Date : 20131010
Dossier : T‑995‑12
Référence : 2013 CF 1026
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2013
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN
ENTRE : |
AIR SPRAY (1967) LTD. |
demanderesse |
et |
MARK PAULSEN |
défendeur |
MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] Air Spray (1967) Ltd. (la demanderesse) sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 24 avril 2012 par M. Richard Bourassa (l’arbitre). Selon l’arbitre, M. Mark Paulsen (le défendeur) a été injustement congédié par son employeur, la société demanderesse en l’espèce. En application du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2 (le Code canadien du travail), l’arbitre a accordé au défendeur une indemnité de 17 556 $, moins les retenues légales, plus 500 $ au titre des dépens.
II. QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
[2] Selon l’affidavit de Bill R. Vanson, huissier, l’avis de demande a été signifié au défendeur le 21 mai 2012. Le 28 mai 2012, le défendeur a déposé un avis de comparution dans lequel il indiquait son attention de contester la demande, mais il n’a pas déposé de dossier de réponse.
[3] D’après le registre des appels téléphoniques tenu à Ottawa par le Bureau du juge en chef, un message vocal a été envoyé au défendeur le 5 octobre 2012, lui laissant savoir que l’affaire serait instruite à Edmonton (Alberta), lors d’une audience d’une journée.
[4] Par lettre en date du 25 octobre 2012, une copie vidimée de l’ordonnance fixant au 17 janvier 2013 la date de l’audience a été envoyée au défendeur par courrier recommandé. La lettre, qui n’avait pas été remise à son destinataire, fut renvoyée au greffe de la Cour, au 90, rue Sparks.
[5] Le 17 janvier 2013, l’audience fut reportée en vertu d’une ordonnance prononcée par la juge Kane le 15 janvier 2013. Une lettre en date du 15 janvier 2013 a été le même jour envoyée au défendeur par courrier recommandé pour lui communiquer l’ordonnance. Cette lettre fut renvoyée au greffe de la Cour, à Ottawa, l’adresse figurant sur l’enveloppe étant inexistante. L’adresse du défendeur avait été inscrite incorrectement sur l’enveloppe.
[6] Par lettre en date du 21 janvier 2013, une ordonnance fixant au 11 avril 2013 la nouvelle date d’audience fut envoyée au défendeur par courrier recommandé. Cette lettre, envoyée à l’adresse figurant au dossier du défendeur, fut renvoyée au greffe de la Cour, au 90, rue Sparks, Ottawa (Ontario).
[7] J’estime que les services administratifs de la Cour ont fait des efforts raisonnables pour informer le défendeur des dates d’audience. Le fait qu’un des courriers ait été envoyé à la mauvaise adresse n’est pas déterminant, car une lettre subséquente, en date du 21 janvier 2013, l’informant de l’audience du 11 avril 2013, a été envoyée à la bonne adresse, celle qu’avait fournie le défendeur. Il n’a pas cependant pris réception de cette lettre.
[8] Une autre question de procédure appelle notre attention. J’ai constaté, après examen du dossier avant l’audience du mois d’avril, que le dossier de la Cour prévu par les Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles) n’avait pas été déposé. Le 4 avril 2013, une directive fut envoyée à la demanderesse, la priant de déposer le dossier de la Cour le 11 avril 2013 au plus tard.
[9] L’avocat de la demanderesse a répondu à la directive par lettre en date du 5 avril 2013. Cette lettre faisait notamment savoir ce qui suit :
[traduction]
L’affidavit versé au dossier de la demanderesse comprend tous les documents que la demanderesse avait produits devant l’arbitre; ce dossier ne comprend aucun document nouveau ou supplémentaire. Nous y avons également inséré les documents du défendeur auxquels il avait renvoyé à l’audience. L’arbitre n’ayant pas transmis de dossier à la Cour, nous joignons un jeu complet des pièces et documents qui avaient été déposés.
[10] Je ne crois pas que l’affidavit de Kirk Carleton, qui figurait au dossier de la demanderesse, comprenait l’intégralité des documents, et je ne crois pas non plus que les autres documents versés au dossier par l’avocat de la demanderesse comprenaient l’intégralité des documents produits devant l’arbitre. Plus précisément, la comparaison entre le dossier de la demanderesse et le recueil des pièces fait ressortir que la pièce A jointe à l’affidavit de Kirk Carleton ne figurait pas au recueil des pièces et que la pièce U, jointe à l’affidavit de M. Carleton, n’y figurait pas non plus.
