Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 


Date : 20130827

Dossier : IMM-7819-12

Référence : 2013 CF 903

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 août 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

DESALYN ANASTASIA BEGGS ET SHARRI ALISHA ASHA WILLIAMS

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demanderesses souhaitent obtenir l’annulation de la décision par laquelle a été rejetée la demande de résidence permanente qu’elles avaient présentée depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Les demanderesses veulent être dispensées de l’habituelle obligation, prévue au paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), de présenter leur demande de visa de résidence permanente depuis l’étranger.

 

[2]               J’ai conclu que la présente demande de contrôle judiciaire devait être rejetée.

 

[3]               La demanderesse principale est une citoyenne de la Grenade arrivée au Canada à titre de visiteuse en 1999. Sa fille, Sharri, l’a rejointe en 2004. La demanderesse a fourni des éléments de preuve sur son établissement au Canada, notamment sur son emploi et ses activités bénévoles. Elle explique que rien ne l’attend à la Grenade, n’ayant ni biens ni parents proches là‑bas. Elle explique aussi que l’ouragan de 2004 avait provoqué d’importants bouleversements économiques et sociaux, qui réduisaient de beaucoup ses perspectives d’emploi.

 

[4]               Conformément au paragraphe 25(1) de la LIPR, l’agent d’immigration a évalué si le fait d’avoir à présenter une demande de résidence permanente depuis l’étranger constituait une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive. La demanderesse devait à cette fin établir l’existence d’une difficulté autre que les conséquences habituelles qui découlent du fait d’avoir à quitter le Canada après y avoir passé un certain temps : Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1906, au paragraphe 12. Les décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité : arrêt Kisana c Canada (MCI), 2009 CAF 189, au paragraphe 18. Une question d’équité procédurale, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, est également soulevée.

 

Équité procédurale

 

[5]               L’agent a consulté des rapports produits par le Département d’État des États‑Unis, la Banque mondiale et le gouvernement de la Grenade, et une réponse à une demande d’information donnée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

 

[6]               Les demanderesses soutiennent que l’agent a manqué à l’équité procédurale en se fondant sur une preuve extrinsèque sans leur offrir l’occasion d’y répondre. Cet argument m’apparaît mal fondé.

 

[7]               L’agent n’est pas tenu de communiquer les documents du domaine public, sauf s’ils contiennent des renseignements nouveaux ou font état de changements survenus dans la situation du pays qui risquent d’avoir une incidence sur la décision : Mancia c Canada (MCI)[1998] 3 CF 461 (CA), aux paragraphes 26 et 27. Bien que l’arrêt Mancia concernait une évaluation des risques, le principe s’applique également aux décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire : Jiang c Canada (MCI), 2010 CF 580, aux paragraphes 29 et 30; Hernandez c Canada (MCI), 2011 CF 1301, au paragraphe 16. Comme le juge Michel Beaudry l’a expliqué dans la décision Jiminez c Canada (MCI), 2010 CF 1078, au paragraphe 19, bien que les demanderesses n’aient peut-être pas lu les rapports particuliers dont il est question, l’information qu’ils contiennent est largement accessible, et les demanderesses auraient pu la trouver facilement.

 

[8]               Si l’agent s’était fondé sur un élément de preuve extrinsèque pour réfuter une allégation particulière ou un volet de la preuve présentée par les demanderesses, comme c’était le cas dans l’affaire Mark c Canada (MCI), 2009 CF 364, l’équité procédurale aurait pu commander la communication de cet élément. Ce n’est pas le cas en l’espèce. Les documents en question contiennent des renseignements non controversés sur la situation générale du pays, entre autres sur le système d’éducation, le gouvernement et l’économie. La preuve permettait simplement à l’agent de faire son analyse en contexte. Par conséquent, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

 

Intérêt supérieur de l’enfant

 

[9]               Les demanderesses soutiennent que l’agent a commis une erreur en n’adoptant pas l’approche définie par le juge James Russell dans la décision Williams c Canada (MCI), 2012 CF 166. Le juge Russell a établi que l’agent doit d’abord déterminer ce en quoi réside l’intérêt supérieur de l’enfant, puis évaluer dans quelle mesure cet intérêt est compromis par une décision plutôt qu’une autre. Dans la décision Williams, l’agent avait appliqué le mauvais critère, c’est‑à‑dire qu’il s’était demandé si l’enfant subirait des difficultés disproportionnées ou injustifiées. Ce concept ne s’applique pas aux enfants, qui méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés. Par conséquent, le juge Russell a estimé qu’il devait établir un cadre détaillé qui serait utilisé en cas de nouvel examen.

