[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 5 septembre 2013
En présence de monsieur le juge O’Reilly
ENTRE :
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ET DE L’IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Aperçu
[1] En 2011, Mme Lavena Govenda Raju a demandé l’asile au Canada parce qu’elle craint d’être persécutée en Malaisie en raison de son origine ethnique ou de sa religion. Mme Raju et son époux, monsieur Valmurugan Arumgam, sont des hindous d’origine indienne; la Malaisie est majoritairement musulmane.
[2] Mme Raju prétend avoir été persécutée par la famille d’une femme musulmane du nom de Faridah, avec laquelle son époux a eu une relation avant leur mariage en 2005. La famille de Faridah a insisté pour que M. Arumugam se convertisse à l’Islam avant d’épouser cette dernière. Lorsqu’il a refusé, M. Arumugam a été menacé et battu par le frère de Faridah. Il s’est enfui au Canada et il a présenté une demande d’asile, qui a été refusée, puis il est retourné en Malaisie en 2004.
[3] Après que Mme Raju et M. Arumugam se soient mariés en 2005, Faridah s’est suicidée et son frère a tenu M. Arumugam responsable de sa mort. En 2007, un groupe d’hommes malais sont entrés chez par effraction chez Mme Raju et M. Arumugan, ils ont saccagé leur maison et les ont agressés. Mme Raju a fait une fausse couche à la suite des blessures qu’elle a subies. Ils ont signalé l’incident à la police.
[4] En 2009, le frère de Faridah a agressé M. Arumugam et l’a grièvement blessé. Encore une fois, la police a été avisée.
[5] Un an plus tard, Mme Raju a été enlevée et a été violée par le frère de Faridah. Elle a ensuite tenté de se suicider, mais elle a survécu. La police a de nouveau été appelée, mais elle n’a rien fait.
[6] Mme Raju s’est enfuie de la Malaisie en 2011 et elle a demandé l’asile au Canada.
[7] Un tribunal de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés a rejeté la demande de Mme Raju en concluant qu’elle pouvait se prévaloir de la protection de l’État en Malaisie. Bien qu’elle ait tenté, en vain, d’obtenir la protection de la police, la Commission a conclu qu’elle aurait dû faire part de ses préoccupations à des instances supérieures et à d’autres organismes. De plus, la Malaisie tente de favoriser la progression vers l’égalité de sa population minoritaire. La preuve documentaire a révélé que les autorités offrent d’une manière générale de la protection aux minorités.
[8] Mme Raju prétend que la Commission a conclu de manière déraisonnable qu’elle pourrait obtenir la protection de l’État en Malaisie. Elle prétend notamment que la Commission n’a pas tenu compte d’une preuve documentaire démontrant que les Hindous sont victimes de discrimination raciale et religieuse en Malaisie. Cette preuve correspond à ce qu’elle a vécu – elle et son mari ont signalé trois actes criminels distincts, mais la police n’a apparemment rien fait. De plus, la Commission n’a pas compris que Mme Raju se sentait honteuse d’avoir été violée et que, pour cette raison, elle ne s’était pas prévalue d’autres recours. Mme Raju me demande d'annuler la décision de la Commission et d'ordonner qu'un tribunal différemment constitué réexamine sa demande.
[9] Je conviens que l’analyse faite par la Commission de la protection de l’État était déraisonnable. Mme Raju a tenté à maintes reprises d’obtenir la protection de la police, mais elle ne l’a pas obtenue. Selon les Directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe, auxquelles la Commission a renvoyé explicitement, il ne faut pas s’attendre à ce que les victimes d’agression sexuelle aient recours à d’autres organismes. Par conséquent, compte tenu de la situation particulière de Mme Raju, la conclusion de la Commission selon laquelle elle pouvait se prévaloir de la protection de l’État n’était pas une conclusion justifiable compte tenu des faits et du droit. En conséquence, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.
[10] La seule question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si la conclusion tirée par la Commission au sujet de la protection de l'État était déraisonnable.
II. La décision de la Commission
[11] La Commission a reconnu que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe s’appliquaient à la demande de Mme Raju et elle avait l’intention de les prendre en compte en analysant la situation personnelle de cette dernière.
[12] La Commission a souligné que, même si Mme Raju n’a pas obtenu la protection de la police, elle aurait pu faire part de ses préoccupations à des instances supérieures et à d’autres organismes. De toute façon, les rapports de police que Mme Raju a soumis à la Commission contenaient de brèves descriptions de ses allégations, ce qui donnait à penser qu’elle avait donné peu de détails à la police à propos des actes criminels qui auraient été commis.
[13] De plus, selon la preuve documentaire, la Malaisie entreprend des démarches sérieuses visant à favoriser l’égalité, à assurer la protection de ses citoyens et à régler les problèmes de corruption au sein de la police. Le viol est punissable d’un emprisonnement maximal de 30 ans; toutefois, de nombreuses victimes hésitent à signaler les crimes de nature sexuelle parce que les forces policières, composées en majorité d’hommes, font preuve de peu de compassion envers elles.
[14] Mme Raju a elle-même reconnu que la police a répondu rapidement à une plainte déposée par sa mère en 2005. La mère de Mme Raju, qui n’approuvait pas son mariage avec M. Arumugam, a dit à la police que sa fille avait été enlevée. La police a arrêté M. Arumugam, mais l’a remis en liberté lorsqu’il lui a montré leur certificat de mariage.
