Date : 20130719
Dossier : IMM-7326-12
Référence : 2013 CF 802
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2013
En présence de madame la juge Kane
ENTRE :
|
JEYAKANNAN KANTHASAMY
|
|
|
demandeur
|
|
et
|
|
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
|
|
|
défendeur
|
|
|
|
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Âgé maintenant de 20 ans, M. Kanthasamy est un Tamoul originaire du nord du Sri Lanka. Il est arrivé au Canada en 2010 et a présenté une demande d’asile. En février 2011, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé sa demande parce qu’elle a estimé que les autorités sri‑lankaises avaient pris des mesures pour améliorer la situation des Tamouls et que le demandeur n’avait pas un profil qui l’exposerait à un risque à son retour au Sri Lanka. L’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission lui a été refusée.
[2] Le demandeur a ensuite présenté une demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] ainsi qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), en vue d’être autorisé à présenter une demande de résidence permanente depuis le Canada. Les deux demandes ont été refusées en janvier 2012. Le demandeur n’a pas cherché à obtenir l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision relative à sa demande d’ERAR parce que le défendeur avait accepté de réexaminer la demande fondée sur les motifs d’ordre humanitaire.
[3] Des observations supplémentaires ont été présentées en avril 2012 à l’appui de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, mais l’agente principale d’immigration (l’agente) ne les avait pas en mains au moment de la décision d’avril. L’agente a ensuite examiné les observations supplémentaires et rédigé un addenda à ces motifs le 11 juillet 2012. Elle a refusé d’accorder la mesure spéciale sollicitée, étant donné qu’elle n’était pas convaincue que son retour au Sri Lanka causerait des difficultés au demandeur.
[4] La décision du 11 juillet 2012 (qui incorpore la décision du 26 avril) fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi.
La décision
[5] L’agente a fourni des motifs détaillés dans ses décisions d’avril et de juillet. Elle a reconnu que le demandeur avait expliqué qu’il craignait de retourner au Sri Lanka parce qu’il est un jeune Tamoul du Nord. L’agente a fait observer que le paragraphe 25(1.3) de la Loi précise que, lorsqu’il examine une demande fondée sur les motifs d’ordre humanitaire, le ministre ne doit pas tenir compte des facteurs servant à établir la qualité de réfugié ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97, mais qu’il « doit tenir compte des difficultés auxquelles l’étranger fait face ».
[6] La crainte du demandeur d’être persécuté ou torturé ou de faire l’objet de traitements ou peines cruels et inusités ou d’une menace à sa vie du fait de sa race ou de sa nationalité en tant que jeune Tamoul du nord du Sri Lanka avait été examinée par la Commission dans son analyse des articles 96 et 97, ainsi que par l’agent chargé d’examiner la demande d’ERAR. Le demandeur affirmait qu’il avait été détenu à deux reprises, la première fois en mars 2010 pour quelques heures puis, de nouveau, brièvement en avril 2010. Sa famille l’avait ensuite envoyé au Canada pour aller vivre chez son oncle et sa tante et il avait demandé l’asile dès son arrivée au Canada. En février 2011, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a refusé sa demande d’asile.
[7] L’agente a fait observer qu’il incombait au demandeur de démontrer que la situation au Sri Lanka le toucherait personnellement et lui causerait des difficultés excessives. L’agente a examiné des [traduction] « preuves documentaires objectives » concernant la situation des Sri‑Lankais tamouls et la situation du demandeur. Elle a conclu qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour être convaincue que le demandeur serait ciblé par les forces de sécurité ou qu’il serait personnellement exposé à un risque de discrimination en raison de ses origines ethniques.
Questions en litige
[8] Le demandeur affirme que la décision est déraisonnable parce que l’agente a tiré des conclusions arbitraires, a ignoré ou mal interprété des éléments de preuve concernant le profil du demandeur en tant que jeune Tamoul du nord du Sri Lanka, a commis une erreur en écartant le rapport psychologique, n’a pas tenu compte du degré d’établissement du demandeur et a mal analysé l’intérieur supérieur de l’enfant (en l’occurrence le demandeur). Le demandeur affirme en outre que l’agente a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne motivant pas sa décision.
Norme de contrôle
[9] La Cour suprême du Canada a jugé qu’il n’existe que deux normes de contrôle, celle de la décision raisonnable et celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 34 [Dunsmuir]. L’équité procédurale doit être appréciée en fonction de la norme de la décision correcte. Quant aux conclusions factuelles et aux questions mixtes de fait et de droit, elles sont assujetties à la norme de la décision raisonnable.
[10] La norme de contrôle qui s’applique dans le cas des décisions fondées sur l’article 25 est celle de la décision raisonnable (Terigho c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 835, 2006 ACF no 1061, au paragraphe 6).