 

[10]           La décision Williams apporte un éclairage utile, mais ne saurait être hissée au rang de formule obligatoire. Le fond de l’analyse de l’agent doit l’emporter sur la forme : Ye c Canada (MCI), 2012 CF 1072; Webb c Canada (MCI), 2012 CF 1060. De plus, dans l’arrêt Hawthorne c Canada (MCI), 2002 CAF 475, la Cour d’appel a statué que l’agent est réputé savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités, et que l’intérêt supérieur de l’enfant penchera généralement en faveur du non‑renvoi.

 

[11]           La question essentielle est celle de savoir si l’agent s’est montré réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant : arrêt Baker c Canada (MCI), [1999] 2 RCS 817. La demanderesse n’a fourni qu’une preuve très mince sur ce point, se contentant d’affirmer que le Canada offre de meilleurs soins de santé et une meilleure éducation que la Grenade. L’agent a tenu compte de ces considérations et a examiné la réussite scolaire de Sharri ainsi que son engagement dans la collectivité. La demanderesse n’a signalé aucun facteur qui aurait été ignoré ou déraisonnablement minimisé. Les demanderesses souhaitent une issue différente, et bien qu’une issue différente puisse être raisonnable compte tenu des faits, il ne s’ensuit pas pour autant que la conclusion de l’agent était déraisonnable.

 

Degré d’établissement

[12]           L’agent a apprécié le degré d’établissement des demanderesses au Canada, y compris l’emploi, le bénévolat et l’engagement dans la collectivité de la demanderesse principale. L’agent a conclu que le degré d’établissement était normal et prévisible, et qu’il ne justifiait donc pas que soit accordée une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. J’estime que cette évaluation est raisonnable. Le fait d’avoir à quitter le Canada après tant d’années constitue assurément une difficulté, mais l’agent n’a pas le pouvoir d’éliminer toutes les difficultés : il peut seulement supprimer celles qui sont inhabituelles, excessives ou injustifiées.

 

[13]           Les demanderesses soutiennent que l’agent a commis une erreur en faisant remarquer qu’elles étaient sciemment demeurées au Canada sans statut. Le séjour d’un demandeur au Canada, sauf s’il est inhabituel et ne procède pas d’un choix, est un facteur habituellement neutre, dans le meilleur des cas : décision Shallow c Canada (MCI), 2012 CF 749, au paragraphe 9. Pour quelle autre raison, normalement, une dispense pour motifs d’ordre humanitaire serait-elle demandée?

 

[14]           Comme il y aurait eu apparemment des retards considérables dans le traitement de la présente demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, les demanderesses ne doivent pas être blâmées pour avoir fait leur vie en attendant la décision. Toutefois, l’agent ne semble pas avoir fait abstraction de leur degré d’établissement simplement parce qu’elles se trouvaient au Canada sans statut. Il a plutôt conclu que leur degré d’établissement n’avait rien d’exceptionnel. Cette conclusion est raisonnable et cadre parfaitement avec l’orientation donnée par la Cour dans la décision Shallow.

 

Risques à la Grenade

 

[15]           Dans sa demande initiale, la demanderesse principale a expliqué qu’elle avait été maltraitée par son ex‑petit ami. Elle alléguait également que sa fille et elle se retrouveraient sans abri à la Grenade et que le pays avait un piètre système de santé. Les demanderesses affirment que l’agent a appliqué le mauvais critère juridique en se demandant seulement si elles seraient exposées à de la discrimination, et non à des risques, à la Grenade.

 

[16]           Je ne suis pas d’accord. L’agent a dégagé les allégations de la demanderesse principale et a examiné les points préoccupants en se fondant sur la maigre preuve présentée et sur la situation dans le pays. L’agent a conclu que la preuve ne corroborait pas l’allégation selon laquelle la demanderesse principale serait exposée, dans son pays d’origine, à des risques qui entraîneraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Il s’agit du bon critère.

 

[17]           En ce qui concerne l’économie et la possibilité que les demanderesses se retrouvent sans abri, l’agent a raisonnablement déterminé que le retour dans un pays moins prospère que le Canada est une conséquence habituelle du renvoi. L’agent a aussi constaté que les établissements de soins de santé de la Grenade avaient été remis dans l’état où ils se trouvaient avant l’ouragan. Cette analyse répond aux préoccupations des demanderesses, et la conclusion de l’agent appartient aux issues raisonnables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7819-12

 

INTITULÉ :                                      DESALYN ANASTASIA BEGGS ET SHARRI ALISHA ASHA WILLIAMS c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 juin 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 août 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Wazana

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Kevin Doyle

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Richard Wazana
Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.