[15] Enfin, la Commission a souligné que la persécution dont Mme Raju a été victime a surtout eu lieu dans la région de Sengai Petani. Les incidents qui se sont produits ailleurs ont eu lieu alors que Mme Raju et son mari se faisaient suivre par les persécuteurs pendant qu’ils se rendaient à Sengai Petani ou qu’ils en revenaient. La Commission a estimé que les persécuteurs ne disposaient probablement pas des moyens ou n’avaient probablement pas la volonté de pourchasser Mme Raju dans d’autres parties de la Malaisie.
III. La conclusion de la Commission concernant la protection de l’État était-elle déraisonnable?
[16] Le ministre prétend qu’il incombait à Mme Raju de s’adresser à des instances supérieures ou à des organismes non étatiques, y compris des organisations musulmanes, surtout dans un pays comme la Malaisie, qui est doté d’institutions démocratiques. Le fait que Mme Raju ait pu éprouver de la honte ou craignait d’être victime de discrimination ne permet pas de conclure qu’il y avait absence de protection de l’État. La preuve documentaire ne corrobore pas son allégation selon laquelle la protection de l’État n’est pas offerte à la minorité hindoue.
[17] Selon moi, la Commission a imposé un fardeau trop lourd à Mme Raju.
[18] Il ressort clairement de la preuve que Mme Raju a bel et bien tenté, à trois reprises, d’obtenir la protection de la police. Bien que la Commission ait accordé peu de valeur aux rapports de police parce qu’ils ne comportaient pas suffisamment de détails, leur concision était peut-être un indice que la police ne s’intéressait pas à l’affaire.
[19] De plus, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, sur lesquelles la Commission a prétendu se fonder, indiquent clairement que, si, au départ, la police refuse d'accorder aux victimes de violence sexuelle sa protection, celles-ci ne sont pas tenues de s'adresser à des organismes non étatiques. Les Directives prévoient notamment ce qui suit :
En outre, que la revendicatrice ait ou non cherché à obtenir la protection de groupes non gouvernementaux ne doit avoir aucune incidence sur l'évaluation de la protection qu'offre l'État (partie C.2).
[20] De plus, bien que la Commission ait souligné que Mme Raju hésitait à s’adresser à d’autres instances que la police, elle a une fois de plus omis de tenir compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Les Directives mentionnent que la Commission doit tenir compte du « contexte social, culturel, religieux et économique dans lequel se trouve la revendicatrice » (C.2) lorsqu’il évalue si elle a fait des efforts raisonnables en vue d’obtenir la protection. La Commission ne l’a pas fait en l’espèce.
[21]
Enfin,
on ne sait trop quelle aide Mme Raju, une hindoue, pourrait obtenir de la
part d’organisations musulmanes, dont le rôle consiste à appliquer la Charia.
[22] Bien que la Commission ait donné d’autres motifs justifiant sa conclusion, le fait que Mme Raju n’ait pas sollicité l’aide d’autres organismes est particulièrement souligné dans l’analyse de la Commission. On ne sait trop si l’issue aurait été le même si la Commission avait appliqué les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.
[23]
Je
fais remarquer que l’objection de l’avocate du ministre selon laquelle les arguments
relatifs aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne
figuraient pas dans le mémoire des faits et du droit de Mme Raju. L’avocate
m’a demandé avec insistance de ne pas les examiner. Selon moi, il s’agit d’un
cas où, compte tenu des faits et des motifs de la Commission, il était
manifeste que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe
s’appliquaient. Le contenu des directives est bien connu. L’avocate n’a pas
invoqué de préjudice et n’a pas demandé qu’on lui donne la possibilité de
déposer des observations additionnelles. Par conséquent, dans les circonstances,
j’ai tenu compte des observations faites de vive voix par Mme Raju.
[24] En résumé, étant donné que la Commission n’a pas tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, lesquelles étaient applicables, dans son analyse, sa conclusion ne constitue pas une issue acceptable au vu des faits et du droit.
IV. Conclusion et décision
[25]
En
décidant de rejeter la demande de Mme Raju, la Commission a jugé important
que celle‑ci ne se soit pas adressée à des instances autres que la police.
Toutefois, la Commission n’a pas renvoyé aux parties des Directives concernant
la persécution fondée sur le sexe qui dispensent les victimes d’agression
sexuelle de cette obligation et qui exhortent les décideurs à tenir compte de
la situation personnelle de la revendicatrice. La Commission n’a pas expliqué
pourquoi ces dispositions ne devraient pas s’appliquer à Mme Raju. Par
conséquent, je conclus que la conclusion de la Commission était déraisonnable
et je dois accueillir la demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a
proposé de question de portée générale à certifier et aucune n’est certifiée.
JUGEMENT
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie;
2. L'affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour nouvelle décision.
3. Aucune question de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-13158-12
INTITULÉ : LAVENA GOVENDA RAJU
c
MCI
LIEU DE L’AUDIENCE : CALGARY (ALBERTA)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 17 juillet 2013
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 5 septembre 2013
COMPARUTIONS :
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Anna Kuranicheva |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocat
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William F. Pentney Sous-procureur général Edmonton (Alberta) |
POUR LE DÉFENDEUR
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