[11] Il est de jurisprudence constante que, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique, la cour de révision ne peut substituer la solution qu’elle juge appropriée à celle qui a été retenue, mais qu’elle doit plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Bien qu’il puisse exister plus d’une issue raisonnable, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59 [Khosa].
L’agente a-t-elle motivé suffisamment sa décision?
[12] Le demandeur affirme que, dans ses motifs, l’agente n’a pas abordé les éléments de preuve dont elle disposait et, en particulier, les observations complémentaires qui lui avaient été soumises en avril 2012. Je ne suis pas de cet avis.
[13] Tant dans ses motifs du 26 avril 2012 que dans l’addenda du 11 juillet 2012, l’agente mentionne les éléments de preuve et les observations portées à sa connaissance et ses motifs témoignent du fait que l’agente a tenu compte de ces éléments de preuve pour se demander si elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire et accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. L’agente affirme dans les termes les plus nets qu’elle a examiné toutes les observations complémentaires et notamment : une lettre du conseil du demandeur, une lettre d’appui d’un ami, une lettre d’emploi de l’employeur à temps partiel du demandeur, un feuillet T4, le rapport d’évaluation psychologique, des photos, des documents sur la situation au pays en plus des documents qui avaient déjà été examinés dans la décision d’avril 2012.
[14] À mon avis, le dossier permet véritablement à la Cour « de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables […] » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 16).
L’agente a‑t‑elle conclu de façon déraisonnable que le demandeur ne serait pas exposé à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives en raison de son profil de jeune Tamoul?
[15] L’argumentation du demandeur est axée sur la question de savoir si l’agente a évalué les risques auxquels le demandeur serait exposé lorsqu’elle s’est prononcée sur la question des difficultés ou si elle s’est simplement fondée sur le fait que les risques en question avaient déjà été examinés dans le cadre de la demande d’ERAR. Le demandeur affirme également que l’agente a conclu de façon déraisonnable qu’il ne serait pas exposé à un risque personnel de subir des difficultés s’il devait retourner au Sri Lanka, mais qu’il était exposé aux mêmes risques généraux que les autres jeunes Tamouls de sexe masculin. Le demandeur affirme qu’il n’est pas nécessaire de conclure à l’existence d’un risque personnalisé pour statuer sur une demande fondée sur les motifs d’ordre humanitaire.
[16] Il est de jurisprudence constante que l’appréciation des risques propre à l’examen d’une demande d’ERAR est distincte de celle que l’on effectue pour savoir si ces mêmes risques constituent des difficultés dans le cas d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cette jurisprudence constante doit toutefois être examinée à la lumière de l’article 25, qui a été modifié en 2010.
[17] Ainsi que le juge Noël l’a fait observer dans le jugement Gaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 989, [2007] ACF no 1308, le critère applicable est différent selon qu’il s’agit d’une demande d’ERAR ou d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire :
[24] Le critère à appliquer à l’égard des demandes CH est énoncé au paragraphe 17 de l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39, qui confirme la norme énoncée dans le Guide IP-5. La juge Claire L’Heureux‑Dubé a notamment écrit ceci :
17 [. . .] La directive 9.07 dit qu’il existe des considérations humanitaires lorsque « des difficultés inhabituelles, injustes ou indues seraient causées à la personne sollicitant l’examen de son cas si celle-ci devait quitter le Canada ». [. . .] [Non souligné dans l’original.]
[25] Conformément à cette norme, notre Cour a établi que, bien qu’il soit approprié que l’agent se fonde sur les facteurs de risque relevés dans un rapport antérieur sur un ERAR lorsqu’il rend une décision CH, il doit néanmoins veiller à établir une distinction entre les normes de preuve qui sont propres à chaque type de demande.
[26] Le juge en chef l’a particulièrement bien dit dans la décision Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 366, 2005 CF 296, aux paragraphes 2 à 5 :
2 En expliquant son raisonnement pour rejeter la demande de résidence permanente depuis le Canada des Pinter, l’agente d’immigration a souligné ce qui suit :
[traduction] Je n’ai pas traité des facteurs de risque relativement aux demandes puisqu’ils avaient été examinés par l’agent d’examen des risques avant renvoi, lequel avait conclu que les membres de la famille ne seraient pas en danger s’ils étaient renvoyés en Hongrie. Le risque dégagé dans la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire est identique à celui dégagé dans la demande d’ERAR.
Contrairement à la proposition de l’agente d’immigration, il existe une différence entre l’examen des facteurs de risque dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire et celui fait dans le cadre d’une demande de protection à l’encontre d’un renvoi.
3 Dans une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), le demandeur a le fardeau de convaincre le décideur qu’il y aurait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives à obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada.
