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Date : 20140123


Dossier :

IMM-2230-13

 

Référence : 2014 CF 79

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2014

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

ANGELIKA EVA ISTENES

 

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

1.         Introduction

[1]               En vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], la demanderesse Mme Istenes conteste une décision de la Section de la protection des réfugiés [« la SPR » ou « le Tribunal »] rendue le 13 février 2013, selon laquelle elle n’avait pas qualité de réfugiée au sens de la Convention et ne se verrait pas accorder l’asile au Canada.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.         Les faits

[3]               La demanderesse est une citoyenne hongroise née en 1968.  Mariée en 1995, elle a travaillé comme enseignante pendant un certain temps et ensuite s’est lancée en affaires avec son mari, Ferenc Winkler, fabriquant et vendant des produits électrotechniques.  La crise économique de 2009 a fait subir de grandes pertes de revenu au couple.  La demanderesse déclare que son mari l’a accusée d’être la cause de leurs pertes et qu’il a commencé à devenir agressif envers elle lorsqu’il consommait de l’alcool.

 

[4]               Elle a appelé la police pour la première fois en 2011.  Les policiers sont venus et ont conseillé à M. Winkler de faire soigner ses problèmes d’alcool.  Il a promis à sa femme de le faire, mais n’a pas agi.  Elle a appelé de nouveau le 20 janvier 2012, et cette fois quand les policiers sont venus, ils lui ont conseillé de demander un mandat d’éloignement qui empêcherait M. Winkler de s’approcher d’elle pendant 72 heures.  Elle n’a pas osé le faire, craignant qu’après les trois jours elle soit victime d’une autre attaque.  La police a expliqué qu’elle pouvait demander un autre mandat avec une durée de 30 jours, mais elle avait peur d’être attaquée ou tuée durant le temps d’attente pour le mandat.

 

[5]               Le 15 février 2012 quand son mari, ivre, lui a fait des menaces de mort avec un couteau à la main, elle a dû quitter le foyer conjugal.  Elle a déménagé chez sa sœur, ensuite chez une amie, et ailleurs encore à plusieurs reprises, mais son mari l’a toujours poursuivie.  Elle a fait appel à la police et à des programmes de protection pour les femmes, mais n’a pas reçu une protection adéquate.  Mme Istenes note que la Hongrie est un petit pays de 2 000 km carrés et un diamètre approximatif de 260 km, où son mari réussissait toujours à la retrouver, et que finalement elle s’est enfuie vers le Canada.

 

[6]               Elle est arrivée ici le 27 mars 2012, déclarant qu’elle rendait visite à sa sœur qui est citoyenne canadienne.  À l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, elle déclara ne pas avoir de problèmes en Hongrie où son mari et leurs enfants habitaient.  Durant l’audience, elle et son conseiller expliquèrent qu’elle avait menti parce qu’elle avait peur d’être refoulée en Hongrie, qu’on avait commencé à mettre en détention et à renvoyer les gens arrivant de ce pays. 

 

[7]               Au cours de l’audience, le membre audiencier a demandé que la demanderesse nomme trois grandes villes en Hongrie pour prouver son identité hongroise, et ensuite s’est servi de ces trois villes pour l’analyse de la possibilité de refuge intérieur.

 

3.         La décision contestée

[8]               Dans la décision, le Tribunal nota qu’il a vérifié l’identité de la demanderesse en tant que citoyenne hongroise.  Il nota aussi qu’elle demandait l’asile en vertu de l’article 96 de la LIPR, vu que ses allégations référaient à son appartenance au groupe social particulier des femmes.  Le Tribunal tint compte de la Directive du président concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (http://www.irb-cisr.gc.ca/Fra/BoaCom/references/pol/GuiDir/Pages/GuideDir04.aspx).

 

[9]               Le Tribunal accepta l’explication de la demanderesse quant à sa fausse déclaration en arrivant au Canada et n’identifia ni contradiction, ni invraisemblance qui le pousseraient à tirer une conclusion négative sur la crédibilité.  Toutefois, il nota que quand le membre audiencier avait demandé si la demanderesse pouvait quitter Budapest et se réfugier à Debrecen, Eger, ou Miskolc, elle n’avait pas démontré que ce ne serait pas raisonnable pour elle.  Elle a simplement plaidé qu’à l’âge de 44 ans elle ne pourrait pas se trouver d’emploi dans ces villes.  Il rejeta donc la demande d’asile au motif que la demanderesse avait une possibilité de refuge intérieur [PRI].

 

4.         Questions en litige

[10]           Les questions en litige sont les suivantes :

 

A.        Est-ce que le Tribunal a commis une erreur en concluant qu’il existait une PRI sans mentionner de preuve documentaire à l’appui de cette conclusion ?

 

            B.        Est-ce que le Tribunal a commis une erreur en concluant qu’il existait une PRI sans analyser la situation particulière de la demanderesse eu égard aux directives concernant la persécution fondée sur le sexe ?

 

5.         Norme de contrôle

[11]           La norme de contrôle applicable à la révision des conclusions du Tribunal au sujet d’une PRI est celle de la décision raisonnable (voir Gulyas c Canada (MCI), 2013 CF 254 aux paras 36-39).

