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Date : 20130725

Dossier : IMM-11255-12

Référence : 2013 CF 816

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Boivin

 

 

ENTRE :

 

BENON BAGIRE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, [la Loi], de la décision du 9 octobre 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger, aux fins des articles 96 et 97 de la Loi. La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’il n’avait pas établi son identité.

 

Les faits

[2]               Le demandeur déclare être M. Benon Bagire, un citoyen de l’Ouganda. Il dit être homosexuel et être exposé à un risque en Ouganda en raison de son orientation sexuelle. Le demandeur soutient que, le 24 novembre 2010, son oncle a été attaqué par un groupe de personnes qui l’avaient accusé de cacher des homosexuels. Il déclare qu’il se tenait caché chez son oncle avec quatre de ses amis à ce moment‑là. Craignant pour la sécurité du demandeur, son oncle l’aurait alors aidé à quitter le pays (dossier du demandeur, affidavit de Benon Bagire, page 14).

 

[3]               Parvenu au Canada en provenance du Royaume-Uni le 28 février 2011, le demandeur a demandé l’asile dès son arrivée (dossier du demandeur, page 25). Le demandeur était accompagné de Mme Barbara Nyiraneza et muni de titres de voyage appartenant au fils de cette dernière, M. Paul Clement Milindi. Des agents d’immigration montés à bord de l’avion après l’atterrissage ont abordé le demandeur, qui leur a remis une carte de déclaration vierge et a déclaré qu’il avait jeté à la toilette le passeport avec lequel il voyageait (dossier du tribunal, page 253). En fouillant les bagages de Mme Nyiraneza, toutefois, on a trouvé un passeport rwandais et une carte de résident permanent du Canada qui appartenaient à M. Paul Milindi (dossier du tribunal, pages 274 et 320 à 326). On a également trouvé le curriculum vitae d’un certain Murangira John Bosco, ainsi que la lettre d’un psychiatre du Kenya recommandant que M. Bosco rejoigne les membres de sa famille au Canada (dossier du tribunal, pages 328 et 329). Le demandeur était également muni d’une carte d’identité scolaire et d’une carte de paroisse, toutes deux établies au nom de Benon Bagire (dossier du tribunal, page 291). Détenu dès son arrivée, le demandeur a été remis en liberté en août 2011, à la condition notamment de ne pas communiquer avec ses prétendus tante et cousin, Mme Nyiraneza et M. Milindi. En octobre 2011, le demandeur a été arrêté alors qu’il se trouvait avec M. Milindi; il a de nouveau été détenu, pour violation de condition de mise en liberté, jusqu’en février 2012 (dossier du tribunal, pages 282 et 432 à 438; réponse du demandeur, paragraphe 3).

 

[4]               Le 15 mars 2011, l’Agence des services frontaliers du Canada a analysé la carte de paroisse établie le 11 juillet 2010 au nom de Benon Bagire. L’analyse a donné des résultats peu concluants. Selon le rapport rédigé, la carte ne comportait pas de caractéristiques de sécurité et elle était plastifiée, coupée à la main et mal cadrée de manière générale. Le mode d’impression utilisé était disponible sur le marché et fortement susceptible d’utilisation illicite. D’après le rapport, rien n’indiquait clairement si le laminage à la main et l’excès de colle étaient dus ou non à des modifications ou à des altérations intentionnelles. Faute de disposer d’autres exemplaires du document, ou d’autres modèles de ce type de document, les résultats demeuraient non concluants (dossier du tribunal, pages 188 à 193).

 

[5]               Le 15 mars 2011 également, un rapport d’analyse de document indiquait que l’analyse d’une carte d’identité scolaire établie au nom de Benon Bagire le 20 février 2009, et valide jusqu’au 31 décembre 2010, s’était avérée non concluante. On précisait dans le rapport que la carte ne comportait aucune caractéristique de sécurité et que, faute d’autres modèles, l’analyse ne pouvait donner de résultat clair. Selon le rapport, toutefois, on avait imprimé tout le document au moyen d’une imprimante à jet d’encre, y compris le timbre d’émission censé ressembler à une reproduction de tampon, et le document, mal cadré et dont les coins étaient coupés à la main, était de mauvaise qualité. Le rapport indiquait également que le document ne provenait pas d’une autorité compétente pour délivrer des pièces d’identité ou des titres de voyage, et qu’il n’était pas acceptable comme preuve, notamment, de l’identité ou de la nationalité (dossier du tribunal, pages 194 à 196).

