Date : 20131125
Dossier :
T‑1785‑12
Référence : 2013 CF 1183
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2013
En présence de monsieur le juge Russell
ENTRE : |
KLAUSE RIDKE |
demandeur |
et |
COULSON AIRCRANE LTD. |
défenderesse |
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Dans la présente action introduite en vertu de la partie III du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 (le Code), le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 28 août 2012 (la décision) d’une inspectrice (l’inspectrice) de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) qui limitait à une période rétroactive de 12 mois son enquête ainsi que le paiement d’heures supplémentaires dues au demandeur.
CONTEXTE
[2] Le demandeur travaille pour la défenderesse depuis le 1er juin 2001. À l’heure actuelle, il reçoit des prestations d’invalidité de longue durée et il est incapable de travailler. La défenderesse est une entreprise de la Colombie‑Britannique qui effectue de l’exploitation forestière par hélicoptère et offre des services de lutte aérienne contre les incendies de forêt dans l’ensemble de l’Amérique du Nord.
[3] Lorsqu’il travaillait pour la défenderesse, le demandeur effectuait habituellement de longues heures, soit de 60 à 100 heures par semaine lorsqu’il était affecté à des endroits éloignés. Dans bien des cas, la défenderesse rémunérait le demandeur au taux horaire habituel pour des heures qui constituaient en fait des « heures supplémentaires » au sens du Code. Le demandeur a fourni des relevés d’heures supplémentaires impayées qui remontaient à 2008. Cependant, le demandeur n’a pas conservé de relevés pour chacune des périodes de paye et il n’a consigné nulle part les heures supplémentaires travaillées à plusieurs occasions.
[4] Le 6 février 2012, le demandeur a déposé une plainte à RHDCC pour obtenir le versement de prestations d’heures supplémentaires impayées en vertu de la partie III du Code. Le demandeur a déposé des relevés de paye faisant état d’heures supplémentaires impayées pour diverses périodes en 2008, 2009, 2010 et 2011; il a demandé à RHDCC de faire enquête et d’ordonner le paiement desdites heures supplémentaires pour une période rétroactive de 72 mois.
[5] Le 3 mai 2012, la défenderesse a écrit à l’inspectrice pour contester la plainte; elle alléguait que le demandeur était exclu de l’application de certaines dispositions du Code à cause de la nature de son travail. Le 31 mai 2012, l’inspectrice a écrit à la défenderesse pour l’informer que ce n’était pas le cas. Elle a alors aussi demandé les relevés de paye de la défenderesse du 6 février 2011 au 6 février 2012. Elle a formulé de nouveau cette demande le 20 juin 2012.
[6] Le 13 juin 2012, la défenderesse a remis à l’inspectrice les relevés demandés. Ces derniers comprenaient un état des paiements faits au demandeur pour les « jours fériés » (au sens du Code). À la demande de l’inspectrice, d’autres relevés ont été transmis le 31 juillet 2012.
[7] Le 11 juillet 2012, le demandeur a écrit à l’inspectrice pour lui demander que l’enquête ait un caractère rétroactif et vise une période de 36 ou de 72 mois. Le 16 juillet 2012, l’inspectrice a écrit au demandeur pour lui expliquer que la période visée par l’enquête serait limitée à 12 mois conformément à la politique de RHDCC en cette matière. Le 1er août 2012, l’inspectrice a écrit à la défenderesse pour l’informer qu’elle avait rendu une « décision préliminaire » selon laquelle la somme de 11 747,45 $ était payable au demandeur au titre des heures supplémentaires et de l’indemnité de congé annuel pour la période du 26 juillet 2010 au 31 juillet 2011. La défenderesse disposait d’un délai de 15 jours pour faire le paiement au demandeur.
[8] Le 14 août 2012, le demandeur a écrit à l’inspectrice afin d’obtenir des copies des relevés fournis par la défenderesse, alléguant que les heures supplémentaires avaient été mal calculées dans la décision préliminaire; il demandait de nouveau que la période visée par l’enquête soit élargie.
[9] Le 23 août 2012, la défenderesse a écrit à l’inspectrice pour lui signifier son opposition à l’examen de tout autre relevé.
[10] Le 28 août 2012, l’inspectrice a écrit au demandeur pour lui annoncer formellement son refus de prolonger l’enquête sur la plainte au‑delà de la période de 12 mois. Il s’agit de la décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire (la décision).
[11] Étant donné que la défenderesse a accepté de payer la somme prévue par la décision préliminaire, aucun « ordre de paiement » n’a été délivré. Le seul moyen d’appel à l’interne en vertu du Code est prévu à l’article 251.11; or, cet article s’applique dans les cas où un ordre de paiement a été délivré. Le 10 septembre 2012, le demandeur a accepté le paiement par la défenderesse de la somme établie par l’inspectrice dans la décision préliminaire, mais sous réserve de son droit de déposer une demande de contrôle judiciaire. Le 25 septembre 2012, le demandeur a déposé la présente demande.
DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[12] La décision était fondée sur une directive de RHDCC intitulée Traitement des plaintes (la Politique), jointe à l’affidavit du demandeur sous la cote P. L’inspectrice a décidé que la rétroactivité sur une période de 72 ou de 36 mois n’était [traduction] « pas justifiée » pour les raisons suivantes :
• La défenderesse ignorait qu’elle contrevenait aux dispositions du Code.
• La défenderesse n’avait pas bénéficié de services de conseil au sujet du Code.
• La défenderesse n’avait aucun antécédent en matière de non‑respect du Code.
• Le demandeur avait accepté les conditions d’emploi et les pratiques de travail pendant toute cette période sans prendre de mesures pour les faire modifier.
• La défenderesse avait collaboré à l’enquête.
• La défenderesse accepte d’effectuer un paiement volontaire par suite de la décision préliminaire.
[13] Aux termes de l’alinéa 7.7k) de la Politique, les inspecteurs doivent limiter la période de rétroactivité des enquêtes à 12 mois à compter de la date de la non‑conformité. L’alinéa 7.7l) prévoit que la période de rétroactivité peut être étendue selon « la portée de l’infraction, la période pendant laquelle les sommes étant dues ont eu lieu et les antécédents de l’employeur pour ce qui est du respect du Code ». Enfin, l’alinéa 7.7m) dispose que la période de rétroactivité ne doit pas dépasser 36 mois « à moins qu’une preuve documentaire claire existe pour appuyer la demande et que cette demande a reçu l’approbation de la gestion régionale ».
[14] L’inspectrice a conclu que, selon la preuve présentée par les parties, la demande du demandeur portant sur la rémunération et les autres sommes payables pour une période de 72 mois ou de 36 mois n’était pas justifiée.
DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES
[15] Voici les dispositions du Code qui s’appliquent en l’espèce :
Définitions
166. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.
[…]
« durée normale du travail »
« durée normale du travail » La durée de travail fixée sous le régime des articles 169 ou 170, ou par les règlements d’application de l’article 175.
[…]
« heures supplémentaires »
Heures de travail effectuées au‑delà de la durée normale du travail.
[…]
« jours fériés »
« jours fériés » Le 1er janvier, le vendredi saint, la fête de Victoria, la fête du Canada, la fête du Travail, le jour de l’Action de grâces, le jour du Souvenir, le jour de Noël et le lendemain de Noël; s’entend également de tout jour de substitution fixé dans le cadre de l’article 195.
[…]
Sauvegarde des dispositions plus favorables
168. (1) La présente partie, règlements d’application compris, l’emporte sur les règles de droit, usages, contrats ou arrangements incompatibles mais n’a pas pour effet de porter atteinte aux droits ou avantages acquis par un employé sous leur régime et plus favorables que ceux que lui accorde la présente partie.
[…]
Règle générale
169. (1) Sauf disposition contraire prévue sous le régime de la présente section :
a) la durée normale du travail est de huit heures par jour et de quarante heures par semaine;
b) il est interdit à l’employeur de faire ou laisser travailler un employé au‑delà de cette durée.
[…]
Interdiction
196. (1) Il est interdit de faire subir à l’employé rémunéré à la semaine ou au mois une quelconque réduction de salaire pour la seule raison qu’il n’a pas travaillé un jour férié durant une semaine ou un mois donné.
Rémunération journalière ou horaire
(2) L’employé rémunéré à la journée ou à l’heure reçoit, pour tout jour férié où il ne travaille pas, au moins l’équivalent du salaire qu’il aurait gagné, selon son taux horaire ou quotidien, pour une journée normale de travail.
[…]
Majoration pour travail effectué un jour de congé
197. Sauf s’il est occupé à un travail ininterrompu, l’employé qui est tenu de travailler un jour de congé payé touche son salaire normal pour ce jour et, pour les heures de travail fournies, une somme additionnelle correspondant à au moins une fois et demie son salaire normal.
[…]
Appel
251.11 (1) Toute personne concernée par un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée peut, par écrit, interjeter appel de la décision de l’inspecteur auprès du ministre dans les quinze jours suivant la signification de l’ordre ou de sa copie, ou de l’avis.
Consignation du montant visé
(2) L’employeur et l’administrateur de personne morale ne peuvent interjeter appel d’un ordre de paiement qu’à la condition de remettre au ministre la somme visée par l’ordre, sous réserve, dans le cas de l’administrateur, du montant maximal visé à l’article 251.18.
