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Date : 20130723

Dossier : IMM-12505-12

Référence : 2013 CF 807

[traduction française certifiée, non révisée]

Montréal (Québec), le 23 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

PAWANBIR SINGH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Aperçu

[1]               Une cour de révision doit analyser l’essence de la preuve dans son ensemble, et non uniquement à la pièce, pour se prononcer sur la question de savoir si, de façon générale, la décision visée par le contrôle est raisonnable en dernière analyse. (Il est utile de souligner que dans l’arrêt Mobil Oil, la Cour suprême précise que lorsque l’issue d’une affaire (même si elle est renvoyée pour nouvelle analyse par un décideur de première instance différent) ne sera par ailleurs pas modifiée, il n’existe aucun fondement valable pour une nouvelle analyse puisqu’il n’y a « [aucun] espoir » de s’attendre à une issue finale différente : Mobil Oil.) [Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada‑Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] ACS no 14, [1994] 1 RCS 202]

 

[2]               Le demandeur conteste le caractère suffisant des motifs de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] et cette contestation doit être rejetée. La Cour suprême du Canada a statué que lorsque la décision est motivée, l’analyse de la raisonnabilité permet d’examiner l’issue ou le raisonnement contesté. Selon l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (paragraphe 14). Une cour de révision ne peut « substituer ses propres motifs » à ceux de la décision à l’examen, mais peut « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (paragraphe 15).

 

Introduction

[3]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la SPR de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a conclu qu’il n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger suivant l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Plus particulièrement, le demandeur conteste la conclusion de la SPR selon laquelle il n’était pas crédible.

 

II. Procédure judiciaire

[4]               La Cour est saisie d’une demande, présentée en application du paragraphe 72(1) de la LIPR, de contrôle judiciaire de la décision 5 novembre 2012 prononcée par la SPR.

 

III. Contexte

[5]               Le demandeur, M. Pawanbir Singh, est un citoyen de l’Inde né en 1972.

 

[6]               Le demandeur allègue que le 3 mars 1993, un policier a tué son cousin en raison de son appartenance à la force commando du Khalistan [KCF]. Son cousin, qui se rendait à l’occasion à la résidence familiale du demandeur, était recherché par la police qui avait publié sa photographie dans un journal et indiqué qu’une récompense serait accordée pour sa capture.

 

[7]               Le 10 avril 1993, le demandeur aurait été arrêté, détenu et torturé par la police qui recherchait des renseignements sur la KCF. Après que son père eut payé un pot-de-vin, la police l’a libéré et il s’est enfui à Kamal, où il a vécu clandestinement pendant deux ans.

 

[8]               Le 1er avril 1995, le demandeur s’est enfui à Delhi et, de là, il s’est rendu aux États-Unis [É-U], où il est arrivé le 7 janvier 1996. Il y a présenté une demande d’asile qui a été rejetée.

 

[9]               Le 17 décembre 1998, un tribunal californien a reconnu le demandeur coupable de voies de fait de nature sexuelle.

 

[10]           Le 23 mars 2007, le demandeur est arrivé au Canada et a présenté une demande d’asile.

 

[11]           Le 6 mai 2007, un agent a établi un rapport d’interdiction de territoire conformément à l’article 44 de la LIPR et, le 2 octobre 2007, la Section de l’immigration a pris une mesure d’expulsion contre le demandeur.

 

[12]           Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile est intervenu à l’audience de la SPR et a présenté une preuve documentaire du casier judiciaire du demandeur aux É‑U.

 

[13]           Le demandeur allègue que la police indienne a continué à harceler sa famille et à lui extorquer de l’argent pour qu’elle révèle l’endroit où il se trouvait maintenant.

 

IV. Décision visée par le contrôle

[14]           La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger parce qu’il n’était pas crédible.

 

[15]           En premier lieu, la SPR a conclu que le défaut du demandeur de communiquer ses antécédents criminels aux É-U dans son formulaire de renseignements personnels [le FRP] minait sa crédibilité en général.