 

[6]               En avril 2011, des agents d’immigration ont saisi un passeport ougandais délivré le 2 avril 2011 et portant le numéro B0692009 (dossier du tribunal, pages 199 à 203; le premier passeport ougandais) ainsi qu’un certificat de naissance ougandais délivré le 20 avril 2001 et portant le numéro A470781 (dossier du tribunal, pages 204 et 205) qui avaient été transmis par la poste (dossier du tribunal, pages 210 à 212). Le destinataire de l’envoi était l’avocat du demandeur (dossier du tribunal, page 206). L’analyse du passeport a révélé que le support du document était authentique, mais qu’on l’avait modifié en ajoutant à l’original une page de données personnelles contrefaite (dossier du tribunal, pages 216 et 217). L’analyse du certificat de naissance n’était pas concluante, puisqu’il s’agissait d’un document non sécurisé, produit sur du papier de qualité commerciale et qui ne comportait aucune caractéristique de sécurité. De manière générale le document était de qualité médiocre, et il s’y trouvait des indices d’altération des données, comme des champs surimprimés et la présence de liquide correcteur. L’examinateur a également qualifié le certificat de [traduction] « tertiaire », en ce sens qu’il ne renfermait aucun renseignement biométrique permettant d’établir un lien entre le document et son titulaire, et qu’il n’attestait pas la nationalité de ce dernier (dossier du tribunal, pages 227 et 228).

 

[7]               Le 20 octobre 2011, la copie d’un passeport ougandais délivré le 22 juillet 2011 au nom de Benon Bagire et portant le numéro B0883221 (le deuxième passeport ougandais) a été analysée. On a conclu que le passeport était authentique, mais qu’il avait été obtenu irrégulièrement, puisqu’un citoyen de l’Ouganda doit se présenter en personne pour demander un passeport de son pays et aller le chercher en personne. Or, le demandeur se trouvait au Canada au moment de la délivrance du passeport. On précisait dans le rapport d’analyse que, lorsqu’un passeport est délivré à l’étranger, la désignation et l’adresse du bureau de délivrance étranger y figurent, au lieu de mentionner Kampala en Ouganda comme lieu d’origine, cette mention figurant sur le passeport en cause.

 

[8]               D’après une lettre du 6 octobre 2011 du Haut Commissariat de l’Ouganda, M. Benon Bagire est un ressortissant de l’Ouganda, né le 25 novembre 1991 dans le comté de Bujumbura, district de Rukungiri, de la République de l’Ouganda (dossier du tribunal, page 491).

 

[9]               L’audience s’est déroulée le 15 juillet 2011, le 6 octobre 2011, le 14 décembre 2011 et le 10 septembre 2012.

 

Décision visée par le contrôle

[10]           La Commission a conclu que le demandeur n’était ni une personne à protéger ni un réfugié au sens de la Convention parce que son identité n’avait pu être établie, cette lacune entraînant automatiquement le rejet de sa demande d’asile.

 

[11]           La Commission a d’abord fait remarquer que le demandeur avait menti à des agents de l’immigration à son arrivée au Canada et qu’il disposait de pièces d’identité de trois personnes différentes (le passeport de M. Milindi, ses propres documents d’identité et des documents liés à M. Bosco). Rappelant aussi les résultats peu concluants de l’analyse des pièces d’identité du demandeur, la Commission a conclu que ces faits la conduisaient à tirer, à l’égard de l’identité du demandeur, une inférence défavorable quant à la crédibilité. La Commission a également tiré une pareille inférence, relativement à l’identité du demandeur, du fait que des personnes agissant pour son compte avaient envoyé un faux passeport (le premier passeport ougandais) à son avocat au Canada. Enfin, la Commission a tiré une autre inférence défavorable quant à la crédibilité en raison du comportement peu fiable dénoté par le non-respect par le demandeur des conditions de sa remise en liberté.

 

[12]           La Commission a observé que le demandeur avait indiqué dans son témoignage quant au deuxième passeport ougandais qu’il aurait rempli un formulaire de demande avant de quitter l’Ouganda et aurait demandé à une tante d’aller le chercher pour lui et de le lui envoyer par la poste. La Commission a rejeté cette explication parce qu’en vertu de la preuve dont elle disposait, il fallait se présenter en personne pour demander un passeport ougandais et aller les chercher en personne. En outre, selon le deuxième passeport ougandais, le demandeur était un homme d’affaires, alors qu’en réalité il est étudiant. La Commission n’a pas prêté foi non plus à l’explication du demandeur selon laquelle il lui aurait été difficile d’obtenir un passeport en tant qu’étudiant parce qu’il n’avait produit aucune preuve objective étayant cette allégation. La Commission a également souligné que la signature du titulaire figurant dans le deuxième passeport ougandais n’était pas celle du demandeur.

