Date : 20131022
Dossier :
IMM-1002-13
Référence : 2013 CF 1059
Montréal (Québec), le 22 octobre 2013
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE : |
MOHAMED CONDE |
partie demanderesse |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
partie défenderesse |
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Introduction
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 9 janvier 2013 par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SPR a conclu que le demandeur n’était ni réfugié au sens de l’article 96 ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].
II. Faits
[2] Le demandeur, monsieur Mohamed Conde, est citoyen de la Guinée, né à Conakry en 1986. Il est d’origine malinké.
[3] Après avoir quitté ses études en 2008, le demandeur explique qu’il est devenu commerçant à Conakry pour subvenir aux besoins de sa famille. Le 10 septembre 2010, il aurait commencé à avoir des problèmes avec un autre marchand (d’ethnie peule) nommé « Guirguis ». Il aurait rapporté ce dernier aux autorités pour avoir vendu de l’eau empoisonnée dans sa communauté.
[4] En même temps, le demandeur explique qu’une équipe de basketball associée aux forces guinéennes [ASFAG] tentait de le recruter, mais il a refusé de se joindre à l’équipe croyant que ça serait une façon de l’intégrer à l’armée guinéenne.
[5] Le 15 septembre 2010, le demandeur explique que la famille de Guirguis serait venue chez lui pour le menacer de mort. C’est à ce moment qu’il a décidé de fuir le pays.
[6] Le demandeur aurait quitté la Guinée la nuit du 28 septembre 2010, à bord d’un navire commercial. Il indique avoir vécu sur ce navire presque 5 mois dans une petite pièce, sans pouvoir sortir.
[7] Le demandeur serait arrivé au Canada le 26 février 2011 à un port inconnu et n’aurait rencontré aucune autorité canadienne en débarquant du navire. Il aurait ensuite demandé l’asile deux jours plus tard.
[8] Le 9 janvier 2013, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur.
III. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire
[9] La SPR a trouvé que le demandeur n’était pas crédible en raison d’omissions dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), d’invraisemblances et de contradictions dans son témoignage.
[10] En particulier, la SPR a conclu que le demandeur avait omis de mentionner un fait central dans son récit soutenant son allégation qu’il craint la police à Conakry. Le demandeur n’avait pas mentionné dans aucun des documents d’immigration soumis avec sa demande d’asile que sa mère avait reçu deux convocations pour qu’il se présente au poste de police en août 2011. Sans explication satisfaisante pour cette omission, la SPR a constaté que le demandeur tentait possiblement d’augmenter l’intensité de son récit en introduisant ce fait à l’audience.
[11] La SPR a également trouvé que les allégations du demandeur envers l’armée guinéenne portaient peu de poids. La SPR a conclu que, puisque le service militaire n’est pas obligatoire en Guinée, il était invraisemblable que le demandeur soit tenu de participer ou jouer dans une équipe associée à l’armée.
[12] La SPR a conclu qu’il était aussi invraisemblable que le demandeur eût réussi à faire arrêter le marchand d’eau par la police, mais qu’il n’ait pas pu, par la suite, se plaindre à la police pour les menaces faites à son égard par ce dernier. La SPR a donc tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité de la crainte du demandeur envers le marchand d’eau.
[13] La SPR a constaté qu’elle avait de « grands doutes » par rapport à la crédibilité du demandeur quant à son itinéraire de voyage au Canada. Notamment, la SPR a noté qu’il était invraisemblable que le demandeur puisse franchir les limites territoriales du port où il est arrivé sans avoir rencontré d’autorité canadienne.
[14] Étant donné ces conclusions défavorables, quant à la crédibilité du demandeur, la SPR a jugé que le demandeur ne s’était pas déchargé de son fardeau de prouver qu’il a une crainte bien fondée de persécution. La SPR a donc rejeté sa demande d’asile.
IV. Point en litige
[15] L’analyse de crédibilité faite par la SPR était-elle raisonnable?
V. Dispositions législatives pertinentes
[16] Les articles 96 et 97 de la LIPR s'appliquent en l'espèce :
Définition de « réfugié »
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.
Personne à protéger
97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
Personne à protéger
(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection. |
Convention refugee
96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or
(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.
Person in need of protection
97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,
(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,
(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.
Person in need of protection
(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection. |
VI. Norme de contrôle
[17] La jurisprudence de la Cour établit clairement que les conclusions de la SPR sur la crédibilité et le manque de vraisemblance sont des questions de fait et sont donc susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 NR 315 (CAF)).