[11] À l’audience du 11 avril 2013, la demanderesse a remis une copie de la documentation qu’avait réunie l’arbitre. On s’est aperçu par la suite que cette documentation ne comprenait pas un document manuscrit que le défendeur avait produit devant l’arbitre. Une nouvelle directive de la Cour, en date du 8 octobre 2013, autorisa le dépôt nunc pro tunc, d’un dossier certifié supplémentaire du tribunal comprenant le document en question.
III. LES FAITS
[12] Le défendeur a été employé par la demanderesse du mois d’octobre 2006 au 17 février 2011. Il avait été engagé comme chef d’équipe, mais en octobre 2007, fut rétrogradé au poste de « Mécanicien de structures de niveau 4 ». Entre juin 2008 et décembre 2009, il a fait l’objet de sanctions disciplinaires à cinq reprises, deux fois pour s’être servi de son téléphone portable dans le hangar, une fois pour ne pas avoir signalé une absence, une fois pour avoir pris du retard et une fois pour avoir permis à un autre d’effectuer le travail dont il était lui‑même chargé.
[13] Le 19 janvier 2011, le défendeur et John Rowe, un collègue, réparaient un avion. Monsieur Rowe demanda au défendeur de tenir la perceuse pendant qu’il perçait des trous dans un longeron. Monsieur Rowe n’a pas, pour percer les trous en question, suivi la procédure habituelle en utilisant comme gabarit le revêtement de l’aéronef. Au lieu de percer des avant‑trous, il perça des trous pleine grandeur. Les trous percés dans le longeron n’étaient en conséquence pas alignés sur le revêtement.
[14] Le défendeur avait plus d’expérience que M. Rowe, mais il ne l’a pas corrigé et n’a pas non plus signalé l’incident. D’autres collègues se trouvaient au même moment dans le hangar, mais ils n’ont ni entendu ni vu ce qui s’est passé.
[15] Le 9 février 2011, M. Bob Strain, chef d’équipe (Structures), remarqua la malfaçon. Le 10 février 2011, M. Rowe, le défendeur, et trois collègues remirent des déclarations d’incident/danger, comme le prévoyait le système de déclarations anonymes des risques mis en place par la demanderesse. Le 17 février 2011, un autre collègue de travail remit lui aussi une déclaration d’incident/danger.
[16] Le 17 février 2011, la demanderesse congédia le défendeur. La lettre de licenciement reproche au défendeur d’avoir, le 19 janvier 2011, percé dans le longeron d’un aéronef, des trous désalignés, une violation grave des règles de gestion de la sécurité. La lettre précise que l’incident était d’autant plus grave que le défendeur avait une expérience considérable du travail en question, et qu’il n’avait pas reconnu la gravité de son erreur. D’après la lettre, le défendeur avait déjà fait l’objet de plusieurs avertissements, tant par écrit que verbalement, concernant la qualité de son travail.
[17] Le 6 mai 2011, le défendeur a déposé auprès de Développement des ressources humaines Canada une plainte pour congédiement injuste, en application de la partie III du Code canadien du travail.
[18] Selon une ébauche de facture en date du 21 mars 2012, la demanderesse dut payer 10 666,73 $ pour corriger les dommages causés à l’aéronef (pièce 1, onglet 16).
[19] L’audience devant l’arbitre a eu lieu le 22 mars 2012.
IV. DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE JUDICIAIRE
[20] Dans sa décision en date du 24 avril 2012, l’arbitre a conclu que le défendeur avait effectivement fait l’objet d’un congédiement injuste. L’arbitre a rappelé que c’est à la demanderesse qu’il appartenait de démontrer que le congédiement avait eu lieu pour un motif valable, précisant qu’il faut entendre par motif valable une inconduite grave nettement incompatible avec les fonctions dont l’employé était expressément ou implicitement chargé, ainsi que le risque que le maintien de l’employé dans ses fonctions cause un préjudice à l’employeur.