[…]
Ordonnance de paiement
258. (1) Sur déclaration de culpabilité pour infraction à la présente partie à l’endroit d’un employé, le tribunal, en sus de toute autre peine, doit ordonner à l’employeur en cause de verser à l’employé le salaire et les prestations — notamment heures supplémentaires, indemnité de congé annuel ou de jour férié — auxquels celui‑ci a droit aux termes de la présente partie et dont le défaut de paiement a constitué l’infraction.
[…] |
Definitions
166. In this Part,
[…]
“standard hours of work”
“standard hours of work” means the hours of work established pursuant to section 169 or 170 or in any regulations made pursuant to section 175;
[…]
“overtime”
“overtime” means hours of work in excess of standard hours of work;
[…]
“general holiday”
“general holiday” means New Year’s Day, Good Friday, Victoria Day, Canada Day, Labour Day, Thanksgiving Day, Remembrance Day, Christmas Day and Boxing Day and includes any day substituted for any such holiday pursuant to section 195;
[…]
Saving more favourable benefits
168. (1) This Part and all regulations made under this Part apply notwithstanding any other law or any custom, contract or arrangement, but nothing in this Part shall be construed as affecting any rights or benefits of an employee under any law, custom, contract or arrangement that are more favourable to the employee than his rights or benefits under this Part.
[…]
Standard hours of work
169. (1) Except as otherwise provided by or under this Division
(a) the standard hours of work of an employee shall not exceed eight hours in a day and forty hours in a week; and
(b) no employer shall cause or permit an employee to work longer hours than eight hours in any day or forty hours in any week.
[…]
Weekly or monthly pay not to be reduced for holiday
196. (1) Where the wages for an employee are calculated on a weekly or monthly basis, the weekly or monthly wages of the employee shall not be reduced for a week or month in which a general holiday occurs by reason only that the employee did not work on the general holiday.
Pay at daily or hourly rate
(2) An employee whose wages are calculated on a daily or hourly basis shall, for a general holiday on which the employee does not work, be paid at least the equivalent of the wages the employee would have earned at his regular rate of wages for his normal hours of work.
[…]
Additional pay for holiday work
197. Except in the case of an employee employed in a continuous operation, an employee who is required to work on a day on which the employee is entitled under this Division to a holiday with pay shall be paid, in addition to his regular rate of wages for that day, at a rate at least equal to one and one‑half times his regular rate of wages for the time that the employee worked on that day.
[…]
Appeal
251.11 (1) A person who is affected by a payment order or a notice of unfounded complaint may appeal the inspector’s decision to the Minister, in writing, within fifteen days after service of the order, the copy of the order, or the notice.
Payment of amount
(2) An employer or a director of a corporation may not appeal from a payment order unless the employer or director pays to the Minister the amount indicated in the payment order, subject to, in the case of a director, the maximum amount of the director’s liability under section 251.18.
[…]
Order to pay arrears of wages
258. (1) Where an employer has been convicted of an offence under this Part in respect of any employee, the convicting court shall, in addition to any other punishment, order the employer to pay to the employee any overtime pay, vacation pay, holiday pay or other wages or amounts to which the employee is entitled under this Part the non‑payment or insufficient payment of which constituted the offence for which the employer was convicted.
[…]
|
QUESTIONS EN LITIGE
[16] Le demandeur soulève les questions suivantes dans la présente demande :
a. La Politique est‑elle contraire aux dispositions du Code?
b. La Politique et la décision outrepassent‑elles les pouvoirs conférés par la loi à RHDCC et à ses inspecteurs?
c. Si la réponse aux deux questions précédentes est négative, la décision est‑elle déraisonnable?
NORME DE CONTRÔLE
[17] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question en particulier soumise à la cour de révision est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. C’est uniquement lorsque cette recherche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenir incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit effectuer un examen des quatre facteurs qui composent l’analyse de la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48 [Agraira].
[18] Le demandeur soutient que les deux premières questions doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte étant donné qu’elles sont liées à des questions de droit. De son côté, la défenderesse allègue que toutes les questions en litige dans le cadre de la présente demande sont des questions de fait et que, par conséquent, c’est la norme de la décision raisonnable qui doit s’y appliquer. Je conviens avec le demandeur que les deux premières questions soulèvent des questions de droit. Cependant, les questions de droit ne font pas toujours l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte et une analyse plus approfondie s’impose.
[19] Les parties ne m’ont présenté aucune jurisprudence portant directement la norme de contrôle applicable aux décisions d’inspecteurs rendues en vertu du Code sur des questions de droit ou à des directives diffusées par un sous‑ministre adjoint de RHDCC qui traitent de la mise en œuvre du Code. Cependant, à mon avis, une jurisprudence à caractère plus général permet de résoudre de façon satisfaisante la question de la norme de contrôle. Après avoir pris connaissance des précédents pertinents, j’estime comme le demandeur que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique aux questions a et b susmentionnées. Cette conclusion est confirmée par l’examen des quatre facteurs énoncés dans l’arrêt Dunsmuir sur lesquels doit s’appuyer une analyse de la norme de contrôle applicable.
[20] La décision Miller c Canada (Ministre du Travail), 2012 CF 136, invoquée par la défenderesse, concerne l’examen de décisions d’un inspecteur sur des questions mixtes de fait et de droit (voir au paragraphe 14). De la même façon, dans la décision Ocean Steel & Construction Ltd. c Arseneault, 2011 CF 637, le juge O’Keefe a appliqué la norme de la décision raisonnable à des décisions d’une inspectrice concernant des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit, mais il n’a pas tranché la question de la norme de contrôle applicable aux décisions d’un inspecteur relatives à des questions de droit.
[21] Les tribunaux ont accordé beaucoup plus d’attention aux normes de contrôle qui s’appliquent aux décisions d’arbitres rendues en vertu du Code, mais étant donné leurs rôles différents et le fait qu’une clause privative s’applique aux décisions d’arbitres visant la partie III du Code, j’hésite à appliquer directement ces affaires aux circonstances de l’espèce. En guise de repère, soulignons qu’il a été conclu dans la plupart de ces affaires que les décisions d’un arbitre nommé en vertu du Code font l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte s’il s’agit de questions de droit et selon la norme de la décision raisonnable s’il s’agit de questions de fait ou de questions mixtes de fait et de droit : voir la décision Nation Delaware, précitée, au paragraphe 12, qui cite Dynamex Canada Inc. c Mamona, 2003 CAF 248, au paragraphe 45 [Dynamex]; voir aussi Crouse c Commissionaires Nova Scotia, 2011 CF 125, au paragraphe 23, décision confirmée par 2012 CAF 4. Cependant, la Cour d’appel fédérale a aussi souligné que « les arbitres ont habituellement une expertise plus vaste en matière de normes du travail que cette Cour » et elle a ajouté que leurs décisions doivent être traitées avec respect « en ce qui concerne les recours et les droits des employés prévus à la partie III du Code canadien du travail, même lorsqu’une telle décision implique une question d’interprétation de la loi qui confère des pouvoirs à l’arbitre » : arrêt Dynamex, précité, au paragraphe 39.
[22] Étant donné que ces décisions ne s’appliquent pas directement à la présente affaire, il faut examiner les principes plus larges quant aux normes de contrôle. En plus d’énoncer les facteurs qui s’appliquent à une analyse de la norme de contrôle, l’arrêt Dunsmuir, précité, et les décisions qui ont suivi ont énoncé une série de présomptions pour aider la Cour à déterminer la norme de contrôle appropriée. Les présomptions suivantes sont particulièrement pertinentes au regard des questions de droit.
• La norme de la décision raisonnable s’applique habituellement lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat : arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 54; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 34 [ATA].
• La norme de la décision correcte est la norme pertinente dans le cas d’une question de droit générale qui est « à la fois, d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et étrangère au domaine d’expertise de l’arbitre » : arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 60.
• La norme de la décision correcte est la norme de contrôle qui s’applique aux questions constitutionnelles (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 58); cependant, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique lors du contrôle de décisions de tribunaux administratifs sur la question de savoir si l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire a entraîné une violation de la Charte (Doré c Barreau du Québec, 2012 CSC 12).
• C’est la norme de la décision correcte qui s’applique à toute « question touchant véritablement la compétence » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 59) de même qu’à la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 61), bien que, comme nous le verrons, la pertinence de la première catégorie est maintenant remise en question.
[23] Les questions soulevées en l’espèce ne sont pas des questions constitutionnelles et elles ne soulèvent pas non plus de questions de droit « d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble ». Même s’il était possible de soutenir qu’elles soulèvent des « question[s] touchant véritablement à la compétence », à mon avis, ce n’est pas le cas. La Cour suprême a considérablement limité la portée de cette catégorie de questions et a précisé qu’« en cas de doute, il faut se garder de qualifier un point de question de compétence » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 59; S.C.F.P, Section locale 963 c Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 RCS 227, page 233). En effet, toute allégation de dépassement de compétence ne soulève pas nécessairement une « question touchant véritablement à la compétence », car elle engloberait bien des questions juridiques, sinon la majorité d’entre elles, qui sont soulevées dans le cadre des demandes de contrôle judiciaire. En fait, la Cour suprême a explicitement remis en question l’existence ou l’utilité de la catégorie des « question[s] touchant véritablement à la compétence » : voir l’arrêt ATA, précité, au paragraphe 34, le juge Rothstein et au paragraphe 80, le juge Binnie.
