Web des échelles administratives BIM, bimcorporation.com, qui assurait le suivi des distributeurs BIM, répertoriés au moyen d’un identifiant unique, de même que de chacune de leurs ventes.

 

  • [92] Les présentations BIM et les textes fournis par BIM ne décrivaient que les meilleurs résultats possibles. Les présentations BIM ne mentionnaient pas qu’il était possible qu’un distributeur BIM ne soit jamais rémunéré, insistant plutôt qu’il n’y avait [traduction] « pas moyen de perdre ». Comme l’a démontré le cas de M. Abma, abordé précédemment, M. Kippax faisait des déclarations sur la rémunération reçue par des distributeurs BIM, tout en sachant que ces distributeurs BIM n’avaient rien reçu. Il y avait effectivement moyen de perdre, et il y a eu beaucoup de perdants.

 

  • [93] Enfin, ni BIM ni M. Kippax n’a fait de déclarations justes et raisonnables sur la valeur des produits Perpetual Motion ou sur le marché pour ces produits. BIM et M. Kippax ont prétendu que l’adhésion au club Ultra Life valait plus de 75 000 $ et qu’elle était vendue au détail plus de 15 000 $. Or, il n’y a aucune preuve à cet effet. Selon les éléments de preuve présentés par M. Cuzzetto et d’autres, BIM et M. Kippax affirmaient que l’adhésion au club Ultra Life s’accompagnait d’importants rabais sur des voyages alors qu’en fait, le coût des voyages réservés par l’entremise du club Ultra Life était égal ou supérieur à celui de forfaits semblables vendus en ligne, sans adhésion au club Ultra Life. Il n’y avait pas non plus de marché de revente pour ce produit.

 

  La responsabilité à l’égard des déclarations faites par les distributeurs BIM

 

  • [94] La Loi sur la concurrence exige que l’exploitant d’un système de commercialisation à paliers multiples prenne des mesures pour veiller à ce que les déclarations faites par les participants actuels aux participants potentiels respectent les règles de la Loi sur la concurrence. Plus précisément, la Loi sur la concurrence dispose ce qui suit :

55 (2.1) Il incombe à l’exploitant de veiller au respect, par les participants et ses représentants, de la règle énoncée au paragraphe (2), compte tenu des informations dont il a connaissance.

 

55 (2.1) A person who operates a multi‑level marketing plan shall ensure that any representations relating to compensation under the plan that are made to a prospective participant in the plan by a participant in the plan or by a representative of the person who operates the plan constitute or include fair, reasonable and timely disclosure of the information within the knowledge of the person who operates the plan relating to

 

(a) compensation actually received by typical participants in the plan; or

 

(b) compensation likely to be received by typical participants in the plan, having regard to any relevant considerations, including those specified in paragraph (2)(b).

 

 

  • [95] Le paragraphe 55(2.1) de la Loi sur la concurrence constitue une défense de diligence raisonnable prévue par la Loi. Un défendeur qui démontre qu’il a pris des précautions pour veiller à ce que les déclarations faites par les participants au système de commercialisation à paliers multiples soient conformes à la Loi sur la concurrence ne contrevient pas au paragraphe 55(2.1).

 

  • [96] Aucune preuve au dossier n’indique que M. Kippax ou BIM a pris des mesures pour veiller à ce que les déclarations faites par les distributeurs BIM aux autres distributeurs potentiels respectent les exigences de la Loi sur la concurrence. Au contraire, M. Kippax ou BIM pressaient les distributeurs BIM de faire aux recrues potentielles des déclarations quant à la rémunération en offrant des présentations BIM et des textes préparés par BIM qui ne respectaient pas ces exigences, et en formant des distributeurs BIM pour qu’ils donnent des présentations BIM qui ne respectaient pas ces mêmes exigences.

  • [97] La société BIM ou M. Kippax suggéraient aux distributeurs BIM de dire aux recrues qu’elles pouvaient gagner 13 000 $ par mois, à temps partiel, et qu’un distributeur BIM avait gagné [traduction] « 340 000 $ en moins de six semaines dans l’entreprise ».

 

 

  La rémunération typique dans le cadre du système BIM

 

  • [98] Trois cent quatre‑vingt‑quatorze membres du groupe ont répondu à un sondage distribué par les avocats du groupe. Selon les renseignements fournis par les répondants, parmi les personnes qui ont reçu une rémunération, le montant moyen de la rémunération était de 2 976,52 $. La rémunération vantée par M. Kippax et BIM était, en moyenne, dix fois supérieure à la valeur du produit vendu. Ces révélations, eu égard au paragraphe 55(2.1), renvoient aux caractéristiques d’un système pyramidal et les confirment. La rémunération était fonction du recrutement.

