Date : 20131023
Dossier : T-2286-12
Référence : 2013 CF 1072
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2013
En présence de monsieur le juge Manson
ENTRE :
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ANIS HAYMOUR
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demandeur
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et
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L’Agence du revenu du Canada
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défenderesse
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, qui vise une décision rendue par Suzanne Gorley, la directrice intérimaire du Bureau national de résolution de conflits [la directrice intérimaire]. Cette dernière a rejeté pour cause de retard la demande par laquelle le demandeur sollicitait l’examen par un tiers indépendant [RTI] de son congédiement non disciplinaire.
I. Question en litige
[1] La question soulevée dans le cadre de la présente demande est la suivante :
A. La décision de la directrice intérimaire était-elle déraisonnable?
[2] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la directrice intérimaire était déraisonnable.
II. Contexte
[3] Le demandeur travaillait à l’Agence du revenu du Canada [l’ARC] depuis 1994. De 1997 à 2002, il a occupé le poste de vérificateur AU-01. En 2002, le demandeur a été promu au poste MG‑03 de chef d’équipe. Le 26 avril 2006, par suite d’évaluations du rendement défavorables en 2003, en 2004 et en 2005, on l’a rétrogradé à son ancien poste AU-01. Le demandeur a présenté des griefs à l’égard des évaluations défavorables et de sa rétrogradation. Après renvoi des griefs pour révision par un tiers indépendant le 24 avril 2008, une audience a été tenue en mars 2011.
[4] Le 12 septembre 2008, le demandeur a pris congé pour des raisons médicales. Peu après, l’ARC a fait de nombreuses demandes en vue d’obtenir des renseignements médicaux à jour. Le demandeur a donné suite à diverses demandes jusqu’en 2011, après quoi il a omis de fournir les renseignements médicaux à jour qui lui ont été demandés. Le 18 novembre 2011, parce qu’il n’avait pas donné suite à cette dernière demande, le demandeur a été congédié pour abandon de poste.
[5] Le 6 janvier 2012, le demandeur a déposé un grief à l’égard de son congédiement. Le grief a été rejeté au dernier palier de la procédure le 2 octobre 2012, après avoir franchi au cours de la même année toutes les étapes de la procédure de grief. Le 15 octobre 2012, on a transmis par courrier au demandeur une copie de la réponse au grief du 2 octobre 2012. Le demandeur déclare dans son affidavit que le 16 octobre 2012 Kent McDonald, son représentant syndical, lui a remis une copie de la réponse au grief datée du 2 octobre 2012 et l’a informé qu’il disposait d’un délai de sept jours à compter de la date où il le recevrait – commençant donc à courir lors de la réception de l’avis donné par son employeur –, pour demander un renvoi pour RTI. Le demandeur a sollicité le renvoi pour RTI au moyen du formulaire RC117 – Demande de révision par un tiers indépendant. L’ARC a reçu ce formulaire le 29 octobre 2012.
[6] Le demandeur déclare dans un affidavit produit au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire n’avoir reçu l’avis relatif à la réponse au grief que le 1er novembre 2012. La défenderesse conteste la recevabilité de cet affidavit.
[7] Le 4 décembre 2012, la directrice intérimaire a transmis au demandeur une lettre l’informant du rejet, pour cause de retard, de sa demande de renvoi pour RTI.
[8] La directrice intérimaire a relevé qu’il est inscrit sur le formulaire RC117 qu’il doit « être rempli par le demandeur et reçu par le Bureau national de résolution de conflits dans les sept jours civils suivant la date de l'avis ou de l’événement à l’origine du droit du demandeur de solliciter une RTI comme moyen de recours ».
[9] La directrice intérimaire a conclu que, compte tenu du fait qu’on avait envoyé la réponse au grief le 15 octobre 2012 et que, conformément aux normes de livraison de Postes Canada, cette réponse est censée avoir été reçue au plus tard le 19 octobre 2012, la demande de renvoi du demandeur, reçue le 29 octobre 2012, était tardive puisqu’on l’avait reçue après le délai de sept jours prescrit pour solliciter une RTI, soit après le 26 octobre 2012.
III. Norme de contrôle
[10] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (voir notamment Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 62 et 47; Girard c Canada (Procureur général), 2007 CF 1333).
IV. Analyse
[11] Les avocats des deux parties ont convenu à l’audience qu’à la lumière de la jurisprudence pertinente de la Cour et de la Cour d’appel fédérale, l’affidavit du 23 janvier 2013 d’Anis Haymour ne devait pas être pris en considération. L’affidavit n’a pas été porté à la connaissance de la directrice intérimaire, et il ne s’agit pas d’un cas où il peut être fait exception à la règle selon laquelle la Cour ne doit pas prendre en compte lors d’un contrôle sur le fond les éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés au décideur administratif (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, au paragraphe 20).
[12] L’avocat du demandeur a également reconnu que la demande dont je suis saisi se fondait uniquement sur les alinéas 18.1(4)c) et 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F‑7, et non sur l’alinéa 18.1(4)b), qui a trait à l’équité procédurale. Je n’examinerai donc aucun argument lié à l’équité procédurale, et la norme applicable est celle de la décision raisonnable.