[24] À mon avis, il est plus approprié de décrire les questions évoquées en l’espèce comme des questions d’interprétation législative et, plus précisément, des questions liées à l’interprétation par des décideurs administratifs de leurs propres pouvoirs et obligations en vertu de leur loi constitutive : arrêt ATA, précité; Alliance de la Fonction publique du Canada c Association des pilotes fédéraux du Canada, 2009 CAF 223 [Assoc. des pilotes fédéraux du Canada].
[25] Il semble maintenant établi que la norme de la décision raisonnable s’appliquera aux interprétations faites par un tribunal administratif de « sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat », sauf peut‑être dans des situations exceptionnelles : arrêt ATA, précité, aux paragraphes 33 et 34; voir aussi l’arrêt Assoc. des pilotes fédéraux du Canada, précité, aux paragraphes 36 à 51. Cependant, les choses sont moins établies en ce qui concerne la norme de contrôle à appliquer lorsque le décideur qui interprète sa loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat n’est pas un tribunal administratif, mais plutôt un ministre ou son délégué.
[26] Dans l’arrêt Canada (Pêches et Océans) c Fondation David Suzuki, 2012 CAF 40 (s n Georgia Strait Alliance c Canada (Ministre des Pêches et Océans)) [David Suzuki], la Cour d’appel fédérale a conclu que les principes de retenue judiciaire qui ont été élaborés relativement aux organismes juridictionnels ne doivent pas s’appliquer aux décideurs administratifs qui agissent de façon non juridictionnelle, sauf si le législateur indique le contraire (voir aussi Public Mobile Inc. c Canada (Procureur général), 2011 CAF 194; Toussaint c Canada (Procureur général), 2011 CAF 213). Cette approche était fondée sur la conclusion de la Cour d’appel fédérale selon laquelle les principes constitutionnels de la primauté du droit et de la suprématie du Parlement s’appliquent différemment dans ces deux contextes distincts. En résumé, la primauté du droit « veut que tout exercice de l’autorité publique procède de la loi » et le « contrôle judiciaire permet aux cours de justice de s’assurer que les pouvoirs légaux sont exercés dans les limites fixées par le législateur » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 28). C’est l’« assise constitutionnelle qui explique [la] raison d’être [du contrôle judiciaire] » (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 27). En ce qui concerne les organismes juridictionnels, les tribunaux judiciaires sont peu à peu arrivés à la conclusion qu’en accordant aux organismes juridictionnels la responsabilité de se prononcer sur des droits légaux et en leur donnant le pouvoir de trancher des questions de droit du fait de cette responsabilité, « [i]l est présumé que […] le législateur a restreint le contrôle judiciaire dont est susceptible l’interprétation que donne ce tribunal […] des lois étroitement liées à son mandat juridictionnel » : arrêt David Suzuki, précité, au paragraphe 96. La Cour doit donc mettre en balance la préservation de la primauté du droit, qu’elle a pour rôle d’assurer, et le principe de la suprématie du Parlement en faisant preuve de déférence à l’égard des intentions du législateur quant à ceux qui doivent assumer la responsabilité principale de statuer sur certaines questions de droit.
[27] Cependant, selon le juge Mainville, cette présomption relative à l’intention du législateur ne s’applique pas à une instance non juridictionnelle, sauf si le législateur indique le contraire (par exemple au moyen d’une clause privative). Étant donné qu’ils n’agissent pas comme des arbitres, ces acteurs ne sont pas présumés posséder le pouvoir de trancher des questions de droit, de sorte qu’aucune déférence ne leur est due à l’égard de ces questions : arrêt David Suzuki, précité, au paragraphe 99; arrêt Assoc. des pilotes fédéraux du Canada, précité, au paragraphe 51. Comme la Cour suprême l’a affirmé à plusieurs reprises, l’analyse relative à la norme de contrôle vise à découvrir l’intention du législateur relativement au degré de déférence qui doit être accordé aux décisions d’un décideur administratif : arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 30; Pezim c Colombie‑Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 RCS 557, pages 589 et 590. L’octroi à des instances non juridictionnelles d’une déférence non voulue par le législateur pourrait avoir pour effet de miner les efforts de ce dernier visant à encadrer soigneusement les pouvoirs des acteurs de l’exécutif, au détriment à la fois de la suprématie du Parlement et de la primauté du droit. Voici ce qu’exprimait à ce sujet le juge Mainville dans le contexte de l’affaire David Suzuki :
Le ministre […] tend ainsi à établir un nouveau paradigme constitutionnel selon lequel l’interprétation donnée par l’exécutif des lois du Parlement prévaudrait à condition de ne pas être déraisonnable. Ce nouveau paradigme nous ramènerait à l’époque qui a précédé le Bill of Rights de 1689, où la Couronne se réservait le droit d’interpréter et d’appliquer les lois du Parlement en fonction de ses propres objectifs politiques. Il faudrait que le Parlement adopte des dispositions très explicites dans ce sens pour que notre Cour prononce une conclusion d’une portée aussi considérable.
[arrêt David Suzuki, précité, au paragraphe 98]
[28] Le principe énoncé dans l’arrêt David Suzuki a été appliqué à la fois par la Cour et la Cour d’appel fédérale dans des affaires ultérieures, et ce, dans un vaste éventail de contextes : Takeda Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2013 CAF 13 [Takeda]; Sheldon Inwentash and Lynn Factor Charitable Foundation c Canada, 2012 CAF 136, aux paragraphes 20 à 23; Bartlett c Canada (Procureur général), 2012 CAF 230, au paragraphe 46; Première nation d’Attawapiskat c Canada, 2012 CF 948, aux paragraphes 64 à 67; Kandola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 336, au paragraphe 21; UHA Research Society c Canada (Procureur général), 2013 CF 169, aux paragraphes 6 et 8; voir aussi Prescient Foundation c Canada (Revenu national), 2013 CAF 120, au paragraphe 13; Lau c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 788, au paragraphe 24.
[29] Dans l’arrêt Takeda, précité, la juge Dawson (le juge Pelletier a souscrit à ses motifs), a suivi l’arrêt David Suzuki, précité, et a conclu qu’aucune présomption de déférence ne s’appliquait à l’interprétation par la ministre de la Santé de certaines dispositions du Règlement sur les aliments et drogues, CRC c 870. Le juge Stratas (qui a souscrit aux motifs), citant l’analyse dans l’arrêt ATA, précité, a conclu que la présomption en faveur de la norme de contrôle de la décision raisonnable s’appliquait, mais que cette présomption était écartée par une analyse de la norme de contrôle pertinente parce que tous les facteurs pertinents pointaient dans le sens d’un contrôle selon la norme de la décision correcte. En effet, la nature de la question était purement juridique; aucune clause privative ne s’appliquait; la ministre ne disposait d’aucune expertise en matière d’interprétation des lois; et rien dans la structure de la Loi ou le cadre réglementaire ne donnait à penser que la Cour d’appel fédérale devait faire preuve de déférence à l’égard de la décision de la ministre. La Cour d’appel avait donc jugé unanimement que la norme de contrôle pertinente était celle de la décision correcte.
[30] À mon avis, une analyse fondée sur les facteurs énoncés dans l’arrêt Dunsmuir effectuée au regard des faits de l’espèce débouche sur un résultat très semblable à celui qu’avait obtenu le juge Stratas dans l’arrêt Takeda, précité : aucune clause privative ne s’applique; le décideur exerce ses activités à l’intérieur de paramètres très bien circonscrits par le Code, qui ne prévoit pas de pouvoir explicite ou implicite de trancher des questions juridiques; la nature des questions soulevées par les questions a et b est purement juridique; enfin, les décideurs ne possèdent aucune expertise particulière en matière d’interprétation des lois. En résumé, rien dans le régime législatif ne donne à penser que le législateur voulait que la Cour fasse preuve de déférence à l’égard des interprétations juridiques effectuées par ces acteurs.
[31] En somme, selon le précédent établi dans l’arrêt David Suzuki, précité, la décision correcte est la norme de contrôle appropriée pour les questions a et b soulevées en l’espèce, et cette approche est confirmée par une analyse des facteurs énoncés dans l’arrêt Dunsmuir, précité, qui permet de choisir la norme de contrôle pertinente.
[32] La troisième question vise des questions de fait de même que l’application par l’inspectrice de la Politique et du Code. Ce sont des questions qui doivent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable et le demandeur reconnaît qu’il s’agit de la norme pertinente. La norme de la décision raisonnable est aussi celle qui a été appliquée dans la décision Nation Delaware, précitée.
[33] Dans le cadre du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
ARGUMENTS
Le demandeur
Erreurs de fait dans la décision
[34] Le demandeur souligne d’abord que l’inspectrice a fondé ses conclusions sur certaines erreurs de fait, qui entachent la validité de la décision, allégation que j’examine plus en détail ci‑après.
a) La défenderesse savait qu’elle contrevenait aux dispositions du Code
[35] Le fait que la défenderesse « ignorait » qu’elle contrevenait aux dispositions du Code a été cité comme un des facteurs pris en compte dans la décision. Cette conclusion est vraisemblablement fondée sur l’affirmation de la défenderesse que le demandeur tombait sous le coup du Règlement sur la durée du travail des conducteurs de véhicules automobiles, CRC c 990, selon lequel la « durée normale du travail » pour lui serait de 60 heures. Cependant, même en ne tenant pas compte du fait que la défenderesse est un employeur averti et qu’il ne s’agit pas d’une hypothèse raisonnable, le demandeur a été payé au taux ordinaire pour les heures excédant la norme de 60 heures pendant 20 semaines, même à l’intérieur de la période de 12 mois à laquelle l’inspectrice a limité l’enquête.