 

LES DOMMAGES‑INTÉRÊTS

  Les pertes subies par les membres du groupe

 

  • [99] Les avocats du groupe ont mis sur pied un site Web où les membres du groupe pouvaient obtenir de l’information sur la poursuite et fournir des renseignements sur leur expérience avec BIM et sur les pertes qu’ils avaient subies. Dans le sondage, on demandait aux membres du groupe de décrire leur expérience avec BIM, notamment le montant dépensé pour acquérir des produits Perpetual Motion et, s’ils avaient reçu une quelconque rémunération de la part de BIM, le montant de cette rémunération. Il s’avère que 278 membres du groupe ont dépensé et perdu un total de 2 050 038,30 $ pour des produits BIM. La plus petite perte déclarée par un membre du groupe était de 525 $, alors que la plus élevée était de 64 240 $. En moyenne, les membres du groupe ont perdu 7 374,24 $ chacun.

 

  • [100] Des 394 membres du groupe qui ont répondu au sondage, seulement 35 ont indiqué avoir reçu une rémunération de la part de BIM, la plus élevée étant de 14 325 $. Le montant moyen versé à ces 35 membres du groupe était de 3 560,22 $.

 

  Les dommages‑intérêts globaux

  • [101] Le groupe demande à la Cour de rendre une ordonnance condamnant BIM et M. Kippax à payer des dommages‑intérêts globaux de 65 600 000 $, intérêts en sus. La demande repose sur un nombre estimatif de 20 000 membres du groupe, soit la moitié des 40 000 distributeurs BIM que M. Kippax prévoyait avoir à la fin 2009; ce nombre est également à peu près à mi‑chemin entre les 32 000 identifiants uniques attribués et les 8 000 distributeurs que M. Kippax disait avoir inscrits. La demande repose également sur des dommages‑intérêts estimatifs de 3 280 $ par membre du groupe, ce qui représente le coût d’une adhésion au club Ultra Life, plus les 80 $ de droits exigés pour devenir distributeur. Le groupe soutient que cette estimation des dommages‑intérêts constitue un calcul approximatif équitable des dommages subis dans les circonstances de l’espèce. Je suis d’accord que ce montant estimatif de 3 280 $ par membre du groupe est raisonnable et a un fondement dans la preuve. Toutefois, la difficulté réside dans la nature et l’ampleur de la réparation accordée.

 

  • [102] La Loi sur la concurrence permet à notre Cour d’octroyer des dommages‑intérêts pour les pertes ou les dommages subis à la suite d’une conduite contraire à toute disposition de la partie VI de la Loi sur la concurrence, les infractions prévues aux articles 55 et 55.1 étant notamment visées. Les Règles des Cours fédérales autorisent le juge à rendre toute ordonnance relativement à des dommages‑intérêts réclamés dans le cadre d’un recours collectif, y compris une évaluation globale des dommages, et d’ordonner le recours à des modes de preuve spéciaux aux fins de cette évaluation :

334.28 (1) Le juge peut rendre toute ordonnance relativement à l’évaluation d’une réparation pécuniaire, y compris une évaluation globale, qui est due au groupe ou au sous‑groupe.

 

[…]

 

(3) Pour l’application de la présente règle, le juge peut ordonner le recours à des modes de preuve spéciaux.

 

334.28 (1) A judge may make any order in respect of the assessment of monetary relief, including aggregate assessments, that is due to the class or subclass.

 

[…]

 

(3) For the purposes of this rule, a judge may order any special modes of proof.

 

 

  • [103] Il est possible d’octroyer des dommages‑intérêts globaux même si l’identification des membres du groupe admissibles à en recevoir serait peu pratique et nécessiterait une analyse au cas par cas. Comme l’explique la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Markson c MBNA Canada Bank, 2007 ONCA 334 (demande d’autorisation d’appel no 32134 rejetée le 15 novembre 2007), au paragraphe 48 :

[traduction] […] lorsque la Cour procède à une évaluation globale, mais que les circonstances rendent impraticable soit l’identification des membres du groupe qui ont droit à une part des dommages‑intérêts adjugés, soit l’établissement du montant exact qui devrait être accordé à des membres individuels, la Cour devrait être habilitée à ordonner que les membres du groupe se partagent le montant adjugé selon la règle de la moyenne ou selon celle de la proportionnalité si le défaut de le faire priverait du recouvrement de nombreux membres lésés du groupe.

