Date : 20140205
Dossier : IMM-2086-13
Référence : 2014 CF 8
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 5 février 2014
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE :
LAMA BARRY
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS ET JUGEMENT
I. Aperçu
[1] Lorsqu'un demandeur n'a pas établi son identité, une conclusion défavorable quant à la crédibilité sera presque inévitablement tirée et peut, à elle seule, trancher la demande (Uwitonze c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2012 CF 61).
II. Introduction
[2] Le demandeur demande le contrôle judiciaire d'une décision du 26 février 2013 de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dans laquelle il a été établi que le demandeur n'avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention aux termes de l'article 96 ni celle de personne à protéger aux termes de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).
III. Le contexte
[3] Le demandeur, M. Lama Barry, alias Mohamed Barry, est un citoyen de la Guinée.
[4] Le demandeur allègue qu'à la fin de l'année 2009, sa famille en Guinée a commencé à lui infliger de graves sévices à cause de sa conversion au christianisme et de sa maladie mentale. Il explique qu'il a été ligoté à un arbre en face du domicile familial pendant plusieurs mois en guise de traitement pour sa maladie mentale et que son père l'a battu et forcé à prendre des médicaments.
[5] Le demandeur explique que des hommes de l'église locale l'ont libéré de la séquestration de son père. Il a par la suite déménagé de Dalaba à Conakry, puis à la résidence d'un ami jusqu'à son départ pour le Canada.
[6] En février 2010, le demandeur et sa compagne, Mme Agnes Haba, ont présenté une demande de visa de résident temporaire pour venir au Canada au moyen de documents falsifiés; les documents auraient été obtenus par la tante de Mme Haba sans participation directe du demandeur. La demande a été rejetée.
[7] Le demandeur a finalement quitté la Guinée en octobre 2010 pour aller en France. De là, il a présenté une deuxième demande de visa de résident temporaire pour venir au Canada, toujours en utilisant des documents falsifiés, cette fois en se présentant comme comptable au service de l'État chargé d'effectuer une vérification à l'ambassade de la Guinée au Canada. La demande a été accueillie.
[8] Le demandeur est arrivé au Canada le 25 octobre 2010 en utilisant le nom « Mohamed » Barry.
[9] Le demandeur a par la suite demandé l'asile le 15 novembre 2010 en utilisant le nom « Lama » Barry.
[10] La SPR a entendu la demande d'asile du demandeur le 6 décembre 2012.
[11] La demande d'asile du demandeur a été rejetée le 26 février 2013.
IV. La décision visée par le contrôle
[12] Dans sa décision du 26 février 2013, la SPR a conclu que le demandeur n'avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La SPR a conclu que le demandeur n'avait pas établi son identité et, de plus, que son exposé et son témoignage, à eux seuls, n'étaient pas crédibles en raison d'importantes invraisemblances, contradictions et ambiguïtés, détaillées par la SPR.
[13] Sur la foi d'un examen par un expert de l'Agence des services frontaliers du Canada selon lequel les documents étaient falsifiés, la SPR a établi que les documents d'identité fournis par le demandeur avaient été falsifiés, contrefaits, ou obtenus au moyen de documents falsifiés. Plus particulièrement, la SPR a jugé que sur un certain nombre de documents, on avait remplacé les photographies ou modifié des mots. La SPR a rejeté l'explication du demandeur selon laquelle les irrégularités en question découlaient d'une administration publique déficiente.
[14] Étant donné l'absence de valeur probante des documents d'identité fournis par le demandeur et le manque de crédibilité globale de celui‑ci, la SPR n'a conféré aucun poids aux autres éléments de preuve documentaires fournis par le demandeur pour établir son identité; ces documents comprennent une assignation à comparaître, la lettre d'un prêtre, un article de journal du 31 août 2010 et une lettre du vicaire d'une paroisse canadienne.
V. La question en litige
[15] La conclusion de la SPR sur l'identité est‑elle raisonnable?
VI. Les dispositions légales pertinentes
[16] Les dispositions légales suivantes de la LIPR sont pertinentes en l'espèce :
Définition de « réfugié »
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
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Convention refugee
96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.
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Personne à protéger
97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n'a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
a) soit au risque, s'il y a des motifs sérieux de le croire, d'être soumise à la torture au sens de l'article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d'autres personnes originaires de ce pays ou qui s'y trouvent ne le sont généralement pas,
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérentes à celles‑ci ou occasionnées par elles,
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l'incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
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Person in need of protection
97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,
(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,
(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.