[18] Selon la norme de la décision raisonnable, la Cour ne peut intervenir que si les motifs de la SPR ne sont pas « justifiés, transparents ou intelligibles ». Pour satisfaire à cette norme, la décision doit également appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).
VII. Position des parties
[19] Le demandeur allègue que la SPR a commis de nombreuses erreurs révisables dans l’évaluation de sa crédibilité, notamment dans l’évaluation de la preuve soumise par rapport à sa crainte de la police, de l’armée guinéenne et du marchand d’eau.
[20] Le défendeur soutient que la SPR n’a fait aucune erreur dans l’appréciation des faits. Le défendeur prétend que le demandeur n’était pas crédible; il y avait des lacunes importantes dans sa preuve, ainsi que plusieurs invraisemblances. De plus, le défendeur soumet que la crainte du demandeur n’est appuyée par aucune preuve documentaire et était incohérente avec certaines de ses allégations.
VIII. Analyse
[21] Après une révision de la preuve documentaire et testimoniale, la Cour estime que la SPR a raisonnablement jugé que la version des faits du demandeur manquait de crédibilité.
[22] Contrairement à ce qu'affirme le demandeur, la SPR a tenu compte de tous les éléments de preuve et de toutes les explications fournies par le demandeur, et a clairement expliqué les raisons pour lesquelles elle jugeait qu’il n’était pas crédible.
[23] Premièrement, la SPR a conclu que l’omission du demandeur de mentionner avant l’audience que sa mère avait reçu deux convocations par la police à Conakry entachait sérieusement sa crédibilité. La SPR a également trouvé invraisemblable que le demandeur soit tenu de participer ou jouer dans une équipe de basketball associée à l’armée, considérant que le service militaire même n’est pas obligatoire. De plus, la SPR a conclu qu’il était invraisemblable que le demandeur ne puisse pas porter plainte à la police pour les menaces faites par le marchand d’eau, car les policiers avaient déjà agi efficacement contre ce dernier. La SPR a aussi ajouté qu’elle avait de « grands doutes » que le demandeur serait arrivé au Canada, comme il l’a expliqué, sans avoir rencontré d’autorité canadienne. Il était, après tout, sur un navire commercial.
[24] La Cour juge que cette appréciation de la preuve est raisonnable, spécialement sans preuve contraire. Il était loisible à la SPR de se fonder sur les omissions et invraisemblances dans le récit du demandeur pour tirer une conclusion défavorable quant à sa crédibilité (Cortes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 583; Tejeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 421; Peti c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 82). La Cour ne peut pas intervenir simplement parce que le demandeur est en désaccord avec la décision de la SPR.
[25] Il n’appartient pas à cette Cour de substituer sa propre appréciation à celle qui a été faite par la SPR (Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 441). La SPR est un tribunal spécialisé dans l'appréciation de la crédibilité et de la vraisemblance des faits invoqués par les demandeurs d'asile. La Cour ne doit donc pas modifier une décision de la SPR à moins que cette dernière n’ait été fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (Bobic c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1488, au para 3; Jabbour c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 831).
[26] De plus, la Cour ne peut pas disséquer la décision de la SPR comme l’a fait le demandeur en l’espèce. La décision doit être examinée dans son ensemble, prenant en compte le contexte de la preuve et du dossier (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 644; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708; Leahy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 227 aux para 120-121) comme la Cour l’a statué dans Borate c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 679 :
[1] De la même manière qu'un tribunal spécialisé ne doit pas examiner les faits hors de leur contexte, strictement dans la hâte de signaler les contradictions relevées avec un « zèle microscopique », la partie présente à l'audience de contrôle judiciaire ne doit pas s'appliquer à décortiquer chacune des phrases des motifs de la décision d'un tribunal spécialisé. [La Cour souligne.]
[27] Dans le cas présent, la conclusion générale de la SPR concernant l'absence de crédibilité du demandeur répond au critère de la raisonnabilité. L'intervention de la Cour n'est donc pas justifiée.
IX. Conclusion
[28] Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE le rejet de la demande de contrôle judiciaire du demandeur sans aucune question d’importance générale à certifier.
« Michel M.J. Shore »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-1002-13
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INTITULÉ : |
MOHAMED CONDE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE :
LE 22 octobre 2013
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :
LE JUGE SHORE
DATE DES MOTIFS :
LE 22 octobre 2013
COMPARUTIONS :
Claudette Menghile
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Pour la partie demanderesse
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Sonia Bédard
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Pour la partie défenderesse
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Claudette Menghile Avocate Montréal (Québec)
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Pour la partie demanderesse
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William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec)
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Pour la partie défenderesse
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