[21] L’arbitre a estimé que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de prouver que le congédiement du défendeur était justifié. Il a admis l’argument de la demanderesse voulant que l’erreur en question ait été constitutive d’une inconduite grave pouvant éventuellement entraîner des conséquences catastrophiques, et que la responsabilité de cette erreur incombait au défendeur, car c’est lui qui avait le plus d’expérience. Il a précisé que le défendeur n’était pas chef d’équipe, et que, M. Rowe mis à part, son expérience était comparable à celle des autres employés. Il a également observé que, selon le rapport d’incident remis par M. Strain, deux trous seulement étaient mal alignés sur l’aile que le défendeur avait aidé M. Rowe à réparer, précisant que, selon presque tous les rapports, les dommages en question étaient « mineurs ». L’arbitre a conclu que la demanderesse tentait de rejeter la faute sur le défendeur au lieu d’assumer ses responsabilités puisqu’elle n’avait pas surveillé comme elle aurait dû le travail de M. Rowe.
[22] S’agissant des dommages-intérêts, l’arbitre a rappelé que l’indemnité que peut accorder un arbitre ne se limite pas à celle qui peut être réclamée en vertu de la common law, se basant pour cela sur l’arrêt Alberta Wheat Pool c Konevsky, [1990] A.C.F. no 877. L’arbitre a relevé les dates auxquelles le défendeur a réussi à obtenir du travail à forfait, et les congés qu’il a dû demander au cours de cette période de travail. Il a souligné également que le défendeur avait suivi un programme d’apprentissage pour se recycler dans le métier de soudeur. Il a également précisé que le défendeur avait, pour augmenter son revenu, effectué des heures supplémentaires, son revenu annuel devenant alors presque égal à celui qu’il aurait touché en travaillant pour la demanderesse. L’arbitre a constaté que le défendeur était resté environ 21 jours sans travail, notant également une différence au niveau de sa rémunération horaire. Il a accordé au défendeur trois mois de salaire, soit 17 556 $ moins les retenues légales, ainsi que 500 $ au titre des dépens.
V. LES ARGUMENTS DE LA DEMANDERESSE
[23] Selon la demanderesse, c’est à tort que l’arbitre n’a pas analysé le comportement du défendeur en tenant compte du contexte et du principe de la proportionnalité conformément à l’arrêt McKinley c BC Tel, [2001] 2 R.C.S. 161, de la Cour suprême du Canada, c’est‑à‑dire en tenant compte de la nature et des circonstances de l’inconduite, et de la mesure dans laquelle cette inconduite pourrait se concilier avec la relation employeur‑employé.
[24] La demanderesse reproche ensuite à l’arbitre de ne pas avoir examiné l’inconduite du défendeur eu égard aux diverses mesures disciplinaires dont il avait auparavant fait l’objet. L’arbitre n’a fait référence qu’aux deux incidents où le défendeur s’était servi de son téléphone portable dans le hangar. Or, le défendeur avait fait l’objet d’autres mesures disciplinaires, y compris, en juin 2008, pour ne pas avoir terminé son travail à temps.
[25] Troisièmement, la demanderesse affirme que c’est à tort que l’arbitre n’a pas tenu compte du contexte que forment l’industrie du transport aérien et les directives strictes qui la régissent. Il invoque la décision Boeing Canada Technology Ltd. v National Automotive Aerospace, Transportation and General Workers Union of Canada, Local 2169 (2005), 145 L.A.C. (4th) 225, aux paragraphes 131 et 143, affaire dans laquelle a été jugé injustifié le congédiement d’un employé qui avait endommagé un panneau de plancher et tenté de dissimuler les dommages.
[26] La demanderesse fait valoir en l’espèce que l’arbitre n’a pas traité de l’industrie du transport aérien, rappelant simplement que deux trous seulement étaient mal alignés et que presque toutes les formules de déclaration d’incident tenaient pour mineurs les dommages en question.
[27] Enfin, la demanderesse fait valoir que l’arbitre n’a pas pris en compte la malhonnêteté du défendeur. Selon elle, s’en tenant à l’arrêt McKinley, les tribunaux exigent qu’il soit tenu compte de la nature et du degré de malhonnêteté lorsqu’il s’agit de décider si celle‑ci peut se concilier avec le maintien de la relation employeur‑employé. L’arbitre a admis que c’est le défendeur qui avait percé les trous dans le longeron et qu’il avait aidé M. Rowe à percer des trous.