[36] De plus, l’inspectrice elle‑même a formulé des commentaires au sujet de cette irrégularité dans un échange avec la défenderesse (voir la page 12 du dossier certifié). Il n’était pas raisonnable de conclure que la défenderesse ignorait qu’elle contrevenait aux dispositions du Code dans ces circonstances, mais il était aussi évident que l’inspectrice était consciente du fait qu’il y avait eu contravention des dispositions du Code, même selon la norme que la défenderesse elle‑même présentait comme appropriée.
b) L’inspectrice a commis des erreurs dans ses calculs relatifs aux jours fériés
[37] Le calcul des heures supplémentaires effectué par l’inspectrice a été joint à l’affidavit du demandeur sous la cote L. Dans son calcul des heures supplémentaires, l’inspectrice semble avoir réduit de huit heures le nombre d’« heures normales de travail » pour chacune des semaines où il y avait un jour férié. La rémunération des heures supplémentaires a alors été calculée au moyen d’un facteur de 1,5 fois le salaire du demandeur.
[38] Les relevés fournis par la défenderesse (pages 33 à 100, dossier certifié) révèlent que le demandeur a été payé pour les heures suivantes travaillées pendant des « jours fériés » :
• 10 heures le 6 septembre 2010;
• 20 heures (taux double) le 11 novembre 2010;
• 8 heures les 27 et 28 décembre 2010 et le 3 janvier 2011;
• 22 heures (taux double plus 2) le 22 avril 2011;
• 20 heures (taux double) le 23 mai 2011;
• 10 heures le 1er juillet 2011.
[39] Selon les relevés, le demandeur a travaillé au moins le 11 novembre 2010, le 22 avril 2010 et le 23 mai 2011.
[40] Selon l’article 192 du Code, chaque employé a droit à un congé payé lors de chacun des jours fériés tombant au cours d’une période d’emploi. En vertu de l’article 197, les employés doivent être payés à un taux d’au moins 2,5 fois leur salaire pour les jours fériés lors desquels ils travaillent. Ainsi, même selon une estimation prudente, on a omis, dans la décision préliminaire, de prendre en compte 1 500 $ en heures supplémentaires payables au demandeur. Le demandeur soutient que c’est manifestement déraisonnable.
[41] Il faut aussi souligner que le fait que la défenderesse ait versé volontairement la somme prévue dans la décision préliminaire enlève toute possibilité d’appel au demandeur si la décision est confirmée. Donc, le demandeur soutient qu’il faudrait accorder une attention particulière à cette erreur de fait dans l’examen de la décision. Subsidiairement, le demandeur soutient que le contrôle effectué par la Cour devrait englober la décision préliminaire étant donné qu’aucun préjudice n’en résulterait pour les parties et que la Cour a tout le loisir de le faire (Nunavut Tunngavik Inc. c Canada (Procureur général), 2004 CF 85, aux paragraphes 8 et 9).
Erreurs de droit dans la décision
c) L’ignorance de la loi ne dispense personne de l’obligation de l’appliquer
[42] Le demandeur attire l’attention de la Cour sur le principe établi depuis longtemps selon lequel nul n’est censé ignorer la loi (Bilbie c Lumley, (1802) 102 ER 448, page 472). La Cour d’appel fédérale a confirmé ce principe dans l’arrêt Makhija c Canada (Procureur général), 2010 CAF 342 [Makhija], aux paragraphes 6 et 7, affirmant qu’une « erreur de droit » n’est pas une excuse susceptible de justifier la violation de la loi. Voici un extrait des motifs de l’arrêt Makhija, tiré du paragraphe 8 : « la preuve démontre qu’au mieux, l’appelant a été négligent en omettant d’informer et qu’au pire, il a délibérément ignoré la portée du [Code de déontologie des lobbyistes] et les obligations auxquelles il était soumis en vertu de celui‑ci.
[43] La défenderesse ne peut pas soutenir qu’elle ignorait son obligation de rémunérer les heures supplémentaires des employés dans certaines circonstances. Il est aussi impossible d’affirmer que la défenderesse ignorait que ses pratiques d’emploi tombaient sous le coup d’une réglementation, notamment celle du Code. Quoi qu’il en soit, même si la défenderesse ignorait vraiment ces deux choses, cette ignorance n’est pas en droit une excuse valable qui lui permettrait de se dérober à ses obligations légales.
[44] Pour cette raison, le demandeur soutient que l’inspectrice a commis une erreur de droit et a agi de façon nettement incorrecte en tenant compte des assertions de la défenderesse selon lesquelles elle ignorait cette non‑conformité et qu’elle n’avait pas encore bénéficié de services de conseil à ce sujet, et en les considérant comme des motifs valables de la soustraire à ses obligations en vertu du Code.
d) Les parties ne peuvent pas s’entendre, contractuellement ou autrement, pour ne pas appliquer les normes minimales du Code
[45] Parmi les autres facteurs pris en compte dans la décision de l’inspectrice, il y a celui selon lequel le demandeur avait [traduction] « accepté les conditions d’emploi et les pratiques de travail ». À ce sujet, le demandeur souligne que les normes énoncées à la partie III du Code représentent simplement des minimums et que l’article 168 interdit des modifications entraînant des conditions moins favorables. De plus, le Code ne prévoit aucune période limite relativement à une demande concernant des heures supplémentaires impayées (décision Nation Delaware, précitée, aux paragraphes 24 à 27).
[46] Le demandeur a droit au paiement de ses heures supplémentaires en vertu du Code, particulièrement dans le cas où le demandeur a démontré qu’il avait bel et bien droit à un remboursement de salaire au‑delà de la période de 12 mois. Le raisonnement suivi dans la décision a dans les faits permis la conclusion d’un arrangement tout à fait contraire au Code.
[47] Pour cette raison, le demandeur soutient qu’il y a eu erreur de droit et que l’inspectrice a agi de façon tout à fait incorrecte en tenant compte de l’« acceptation » d’une obligation de paiement par le demandeur, en violation des normes minimales du Code, pour justifier la limitation de la période visée par l’inspection à 12 mois.
e) La politique est invalide
[48] Comme il a été exposé précédemment, le Code crée un droit au paiement des heures supplémentaires, sans délai de prescription pour la réclamation à cet égard. Le législateur n’a pas limité par des délais le droit d’un employé à être payé pour les heures supplémentaires travaillées. L’article 264 du Code autorise le gouverneur en conseil à prendre les règlements nécessaires à l’application de la partie II du Code, ce qui comprend le calcul et la détermination des salaires. Aucune disposition réglementaire ne prescrit le droit d’un employé à réclamer le paiement des heures supplémentaires.
[49] Aux termes de l’article 24 et du paragraphe 252(2) du Code, les employeurs sont tenus de conserver les registres pendant au moins 36 mois. Cependant, cette exigence ne suppose nullement que les employés n’ont pas droit au paiement des heures supplémentaires effectuées il y a plus de trois ans. De plus, les pouvoirs accordés aux inspecteurs par les articles 249 à 251 du Code ont trait uniquement au mode de calcul et au processus à suivre et ne leur donnent pas le pouvoir d’empiéter sur des droits fondamentaux accordés par le législateur.
[50] Comme le juge Michael Phelan le soulignait aux paragraphes 24 et 25 de la décision Nation Delaware, précitée :
La demanderesse prétend que l’arbitre a commis une erreur en ne limitant pas aux trois dernières années la période pour laquelle Mme Logan avait droit au paiement de ses heures supplémentaires. Elle fait valoir que, comme le Code impose un délai de prescription de trois ans pour les pénalités et que le règlement sur les normes du travail exige des employeurs qu’ils conservent les registres d’emploi pendant trois ans, le législateur devait vouloir qu’un délai de prescription de trois ans s’applique aussi aux autres réclamations. Selon elle, il n’est que juste et équitable d’imposer un délai de prescription de trois ans car elle n’est pas coupable de ne pas avoir payé d’heures supplémentaires.
Le fait que le législateur a prévu un délai de prescription pour certaines questions comme les pénalités et la conservation des documents, mais qu’il n’a pas jugé bon d’établir un délai de prescription plus général semble indiquer qu’il s’est délibérément abstenu de le faire. Il n’appartient pas à la Cour de créer un délai de prescription.
[51] Le demandeur soutient que le Code ou la réglementation applicable ne donne pas à RHDCC ou à l’inspectrice le pouvoir légal de limiter le droit du demandeur au versement de prestations d’heures supplémentaires impayées lorsque ce droit est acquis.
[52] Ce principe a été expliqué par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans la décision Skyline Roofing Ltd c Alberta (Workers’ Compensation Board), 2001 ABQB 624 [Skyline Roofing], aux paragraphes 77 et 78 :
[traduction]
77 Les tribunaux administratifs ne peuvent appliquer de façon rigide des politiques informelles sans être confrontés à l’argument selon lequel ils ont « entravé leur pouvoir discrétionnaire ». Un tribunal administratif doit toujours adopter une attitude ouverte à l’égard des questions qui lui sont soumises et être prêt à connaître des arguments relatifs aux motifs pour lesquels la politique devrait ou ne devrait pas être appliquée dans telle ou telle situation factuelle : S.(M.) c. Alberta (Crimes Compensation Board) (1998), 65 Alta. L.R. (3d) 339, 216 A.R. 156, 160 D.L.R. (4th) 567 (C.A.).