[13] Les trois conditions suivantes doivent être remplies pour qu’une cour de révision intervienne sur le fondement de l’alinéa 18(4)d) : (i) il existe une conclusion de fait erronée, (ii) le tribunal a tiré cette conclusion de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait, et (iii) la décision est contestée sur le fondement de la conclusion erronée (Rohm & Haas Canada Ltd c Canada (Tribunal antidumping), [1978] ACF n° 522 (CAF), au paragraphe 5). La défenderesse soutient que, même si l’on devait concéder que la première et la troisième conditions sont remplies, la Cour ne pourrait néanmoins conclure en faveur du demandeur que la décision était déraisonnable, ce dernier n’ayant pas démontré que la directrice intérimaire a tiré ses conclusions sans tenir compte de la preuve présentée.
[14] La directrice intérimaire a considéré les trois éléments d’information suivants avant de rendre sa décision : la date de l’envoi au demandeur de la décision au dernier palier, la norme de livraison de Postes Canada, soit quatre jours à compter de la date d’envoi de la réponse par le demandeur, ainsi que la date à laquelle la directrice intérimaire a reçu cette réponse.
[15] La directrice intérimaire a décidé d’appliquer la norme de livraison de Postes Canada – quatre jours pour la livraison de la réponse au grief –, en l’absence d’une date de livraison réputée ou expressément prévue par les règles du Bureau national de résolution de conflits [BNRC] de l’ARC dans le cas du renvoi pour RTI d’un grief relatif à un congédiement.
[16] On l’a dit, le BNRC a transmis par la poste au demandeur le 15 octobre 2012 la réponse au grief. La directrice intérimaire a estimé qu’en fonction de la norme de livraison de Postes Canada, la décision relative au grief est censée avoir été reçue au plus tard le 19 octobre 2012, et que l’employeur aurait dû recevoir la réponse du demandeur au plus tard le vendredi 26 octobre 2012. Or, il ne l’a reçue que le lundi 29 octobre 2012.
[17] La défenderesse soutient que, compte tenu des faits précédemment décrits, le refus de la directrice intérimaire de renvoyer le grief pour RTI constituait une issue possible acceptable raisonnable. Bien que l’application du délai de prescription de sept jours pour se conformer à la procédure du PNRC relative à la révision par un tiers indépendant puisse sembler dure, le caractère définitif de ce délai ne doit pas masquer sa valeur (Novak c Bond, [1999] 1 RCS 808, au paragraphe 8).
[18] Je ne suis pas d’accord. Pour donner corps à la notion de caractère raisonnable, la Cour doit examiner dans quel contexte la décision a été rendue (Canada (Procureur général) c Abraham, 2012 CAF 266, aux paragraphes 42 à 45). En l’espèce, tout d’abord, la directrice intérimaire a adopté la norme de livraison de Postes Canada, en fonction de laquelle la réponse au grief devait avoir été livrée au plus tard le 19 octobre 2012. Le demandeur prétend qu’il n’avait pas reçu la réponse au grief à cette date, mais aucune preuve ne m’a été présentée quant à la date exacte où il l’aurait reçue. Il convient toutefois d’interpréter les dispositions prévoyant un délai de prescription d’une manière qui permette de réaliser leur objet. En l’espèce, si je devais juger raisonnable le recours unilatéral par le BRCN à la norme de livraison de Postes Canada, qui pourrait ou non être respectée, la conséquence en serait qu’une personne pourrait devoir présenter sa demande de renvoi avant qu’on ne l’ait en fait avisée qu’un renvoi est nécessaire ou même possible. La norme de livraison de Postes Canada aurait en pratique, dans la perspective de la défenderesse, un effet déterminant en tout état de cause. Un tel résultat n’est tout simplement pas raisonnable.
[19] Comme l’a fait valoir l’avocat du demandeur, en outre, la directrice intérimaire aurait pu obtenir confirmation de la réception par le demandeur en envoyant la réponse au grief par courrier recommandé, et ainsi éviter tout le problème de la date de réception effective; elle ne l’a toutefois pas fait. La directrice intérimaire aurait également pu demander au demandeur d’accuser réception, mais cela aussi elle ne l’a pas fait. Si la directrice intérimaire avait utilisé la norme de livraison de dix jours prévue au paragraphe 141(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, un délai estimé raisonnable par l’avocat du demandeur, la réponse de ce dernier aurait assurément été reçue dans le délai prescrit. Or, cette norme n’a pas été appliquée.
[20] En raison du délai retenu, on a empêché le demandeur de recourir au processus de RTI par suite d’un retard d’un seul jour ouvrable. Compte tenu de la durée des procédures, du préjudice causé au demandeur, de l’absence de tout préjudice pour la défenderesse et des autres facteurs précédemment exposés, un tel résultat est déraisonnable.
JUGEMENT
LA COUR STATUE comme suit :
1. La demande est accueillie, la décision du BNRC est annulée et l’affaire est renvoyée au BNRC pour qu’il rende une nouvelle décision conforme au présent jugement.
2. Les dépens sont adjugés au demandeur.
« Michael D. Manson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2286-12
INTITULÉ : Haymour c. ARC
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 23 octobre 2013
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE MANSON
DATE DES MOTIFS : Le 23 octobre 2013
COMPARUTIONS :
James Cameron
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POUR LE DEMANDEUR |
Joshua Alcock
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POUR LA DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l. Ottawa (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR |
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE
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