Dossier :
T-161-13
Référence : 2013 CF 978
Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2013
En présence de madame la juge Gagné
ENTRE : |
HIBO NUR |
demanderesse |
et |
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
défendeur |
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
Aperçu
[1] À l’issue d’une enquête menée en vertu des articles 66 et 69 de la Loi sur l’Emploi dans la Fonction Publique, LC 2003, Ch 22, art 12 et 13 [la Loi], la Commission de la fonction publique [la Commission] a conclu que la demanderesse avait commis une fraude en soumettant un résultat d’Évaluation Langue Seconde [l’ÉLS] qu’elle savait invalide et que cette fraude avait vicié le processus de nomination externe ayant mené à sa nomination au poste de commis au soutien opérationnel, groupe et niveau CR-4, auprès de Travaux Publics et Services Gouvernementaux Canada [TPSGC]. La Commission a donc révoqué la nomination de la demanderesse et a imposé, pour une période de trois ans, certaines restrictions à toute nouvelle nomination au sein de la fonction publique fédérale.
[2] La demanderesse demande le contrôle judiciaire de cette décision aux motifs que la preuve administrée lors de l’enquête ne permet pas de conclure au caractère intentionnel des gestes reprochés, que les mesures correctives imposées sont déraisonnables dans les circonstances et que l’enquêteuse mandatée par la Commission a fait preuve de partialité et n’a pas respecté les principes de justice naturelle et d’équité procédurale.
Le contexte factuel
[3] Au cours des années 2006 et 2007, la demanderesse a passé un certain nombre de tests d’ÉLS administrés par la Commission, à la demande de différents ministères du gouvernement. Ces examens ont pour but d’évaluer les compétences linguistiques en langue seconde officielle d’un candidat pour l’interaction orale, la compréhension de l’écrit et l’expression écrite. Tenant compte que les résultats vont de « A » à « E », « A » étant la note la plus basse, voici ses résultats:
a. Le 7 février 2006, la demanderesse obtient un « A » à l’examen d’expression écrite passé à la demande de Statistique Canada;
b. Le 7 février 2006, elle obtient un « B » à l’examen de compréhension de l’écrit passé à la demande de Statistique Canada;
c. Le 16 mai 2007, elle obtient un « B » à l’examen d’expression écrite passé à la demande de Service correctionnel Canada;
d. Le 25 mai 2007, elle obtient un « B » à l’examen d’interaction orale passé à la demande de Service correctionnel Canada;
e. Le 14 novembre 2007, elle obtient un « B » à l’examen de compréhension de l’écrit passé à la demande de Transports Canada; et
f. Le 28 décembre 2007, elle obtient un « A » à l’examen d’interaction orale passé à la demande de Transports Canada.
[4] Dans un courriel daté du 31 décembre 2007, la demanderesse se montre surprise du résultat de l’examen d’interaction orale passé le 28 décembre 2007 et le 30 janvier 2008, elle en demande la relecture. Cette relecture est complétée le 8 février 2008 et le résultat demeure inchangé, la demanderesse obtient un « A ». Les 11 et 12 février 2008, ce résultat est communiqué à la demanderesse par courriel et par la poste respectivement.
[5] Au cours du mois d’avril 2007, TPSGC annonce un processus de nomination externe pour pourvoir à plusieurs postes de Commis au soutien administratif/Commis au soutien opérationnel. Le profil linguistique des postes à pourvoir exige un niveau B pour les trois compétences linguistiques, en langue seconde officielle.
[6] En janvier 2008, la demanderesse pose sa candidature à ce processus. Pour démontrer qu’elle répond aux exigences linguistiques requérant un niveau B pour chacune des compétences, elle informe TPSCG des résultats obtenus à certains tests d’ÉLS passés en 2007. Cependant, quant au résultat du test d’interaction orale, elle reçoit, le 29 janvier 2008, un courriel de Mme Diane Savard, gestionnaire en ressources humaines auprès de TPSGC, dont l’extrait pertinent mérite d’être cité :
« …il serait possible de vous offrir un poste temporaire d’ici à ce que vous obteniez le résultat de votre examen d’interaction orale.