78 L’arrêt Pezim c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, [1994] 7 W.W.R. 1, 114 D.L.R. (4th) 385 visait certaines politiques de la Commission des valeurs mobilières de la Colombie‑Britannique. Le juge Iacobucci a reconnu le droit de la Commission d’adopter des politiques, même en l’absence d’un pouvoir à cet effet prévu dans la loi, en apportant cependant la nuance suivante à la page 596 :
Cependant, il importe de faire remarquer que la Commission n’a qu’un rôle limité en matière d’établissement de politiques. Je veux dire par là que ses politiques ne peuvent obtenir le statut de lois ni être considérées comme telles en l’absence d’un pouvoir à cet effet prévu dans la loi.
Le même argument a été présenté dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, 137 D.L.R. (3d) 558. Dans cette affaire, la demanderesse s’était vu refuser une licence d’importation de poulets, même si elle avait satisfait à une directive ministérielle sur le sujet. Voici une partie des commentaires formulés par le juge McIntyre lorsqu’il a rejeté l’appel (pages 6 et 7) :
C’est la Loi qui accorde le pouvoir discrétionnaire et la formulation et l’adoption de lignes directrices générales ne peut le restreindre. Il n’y a rien d’illégal ou d’anormal à ce que le Ministre chargé d’appliquer le plan général établi par la Loi et les règlements formule et publie des conditions générales de délivrance de licences d’importation. Il est utile que les demandeurs de licences connaissent les grandes lignes de la politique et de la pratique que le Ministre entend suivre. Donner aux lignes directrices la portée que l’appelante allègue qu’elles ont équivaudrait à attribuer un caractère législatif aux directives ministérielles et entraverait l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre. Le judge [sic] Le Dain a analysé cette question et dit, à la p. 513 :
Le Ministre est libre d’indiquer le type de considérations qui, de façon générale, le guideront dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (voir British Oxygen Co. Ltd. c. Minister of Technology [1971] A.C. (C.L.) 610; Capital Cities Communications Inc. c. Le Conseil de la Radio‑Télévision canadienne, [1978] 2 R.C.S. 141, aux pages 169 à 171), mais il ne peut pas entraver ce pouvoir discrétionnaire en tenant les lignes directrices pour obligatoires et en excluant tous les autres motifs valides ou pertinents pour lesquels il peut exercer son pouvoir discrétionnaire (voir Re Hopedale Developments Ltd. and Town of Oakville, [1965] 1 O.R. 259).
Donc, une politique informelle ne peut être utilisée ni pour entraver un pouvoir discrétionnaire, ni pour créer des droits légalement exécutoires.
[53] Une politique ne peut être utilisée pour combattre un droit légalement exécutoire, particulièrement dans un cas où la loi en cause ne confère pas le pouvoir discrétionnaire de le faire. De plus, la décision Skyline Roofing, précitée, établit le principe qu’une politique ne peut contredire la loi dont elle prétend tirer son pouvoir.
[54] La Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a abordé une situation semblable dans l’arrêt Jozipovic c British Columbia (Workers’ Compensation Board), 2012 BCCA 174 [Jozipovic]. Dans cette affaire, la loi provinciale sur les accidents du travail [Workers Compensation Act], RSBC 1996, c 492 établissait une méthode de remboursement des salaires perdus et une politique modifiait cet aspect de la loi. La Cour a jugé cette politique invalide dans la mesure où elle entrait en contradiction avec ladite loi sur les accidents du travail. Voici un extrait de sa décision aux paragraphes 94 à 100 :
[traduction]
La politique no 40.00 empêche la Commission de rendre une décision essentielle qu’elle est tenue de rendre en vertu du paragraphe 23(3). En effet, elle empêche la Commission de tenir compte de la question du caractère approprié du montant de l’indemnité dans tous les cas où le travailleur conserve les habiletés essentielles à l’exécution des tâches de son poste avant la blessure ou celles qui conviennent à un autre poste semblable. Or, aucune disposition de l’article 23 n’autorise la Commission à ne pas tenir compte du caractère inadéquat d’une indemnité simplement parce que le travailleur est capable, jusqu’à un certain point, de poursuivre ses activités à un certain poste ou de s’adapter à un poste qui, à certains égards, est semblable au précédent.
[…]
La politique no 40.00 ne laisse, dans les faits, aucun pouvoir discrétionnaire à la Commission en vue d’appliquer la méthode de calcul de la perte de gains dans les cas où une chute exceptionnelle de la rémunération existe « en soi ». En effet, elle vise à éliminer le pouvoir discrétionnaire dans les situations où un travailleur est capable de retourner à son ancien poste, ou d’occuper un poste semblable, même s’il subit une perte de gains exceptionnelle.
Le libellé des paragraphes 23(3.1) et (3.2) n’autorise pas la Commission à tirer la conclusion que le montant de l’indemnité fixée selon la méthode de la déficience fonctionnelle est « approprié » simplement parce qu’un travailleur est capable de suivre un recyclage de façon à occuper un poste qui, à certains égards, comporte des tâches semblables à celles qu’il exécutait au moment de l’accident. Il n’est pas raisonnable, aux fins de l’établissement du montant approprié de l’indemnité, de ne pas tenir compte des dommages financiers que subira un travailleur par suite d’une telle adaptation.
[55] Le demandeur soutient que le raisonnement suivi dans l’arrêt Jozipovic, précité, s’applique en l’espèce. En effet, la Politique supprime certains droits du demandeur prévus par le Code en l’absence de toute disposition en ce sens de sa loi habilitante ou des règlements pris en vertu de cette dernière. Des conclusions semblables ont été tirées dans deux autres affaires en Colombie‑Britannique : Federated Anti‑Poverty Groups of British Columbia c British Columbia (Minister of Social Services), (1996) 41 Admin LR (2d) 158 (BCSC); Grace c British Columbia (Lieutenant Governor in Council), 2000 BCSC 923).
[56] En résumé, le demandeur soutient que les principes exposés dans la jurisprudence abordée précédemment s’appliquent à la présente situation pour les motifs suivants :
• La Politique élimine un droit octroyé par le Code et, par conséquent, elle est contraire à sa loi habilitante.
• Aucun pouvoir conféré par la loi n’accorde à RHDCC le pouvoir de créer la limite imposée par la Politique ou de contrer le droit aux heures supplémentaires prévu dans le Code.
Par conséquent :
• La Politique outrepasse les pouvoirs conférés par la loi à RHDCC et à l’inspectrice.
• Étant donné que la décision est fondée sur l’application d’une politique illégale, elle ne peut être maintenue.
Caractère raisonnable de la décision
[57] Subsidiairement, si la Politique est jugée valide, le demandeur soutient que le raisonnement suivi par l’inspectrice dans la décision est déficient et illogique et qu’il ne tient pas compte des faits et de la preuve qui ont été présentés.
f) L’inspectrice a omis de tenir compte du fait que la situation du demandeur justifiait l’acceptation d’une période de rétroactivité plus étendue au vu des facteurs énumérés dans la politique elle‑même
[58] Comme il a été établi dans la décision, l’alinéa 7.7l) de la Politique prévoit que les enquêtes peuvent porter sur une période de rétroactivité supplémentaire eu égard à [traduction] « la portée de l’infraction, [à] la période pendant laquelle les sommes étant dues ont eu lieu et […] [aux] antécédents de l’employeur pour ce qui est du respect du Code ». À l’alinéa 7.7m), la Politique prévoit que la période de rétroactivité ne doit en aucun cas dépasser 36 mois « à moins qu’une preuve documentaire claire existe pour appuyer la demande et que cette demande a reçu l’approbation de la gestion régionale ».
[59] En ce qui concerne la « portée de l’infraction », tant les relevés du demandeur que ceux de la défenderesse montrent que le demandeur a été grandement sous‑payé à l’égard d’heures supplémentaires au cours de la période visée par l’enquête de l’inspectrice. En effet, en quelques semaines, le demandeur a effectué plus que le double de ses « heures normales de travail ». Dans la décision préliminaire, l’inspectrice a constaté un paiement déficitaire de 11 747,45 $ pour un an. Selon le T4 du demandeur pour 2010, cette somme représente environ 18 p. 100 de son salaire annuel.
[60] Le demandeur a fourni des relevés montrant que la « période » pendant laquelle il avait été sous‑payé s’étendait au moins jusqu’à mai 2008 et qu’un nombre d’heures de travail important avait été effectué au cours de cette période. Les documents fournis par le demandeur ne peuvent être décrits comme autre chose qu’une « preuve documentaire claire » à l’appui de sa plainte. De plus, au vu du dossier, rien ne démontre que l’inspectrice ait fait enquête sur les « antécédents de [la défenderesse] pour ce qui est du respect du Code », sinon pour établir qu’aucune plainte semblable n’avait été déposée à son endroit.
[61] En décidant qu’une période de rétroactivité supplémentaire n’était [traduction] « pas justifiée », l’inspectrice ne semble pas avoir tenu compte de la « portée de l’infraction » ni de « la période pendant laquelle les sommes étant dues [avaient] eu lieu »; elle n’a pas non plus formulé de commentaires au sujet de la « preuve documentaire claire » fournie par le demandeur ni au sujet d’une approbation de la « gestion régionale ».