 

 

  • [104] En l’espèce, il est probable que BIM et M. Kippax ont des dossiers qui permettraient à la Cour de déterminer avec plus d’exactitude la proportion des dommages subis par chacun des membres du groupe. Toutefois, la Cour ne dispose pas de ces dossiers et rien n’indique que ces dossiers existent encore. M. Kippax et BIM n’ayant pas présenté de défense, il y a lieu de se demander si la Cour aura jamais accès aux dossiers nécessaires pour calculer précisément les montants à adjuger. Toutefois, les défendeurs ne devraient pas faire l’économie d’une évaluation globale des dommages‑intérêts en ignorant simplement l’existence d’une poursuite en recours collectif.

 

  • [105] Dans le reportage de The Marketplace, M. Kippax estime à [traduction] « plus de 8 000 » le nombre de distributeurs BIM et dit s’attendre à [traduction] « dépasser les 40 000 » membres avant la fin de 2009. Il y affirme que BIM a réalisé un chiffre d’affaires de [traduction] « plus de 30 000 000 $ » en 2008. Les [traduction] « rapports sur les distributeurs en aval » de BIM, qui contiennent les numéros d’identification séquentiels des distributeurs BIM, indiquent que plus de 32 000 numéros d’identification avaient été attribués au moment de l’effondrement de BIM.

 

  • [106] Pour établir le montant global approprié des dommages‑intérêts, on peut examiner les données fournies par les membres du groupe en réponse au sondage et d’autres éléments de preuve soumis à la Cour. Bien que cette analyse ne soit pas précise, elle rejoint les objectifs des recours collectifs en ce qu’elle évite une évaluation individuelle compliquée et qu’elle permettra aux avocats du groupe de prendre des moyens pour faire saisir tout actif restant si les dommages‑intérêts ne sont pas payés rapidement. Dans un cas comme celui‑ci, des dommages‑intérêts globaux s’imposent certes, mais pas de l’ampleur réclamée par le groupe.

 

  • [107] Le fait que les recrues du système BIM étaient inscrites sur le site Web de « précommercialistion » earnfirm.com rend difficile la répartition précise d’un montant global. L’inscription au site earnfirm.com générait un numéro d’identification unique que la recrue utilisait si elle choisissait de devenir un distributeur. Par conséquent, l’existence de 32 000 numéros d’identification uniques ne reflète pas l’effectif du groupe. Une recrue pouvait recevoir un numéro unique, mais décider de ne pas acheter de produit; elle ne devenait donc pas membre du groupe.

 

  • [108] De façon similaire, dans l’interview de The Marketplace, M. Kippax énonce une hypothèse totalement gratuite lorsqu’il affirme avoir 8 000 distributeurs et s’attendre à en avoir 40 000 avant la fin de l’année. Les avocats du groupe ont présenté cela comme un aveu, mais on ne peut guère accorder de poids à ce que dit M. Kippax quand il se vante de l’existence de 8 000 distributeurs. Selon ce que je constate, le témoignage de M. Kippax n’est tout simplement pas fiable et ne constitue pas une base solide sur laquelle il serait possible d’extrapoler la perte moyenne de 3 280 $ par membre aux 8 000 distributeurs déclarés par M. Kippax. Pour arriver à cette conclusion, j’ai considéré que même si 400 personnes ont répondu à l’avis de requête, ce nombre est considérablement moindre que les 8 000 membres du groupe potentiels. Par conséquent, la preuve est insuffisante pour conclure à l’existence de 8 000 distributeurs.

 

  • [109] Indépendamment des préoccupations exprimées, il serait contraire aux objectifs de la conduite des recours collectifs et, de fait, contraire à l’esprit de justice de limiter le montant global adjugé au motif que les défendeurs n’ont pas comparu. Comme je l’ai mentionné, un défendeur peu coopératif ne devrait ni avoir gain de cause à l’égard d’une réclamation par ailleurs légitime ni pouvoir restreindre une telle réclamation. De par leur nature même, les dommages‑intérêts globaux ne sont pas exorbitants; ils reposent sur une certaine estimation raisonnable des pertes. Je vais donc réduire considérablement, soit de 75 p. cent, le nombre de 8 000 distributeurs allégué par M. Kippax et conclure qu’un montant global de 6 560 000 $ est approprié. Pour parvenir à cette conclusion, j’ai tenu compte de plusieurs facteurs. Ils comprennent, comme je l’ai déjà souligné, le fait que je ne peux me fonder sur la déclaration de M. Kippax quant aux 8 000 distributeurs et le fait que l’existence d’un identifiant unique n’équivaut pas au statut de distributeur et de membre du groupe. Je considère également que même si, dans le cadre du présent recours collectif, l’acheminement des avis aux membres du groupe a été raisonnablement efficace, la liste des membres du groupe identifiés jusqu’à présent n’est pas complète et d’autres membres pourraient se manifester.