 

[16]           En deuxième lieu, la SPR a tiré des inférences défavorables en matière de crédibilité parce que le demandeur n’a pas fourni de documents établissant que son cousin était un militant de la KCF. Le demandeur n’a pas non plus répondu de façon claire au commissaire sur la question de savoir si les journaux avaient rapporté le meurtre allégué de son cousin. La SPR a conclu que l’explication du demandeur selon laquelle il avait fourni des documents relatifs à l’appartenance de son cousin à la KCF aux autorités d’immigration des É‑U dans le cadre de sa demande d’asile était insatisfaisante étant qu’elle trouvait « très étonnant que le demandeur n’ait pas gardé une copie des documents soumis à l’appui de sa demande d’asile ou qu’il n’ait pas demandé à son père de les lui envoyer, d’autant plus qu’il prétend que la police avait publié les photos de son cousin dans les journaux avant la capture et la mort de celui-ci » (décision, au paragraphe 12).

 

[17]           En troisième lieu, la SPR a conclu qu’il était invraisemblable que les policiers indiens veuillent arrêter le demandeur et non son père, qui était propriétaire de la maison dans laquelle il avait été arrêté et où son cousin se rendait souvent. La SPR doutait de plus qu’il ait été arrêté pour être interrogé sur la KCF après le meurtre de son cousin, étant donné que les policiers avaient suffisamment de renseignements pour capturer son cousin et le tuer.

 

[18]           En quatrième lieu, la SPR a estimé qu’il était invraisemblable que le demandeur ait vécu à Kamal pendant deux ans sans que la police le retrouve. L’explication du demandeur selon laquelle il n’a pas travaillé, a rarement quitté la maison et ne s’est lié d’amitié avec personne était insatisfaisante.

 

[19]           En cinquième lieu, la SPR a conclu qu’il n’était pas crédible que le demandeur ait quitté l’Inde avec son passeport s’il était soupçonné d’être un militant de la KCF.

 

[20]           En sixième lieu, la SPR ne croyait pas que la police indienne était à la recherche du demandeur parce qu’elle le soupçonnait d’être un militant de la KCF, car (i) elle ne l’aurait probablement pas remis en liberté; (ii) elle n’a pas tenté, après sa libération, de le rechercher en obligeant son père à lui dévoiler l’endroit où se trouvait son fils.

 

V. Question en litige

[21]           La conclusion tirée par la SPR relativement à la crédibilité était‑elle raisonnable?

 

VI. Dispositions législatives applicables

[22]           Les dispositions législatives pertinentes de la LIPR sont les suivantes :

 

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

Person in need of protection

 

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

VII. Thèse des parties

[23]           Le demandeur soutient que la conclusion en matière de crédibilité est fondée sur des conclusions de fait erronées tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont disposait la SPR. Premièrement, le demandeur fait valoir qu’il a divulgué l’existence de son casier judiciaire aux É.-U. dans son FRP daté du 29 juin 2007 et lors de son entrevue avec un agent d’immigration, qui a eu lieu le 10 mai 2007. La conclusion selon laquelle le fait pour lui de ne pas avoir divulgué l’existence de son casier judiciaire aux É.-U. a miné sa crédibilité n’est pas étayée par le dossier. Deuxièmement, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SPR d’exiger qu’il présente des documents corroborant son récit. Troisièmement, il soutient que la conclusion portant que les autorités auraient également arrêté son père en 1993 et auraient obligé ce dernier à divulguer l’endroit où se trouvait son fils pendant qu’il vivait à Kamal n’appartient pas aux issues possibles acceptables.

 

[24]           Le demandeur affirme que l’agent n’a pas suffisamment motivé sa décision. Il cite VIA Rail Canada Inc c Canada (Office national des transports), [2001] 2 CF 25 (CA), et Weekes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 293, pour affirmer qu’une décision n’est pas suffisamment motivée si elle ne fait que reprendre les observations et les éléments de preuve des parties pour ensuite formuler une conclusion. Selon le demandeur, les motifs n’expliquent pas le raisonnement de la SPR ni n’examinent les principaux éléments pertinents.

 

[25]           Le défendeur réplique que la SPR pouvait raisonnablement ne pas croire le demandeur qui affirmait être recherché par les autorités indiennes. Il était raisonnable pour la SPR de juger invraisemblables les allégations du demandeur portant qu’il avait vécu deux ans à Kamal sans être découvert et que les autorités n’avaient pas obligé son père a divulgué où se trouvait son fils pendant cette période. Il était également raisonnable d’inférer de son départ de l’Inde avec son passeport que les autorités ne recherchaient pas le demandeur. Le défendeur fait valoir que la SPR a exigé, de façon raisonnable, que le demandeur fournisse des éléments de preuve corroborant la recherche et la capture de son cousin, de même que l’enquête dont celui-ci faisait l’objet. L’explication du demandeur selon laquelle il a présenté ces documents aux autorités d’immigration américaines sans en garder une copie pour lui-même ni tenter d’en obtenir une copie auprès de parents en Inde était insuffisante.