[62] En ce qui concerne les antécédents de la défenderesse pour ce qui est du respect du Code, l’inspectrice a constaté que la défenderesse n’avait pas d’antécédents de non‑conformité et qu’elle n’avait pas bénéficié de services de conseil au sujet du Code; le demandeur soutient que ces faits ne démontrent pas que la défenderesse respecte le Code, mais simplement qu’aucun autre employé n’avait déposé de plainte.
[63] Même en appliquant les conditions de la Politique elle‑même, le raisonnement de l’inspectrice est fautif. En effet, même selon les normes de la Politique, une période de rétroactivité supplémentaire s’imposait et il était clairement déraisonnable de ne pas parvenir à cette conclusion.
g) L’inspectrice a tenu compte de critères non pertinents et non appropriés pour rendre la décision
[64] Selon le demandeur, la culpabilité d’une partie pour défaut de payer des heures supplémentaires n’est pas pertinente quant aux décisions rendues en vertu du Code. En effet, comme il est établi au paragraphe 26 de la décision Nation Delaware, précitée, « l’objet de la loi à cet égard est de faire en sorte que les travailleurs reçoivent ce qui leur est dû. Il n’est pas question de faute ».
[65] La plupart des facteurs mentionnés dans la décision ont trait à la culpabilité ou à la non‑culpabilité de la défenderesse. Par exemple, l’inspectrice a conclu que la défenderesse [traduction] « ignorait qu’elle contrevenait aux dispositions du Code », « n’avait pas bénéficié de services de conseil » et n’avait jamais fait « l’objet de plaintes » relativement au Code. Or, aucun de ces facteurs n’a d’incidence sur le droit du demandeur au paiement des heures supplémentaires ou avec son travail pour la défenderesse.
[66] Le fait que la défenderesse ait [traduction] « collaboré à l’enquête » et qu’elle ait accepté d’effectuer volontairement le paiement prévu dans la décision préliminaire constituent des exemples encore plus révélateurs du caractère déplacé et non pertinent des facteurs pris en compte par l’inspectrice. Essentiellement, l’inspectrice estimait que comme la défenderesse avait accepté de payer un montant moindre, il ne faudrait pas exiger plus d’elle. Selon le demandeur, cette façon de concevoir les choses est tout à fait déraisonnable et va directement à l’encontre de l’objet du Code lui‑même.
La défenderesse
[67] La défenderesse a soumis des observations écrites mais, à l’audience devant la Cour et sans avoir donné de préavis au demandeur, elle a présenté des observations orales supplémentaires et, dans certains cas, différentes des observations écrites.
Question préliminaire
[68] À titre de question préliminaire, la défenderesse soutient que la Cour devrait refuser de connaître de la présente demande de contrôle judiciaire parce que le demandeur n’a pas épuisé tous les recours internes que lui accorde le Code.
[69] Premièrement, le demandeur disposait d’un autre recours adéquat : en effet, selon l’article 251.11, le demandeur peut interjeter appel devant un arbitre. La Cour a affirmé de façon constante qu’un employé doit utiliser les voies d’appel prévues par la loi avant de demander un contrôle judiciaire (Miller c Canada (Ministre du Travail), 2012 CF 136, au paragraphe 28). L’obligation pour un demandeur d’interjeter appel à l’interne de décisions d’inspecteurs, devant des arbitres, est bien reconnue par la jurisprudence (voir Bellefleur c Diffusion Laval Inc., 2012 CF 172; Autocar Connaisseur Inc. c Canada (Ministre du Travail), [1997] ACF no 1363 (1re inst) [Autocar Connaisseur]; décision Nation Delaware, précitée).
[70] Le défaut d’un appelant d’utiliser un autre recours à sa disposition dans le délai prévu ne rend pas ce recours inadéquat (Milne c Engleheim Charter, [2003] CLAD no 298 [Milne]). En l’espèce, le demandeur n’a pas exercé son droit à un appel interne, même si l’inspectrice l’avait expressément informé de ce droit dans sa lettre du 11 septembre 2012.
[71] La défenderesse soutient aussi qu’il existe de solides arguments en matière de politiques publiques pour lesquels la Cour ne devrait pas connaître de la présente demande. Plus précisément, un demandeur ne devrait pas être en mesure de court‑circuiter un tribunal d’experts créé spécifiquement pour traiter de questions exigeant leur expertise parce que cette façon d’agir créerait ou aurait le potentiel de créer dédoublement et incohérence (R. c Consolidated Maybrun Mines Ltd., [1998] 1 RCS 706, aux paragraphes 42 et 43). Les décisions relatives à des questions comme le paiement de salaires et d’heures supplémentaires sont des questions qui exigent une expertise particulière, ce qui commande une importante retenue (Autocar Connaisseur). Un arbitre nommé en vertu du Code est un expert des questions soulevées par la demande et, pour cette raison, la Cour d’appel fédérale a confirmé l’exigence selon laquelle un appelant doit interjeter appel d’une décision avant de chercher à en obtenir le contrôle judiciaire (Rudowski c Canada (Développement des ressources humaines), [2000] ACF no 1715).
[72] De plus, en invitant dans sa lettre du 11 septembre 2012 le demandeur à s’opposer à la décision dans les 30 jours, l’inspectrice n’était pas functus officio en ce qui concerne la demande de paiement d’heures supplémentaires du demandeur. Étant donné le régime législatif du Code, plus précisément les clauses privatives des paragraphes 251.12(6) et (7), il est évident que le législateur souhaitait que les questions relatives au travail et à l’emploi, y compris plus précisément les demandes relatives aux heures supplémentaires, soient d’abord traitées en vertu des dispositions et des mécanismes du Code.
[73] La défenderesse allègue que l’accueil de la demande de contrôle judiciaire serait en l’espèce incompatible avec la jurisprudence citée précédemment et porterait atteinte au régime législatif établi dans le Code. La décision n’était pas définitive et le demandeur disposait d’un mécanisme d’appel interne dont il aurait dû se prévaloir.
Caractère raisonnable de la décision
[74] La défenderesse souligne que le demandeur doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a effectué les heures supplémentaires de travail dont il réclame le paiement (RJ Lacroix Transportation & Equipment Sales Inc. c Beatty¸ [1998] CLAD no 456).
[75] Le demandeur a présenté une réclamation concernant des heures supplémentaires visant une période de 72 mois. Or, avant le 6 février 2012, il n’a jamais déposé de plainte au sujet de son salaire ou une demande de paiement des heures supplémentaires. Le retard d’un demandeur dans le dépôt d’une demande de paiement d’arriérés de salaire peut entraîner le rejet de ladite demande selon les principes d’equity du délai préjudiciable et de l’acquiescement (Skyward Aviation Ltd. c Walker, [2005] CLAD no 176, au paragraphe 4). Même si un retard n’entraîne pas le rejet pur et simple d’une demande, il a déjà été établi qu’il « jet[ait] un doute » sur la crédibilité d’une demande (Bande indienne du lac La Ronge c Bird, [2001] CLAD no 491, au paragraphe 20).
[76] L’inspectrice a limité à une période de rétroactivité de 12 mois l’application de la décision, conformément à la politique et aux pratiques ministérielles bien établies. Ce choix a été jugé raisonnable, particulièrement dans un cas où un demandeur avait tardé à déposer une plainte (décision Milne, précitée, au paragraphe 11). La défenderesse soutient que la décision était raisonnable.
ANALYSE
La Cour doit‑elle connaître de la présente demande?
[77] Selon la défenderesse, la Cour devrait refuser de connaître de la présente demande de contrôle judiciaire parce que le demandeur disposait d’un recours approprié en vertu du paragraphe 251.11 du Code.
[78] Le paragraphe 251.11 est ainsi libellé :
(1) Toute personne concernée par un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée peut, par écrit, interjeter appel de la décision de l’inspecteur auprès du ministre dans les quinze jours suivant la signification de l’ordre ou de sa copie, ou de l’avis.
[…] |
(1) A person who is affected by a payment order or a notice of unfounded complaint may appeal the inspector’s decision to the Minister, in writing, within fifteen days after service of the order, the copy of the order, or the notice.
[…] |
[79] Il est évident qu’en l’espèce, le demandeur n’est pas une personne concernée par un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée. Par conséquent, selon le libellé même de la disposition, le demandeur ne peut pas avoir accès au système d’appel prévu par le Code et, de ce fait, il ne possède pas un autre recours adéquat. La défenderesse soutient que ce n’est pas le cas, et ce, pour trois raisons.
[80] Pour commencer, la défenderesse affirme ceci :
[traduction] La décision ultérieure de l’inspectrice d’accepter que le consentement de la défenderesse à payer le plein montant qui a été jugé payable équivaut à un ordre de paiement, compte tenu particulièrement du fait qu’aucune des parties n’a contesté la décision sur le montant du paiement et le consentement dans le délai de 30 jours donné par l’inspectrice. Le demandeur n’a donc pas été empêché d’interjeter appel en vertu de l’article 251.11 devant un arbitre de la décision à laquelle l’inspectrice est finalement parvenue pour le simple motif qu’aucun formulaire d’« ordre de paiement » n’avait été présenté aux parties.
[81] Il est important de souligner que l’inspectrice elle‑même a adopté un point de vue tout à fait contraire à celui que soutient maintenant la défenderesse. En effet, l’avocat du demandeur a fait la demande suivante dans une lettre datée du 11 juillet 2012 :
[traduction] Si vous maintenez votre décision de fixer la période de rétroactivité à seulement 12 mois, auriez‑vous l’obligeance de nous informer de l’existence d’une procédure d’appel interne ou externe que nous pourrions entreprendre pour faire prolonger ce délai?