 

[13]           La Commission a pris en compte la réponse à une demande de renseignements fournie par les autorités ougandaises : dans certaines situations exceptionnelles, un passeport peut être délivré à un fondé de pouvoir, si le demandeur l’y a autorisé par écrit et s’il a une raison valable pour ne pas aller le chercher lui‑même en personne. Toutefois, a fait remarquer la Commission, le demandeur n’a pas produit une telle autorisation même s’il a dit en avoir donnée une à sa tante. La Commission a conclu que le passeport avait été obtenu irrégulièrement, qu’il était de validité douteuse et qu’il était de faible valeur probante pour établir l’identité du demandeur.

 

[14]           La Commission a également mentionné qu’à l’audience tenue le 6 octobre 2011, on avait demandé au demandeur s’il disposait d’autres documents, comme des bulletins de notes, pouvant aider à établir son identité. Bien que le demandeur ait déclaré qu’il pouvait obtenir pareils documents, il n’en avait toujours pas produit à l’audience finale, le 10 septembre 2012, non plus que des affidavits de sa tante ou de son oncle en Ouganda. La Commission a accordé peu d’importance à un courriel que l’oncle du demandeur aurait envoyé et qui a été déposé à l’audience finale, parce que l’avocat du demandeur n’y avait pas fait allusion lorsqu’il avait interrogé son client, pas plus que dans ses observations écrites, et parce qu’on avait recouru à une adresse de courriel Yahoo pour l’envoyer, ce qui aurait pu être fait par quiconque. La Commission a estimé que, puisque le demandeur et son avocat avaient pu se faire transmettre les deux passeports ougandais au Canada depuis l’Ouganda, et puisque le demandeur avait disposé de près d’un an depuis la première date de l’audience relative à la demande d’asile pour produire des éléments de preuve additionnels, le demandeur et son avocat n’auraient pas dû avoir de mal à communiquer avec quiconque en Ouganda afin d’obtenir des éléments de preuve supplémentaires.

 

[15]           La Commission s’est dite d’avis que la lettre du Haut Commissariat ne permettait pas à elle seule d’établir l’identité du demandeur, étant donné que son auteur s’était fondé sur la carte d’identité scolaire et sur le certificat de naissance du demandeur (deux documents jugés non concluants au terme d’une analyse d’authenticité), et que le demandeur avait produit un faux passeport ougandais et qu’un autre obtenu irrégulièrement n’avait pas été porté à la connaissance des autorités ougandaises. La Commission a rappelé qu’il incombait au demandeur d’établir son identité et qu’il ne l’avait pas fait. Sa demande d’asile a donc été rejetée.

 

Question en litige

[16]           La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir s’il était raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas établi son identité.

 

Dispositions législatives applicables

[17]           L’article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi sont pertinents quant à la demande d’asile sous-jacente du demandeur. La Commission n’a toutefois pas examiné la demande d’asile en fonction de ces dispositions en l’espèce, étant donné qu’elle l’a rejetée sur le fondement de la question préliminaire de l’identité. L’article 106 de la Loi et l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, en vigueur à la date de l’audience, font comprendre l’importance de produire les bons documents pour établir l’identité du demandeur. Voici les extraits pertinents de ces articles : 

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

 

PARTIE 2

 

PROTECTION DES RÉFUGIÉS

 

[…]

 

Section 2

 

Réfugiés et personnes à protéger

 

 

[…]

 

Étrangers sans papier

 

Crédibilité

 

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

Immigration and Refugee Protection Act

 

PART 2

 

REFUGEE PROTECTION

 

 

 

Division 2

 

Convention Refugees and Persons in Need of Protection

 

 

Claimant Without Identification

 

Credibility

 

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

Règles de la Section de la protection des réfugiés

 

Documents d’identité et autres éléments de la demande

 

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

Refugee Protection

Division Rules

 

Documents establishing identity and other elements of the claim

 

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

Norme de contrôle

[18]           La jurisprudence a clairement établi que la raisonnabilité est la norme de contrôle applicable aux conclusions de la Commission relatives à l’identité (Zheng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 877, 74 Imm LR (3d) 28, aux paragraphes 12 et 13 [Zheng]; Wei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 854, [2012] ACF n° 930 (QL)). Par conséquent, la Cour s’en tiendra uniquement « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] CSS 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

 

Analyse

[19]           Selon le demandeur, la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a rejeté la documentation qu’il avait fournie pour prouver son identité. Le défendeur estime, pour sa part, qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure dans sa décision que le demandeur n’avait pas établi son identité, et que cette conclusion entraînait le rejet de la demande d’asile.

