Dossier : IMM-10240-12
Référence : 2013 CF 1105
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2013
En présence de monsieur le juge O’Reilly
ENTRE : |
JAE BOK NOH, EUN MI HWANG, MIN WOO NHO ET MIN JI NOH |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Aperçu
[1] Les demandeurs sont une famille comptant deux parents et deux enfants adultes – un de sexe masculin et un de sexe féminin – qui sont originaires de la Corée. En 2009, lorsque le fils avait 21 ans et la fille, 17 ans, la famille a demandé la résidence permanente pour des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs vivaient au Canada, sans statut, depuis 2000.
[2] À l’appui de leur demande, les demandeurs ont souligné leur établissement ferme au Canada, l’intérêt supérieur de leurs enfants et les difficultés qu’entraînerait leur retour en Corée. Leur demande a été rejetée, mais dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le juge James Russell a ordonné le réexamen de l’intérêt supérieur des enfants.
[3] L’agente qui a procédé au réexamen a contacté les demandeurs par téléphone pour leur donner la possibilité d’actualiser leurs observations. Elle a d’abord parlé aux demandeurs adultes, mais a eu de la difficulté à communiquer avec eux. Elle a ensuite parlé au fils, qui l’a trouvé agressive et, à son avis, résolue à rejeter leur demande. En revanche, pour l’agente, la conversation avait été courtoise et positive.
[4] Suivant la perception que le fils avait eu de la conversation, les demandeurs ont demandé à l’agente de se récuser pour crainte de partialité. L’agente n’a pas accédé à la demande, mais a rejeté la demande des demandeurs en raison des incohérences dans leurs éléments de preuve et d’une absence d’éléments de preuve corroborants.
[5] Deux questions sont en litige :
1. La conduite de l’agente donne‑t‑elle lieu à une crainte raisonnable de partialité?
2. La décision de l’agente était‑elle raisonnable?
II. La décision de l’agente
[6] L’agente a pris note de la situation financière précaire des demandeurs, de leurs antécédents de travail autonome en Corée, de leurs liens familiaux en Corée, des conditions dans le pays, du manque de compétences linguistiques des parents en anglais, de la capacité des enfants de parler anglais et coréen, des liens limités des demandeurs avec la communauté au Canada, du fait que les enfants ne fréquentent plus l’école, de la pression subie par le fils pour subvenir aux besoins de la famille et de la possibilité que les demandeurs puissent revenir au Canada à l’avenir.
[7] L’agente a conclu, selon ces facteurs, que les demandeurs ne connaîtraient pas de difficultés indues, injustifiées ou excessives s’ils devaient demander la résidence permanente de la Corée, au lieu du Canada.
III. Première question en litige – La conduite de l’agente donne‑t‑elle lieu à une crainte raisonnable de partialité?
[8] Les demandeurs soutiennent que la conduite de l’agente dénotait de la partialité et des préjugés. Plus particulièrement, ils renvoient au ton de la conversation téléphonique avec l’agente, de l’affirmation de celle-ci selon laquelle ils ne s’étaient pas pleinement intégrés à la société canadienne, sa mention du fait que les demandeurs vivaient dans l’illégalité au Canada depuis plusieurs années et son assertion voulant que les parents n’avaient pas tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants quand ils ont déménagé au Canada en 2000.
[9] À mon avis, un aspect seulement de la conduite de l’agente est préoccupant. Selon les photographies fournies par les demandeurs, elle a constaté que ceux‑ci avaient des interactions uniquement avec des membres de la communauté coréenne au Canada et conclu que cet élément montrait qu’ils ne s’étaient pas intégrés à la société canadienne. Je ne vois pas pourquoi une interaction importante avec des membres de la communauté coréenne au Canada ne serait pas considérée comme une participation à la vie de la société canadienne. La question dont était saisie l’agente concernait la nature et le degré des liens des demandeurs avec la communauté. Il importe peu que les liens en question visent tel ou tel segment de la communauté. L’agente semblait croire que les demandeurs devaient être en contact avec tous les secteurs de la vie canadienne pour que leurs liens avec la communauté puissent être considérés comme militant en faveur de leur demande de résidence permanente. Manifestement, ça n’est pas le cas.