[82] La réponse de l’inspectrice, datée du 16 juillet 2012, était catégorique : [traduction] « Il n’existe pas de droit d’appel étant donné que la législation ne prévoit pas de rétroactivité ». C’est la position qu’adopte maintenant le demandeur devant la Cour. Dans ses propres notes, l’inspectrice, le 7 septembre 2012, confirmait avoir parlé à l’avocat du demandeur et [traduction] « lui avoir rappelé qu’il n’existe pas de droit d’appel » parce que :
[traduction] L’employeur paye volontairement – aucun ordre de paiement ne sera produit et aucun avis de plainte non fondée ne sera établi étant donné qu’il n’y aura pas d’enquête sur l’emploi au‑delà de la période de rétroactivité; par conséquent, aucune décision ne peut être rendue quant au bien‑fondé de la demande.
[83] Donc, une personne que la défenderesse considère comme un expert du Code a soutenu que le demandeur ne disposait d’aucun autre recours en vertu du Code.
[84] La seule autre décision pertinente parmi celles que la défenderesse invoque à l’appui de sa position est Milne c Engleheim Charter, [2003] CLAD no 298, dans laquelle l’arbitre a instruit un appel de DRHC relativement à la décision préliminaire d’un inspecteur du même ministère concernant le droit d’un appelant au paiement d’heures supplémentaires et à des indemnités de congé annuel. Dans la décision Milne, l’arbitre cite la décision R.J. Lacroix Transportation and Equipment Sales Inc. c David Beatty (1998), 40 CCEL (2d) 234, du Conseil d’arbitrage du Canada, qui traite des pouvoirs conférés en vertu du paragraphe 251.12(4) du Code, notamment annuler ou modifier, en totalité ou en partie, un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée.
[85] Je ne trouve rien dans la décision Milne, précitée, qui donne à penser que la question dont je suis saisi y a déjà été soulevée.
[86] En fait, la défenderesse invite la Cour à déduire du libellé de l’article 251.11 qu’il accorde un droit d’appel relativement à toute décision rendue par un inspecteur, peu importe que la décision ait débouché ou non sur un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée. Cet argument peut être avantageux pour la défenderesse vu les faits de l’espèce, mais si le législateur avait voulu ce résultat, il l’aurait dit. À mon avis, aucune règle d’interprétation législative et aucun précédent ne donnent à penser que je dois m’écarter du libellé clair de l’article 251.11 – et de la position déclarée de l’inspectrice elle‑même – pour conclure que le demandeur disposait d’un autre droit d’appel en l’espèce.
[87] La défenderesse allègue aussi que la Cour devrait refuser d’instruire la présente demande pour des motifs de politique parce que cela permettrait à un appelant [traduction] « de court‑circuiter un tribunal d’experts créé spécifiquement pour statuer sur des questions exigeant leur expertise parce que cette façon d’agir créerait, ou aurait le potentiel de créer, dédoublement et incohérence ».
[88] Indépendamment du libellé du Code et de la position de l’inspectrice selon laquelle il n’existe pas d’appel de ce genre en vertu du Code, la Cour ne peut laisser de côté le libellé de la loi simplement parce que l’une des parties à un différend estime qu’il serait préférable de faire les choses différemment. Quoi qu’il en soit, le raisonnement de la défenderesse est fallacieux. En effet, la Cour ne se prononce pas sur le droit du demandeur à obtenir les paiements demandés; elle statue simplement sur la question de savoir si une erreur susceptible de révision a été commise en l’espèce et si l’affaire doit faire l’objet d’un réexamen par le réseau d’expertise établi sous le régime du Code.
[89] La défenderesse mentionne aussi la lettre de l’inspectrice datée du 11 septembre 2012, dont voici un extrait :
[traduction] Nous estimons maintenant que votre plainte est réglée. Sauf si vous m’avisez, au cours des 30 prochains jours, que l’affaire n’est pas réglée, votre dossier sera fermé.
[90] Cette lettre ne constitue ni un ordre de paiement ni un avis de plainte non fondée et le demandeur, à qui une prolongation de la période de rétroactivité avait été refusée à au moins quatre reprises par l’inspectrice, n’était pas tenu par la loi de continuer à formuler la même demande. Le demandeur possède en vertu de la Loi sur les Cours fédérales le droit de solliciter un contrôle judiciaire. Il n’était pas tenu de continuer à essayer de convaincre l’inspectrice dans un contexte où elle avait de toute évidence tiré ses conclusions à partir de tous les éléments qu’il pouvait présenter et où elle lui avait dit que le système n’offrait aucun droit d’appel. Juridiquement, l’inspectrice n’était peut‑être pas functus officio, mais elle avait déjà pris sa décision sur la foi de l’ensemble des faits, éléments de preuve et arguments que le demandeur aurait pu réunir.
[91] Donc, tout compte fait, la Cour doit instruire la présente demande. Aucune disposition du Code n’empêche le demandeur d’exercer son droit de demander un contrôle judiciaire que lui confère la Loi sur les Cours fédérales et rien ne donne à penser que le demandeur disposait d’un autre recours en vertu du Code. En fait, les personnes qui, selon la défenderesse, sont des experts de l’application du Code, ont dit au demandeur qu’il n’avait pas de droit d’appel.
Est‑ce que la Politique sur laquelle s’appuie l’inspectrice et sur laquelle la décision est fondée est contraire au Code et, par conséquent, invalide?
[92] À mon avis, pour répondre brièvement, dans la mesure où la Politique vise à abroger ou à restreindre les droits matériels accordés aux employés par le Code, elle est ultra vires et invalide. Étant donné que ces droits matériels sont accordés par le législateur, ils ne peuvent être retirés ou modifiés que dans la mesure et de la façon autorisées par le législateur lui‑même.
[93] Dans l’arrêt Dunsmuir, précité, la Cour suprême du Canada a défini de façon très précise ce que cela signifie en droit administratif :
28 La primauté du droit veut que tout exercice de l’autorité publique procède de la loi. Tout pouvoir décisionnel est légalement circonscrit par la loi habilitante, la common law, le droit civil ou la Constitution. Le contrôle judiciaire permet aux cours de justice de s’assurer que les pouvoirs légaux sont exercés dans les limites fixées par le législateur. Il vise à assurer la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue.
29 Les décideurs administratifs exercent leurs pouvoirs dans le cadre de régimes législatifs qui sont eux‑mêmes délimités. Ils ne peuvent exercer de pouvoirs qui ne leur sont pas expressément conférés. S’ils agissent sans autorisation légale, ils portent atteinte au principe de la primauté du droit. C’est pourquoi lorsque la cour de révision se penche sur l’étendue d’un pouvoir décisionnel ou de la compétence accordée par la loi, l’analyse relative à la norme de contrôle vise à déterminer quel pouvoir le législateur a voulu donner à l’organisme en la matière. Elle le fait dans le contexte de son obligation constitutionnelle de veiller à la légalité de l’action administrative : Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220, p. 234; également, Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, par. 21.
[94] Sur cette question, comme le demandeur, j’estime que le Code ne contient aucune restriction quant à la présentation d’une demande concernant des heures supplémentaires impayées. En d’autres termes, le législateur n’a imposé aucune limite temporelle aux droits des employés en ce qui concerne les heures supplémentaires. Cela signifie que le demandeur a droit, parmi les droits matériels créés par les dispositions du Code, d’être rémunéré pour les heures supplémentaires qu’il a effectuées à tout moment pour un employeur assujetti à la réglementation fédérale.
[95] Le Code contient une disposition qui autorise le gouverneur en conseil à prendre les règlements nécessaires à l’application de la partie II du Code en vue de « fixer le mode de calcul et de détermination du salaire reçu par un employé… » (notamment à l’alinéa d)). Cet alinéa concerne uniquement le « mode de calcul » du salaire payable; il n’existe aucun règlement qui limite la période au cours de laquelle un employé a droit de faire valoir les heures supplémentaires qu’il a travaillées.
[96] En vertu du Code et de ses règlements, les employeurs sont tenus de conserver leurs registres pendant au moins 36 mois. Cependant, rien ne permet de déduire de cette exigence que les employés n’ont pas droit d’être payés pour les heures supplémentaires qui leur sont dues pour du travail effectué avant cette période. Il peut être difficile de prouver le droit au paiement d’heures supplémentaires travaillées il y a plus de 36 mois – étant donné qu’un employeur n’a pas nécessairement en sa possession les registres qui remontent à une période plus éloignée dans le temps – mais rien dans cette disposition n’empêche ou ne limite le paiement d’heures supplémentaires dans ce genre de situation lorsque le droit à la rémunération desdites heures peut être établi.
[97] Le Code accorde aussi au ministre du Travail le pouvoir de désigner des inspecteurs. Les inspecteurs peuvent « obliger l’employeur à fournir des renseignements complets et exacts » au sujet du salaire et des heures de travail d’un employé. Les inspecteurs ont d’autres pouvoirs, y compris celui d’ordonner des paiements et de « déterminer [...] la différence entre le montant exigible et celui qui a été effectivement versé ».
[98] Aucune des dispositions du Code qui accorde des pouvoirs aux inspecteurs ne leur donne le pouvoir de limiter les sommes payables à un employé lorsque ce dernier a démontré qu’il y avait droit. Les dispositions du Code qui attribuent des pouvoirs aux inspecteurs concernent uniquement les modes de calcul et les processus à suivre et non le pouvoir d’annuler des droits matériels accordés par le législateur.