Un poste temporaire (casual) comprend 90 jours de travail maximum par année calendrier, par ministère. Ce qui signifie que si vous ne rencontrez pas le profil linguistique du poste permanent (BBB) d’ici là, vous devrez quitter le poste (et le ministère) une fois les 90 jours épuisés… »
[7] Le lendemain, la demanderesse répond qu’elle est intéressée et prête à débuter le 25 février.
[8] Le 10 mars 2008, la demanderesse transmet à TPSCG des copies papier du résultat d’examen d’interaction orale du 25 mai 2007 et du résultat d’examen de l’expression écrite du 16 mai 2007 pour lesquels elle a obtenu un « B ». Le résultat pour la compréhension de l’écrit est envoyé à une date ultérieure. Elle ne transmet ni le résultat d’examen d’interaction orale du 28 décembre 2007, ni le résultat de la relecture qui lui confirme que sa note est un « A ». TPSCG, qui disposait de certains moyens pour le faire à l’époque, n’a pas vérifié les résultats des tests d’ÉLS de la demanderesse auprès de la Commission, n’ayant pas de motif particulier de douter de leur validité.
[9] Le 28 avril 2008, la demanderesse est nommée au poste de commis au soutien opérationnel, aux groupe et niveau CR-4, poste à temps plein et pour une durée indéterminée. La lettre d’offre précise que la demanderesse a droit à la prime au bilinguisme puisqu’elle occupe un poste qui exige la connaissance des deux langues officielles.
[10] En juillet 2010, la Direction des langues officielles de TPSCG procède à des vérifications concernant l’octroi de primes au bilinguisme. Dans le cadre de ces vérifications, TPSGC réalise qu’au moment où la demanderesse a été nommée, elle ne répondait pas aux exigences linguistiques du poste puisque l’interaction orale de la demanderesse avait été évaluée au niveau « A », quatre mois seulement avant sa nomination.
[11] La Commission est alors informée par la Direction générale des ressources humaines de TPSGC du fait que la demanderesse aurait intentionnellement omis de fournir le résultat le plus récent pour son évaluation en interaction orale et qu’elle ne posséderait pas toutes les exigences requises pour le poste occupé.
[12] La Commission mandate alors Mme Marie-Josée Blais [l’enquêteuse] pour procéder à une enquête en vertu des articles 66 et 69 de la Loi puisqu’elle a des motifs de croire que la nomination de la demanderesse ne serait pas fondée sur le mérite et que cette dernière aurait commis une fraude dans le cadre du processus de nomination externe ayant mené à sa nomination. La demanderesse est informée de l’enquête et des allégations de fraude qui pèsent contre elle.
[13] Le 5 juin 2012, l’enquêteuse soumet son rapport à la Commission, aux termes duquel elle recommande que la nomination de la demanderesse soit révoquée et que lui soit imposées, pour une période de trois ans, certaines restrictions à toute nouvelle nomination au sein de la fonction publique fédérale (recommandations qui ont été retenues par la Commission et dont le détail apparaît plus bas).
Décision contestée
[14] Le 20 décembre 2012, la présidente de la Commission, Anne-Marie Robinson, accepte le rapport d’enquête et conclut que la demanderesse a commis une fraude au sens de l’article 69 de la Loi en soumettant intentionnellement, à l’appui de sa candidature, le résultat au test d’interaction orale du 25 mai 2007, sachant que celui-ci n’était pas le résultat le plus récent et qu’il était par conséquent invalide.
[15] La notion de fraude n’étant pas définie dans la Loi aux fins de l’application de son article 69, l’enquêteuse a néanmoins retenu qu’il devait s’agir d’« un acte d’intention fait dans le but de tromper ». Or pour l’essentiel, l’enquêteuse n’a pas cru la version des faits de la demanderesse lorsqu’elle a prétendu ne pas s’être souvenue du résultat du test passé le 28 décembre 2007 au moment où elle a envoyé celui de mai 2007, ni comprendre ce que signifiait une relecture d’examen. L’enquêteuse a déterminé que la preuve soumise par TPSGC contredisait l’ensemble du témoignage de la demanderesse.