[28] La demanderesse soutient par ailleurs que c’est à tort que l’arbitre n’a pas déduit de l’indemnité accordée les sommes qu’a gagnées le défendeur, sommes qui ont atténué l’ampleur du préjudice subi. Selon elle, l’arbitre semble avoir fondé le montant de l’indemnité sur le fait que le salaire horaire touché par le défendeur comme soudeur était inférieur au salaire horaire qu’il touchait lorsqu’il travaillait pour la demanderesse, et sur le fait que le défendeur a atténué l’ampleur de ses pertes en effectuant des heures supplémentaires.
[29] La demanderesse soutient qu’il s’agit d’une erreur, car selon la jurisprudence, un employé doit être indemnisé des pertes effectivement subies, alors que le défendeur n’a en l’occurrence pas subi de pertes. D’après elle, le fait de ne pas avoir déduit le revenu perçu après le congédiement va à l’encontre des dispositions du Code canadien du travail, dont l’objet n’est pas de faire réaliser un gain inattendu à un employé qui s’est trouvé un travail mieux rémunéré. Elle invoque, à l’appui de son argument, la décision Première nation de Wolf Lake c Young (1997), 130 F.T.R. 115, au paragraphe 52.
VI. DISCUSSION ET DÉCISION
[30] La demanderesse conteste à la fois le fait que l’arbitre ait conclu à un congédiement injuste et l’indemnité accordée au défendeur, en l’occurrence trois mois de salaire et la somme de 500 $ au titre des dépens. La conclusion de congédiement injuste est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle judiciaire selon la norme du caractère raisonnable de la décision : voir l’arrêt Payne c Banque de Montréal (2013), 443 N.R. 253, au paragraphe 32. La question de la réparation accordée est elle aussi susceptible de contrôle judiciaire selon la norme du caractère raisonnable de la décision; voir Payne, précité, au paragraphe 34.
[31] À mon avis, la conclusion de l’arbitre quant au congédiement injuste du défendeur est raisonnable compte tenu des preuves produites. La demanderesse fait essentiellement valoir que l’arbitre n’a tenu aucun compte du contexte dans lequel est survenu le congédiement du défendeur, et notamment de ses antécédents disciplinaires, de l’expérience qu’il avait par rapport à celle de M. Rowe, et des normes de sécurité en vigueur dans l’industrie du transport aérien.
[32] J’estime que la décision en question et le contenu du recueil des pièces montrent bien que l’arbitre n’a pas ignoré ces éléments de preuve. L’arbitre s’est, de manière précise, référé à l’argument de la demanderesse concernant les conséquences graves qu’aurait éventuellement pu avoir l’erreur en question, ainsi qu’à l’argument selon lequel, compte tenu de sa plus longue expérience, le défendeur aurait dû agir différemment. Il a également évoqué les antécédents disciplinaires du défendeur, même s’il n’a pas parlé de l’incident de décembre 2009.
[33] L’arbitre s’est également livré à une analyse raisonnable et contextuelle de l’inconduite alléguée. D’après les éléments de preuve dont disposait l’arbitre, le défendeur a été congédié pour avoir percé les trous en question. Je constate à la lecture de la décision de l’arbitre, que celui‑ci a admis que M. Rowe avait reconnu avoir lui‑même percé les trous et que le défendeur n’avait fait que tenir la perceuse en place. L’arbitre a, raisonnablement et à juste titre, souligné que tous les rapports d’incident, sauf un, tenaient les dommages en question pour « mineurs ». Ces rapports précisaient par ailleurs que le travail avait été effectué dans un délai serré.
[34] La demanderesse affirme par ailleurs que l’arbitre n’a pas pris en compte la malhonnêteté du défendeur. J’estime, cependant, que l’argument n’est pas fondé. Le recueil des pièces ne contient rien qui tende à démontrer que le défendeur n’aurait pas admis sa faute. L’arbitre semble avoir reconnu que l’inconduite alléguée avait bien eu lieu dans le contexte de l’industrie du transport aérien. Le fait qu’il n’ait pas donné davantage d’explications concernant ce fait n’a pas pour effet de rendre sa décision déraisonnable. La décision en question répond au critère du « caractère raisonnable », car elle est transparente et se justifie au regard des preuves produites; voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47.
[35] L’arbitre a raisonnablement conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de démontrer que le renvoi du défendeur était justifié.
[36] Quant à la question de la réparation, elle est aussi susceptible de contrôle judiciaire selon la norme du caractère raisonnable au regard des dispositions du Code.