 

 

 

6.         Analyse

A.        Est-ce que le Tribunal a commis une erreur en concluant qu’il existait une possibilité de refuge intérieur sans mentionner de preuve documentaire à l’appui de cette conclusion ?

 

[12]           Le fardeau de démontrer qu’une PRI n’existe pas ou qu’il serait objectivement déraisonnable de s’y rendre appartient à la demanderesse et non au Tribunal.  Voir Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF no 1172 (CAF) :

Puisque l'existence ou non de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays fait partie intégrante de la décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur, il appartient à ce dernier de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il risque sérieusement d'être persécuté dans tout le pays, y compris la partie qui offrait prétendument une possibilité de refuge. [. . .] La question consiste à savoir si, compte tenu de la persécution qui existe dans sa partie du pays, on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il cherche refuge dans une autre partie plus sûre de son pays avant de chercher refuge au Canada ou ailleurs.  C'est un critère objectif, et le fardeau de la preuve appartient au demandeur. [. . .]

 

[13]           Voir aussi Oliva c Canada (MCI), 2012 CF 315 (Harrington J) au para 10.

 

10     La PRI est un élément intrinsèque de toute décision sur la question de savoir si une personne est un réfugié, le fardeau incombant au demandeur (Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)), [1992] 1 CF 706, [1991] A.C.F. no 1256 (QL) (CAF), Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 CF 589, [1993] A.C.F. no 1172 (QL) (CAF)). Comme l'a dit le juge Devlin (tel était alors son titre) dans Waddle c Wallsend Shipping Company, Ltd, [1952] 2 Lloyd's Rep 105, à la page 139 :

 

[TRADUCTION]

Dans une affaire où l'essentiel des faits a été mis au jour, il est sans aucun doute légitime de plaider qu'il faut trouver une cause quelconque, et que donc la cause qui paraît la mieux établie devrait être choisie. Lorsqu'on peut dire à juste titre que toutes les causes possibles ont été examinées à fond, c'est la plus forte qui doit l'emporter. Mais dans un cas où il n'existe aucune preuve directe, il n'y a pas de raison de dire que la conjecture la plus plausible doit nécessairement être la bonne explication. Il se peut bien qu'on doive constater qu'on n'en connaît pas assez au sujet des circonstances du sinistre pour permettre à celui qui enquête de dire comment c'est arrivé. Tout ce qu'il peut dire c'est qu'aucune théorie proposée n'a pu trouver suffisamment d'appui dans les faits pour rendre plus probable que cela est arrivé de cette façon et non d'une autre [...]

 

[14]           En tenant compte des faits dans cette affaire, le Tribunal n’a commis aucune erreur à cet égard.

 

B.        Est-ce que le Tribunal a commis une erreur en concluant qu’il existait une possibilité de refuge intérieur sans analyser la situation particulière de la demanderesse eu égard aux directives concernant la persécution fondée sur le sexe ?

 

[15]           La demanderesse soumet que l’analyse relative à une PRI doit être adaptée aux circonstances de chaque cas.  En l’espèce, elle n’avait pas de PRI car son mari était toujours en mesure de la retrouver n’importe où en Hongrie.  Elle prétend qu’elle a entrepris des efforts adéquats pour s’éloigner de son mari abusif, et ce, sans succès.  La loi en Hongrie ne protège pas les femmes victimes de violence conjugale et quand elle a fait appel à la police, aucune aide permanente et sécuritaire ne lui a été offerte.  De plus, la documentation sur le pays démontre qu’elle faisait face à de la discrimination envers les femmes et donc qu’elle n’avait pas de possibilité de trouver un autre emploi dans une autre ville. 

 

[16]           Le défendeur soumet que la demanderesse n’a pas démontré que son prétendu agent de persécution aurait la volonté ou les moyens de la rechercher a Debrecen, Eger, ou Miskolc ; elle est même allée souvent dans ces villes.  Elle a plutôt témoigné que la raison qu’elle ne pourrait pas déménager dans une de ces villes serait la difficulté de se trouver un emploi.

 

[17]           Je suis d’accord que la demanderesse n’a pas démontré qu’elle ne pouvait pas se prévaloir de la protection de l’État hongrois dans les villes proposées et donc que la décision du Tribunal était raisonnable et justifiée en vue des faits présentés.  Quand elle a eu recours à la protection étatique, les forces policières se sont présentées et lui ont offert la possibilité d’obtenir un mandat contre son mari.  C’est elle qui a choisi de ne pas se prévaloir de cette alternative.  Le dossier ne démontre pas que la solution recommandée n’aurait pas été adéquate, ni qu’elle a fait d’autres démarches auprès des organismes étatiques. Je rejette également l’hypothèse que la distance entre les villes en question et le domicile du mari, n’est pas adéquate pour fournir une protection suffisante à la demanderesse.

 

[18]           La demanderesse n’a pas rencontré son fardeau de preuve pour établir l’absence d’un PRI pour elle en Hongrie.

 

7.         Conclusion

[19]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

« Peter Annis »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


Dossier :

                                                            IMM-2230-13

 

INTITULÉ :

ANGELIKA EVA ISTENES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 16 janvier 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 23 janvier 2014

COMPARUTIONS :

Me Serban Mihai Tismanariu

Pour la demanderesse

 

Me Daniel Baum

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat(e)

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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