 

VIII. Analyse

[26]           Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Wiesehahan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 656).

 

[27]           Si la norme de la raisonnabilité s’applique, la cour de révision ne peut intervenir que si les motifs ne sont pas justifiés, transparents ou intelligibles. Pour satisfaire à ce critère, la décision doit également appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

[28]           Le juge Edmond Blanchard a statué qu’une conclusion défavorable en matière de crédibilité doit être fondée sur les éléments de preuve versés au dossier (Roozbahani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 FC 1524). Les conclusions en matière de crédibilité doivent être compatibles avec la situation existante dans le pays d’origine du demandeur. Le juge Luc Martineau a statué que les conclusions raisonnables en matière de vraisemblance ne découlent pas d’un examen « à la loupe des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui sont accessoires à la revendication du demandeur » et qu’elles doivent tenir compte « de [l’]âge [du demandeur], de ses antécédents culturels et de ses expériences sociales » (Sharma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1240, au paragraphe 15).

 

[29]           Il est vrai que la SPR ne s’est pas livrée à une analyse complète des documents dont elle disposait ou de la situation personnelle du demandeur, mais sa conclusion concernant la crédibilité n’est pas dans l’ensemble déraisonnable. Malgré les problèmes que soulève l’analyse de la SPR relativement à certains aspects de la demande, la Cour doit se limiter à répondre à la question de savoir si la conclusion quant à la crédibilité est dans l’ensemble raisonnable. Les aspects soulevant des problèmes doivent être déterminants pour entacher le caractère raisonnable de la conclusion globale (Abid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 483, au paragraphe 22).

 

[30]           L’inférence défavorable que la SPR a tirée du fait que le demandeur n’aurait pas divulgué l’existence de son casier judiciaire aux É.-U. ne rend pas compte des éléments suivants : (i) sa réponse à la question 10 de son FPR, dans laquelle il a déclaré qu’il avait soit commis un crime, soit été accusé d’un crime, soit été déclaré coupable d’un crime dans un autre pays (dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 19); (ii) sa déclaration claire à l’agent d’immigration qu’il avait été déclaré coupable de voies de fait de nature sexuelle aux É.-U. (DCT, aux pages 126 et 127). Il est vrai que ce n’est qu’à l’audience que le demandeur a modifié son FRP pour indiquer de façon précise qu’il avait été déclaré coupable de voies de fait de nature sexuelle aux É.-U. (DCT, aux pages 174 et 176), mais une inférence défavorable quant à la crédibilité tirée de son défaut devient déraisonnable si l’on tient compte des faits suivants : (i) dans son entrevue avec l’agent d’immigration le 10 mai 2007, il a été honnête à propos de son casier judiciaire aux É.-U.; (ii) son entrevue a eu lieu avant qu’il ait rempli son FRP le 29 juin 2007.

 

[31]           La SPR n’a pas tenu compte des documents dont elle disposait lorsqu’elle a conclu qu’il était invraisemblable que les autorités indiennes n’aient pas obligé le père du demandeur à dévoiler l’endroit où il se trouvait lorsqu’il vivait à Kamal. Cela n’est pas compatible avec son affirmation durant son témoignage selon laquelle les autorités avaient harcelé son père pour qu’il dévoile où vivait son fils (DCT, à la page 191).

 

[32]           L’inférence défavorable quant à la crédibilité que la SPR a tirée du fait que les autorités avaient libéré le demandeur est déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte de sa situation personnelle ou de son contexte culturel. Le demandeur a allégué que les autorités l’avaient libéré moyennant le paiement d’un pot-de-vin et qu’elles avaient continué à extorquer de l’argent de son père après sa libération (DCT, aux pages 26 et 197), ce qui laisse croire que pour les autorités, la motivation de sa libération était un gain financier personnel. Cet élément de preuve est compatible avec la preuve de la situation du pays relative à la corruption de la police en Inde qui figure dans le cartable national de documentation [CND] dont disposait la SPR (Human Rights Watch, Broken System : Dysfunction, Abuse, and Impunity in the Indian Police, août 2009).