 

  Les dommages‑intérêts punitifs

  • [110] Le groupe demande aussi 1 000 000 $ en dommages‑intérêts punitifs contre M. Kippax personnellement. Comme l’écrit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hill c Église de la scientologie de Toronto, [1995] 2 RCS 1130, aux paragraphes 196 et 199 :

On peut accorder des dommages‑intérêts punitifs lorsque la mauvaise conduite du défendeur est si malveillante, opprimante et abusive qu’elle choque le sens de dignité de la cour. Les dommages‑intérêts punitifs n’ont aucun lien avec ce que le demandeur est fondé à recevoir au titre d’une compensation. Ils visent non pas à compenser le demandeur, mais à punir le défendeur. C’est le moyen par lequel le jury ou le juge exprime son outrage à l’égard du comportement inacceptable du défendeur.

 

 

  • [111] M. Kippax se décrivait comme le [traduction] « maître penseur » du système BIM, une opération complexe qui s’est nourrie des espoirs de milliers de Canadiens. Il a trompé les participants potentiels au système BIM. M. Kippax a fait des déclarations aux membres du groupe sur la rémunération généreuse qu’ils recevraient tout en sachant (on peut du moins conclure raisonnablement qu’il le savait) qu’elles étaient fausses. Selon le témoignage de M. Abma, depuis l’effondrement de BIM, M. Kippax a tenté de recruter d’anciens distributeurs BIM dans de nouveaux systèmes qui, a‑t‑il promis, les mèneraient [traduction] « au sommet ». M. Kippax conserve le contrôle des domaines earnfirm.com, icantbelieveitstrue.com et icbit.com – les mêmes domaines utilisés dans l’opération BIM et dans Treasure Traders International (TTI) (un système antérieur exploité par M. Kippax), ce qui démontre la nécessité de le dissuader à poursuivre ses activités en ce sens.

 

  • [112] Les tribunaux disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour fixer le montant des dommages‑intérêts punitifs, tout en s’appuyant sur les principes de proportionnalité et de rationalité. Comme l’a statué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Whiten c Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18, au paragraphe 111, en rétablissant la décision d’accorder des dommages‑intérêts punitifs de 1 000 000 $ :

[…] Le châtiment, la dénonciation et la dissuasion sont des justifications acceptées relativement à l’attribution de dommages‑intérêts punitifs, et le moyen utilisé doit être rationnellement proportionné au but visé. Une somme excessive n’atteint pas le but visé et devient irrationnelle, alors qu’une somme insuffisante ne réalise pas son objectif […].

 

 

  • [113] Sans limiter l’applicabilité de ces facteurs en l’espèce, des dommages‑intérêts punitifs ne sauraient être accordés en conséquence d’un manquement à l’article 55 de la Loi sur la concurrence. En effet, le paragraphe 36(1) de la Loi sur la concurrence contient une limitation intrinsèque à la possibilité que ce type de dommages‑intérêts soit accordé. Cette restriction a été antérieurement reconnue par notre Cour ainsi que d’autres cours : Bédard c Canada (Procureur général), 2007 CF 516, au paragraphe 47; Wong c Sony of Canada Ltd., (2001) 9 CPC (5th) 122 (OntSC). La requête en dommages‑intérêts punitifs est donc rejetée.

 

 


JUGEMENT

  LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La requête en jugement par défaut est accueillie.

  2. Les questions communes a), b), c) et d), énoncées au paragraphe 3 des présents motifs et à l’ordonnance de certification du 10 novembre 2011, reçoivent une réponse affirmative.

  3. La question commune e) reçoit une réponse négative.

  4. Les dommages‑intérêts globaux sont évalués à 6 560 000 $.

  5. Les dommages‑intérêts seront versés dans un compte en fiducie portant intérêt et détenu au nom du demandeur et des membres du groupe jusqu’à ce que la Cour approuve un plan de répartition des fonds récupérés.

 

 

« Donald J. Rennie »

juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T‑696‑10

 

INTITULÉ :

MARK CUZZETTO c BUSINESS IN MOTION INTERNATIONAL CORPORATION, ALAN KIPPAX et ASHIF MOHAMED

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

  Vancouver (colombie‑britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

  le 28 novembre 2013

 

MOTIF DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

  LE JUGE RENNIE

DATE DU JUGEMENT :

  le 10 janvier 2014

COMPARUTIONS :

Luciana P. Brasil
Greg McMullen

 

Mathew P. Good

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Branch MacMaster LLP
Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

Hordo Bennett Mounteer LLP
Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

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