 

[20]           D’entrée de jeu, la Cour est d’accord avec le demandeur pour dire que le simple fait qu’il a voyagé muni du passeport dont il n’était pas titulaire ne devrait pas, en soi, miner sa crédibilité, puisqu’il n’est pas rare que les demandeurs d’asile n’aient pas de documents réguliers en main lorsqu’ils fuient leur pays (Rasheed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 587, 251 FTR 258; Teneqexhiu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 397, [2003] ACF n° 560 (QL)). La Cour fait également remarquer que la Commission a aussi tiré une inférence défavorable du fait que le demandeur avait déclaré faussement à des agents d’immigration qu’il s’était départi de ses documents de voyage. Il était raisonnable que la Commission tienne compte de cet élément dans son analyse.

 

[21]           La Cour prend également note du fait que le demandeur s’appuie sur les décisions Ramalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n° 10 (QL), 1998 CanLII 7241, et Kathirkamu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 409, [2013] ACF n° 592 (QL), au paragraphe 34, pour affirmer que « [l]e fait de conclure que des documents d’identité en apparence valablement délivrés sont frauduleux constitue une erreur de droit si la preuve n’établit pas la fraude ». En l’espèce, toutefois, il y avait des raisons de douter de la validité des documents soumis par le demandeur.

 

[22]           Mis à part le passeport et la carte de résident permanent de M. Milindi, le demandeur est arrivé au Canada muni d’une carte d’identité scolaire et d’une carte de paroisse où figurait le nom de Benon Bagire. L’analyse des deux documents a donné des résultats peu concluants (dossier du tribunal, pages 188 à 196). Bien que les pièces d’identité délivrées par un gouvernement étranger soient présumées être valides (Ramalingam, précitée), l’expert ayant analysé la carte d’identité scolaire a déclaré sans équivoque que ce document n’avait pas été délivré par une autorité compétente. Il y avait en outre en l’espèce des raisons de douter de la validité des deux documents. Tous deux étaient de qualité médiocre, et des indices montraient qu’on avait coupé à la main puis recollé la carte de paroisse. Il était donc raisonnable que la Commission leur reconnaisse une faible valeur probante en vue d’établir l’identité du demandeur.

 

[23]           La Commission a jugé que le premier passeport ougandais, sur lequel figurait le nom de Benon Bagire, avait été falsifié : bien que le support du passeport ait lui‑même été authentique, la page de renseignements personnels avait été contrefaite (dossier du tribunal, pages 216 et 217). Il était donc assurément loisible à la Commission de rejeter ce document pour établir l’identité du demandeur. L’analyse de l’authenticité du certificat de naissance n’a pas non plus été concluante, ce document ne comportant aucune caractéristique de sécurité et ayant été imprimé sur du papier de qualité commerciale. L’analyse des modifications apportées au certificat (champs surimprimés et présence de liquide correcteur) s’est avérée elle aussi peu concluante, les experts n’ayant pu établir si elles avaient été intentionnelles (dossier du tribunal, pages 227 et 228). En outre, le certificat de naissance a été qualifié de document tertiaire parce qu’il était dénué de caractéristiques de sécurité, ainsi que de renseignements biométriques de base permettant de faire le lien entre le document et son titulaire. Compte tenu du rapport d’expert, il y avait lieu pour la Commission de ne reconnaître qu’une faible valeur probante à ce document.

 