[16] Se fondant sur l’article 66 de la Loi, l’enquêteuse a également conclu que la nomination de la demanderesse n’était pas fondée sur le mérite puisqu’elle ne rencontrait pas l’une des compétences essentielles du poste, soit le profil linguistique de niveau B requis au niveau de l’interaction orale.
[17] Conformément à son autorité de prendre les mesures correctives qu’elle juge appropriées, la Commission a alors ordonné que :
g. la nomination soit révoquée;
h. pour une période de trois ans suivant la signature du rapport de décision, que Mme Nur obtienne la permission écrite de la Commission avant d’accepter tout poste ou emploi au sein de la fonction publique fédérale. Advenant que Mme Nur accepte un poste de durée déterminée, intérimaire ou indéterminée au sein de la fonction publique fédérale sans avoir préalablement obtenu une telle permission, sa nomination sera révoquée; et
i. pour une période de trois ans suivant la signature du rapport de décision, advenant que Mme Nur obtienne un emploi par le biais de l’emploi occasionnel, d’agence de placement temporaire ou de programmes étudiant au sein de la fonction publique fédérale sans avoir préalablement avisé la Commission, une lettre sera envoyée à l’administration générale l’informant de la fraude commise par Mme Nur avec une copie du rapport d’enquête.
Questions en litige et normes de contrôle
[18] Cette cause soulève les questions suivantes :
j. La décision et les mesures correctives imposées par la Commission sont-elles raisonnables?
k. L’enquêteuse a-t-elle respecté les règles de justice naturelle et d’équité procédurale?
[19] Entre l’émission du rapport d’enquête et la décision de la Commission dans le présent dossier, la Cour d’appel Fédérale a émis son arrêt dans l’affaire Seck c Canada (Procureur général), 2012 CAF 314 [Seck] et a défini le concept de la fraude énoncé à l’article 69 de la Loi. Elle a également établi que la portée de la compétence de la Commission pour mener une enquête et imposer des mesures correctives en vertu de l’article 69 de la Loi, dans la mesure où elle permet de délimiter cette compétence avec celle des administrateurs prévue au paragraphe 15(3) de la Loi, devait être révisée selon la norme de la décision correcte. À la différence du présent dossier, il s’agissait dans l’affaire Seck d’un processus de nomination interne.
[20] La première question soulevée en l’instance ne tombe pas sous le coup de cette norme pour deux raisons : i) il s’agit ici d’un processus de nomination externe pour lequel seule la Commission a compétence pour déterminer s’il y a eu seulement « conduite irrégulière » au sens de l’article 66 ou encore « fraude » au sens de l’article 69 de la Loi, bénéficiant dans les deux cas des pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la Loi sur les enquêtes (article 70 de la Loi) – il ne s’agit donc pas de délimiter la compétence de deux organismes administratifs ; et ii) la demanderesse n’attaque pas la définition que l’enquêteuse et la Commission ont donnée à la notion de fraude (conforme au demeurant à celle fournie dans Seck), mais bien l’application de cette définition aux faits de la présente cause. La première question sera donc révisée en appliquant la norme de la décision raisonnable.
[21] Pour ce qui est des questions relatives au respect des principes de justice naturelle et d’équité procédurale dans le cadre de l’enquête, elles seront contrôlées selon la norme de la décision correcte (voir Seck au para 55).
Analyse
a. La décision et les mesures correctives imposées par la Commission sont-elles raisonnables?
i. La décision est-elle raisonnable?
[22] La demanderesse prétend que la Commission ne pouvait raisonnablement conclure qu’elle avait commis une fraude au sens de l’article 69 de la Loi, l’enquête n’ayant pas démontré certains des éléments constitutifs d’une fraude.
[23] D’abord, la demanderesse affirme qu’elle ignorait devoir soumettre son résultat le plus récent, ce dernier invalidant tout résultat antérieur. Selon la preuve soumise, il s’agissait là d’une pratique au sein de la Commission plutôt que d’une règle formelle et cette pratique, bien qu’elle relève du « common sense » selon un psychologue de la Commission, était méconnue des fonctionnaires qui devaient l’appliquer. Ce n’est qu’en novembre 2007 (la preuve est vague sur la date exacte) que les fonctionnaires appelés à administrer les différents tests ont reçu la consigne d’informer les candidats que le résultat de tout nouveau test invalidait les résultats de tests antérieurs.