[10] Cependant, j’estime que l’agente s’est tout simplement mal exprimée et que, en contre‑interrogatoire concernant son affidavit, elle s’est sentie tenue de défendre ses propos. L’examen des conditions de vie globales des demandeurs, de leurs liens avec la communauté représentait un facteur important à prendre en compte. L’agente a jugé que leurs liens avec la communauté étaient limités. Même si je ne suis pas d’accord avec la déclaration de l’agente selon laquelle seuls des liens exhaustifs avec les dimensions multiculturelles du Canada favoriseront les demandeurs, je ne crois pas que sa déclaration donne lieu à une crainte de partialité. Il s’agissait simplement d’un facteur parmi de nombreux autres mentionnés par l’agente dans son examen exhaustif de la situation des demandeurs.
IV. Deuxième question en litige – La décision de l’agente était‑elle raisonnable?
[11] Dans la demande de contrôle judiciaire précédente des demandeurs, le juge Russell avait conclu que l’agente avait tiré une conclusion raisonnable concernant l’absence d’établissement des demandeurs au Canada. Cependant, il avait estimé que trop peu d’attention avait été accordée à l’intérêt supérieur des enfants. Pour cette raison, cet aspect était l’objet principal de la décision de l’agente.
[12] Les demandeurs soutiennent que l’agente a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants à bien des égards. L’agente croyait notamment, à tort, que l’un des objectifs de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR] visait le regroupement familial à l’extérieur du Canada. De plus, l’agente a conclu de façon déraisonnable que l’intérêt supérieur des enfants favorisait leur retour en Corée, où ils seraient libérés de la responsabilité de subvenir aux besoins de la famille. Qui plus est, l’agente a omis de tenir compte du fait qu’il faudrait du temps aux enfants pour peaufiner leur connaissance de la langue coréenne. L’agente n’a notamment pas pris en compte le fait que, même si la fille parle coréen à la maison, elle ne peut pas lire ni écrire dans cette langue.
[13] J’estime que l’analyse faite par l’agente de l’intérêt supérieur des enfants n’était pas déraisonnable. L’agente a pris en compte leurs plans en matière d’éducation, leurs compétences linguistiques, leurs antécédents de travail, leurs responsabilités familiales et leur âge. Cela dit, l’agente a clairement commis une erreur en concluant que la LIPR favorisait le regroupement familial à l’extérieur du Canada – en réalité, elle encourage le regroupement familial au Canada. Cependant, selon l’analyse globale de l’agente, cette erreur n’a pas contribué de façon significative à l’appréciation par l’agente de l’intérêt supérieur des enfants.
[14] Par conséquent, je ne peux pas conclure que la décision de l’agente était déraisonnable.
V. Conclusion et décision
[15] La décision de l’agente n’est pas sans failles. En soulignant l’absence d’interactions avec tous les segments de la population canadienne, elle a établi un seuil trop élevé en ce qui concerne l’appréciation des liens des demandeurs avec la communauté. De plus, elle croyait, à tort, que l’un des objectifs de la LIPR était le regroupement des familles ailleurs qu’au Canada. Cependant, je ne peux pas conclure que la décision de l’agente donne lieu à une crainte raisonnable de partialité. Je ne peux pas non plus conclure que l’analyse par l’agente de l’intérêt supérieur des enfants était déraisonnable. Par conséquent, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune partie n’a proposé de question de portée générale à certifier, et aucune n’est énoncée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.
« James W. O’Reilly »
Juge
Traduction certifiée conforme
Line Niquet
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-10240-12
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INTITULÉ : |
JAE BOK NOH, EUN MI HWANG, MIN WOO NHO ET MIN JI NOH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 7 OctobRe 2013
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : LE 29 OctobRe 2013
COMPARUTIONS :
Ronald Poulton
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pour les demandeurs
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Negar Hashemi
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pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Poulton Law Office Professional Corporation Toronto (Ontario)
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pour les demandeurs |
William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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pour le défendeur |