[24]           La Commission a souligné que le deuxième passeport ougandais, jugé authentique après analyse, avait été obtenu irrégulièrement. Ce n’était pas là pure conjecture de la part de la Commission, contrairement à ce que soutient le demandeur, étant donné qu’elle disposait à cet égard d’une preuve objective – une déclaration des autorités ougandaises selon laquelle il fallait faire en personne une demande de passeport et aller le chercher en personne. Si par exception un demandeur de passeport peut autoriser une autre personne à aller chercher son passeport, il était raisonnable que la Commission rejette l’explication donnée à cet égard par le demandeur en l’absence de toute preuve corroborant l’autorisation qu’il aurait donnée à sa tante. Il convient également de souligner que l’auteur du rapport d’expertise judiciaire sur le deuxième passeport ougandais a également conclu que ce document avait été irrégulièrement obtenu (dossier du tribunal, page 522). Il est aussi raisonnable de croire que d’autres lacunes entachant le document – le fait que le nom de Benon Bagire ait été inscrit mais que sa signature n’ait pas été apposée, la prétention selon laquelle la demande avait été présentée en janvier 2011 alors que le passeport n’a été délivré qu’en juillet 2011 (soit bien plus que dix jours ouvrables plus tard) et l’occupation d’hommes d’affaires plutôt que d’étudiant qui y était inscrite – ont pu aider la Commission à conclure que ce passeport avait été obtenu irrégulièrement et était de validité douteuse.

 

[25]           Invoquant la décision Ru c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 935, [2011] ACF n° 1158 (QL), le demandeur a soutenu que les incohérences contextuelles quant à la manière dont le demandeur a obtenu ses documents ne suffisaient pas pour que les documents, déclarés frauduleux pour ce motif, soient rejetés alors qu’ils semblent être authentiques; le demandeur faisait allusion en l’occurrence au deuxième passeport ougandais délivré au nom de Benon Bagire.

 

[26]           Il existe à la face même du deuxième passeport ougandais des raisons de mettre en question la manière dont il a été obtenu (le nom du demandeur qui y est inscrit plutôt que signé, la délivrance effectuée bien après les dix jours ouvrables requis pour le traitement d’une demande et la mention erronée de l’occupation du demandeur). Dans l’affaire Ru (précitée, au paragraphe 53), la Commission doutait de l’authenticité du document en cause uniquement parce qu’elle croyait qu’il était facile de se procurer des faux documents. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans Ru, la Commission avait aussi fait abstraction d’une preuve objective qui étayait fortement les prétentions de la demanderesse. Dans la présente affaire, la Commission n’a pas fait abstraction des renseignements fournis par les autorités ougandaises sur la procédure d’obtention d’un passeport ougandais, et ces renseignements n’étayaient pas les prétentions du demandeur.

 

[27]           Selon le demandeur, la Commission a agi de manière déraisonnable en accordant peu de poids à la lettre du Haut Commissariat de l’Ouganda. La Commission a déclaré ce qui suit à ce sujet, au paragraphe 20 de sa décision :

[…] D’abord, des experts judiciaires canadiens ont jugé ces deux documents comme étant non concluants pour ce qui est d’établir l’identité. Ensuite, le demandeur d’asile a produit un faux passeport ougandais et un autre obtenu irrégulièrement – deux faits saillants dont ne disposaient pas les autorités ougandaises. Aussi, la facilité prouvée avec laquelle une personne peut obtenir un passeport ougandais, qu’il soit faux ou encore authentique, mais obtenu irrégulièrement, me mène à conclure que la pièce C-3 [la lettre du Haut Commissariat] ne suffit pas à elle seule à établir l’identité du demandeur d’asile d’une manière que je jugerais satisfaisante.

 

[28]           La Cour estime toutefois raisonnable que la Commission ait accordé peu de poids à la lettre du Haut Commissariat de l’Ouganda. Cette lettre s’appuyait sur deux documents jugés non concluants. De plus, aucune preuve n’a été produite qui pourrait permettre à la Cour de conclure que le Haut Commissariat a examiné un passeport authentique ou a rencontré le demandeur. Dans la lettre du Haut Commissariat, son auteur déclarait simplement : [traduction] « Benon Bagire est un ressortissant de l’Ouganda. » Cette conclusion ne permettait toutefois pas d’établir de manière concluante, à elle seule, que la personne qui a comparu devant la Commission était bien Benon Bagire. 

 

[29]           La Cour conclut, compte tenu de l’ensemble de la preuve présentée à la Commission et de l’absence de documentation acceptable, que la décision de la Commission était raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708). L’identité du demandeur est en litige depuis qu’il est arrivé au Canada, et c’est à lui qu’il incombe d’établir cette identité au moyen de documents acceptables. La Cour n’a pas pour rôle d’apprécier de nouveau la preuve déjà examinée par la Commission. La conclusion de la Commission appartient aux issues acceptables, au regard des faits et du droit (Dunsmuir)

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-11255-12

 

INTITULÉ :                                      Benon Bagire c MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 3 juillet 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                            Le 25 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Isaac Owusu-Sechere

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Leah Garvin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Isaac Owusu-Sechere Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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