[24] De plus, s’appuyant sur la conclusion de l’enquêteuse à l’effet que TPSGC avait failli à son devoir en ne faisant aucune vérification de ses résultats auprès de la Commission, la demanderesse affirme que cette dernière est seule responsable de la confusion qui en a résulté.
[25] En somme, pour la demanderesse, l’enquête n’a pas pu démontrer qu’elle connaissait la pratique de la Commission ni qu’elle a intentionnellement présenté des résultats invalides au test d’interaction orale.
[26] S’il n’y avait dans la preuve que la confusion créée par le fait que la demanderesse ait dû passer les mêmes tests à la demande de différents ministères, dans un délai relativement rapproché, peut-être aurait-il été déraisonnable de conclure que la demanderesse a sciemment omis de fournir le résultat du dernier test d’interaction orale passé en décembre 2007, croyant qu’elle serait appelée à en passer un nouveau.
[27] Mais ce n’est pas le cas. Il était tout à fait raisonnable pour l’enquêteuse de ne pas croire la demanderesse lorsqu’elle a prétendu qu’en janvier 2008, elle ignorait le résultat du dernier test. La demanderesse a reçu ce résultat par courriel le 31 décembre, elle a répondu le même jour qu’elle était surprise et a demandé s’il était possible de contacter un représentant de la Commission pour en discuter. Cet échange de courriels est beaucoup trop contemporain pour que le témoignage de la demanderesse soit crédible.
[28] Plus encore, deux jours après avoir été informée qu’elle obtiendrait un poste temporaire en attendant qu’elle fournisse le résultat de son test d’interaction orale, elle a demandé la relecture de son test de décembre 2007. Elle a soumis le résultat de celui du mois de mai 2007 qu’après avoir été informée du résultat négatif de la relecture. La demanderesse a tenté de convaincre l’enquêteuse qu’elle ignorait ce qu’était une relecture et qu’en tout état de cause, elle n’aurait jamais été informée du résultat. La preuve documentaire contredit la demanderesse sur chacun de ces points. Le résultat de la relecture lui a été communiqué par courriel et courrier en février 2008.
[29] La séquence des évènements et l’attitude de la demanderesse ne sont pas compatibles avec l’intégrité et la transparence requises de candidats à un poste au sein de la fonction publique et il était raisonnable pour l’enquêteuse de conclure au caractère intentionnel des gestes de la demanderesse, sans égard à sa connaissance ou méconnaissance de quelque règle ou pratique que ce soit et sans égard à quelque négligence de la part de TPSGC. Il était également raisonnable de conclure que la demanderesse savait que si elle soumettait le résultat de son test le plus récent, sa nomination serait révoquée (elle en avait été informée le 29 janvier 2008), qu’elle a intentionnellement omis de fournir cette information et que cette omission a induit TPSGC en erreur. À la lumière de la preuve administrée par l’enquêteuse, sa conclusion et celle de la Commission à l’effet que la demanderesse a commis une fraude au sens de l’article 69 de la Loi est donc raisonnable. Aux fins de cette disposition, la dissimulation de faits importants peut constituer de la malhonnêteté sans qu’il soit nécessaire de démontrer la privation—il suffit d’établir que le processus de nomination est compromis ou aurait pu l’être (voir Seck, précité au para 41).
ii. Les mesures correctives imposées sont-elles raisonnables?