[37] Les pouvoirs de réparation de l’arbitre sont en l’espèce régis par le paragraphe 242(4) du Code canadien du travail. L’alinéa 242(4)a) autorise un arbitre à rendre une ordonnance enjoignant à l’employeur de payer au plaignant une indemnité équivalant au salaire qu’il aurait normalement gagné au cours de la période visée par le préavis. Selon l’alinéa 242(4)c), l’arbitre peut « prendre toute autre mesure qu’il juge équitable de lui [l’employeur] imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier ». La jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale insiste sur le fait que les arbitres possèdent de larges pouvoirs réparateurs qui leur permettent de « dédommager pleinement » l’employé injustement congédié; voir les arrêts Murphy c Canada (Arbitre désigné en vertu du Code du travail), 164 N.R. 150, et Chalifoux c Première nation de Driftpile (2002), 237 F.T.R. 142.
[38] La Cour fédérale a également jugé qu’il convient de distinguer entre les dommages-intérêts pour congédiement injuste et l’indemnité pour le temps que l’employé aurait normalement travaillé. La protection contre les congédiements sans motif valable repose sur le principe voulant que, d’après le Code, toute personne injustement licenciée doive être indemnisée, même si elle a reçu une indemnité de départ.
[39] Dans le jugement Redlon Agencies Ltd. c Norgren, 2005 CF 804, au paragraphe 38, le juge O’Keefe fait une distinction entre l’attribution de dommages‑intérêts et le versement d’une indemnité de départ, adoptant en cela le raisonnement de l’arbitre J.M. Gordon dans la décision Goodwin c Conair Aviation Limited, [2002] C.L.A.D. no 602 (QL) :
38 Il est clair que la demanderesse place sur le même pied l’attribution de dommages‑intérêts et le versement d’une indemnité de départ. Je ne suis pas d’accord avec la demanderesse. Pour expliquer ma position, j’adopterai et j’appliquerai à l’instance le raisonnement de l’arbitre J.M. Gordon dans Goodwin c. Conair Aviation Limited, [2002] C.L.A.D. Nº 602 (QL), en ce qui concerne les relations entre les dispositions du Code sur le congédiement et le congédiement injuste :
[…]
31. […] Comme je l’ai déjà souligné, j’estime que le raisonnement de la Cour fédérale et des arbitres cités par le plaignant sont conformes à l’objet de cette partie du Code et à l’intention du Parlement exprimés dans la formulation du Code. Dans MacDonald ‑and‑ Northern Thunderbird Air Ltd., [1995] C.L.A.D. Nº 551, l’arbitre a rejeté l’argument de l’employeur selon lequel il pouvait congédier un employé sans donner de motifs simplement en versant une indemnité de départ suffisante pour que le seul recours de l’employé soit d’intenter une action au civil. L’arbitre a rejeté cet argument dans les termes suivants :
Si un employeur congédie un employé et lui verse une indemnité de départ sans motiver le congédiement, l’employé ne perd pas pour autant le droit de soutenir qu’il a été congédié injustement. Si c’était le cas, alors l’intention du Parlement exprimée à l’article 240 du Code, soit offrir un recours aux employés qui ont été congédiés injustement, serait contournée par les employeurs qui n’auraient qu’à verser l’indemnité de départ prévue par l’article 235 :
Si le Parlement avait voulu limiter les plaintes de congédiement injuste aux personnes congédiées auxquelles on justifie le congédiement, il l’aurait énoncé clairement à l’article 240 et aurait soumis l’application de l’article 240 à celle de l’article 235 (page 2).
[40] Un raisonnement analogue a récemment été suivi par le juge O’Reilly dans le jugement Énergie atomique du Canada Ltée c Wilson, 2013 CF 733 au paragraphe 37. Les réparations pouvant être accordées en vertu des dispositions du Code canadien du travail a été évoquée ainsi par le juge Nadon dans Première nation de Wolf Lake c Young (1997), 130 F.T.R 115, au paragraphe 53 :
L’arbitre qui accorde des dommages‑intérêts pour congédiement injuste peut en fixer le montant. Ces dommages‑intérêts visent à indemniser l’employé des dommages que lui a effectivement causés son congédiement. Bien qu’il puisse exercer un certain pouvoir discrétionnaire en fixant le montant des dommages‑intérêts, l’arbitre commet une erreur lorsqu’il en limite le montant au montant de l’indemnité de départ à laquelle l’employé aurait droit en vertu de l’article 235 ou de la common law, si son congédiement avait été justifié.