 

[33]           Néanmoins dans l’ensemble, après avoir examiné la totalité de la preuve à la lumière de la situation particulière du demandeur, il était raisonnable de conclure, relativement à l’affaire dans son ensemble sans l’analyser dans ses moindres détails, que ses allégations n’étaient pas vraisemblables en raison du fait que son père n’avait pas été arrêté. Dans son FRP, le demandeur a allégué que les autorités indiennes l’ont arrêté parce qu’elles croyaient que d’autres membres de la KCF se rendaient à sa résidence familiale (DCT, à la page 25). C’est pourquoi le demandeur a allégué que les autorités indiennes ne l’interrogeaient pas simplement à propos de ses propres présumées activités avec la KCF. La conclusion selon laquelle les autorités auraient arrêté et interrogé le propriétaire de résidence familiale si elles avaient été intéressées aux visiteurs qui s’y rendaient appartient aux issues possibles acceptables.

 

[34]           Il était également raisonnable de conclure que si le demandeur était soupçonné d’être un militant de la KCF, il n’aurait pu quitter l’Inde muni de son passeport. Dans son témoignage, le demandeur a indiqué qu’il a été à mesure de quitter l’Inde muni de son propre passeport (DCT, à la page 188). La preuve relative à la situation du pays dans le CND dont disposait la SPR indique que les personnes qui quittent l’Inde par la voie de ses aéroports sont assujetties à des procédures exhaustives de contrôle de sécurité (IND103120.EF, Inde : information sur le contrôle de sécurité effectué dans les aéroports à l’endroit des passagers des vols internationaux, le 14 avril 2009).

 

[35]           Enfin, dans Khazaei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 13, la Cour déclare qu’« il n’est pas nécessairement obligatoire pour un demandeur d’asile de fournir des documents à l’appui s’il provient d’un pays où ceux‑ci sont difficiles à obtenir; toutefois, si le témoignage du demandeur est dénué de crédibilité ou de vraisemblance, il doit l’étayer de documents corroborants [souligné dans l’original] (au paragraphe 47). Puisque le récit du demandeur correspond à cette description, la SPR pouvait raisonnablement exiger des documents corroborants.

 

[36]           Dans Touraji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 780, le juge John O’Keefe a statué qu’il sera déraisonnable pour la SPR d’exiger des éléments de preuve corroborants qui ne pouvaient être obtenus ou qui n’étaient pas raisonnablement accessibles (au paragraphe 26). Une distinction peut être établie entre Touraji et la présente demande. Bien que les autorités aient apparemment publié dans un journal des renseignements concernant les activités du cousin du demandeur en liaison avec la KCF, le demandeur ne semble pas avoir fait quelque effort que ce soit pour obtenir cet article de journal :

[traduction]

Q.        Serait-il facile aujourd’hui d’avoir accès à ce journal après 19 ou 20 ans?

R.        Je ne crois pas.

 

(DCT, à la page 192)

 

[37]           La SPR pouvait raisonnablement inférer de cet échange que le demandeur n’avait fait aucun effort pour obtenir, auprès de ses parents en Inde ou de l’éditeur de ce journal, une copie de cet élément de preuve corroborant. Dans Alonso c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 683, le juge Yves de Montigny a statué que « l’absence de corroboration documentaire peut être prise en compte lors de l’évaluation de la crédibilité, particulièrement lorsque le demandeur ne fait aucun effort pour obtenir une telle preuve corroborante » (au paragraphe 10).

 

[38]           En outre, compte tenu des problèmes de crédibilité du demandeur, la SPR pouvait raisonnablement rejeter son explication selon laquelle il n’avait pas conservé de copies des éléments de preuve corroborants qu’il avait fournis aux autorités d’immigration américaines.

 

[39]           La contestation par le demandeur du caractère suffisant des motifs de la SPR n’est pas fondée. La Cour suprême du Canada a statué que, lorsque la décision est motivée, la cour répond à la contestation visant le raisonnement ou l’issue dans l’analyse de la raisonnabilité. Selon l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (au paragraphe 14). Une cour de révision ne peut « substituer ses propres motifs » à ceux de la décision en cause, mais peut « examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (au paragraphe 15).

 

IX. Conclusion

[40]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur est rejetée. Aucune question de portée générale n’est proposée aux fins de certification.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                        IMM-12505-12

 

Intitulé :                                      PAWANBIR SINGH c le ministre de la citoyenneté et de l’immigration

 

 

 

Lieu de l’audience :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 22 juillet 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 23 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Philippe Comtois

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Margarita Tzavelakos

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Philippe Comtois

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

 

 

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