[30] Rappelons-nous que l’enquête dans le présent dossier a été menée à la fois en vertu de l’article 66 de la Loi – afin de déterminer si la nomination de la demanderesse était ou non fondée sur le mérite ou était plutôt le résultat d’une erreur, omission ou conduite irrégulière – et en vertu de l’article 69 de la Loi – afin de déterminer s’il y avait eu fraude dans le processus de nomination de la demanderesse. Or, bien que la demanderesse attaque l’ensemble de la décision de la Commission, ou des mesures correctives imposées, elle ne soulève aucun argument particulier à l’encontre de l’interprétation ou de l’application que l’enquêteuse et la Commission font de l’article 66 de la Loi. Une des deux conclusions de rapport d’enquête se lit comme suit :
« De plus, selon la preuve, la nomination de Mme Nur n’a pas été fondée sur le mérite car elle ne rencontrait pas une des qualifications essentielles du poste, soit un profil linguistique BBB dans sa langue seconde. La preuve démontre également que Travaux publics et Services gouvernementaux Canada a omis de vérifier les résultats d’ÉLS de Mme Nur au moment de son évaluation, et que cette omission a influé sur le choix de Mme Nur pour la nomination ».
[31] Non seulement la demanderesse ne conteste pas cette conclusion, mais elle invoque cette omission de la part de TPSGC en défense à l’allégation de fraude qui pèse contre elle.
[32] Bien que la Commission dit fonder son autorité de prendre des mesures correctives sur l’article 69 de la Loi, il n’en demeure pas moins qu’elle reconnaît que l’enquête a porté sur les articles 66 et 69 et elle accepte le rapport d’enquête dans son intégralité.
[33] Si le processus de nomination est vicié et que la nomination n’est pas fondée sur le mérite, la décision de la révoquer n’est pas une mesure disciplinaire et n’a pas à être proportionnelle à un quelconque acte fautif de la part de l’employé(e), la nomination étant nulle ab initio (Seck, précitée au para 50). Il ne s’agit pas, comme le prétend la demanderesse, d’un renvoi ou congédiement, sanction ultime en matière d’emploi.
[34] Cette mesure, qu’elle soit prise en vertu des articles 66 ou 69 de la Loi, est raisonnable dans les circonstances de la présente affaire.
[35] En ce qui concerne l’autre mesure imposée à la demanderesse, soit celle d’avoir, pour une période de trois ans, à demander la permission de la Commission avant d’accepter tout poste au sein de la fonction publique fédérale, quoiqu’elle puisse sembler sévère à la lumière du geste posé par la demanderesse – elle n’a pas soumis un faux résultat ou un document forgé, mais elle a plutôt tiré avantage d’une certaine confusion au sein de la Commission et des différents ministères concernés – elle l’est moins lorsque l’on considère l’attitude de la demanderesse pendant l’enquête et son manque de transparence à l’égard du processus. Quoi qu'il en soit, cette mesure est raisonnable et ne vise qu’à préserver le principe du mérite et de l’intégrité et la transparence dans le processus de nomination. Elle n’empêche pas la demanderesse de soumettre sa candidature dans le cadre d’un processus de nomination futur, elle n’est pas une mesure disciplinaire ni pénale et dans la mesure où la demanderesse respecte cette restriction, un tiers employeur ne devrait pas être informé du résultat du rapport d’enquête.
b. L’enquêteuse a-t-elle respecté les règles d’équité procédurale et de justice naturelle?
i. La demanderesse a-t-elle été informée de la nature et de l’étendue de l’enquête?
[36] La demanderesse allègue que l’enquêteuse ne s’est pas assurée qu’elle comprenne bien la teneur et l’ampleur de l’enquête. De plus, dit-elle, l’enquêteuse n’a pas offert d’accommodement linguistique afin que la représentante syndicale unilingue anglophone qui l’accompagnait comprenne l’intégralité de l’entrevue.
[37] La demanderesse a été informée, par lettre du 16 novembre 2011, de la nature de l’enquête et des allégations qui pesaient contre elle (voir la page 636 du dossier du défendeur). De plus, les notes de l’entrevue initiale démontrent manifestement que la demanderesse a exigé une entrevue en français, et que l’enquêteuse a remis l’entrevue à une date ultérieure pour permettre à la demanderesse de se faire accompagner par un représentant francophone. L’enquêteuse a fait preuve d’un accommodement suffisant envers la demanderesse.
[38] Ce moyen, soulevé par la demanderesse, est mal fondé.
ii. L’enquêteuse a-t-elle fait preuve de rigueur?