[41] Le juge Nadon s’est fondé sur l’arrêt Alberta Wheat Pool. Dans son ouvrage The Law of Dismissal in Canada, 3e éd. à feuilles mobiles (consulté le 26 juillet 2013), Toronto : Canada Law Book, 2003), ch. 2, aux pages 125 et 126, Howard Levitt souligne que, dans le contexte du Code canadien du travail, [traduction] « dans la plupart des cas de congédiement injuste, les dommages‑intérêts tenant lieu de préavis raisonnable constituent une indemnité suffisante lorsque la réintégration n’est pas demandée ou n’est pas indiquée ». Il rappelle que l’octroi de dommages‑intérêts a pour but de remettre la partie lésée dans une situation qui serait autant que possible celle dans laquelle elle se serait trouvée si le contrat avait été respecté.
[42] L’arbitre a abordé la question des dommages‑intérêts et a évoqué l’arrêt Alberta Wheat Pool au paragraphe 20 de sa sentence :
[traduction]
S’agissant de la question des dommages-intérêts tenant lieu de préavis, le juge Iacobucci, alors juge en chef de la Cour d’appel fédérale, a fait observer ce qui suit dans l’arrêt [Alberta Wheat Pool c Konevsky,] [1990] J.C.F. no 877 : « Nous sommes également d’avis que l’alinéa 61.5(9)a) du Code canadien du travail […] ne peut être interprété [restrictivement] de manière à limiter l’indemnité qu’un arbitre peut accorder à un employé au montant qui pourrait être réclamé en application de la common law. »
[43] L’arbitre a ensuite évoqué de manière détaillée les efforts qu’a mis le défendeur après son congédiement pour se trouver du travail, précisant qu’il avait subi une baisse de salaire et s’était assuré un complément de revenu en faisant des heures supplémentaires. Il a ajouté que le défendeur avait été sans travail pendant à peu près 21 jours. Il a conclu en lui accordant la somme de 17 556 $, c’est‑à‑dire trois mois de salaire tenant lieu de préavis. La lecture des motifs de l’arbitre, pris dans leur ensemble, démontre que dans le calcul de cette indemnité, il s’est fondé sur l’arrêt Alberta Wheat Pool.
[44] Le défendeur travaillait depuis plus de quatre ans pour la demanderesse. Bien que la rémunération que lui procurait son nouvel emploi était, de prime abord, égale à celle qu’il aurait touchée si la demanderesse ne l’avait pas injustement congédié, le défendeur a dû, pour se procurer un revenu équivalent, effectuer davantage d’heures de travail, y compris des heures supplémentaires. Compte tenu de l’ensemble des circonstances et des principes juridiques applicables, l’indemnité accordée par l’arbitre était raisonnable.
[45] Il n’y a donc pas lieu pour la Cour d’intervenir, et la demande sera rejetée.
[46] Reste la question des dépens. Hormis son dépôt d’un avis de comparution, le défendeur n’a pas pris part à la présente instance. En matière de dépens, le paragraphe 400(1) confère à la Cour un pouvoir discrétionnaire complet et il dispose :
400. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer. |
400. (1) The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid. |
[47] Compte tenu des circonstances de la présente affaire et du fait que le défendeur n’a pas répondu de manière concrète à la présente demande, ne faisant que déposer un avis de comparution, en vertu de mon pouvoir discrétionnaire, je n’adjugerai aucuns dépens.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et, en vertu de mon pouvoir discrétionnaire, je n’adjuge aucuns dépens.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑995‑12
INTITULÉ : AIR SPRAY (1967) LTD. c
MARK PAULSEN
LIEU DE L’AUDIENCE : Edmonton (Alberta)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 11 avril 2013
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LA JUGE HENEGHAN
DATE DES MOTIFS : Le 10 octobre 2013
COMPARUTIONS :
Walter J. Pavlic, c.r.
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POUR la demanderesse
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Personne n’a comparu
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POUR LE défendeur (POUR SON PROPRE COMPTE)
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MacPherson Leslie & Tyerman LLP Edmonton (Alberta)
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POUR la demanderesse
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S/O
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POUR le défendeur (POUR SON PROPRE COMPTE)
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