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Personne à protéger
(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d'une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection. |
Person in need of protection
(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection. |
VII. La norme de contrôle
[17] Les conclusions de fait de la SPR sur les questions concernant l'identité commandent la norme de la décision raisonnable (Liu c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2012 CF 377; Wang c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2011 CF 969; Najam c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2004 CF 425).
[18] Le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).
VIII. Analyse
[19] La Cour a souvent conclu que la question de l'identité est au coeur même de l'expertise de la SPR et que la Cour doit faire montre de prudence lorsqu'il s'agit de mettre cette expertise en doute. Comme l'a écrit la juge Mary Gleason dans Rahal c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2012 CF 319 :
[48] [...] Je suis d'avis que, pour autant qu'il y ait des éléments de preuve pour appuyer les conclusions de la Commission quant à l'identité, que la SPR en donne les raisons (qui ne sont pas manifestement spécieuses) et qu'il n'y a pas d'incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier, la conclusion de la SPR quant à l'identité appelle un degré élevé de retenue et sera considérée comme une décision raisonnable. Autrement dit, si ces facteurs s'appliquent, il est impossible de dire que la conclusion a été rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.
[Non souligné dans l'original.]
[20] Dans sa décision, la SPR a fondé sa conclusion relativement à l'identité sur de nombreux faux documents portant le nom « Lama Barry » et sur l'aveu du demandeur quant à l'inauthenticité des pièces d'identité portant le nom « Mohamed Barry ».
[21] La jurisprudence de la Cour montre clairement que le défaut d'un demandeur d'asile d'établir son identité porte un coup fatal à la demande (Balde c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2006 CF 438, et, plus récemment, Yang c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2009 CF 681).
[22] Lorsque le demandeur n'a pas établi son identité, une conclusion défavorable quant à la crédibilité sera presque inévitablement tirée, et peut, à elle seule, entraîner le rejet d'une demande d'asile (Uwitonze, précité).
[23] Essentiellement, le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en omettant d'évaluer un certain nombre de documents qu'il a fournis à cause de ses conclusions défavorables à l'égard des autres documents (frauduleux) figurant au dossier. Le demandeur affirme que chaque document aurait dû être évalué isolément et non pas en fonction des problèmes relevés au regard des autres documents, même s'il existe un lien entre les documents.
[24] La Cour ne peut pas souscrire à l'affirmation du demandeur selon laquelle la SPR a commis une erreur à cet égard. D'abord, dans les circonstances, aucun des documents auxquels renvoie le demandeur n'était essentiel à la décision au point de faire du défaut de la SPR d'évaluer celui‑ci en détail une erreur. Aucun des documents en question n'était une pièce d'identité ou ne pouvait servir à établir de façon définitive l'identité du demandeur. Chaque document mentionnait simplement le nom « Lama Barry ».
[25] De plus, la Cour doit examiner le raisonnement global en ce qui concerne l'identité du demandeur dans la décision de la SPR. Elle ne peut pas limiter son examen à la seule évaluation de quelques documents choisis par le demandeur. Comme il est écrit dans Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, il convient d'examiner les éléments de preuve dans leur totalité et à la lumière du dossier pour apprécier le caractère raisonnable de la conclusion de la SPR.
[26] La Cour estime que la SPR disposait de beaucoup d'éléments de preuve en faveur du rejet des documents d'identité du demandeur et de la conclusion selon laquelle l'identité de celui‑ci ne pouvait pas être établie de façon satisfaisante. La Cour n'estime pas que la SPR a commis une erreur en limitant son évaluation à une partie seulement des documents produits par le demandeur ou en n'examinant pas les autres documents « isolément ». La transcription de l'audience de la SPR au dossier montre clairement, par les questions posées, que les éléments de preuve ont été évalués dans leur totalité, et que c'est ainsi que la SPR a tiré sa conclusion.
[27] Quoi qu'il en soit, comme il est mentionné plus haut, les documents, qui n'étaient pas des pièces d'identité, ne pouvaient absolument pas remédier aux irrégularités relevées dans les pièces d'identité figurant au dossier.
[28] La Cour estime que la conclusion de la SPR quant à l'identité était raisonnable.
IX. Conclusion
[29] Pour tous les motifs mentionnés plus haut, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit rejetée. Aucune question de portée générale n'est certifiée.
« Michel M. J. Shore »
juge
Traduction certifiée conforme
Yves Bellefeuille, réviseur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2086-13
INTITULÉ : Lama Barry c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 17 décembre 2013
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : Le juge Shore
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 5 février 2014
COMPARUTIONS :
Kathleen Hadekel
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POUR LE DEMANDEUR
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Pavol Janura
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kathleen Hadekel Avocate Montréal (Québec)
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POUR LE DEMANDEUR
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William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada Montréal (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR
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