[99] Le juge Michael Phelan a déjà souscrit à cette position dans la décision Nation Delaware, précitée :
24 La demanderesse prétend que l’arbitre a commis une erreur en ne limitant pas aux trois dernières années la période pour laquelle Mme Logan avait droit au paiement de ses heures supplémentaires. Elle fait valoir que, comme le Code impose un délai de prescription de trois ans pour les pénalités et que le règlement sur les normes du travail exige des employeurs qu’ils conservent les registres d’emploi pendant trois ans, le législateur devait vouloir qu’un délai de prescription de trois ans s’applique aussi aux autres réclamations. Selon elle, il n’est que juste et équitable d’imposer un délai de prescription de trois ans, car elle n’est pas coupable de ne pas avoir payé d’heures supplémentaires.
25 Le fait que le législateur a prévu un délai de prescription pour certaines questions comme les pénalités et la conservation des documents, mais qu’il n’a pas jugé bon d’établir un délai de prescription plus général semble indiquer qu’il s’est délibérément abstenu de le faire. Il n’appartient pas à la Cour de créer un délai de prescription.
26 Même si la Bande n’a pas délibérément omis de payer les heures supplémentaires, l’objet de la loi à cet égard est de faire en sorte que les travailleurs reçoivent ce qui leur est dû. Il n’est pas question de faute.
[100] La décision rendue par le juge Phelan dans Nation Delaware a été confirmée par la Cour d’appel fédérale.
[101] Le juge Phelan a aussi clairement déclaré que les principes de common law comme celui de la préclusion, la renonciation et le délai de présentation ne s’appliquent pas. Le Code forme un tout complet. Dans 942260 Ontario Ltd. (s n Allanport Truck Lines) c Misty Press, [2004] ACF no 1689, il s’est prononcé en ces termes :
16 Le droit au temps supplémentaire est un droit prévu par la loi. Toute restriction quant à l’exercice de ce droit doit se retrouver dans la législation. Les principes de l’issue estoppel et de la renonciation invoqués par Allanport sont du domaine de la common law.
17 Dans l’arrêt Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l’Alliance de la fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298, la Cour suprême a établi que, au regard du Code, avoir recours à la common law n’ajouterait rien au contenu ou à l’effet de ce texte législatif, qui vise à instaurer un régime relativement complet et, à certains égards (comme en matière de représentation), un régime complet.
18 Le Code établit un régime complet en ce qui a trait aux droits relatifs au temps supplémentaire. Toute restriction quant à l’exercice de ce droit, tel le délai de présentation, est indiqué au Code. Aucune disposition du Code ne traite de l’issue estoppel, un principe lié, en quelque sorte, au délai de présentation.
[102] En l’espèce, cela signifie que les dispositions de la Politique qui visent à limiter dans le temps le droit d’un demandeur d’être rémunéré pour des heures supplémentaires sont ultra vires et nulles. Cela ne signifie pas qu’un demandeur pourra établir facilement l’existence de ces droits s’il ne peut fournir une preuve adéquate.
[103] Selon la défenderesse, le Code ne fixe pas de limite dans le temps au dépôt de demandes, et la Politique n’est donc pas contraire à la loi telle que l’a interprétée le juge Phelan. Cependant, elle soumet à l’attention de la Cour les alinéas 7.7k) à n) de la Politique :
k. normalement, la période pour réclamer le salaire ou d’autres indemnités ne doit pas dépasser douze (12) mois de la date de non‑conformité;
l. dès qu’autorisé par le superviseur de l’inspecteur, l’inspecteur est habilité à fixer une rétroactivité supplémentaire. Pour déterminer s’il doit étendre la période de rétroactivité, l’inspecteur examine la portée de l’infraction, la période pendant laquelle les sommes étant dues ont eu lieu et les antécédents de l’employeur pour ce qui est du respect du Code;
m. la période de rétroactivité ne doit en aucun cas dépasser trente six (36) mois de la date que la plainte a été reçue par le Programme à moins qu’une preuve documentaire claire existe pour appuyer la demande et que cette demande a reçu l’approbation de la gestion régionale;
n. si l’inspecteur arrive à la conclusion qu’une rétroactivité n’est pas justifiée, l’inspecteur en avisera le plaignant (annexe M). En aucun cas l’inspecteur utilisera l’Avis de plainte non‑fondée pour refuser la rétroactivité; |
k. in assessing underpayments during employment, the period of retroactivity shall not normally exceed twelve (12) months from the date of non‑compliance;
l. upon approval from the inspector’s supervisor, the inspector has the authority to assess additional retroactivity. In assessing whether to increase the period of retroactivity, the inspector will review the scope of the infraction(s), the length of time that the identified underpayment(s) has(ve) been occurring, and the compliance history of the employer;
m. in no case will the retroactivity exceed thirty‑six (36) months from the date of the filing of the complaint unless clear documenting evidence is available to support the claim and approval has been obtained from regional management;
n. should the inspector conclude that retroactivity is not warranted, the inspector will notify the complainant (Appendix M). Under no circumstances should a Notice of Unfounded Complaint be used to decline retroactivity;
|
[104] Il me semble que même si ces dispositions permettent une rétroactivité supérieure à 12 mois dans certaines circonstances, les conditions liées aux prolongations visent clairement à limiter les demandes d’une façon qui annule le droit au paiement des heures supplémentaires garanti par le Code. Comme le juge Phelan l’a clairement dit, aucune limitation dans le temps ne peut être imposée. L’inspecteur doit examiner la preuve qui étaye la demande sans imposer de délais. Par exemple, les antécédents de l’employeur pour ce qui est du respect du Code n’ont rien à voir avec la question de savoir si une demande visant des heures supplémentaires impayées peut être revendiquée pour une période de rétroactivité supérieure à 12 mois, à moins que les antécédents aient quelque chose à voir avec l’évaluation de la preuve produite pour étayer ou rejeter la demande.
[105] Comme le révèle le dossier, l’inspectrice n’a de toute évidence pas agi de cette façon en l’espèce. En effet, elle avait l’impression d’être liée par les restrictions de la Politique relatives au respect des délais et elle a limité à 12 mois la période de rétroactivité sur laquelle pouvait porter la demande du demandeur. Dans la mesure où les dispositions de la Politique entraînent l’élimination ou l’affaiblissement du droit au paiement des heures supplémentaires ou qu’elles restreignent la période de rétroactivité à l’égard de laquelle une demande visant des heures supplémentaires impayées peut être déposée, la Politique est contraire au Code. En effet, aucune disposition législative n’accorde à RHDCC le pouvoir de créer et d’imposer des délais qui s’appliqueraient aux demandes visant des heures supplémentaires impayées. La décision de l’inspectrice d’appliquer des restrictions illégales ne peut être maintenue.
[106] La preuve soumise par le demandeur et la défenderesse révèle que le demandeur a été privé de sommes importantes tant pendant la période à l’égard de laquelle l’inspectrice a mené son enquête qu’au cours d’une période de rétroactivité bien supérieure à cette période. La preuve aurait dû être évaluée et le demandeur aurait dû être rémunéré pour les heures supplémentaires effectuées conformément aux droits que lui confère le Code.
[107] De plus, la décision révèle que l’inspectrice a pris en compte et appliqué des facteurs non pertinents et non appropriés pour rendre la décision. La culpabilité et la reconnaissance d’une non‑conformité de la part de l’employeur, l’absence de conseil, les antécédents en matière de plaintes et de non‑conformité, l’acceptation de la pratique par l’employé, la collaboration à l’enquête et le paiement volontaire des sommes demandées n’ont rien à voir avec le droit en vertu du Code d’être rémunéré pour les heures supplémentaires travaillées. Comme le juge Phelan l’a très bien expliqué dans la décision Nation Delaware, précitée, « l’objet de la loi à cet égard est de faire en sorte que les travailleurs reçoivent ce qui leur est dû. Il n’est pas question de faute ».
[108] La décision contient aussi bon nombre d’autres erreurs susceptibles de révision. Par exemple, il me semble que les calculs de l’inspectrice, même pour la période de 12 mois qu’elle a pris en compte, étaient erronés, comme l’a soutenu le demandeur, et que ces calculs devront être effectués de nouveau. Cependant, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin. En effet, la décision est entachée d’un vice fondamental parce qu’elle est fondée sur des restrictions et des considérations qui sont contraires au Code et qui sont appliquées de façon déraisonnable.
[109] L’affaire doit être renvoyée pour réexamen conformément aux présents motifs et à la jurisprudence applicable.
JUGEMENT
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
1. La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre inspecteur de RHDCC pour nouvel examen conformément aux présents motifs.
2. La défenderesse doit payer au demandeur les dépens de la présente demande.
« James Russell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T‑1785‑12
|
INTITULÉ : |
KLAUSE RIDKE c COULSON AIRCRANE LTD.
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)
DATE DE L’AUDIENCE :
Le 10 juillet 2013
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :
LE JUGE RUSSELL
DATE DES MOTIFS :
LE 25 NOVEMBRE 2013
COMPARUTIONS :
Cameron R. Wardell
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Marylee Davies |
POUR LA DÉFENDERESSE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Harris & Company LLP Avocats Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Farris, Vaughan, Wills & Murphy Avocats Vancouver (Colombie‑Britannique)
|
POUR LA DÉFENDERESSE
|