[39] La demanderesse reproche à l’enquêteuse de ne pas avoir obtenu la version des faits de Mme Diane Savard, avec qui elle a notamment eu l’échange de courriels du 29 janvier 2008. Sans avoir interrogé Diane Savard, dit-elle, l’enquêteuse ne « pouvait pas arriver à la conclusion que la demanderesse a intentionnellement donné des résultats invalides comme le dit le mandat de l’enquête entamée pour arriver à la conclusion que la demanderesse a commis une fraude ».
[40] Comme la majorité des échanges concernant les résultats de ses tests linguistiques ont eu lieu avec Johanne Galipeau plutôt qu’avec Diane Savard, l’enquêteuse n’avait pas besoin de communiquer avec cette dernière pour obtenir la version de l’employeur. Contrairement aux dires de la demanderesse, c’est à Johanne Galipeau qu’elle a transmis le résultat de son test d’interaction orale de mai 2007 et c’est Johanne Galipeau qui l’a informée qu’elle n’avait pas besoin de refaire les examens d’ÉLS. L’enquêteuse n’avait pas non plus à contacter Mme Savard pour valider si la demanderesse avait ou non intentionnellement présenté des résultats d’ÉLS invalides.
[41] L’enquêteuse a tout de même tenté de communiquer avec Diane Savard et elle lui a transmis un exemplaire du rapport pour obtenir ses commentaires. Mme Savard avait alors pris sa retraite et n’a fait aucun commentaire.
[42] Finalement, il s’agit d’un argument tardif puisque la demanderesse ne l’a pas soulevé lors de son entrevue avec l’enquêteuse, ni même dans le cadre de l’enquête.
[43] Selon la décision de cette Cour dans Bilodeau c Canada (Justice), 2011 CF 886 au para 90, l’obligation « de tenir une enquête rigoureuse ne signifie pas que l’enquêteur est obligé de retourner chaque pierre possible. La Cour n’interviendra que si l’enquêteur omet d’examiner des éléments de preuve cruciaux, compte tenu de la nature de la demande et de l’information déjà disponible. »
[44] En somme, l’enquêteuse a fait preuve de rigueur et a effectué une enquête suffisamment approfondie.
iii. Y a-t-il matière à crainte raisonnable de partialité?
[45] La demanderesse allègue que l’enquêteuse a fait preuve de partialité en refusant de tenir compte du fait que « la politique à laquelle elle se réfère pour accuser la demanderesse de fraude était même ignorée des fonctionnaires eux-mêmes et à plus forte raison la demanderesse qui n’est qu’une simple commis ».
[46] Dans l’affaire Bande indienne Wewaykum c Canada, 2003 CSC 45 au para 45 [Bande indienne Wewaykum], la Cour suprême du Canada énonce que « la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet ». Elle ajoute au para 58 de son arrêt que « l’essence de l’impartialité est l’obligation d’aborder avec un esprit ouvert l’affaire [que le décideur] doit trancher ». Finalement, un décideur est présumé agir de façon impartiale (Bande indienne Wewaykum aux paras 76 et 77).
[47] Dans les circonstances de la présente affaire, une personne raisonnable ne conclurait pas à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. Le seul fait de n’avoir pas retenu la version des faits de la demanderesse ne permet pas de conclure automatiquement à une crainte raisonnable de partialité.
Conclusion
[48] À la lumière des motifs énoncés ci-dessus, la Cour est d’opinion que son intervention n’est pas requise et que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. l’intitulé de la cause est modifié pour retirer le Ministère de la Justice comme défendeur;
2. la demande de contrôle judiciaire est rejetée; et
3. les dépens sont accordés en faveur du défendeur.
« Jocelyne Gagné »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-161-13
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INTITULÉ : |
HIBO NUR c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE :
LE 9 septembre 2013
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :
LA JUGE GAGNÉ
DATE DES MOTIFS :
LE 26 SEPTEMBRE 2013
COMPARUTIONS :
Dr. Séverin Ndema-Moussa
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Pour la demanderesse
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Me Marie-Josée Montreuil
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
NDEMA-MOUSSA LAW OFFICE Ottawa (Ontario)
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Pour la demanderesse
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William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario)
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Pour le défendeur
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