4 Dans un examen des risques avant renvoi en vertu des articles 97, 112 et 113 de la LIPR, la protection peut être accordée à une personne qui, suivant son renvoi du Canada vers son pays de nationalité, serait exposée soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements cruels et inusités.
5 À mon avis, l’agente d’immigration a commis une erreur de droit en concluant qu’elle n’était pas tenue de traiter des facteurs de risque dans son examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Elle n’aurait pas dû se fermer aux facteurs de risque même si une décision défavorable valide avait pu être rendue à la suite d’un examen des risques avant renvoi. Il peut exister des considérations relatives au risque qui soient pertinentes pour une demande de résidence permanente depuis le Canada, lesquelles sont loin de satisfaire le critère plus rigoureux de la menace à la vie ou du risque de traitements cruels et inusités.
(Voir aussi les motifs du juge en chef dans Liyanage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1293, 2005 CF 1045, au paragraphe 41. Pour une excellente analyse, voir les motifs de madame la juge Danièle Tremblay-Lamer dans Sha’er c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 297, 2007 CF 231, au paragraphe 7.)
[18] Dans le jugement Sha’er c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 231, [2007] ACF no 297, la juge Tremblay-Lamer fait observer ce qui suit :
[7] Il est bien entendu, et les parties sont d’accord, que le critère à appliquer pour les décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est le suivant : si on tient compte de toutes les circonstances pertinentes, est-ce que l’obligation générale imposée à tous les étrangers de présenter une demande de résidence permanente à partir de l’étranger causerait à la demanderesse des difficultés inhabituelles, injustes ou indues (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 17; Legault c. Canada (M.C.I.), [2002] 4 C.F. 358, 2002 CAF 125, au paragraphe 23). Les difficultés inhabituelles, injustes ou indues incluent le risque que la demanderesse courrait dans le pays dont elle a la nationalité, son degré d’intégration dans la société canadienne et les conséquences de son renvoi du Canada.
[8] Il y a des différences substantielles d’analyse entre une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et une demande d’ERAR, comme cela est clairement exposé par le juge en chef Allan Lutfy dans Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 366 (QL), 2005 CF 296, aux paragraphes 3 et 4.
[…]
[9] Je remarque que, même si les critères pour une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et ceux pour une demande d’ERAR sont différents, ils sont liés comme l’a conclu le juge en chef Lutfy dans la décision Liyanage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.), [2005] A.C.F n° 1293 (QL), 2005 CF 1045. Au paragraphe 41 il déclare ce qui suit :
[…] l’agente d’immigration pouvait, pour l’analyse de la demande fondée sur des considérations humanitaires, adopter les conclusions factuelles de sa décision relative à l’évaluation des risques avant renvoi. Toutefois, il importait qu’elle soumette lesdites conclusions factuelles au critère des difficultés inhabituelles, injustes ou excessives, un seuil plus faible que le critère des menaces à la vie ou des peines cruelles et inusitées, lequel critère valait pour la décision relative à l’évaluation des risques avant renvoi.
[19] La juge Tremblay–Lamer a conclu, vu l’ensemble des faits de cette affaire, que l’agent n’avait pas appliqué le bon critère :
[14] En outre, la décision de l’agent montre qu’il a pris acte des allégations de discrimination de la demanderesse et que par la suite il en a minimisé l’importance en raison d’une mauvaise analyse juridique :
[traduction] Même s’il est vrai que la discrimination est un problème bien concret pour les minorités ethniques et religieuses en Israël, cela ne constitue pas en soi une persécution et ne démontre pas que le gouvernement israélien n’a pas la volonté et n’est pas en mesure de protéger la demanderesse. La preuve documentaire révèle que les citoyens israéliens peuvent compter sur la protection de la police et des tribunaux et que des recours officiels existent pour les personnes qui ont le sentiment d’être victimes de discrimination de la part des policiers.
[Non souligné dans l’original.]
[15] L’agent a fondamentalement pris acte de la discrimination, mais il a omis d’examiner correctement si cela constituait une difficulté inhabituelle, injuste ou indue pour la demanderesse dans les circonstances, comme cela est exigé dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Au lieu de cela, ses motifs révèlent qu’il a effectué une analyse propre à un ERAR qui a abouti au rejet de la discrimination comme moyen valable d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il s’agit là d’une erreur de droit et cette erreur justifie l’intervention de la Cour; voir Pinter, précitée au paragraphe 6; Liyanage, précitée, au paragraphe 44.
[20] Dans le jugement Hamam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1296, [2011] ACF no1585, aux paragraphes 41 et 42, le juge Mandamin fait par ailleurs observer ce qui suit :
41 Il appert de la jurisprudence que le risque à examiner dans une demande CH est celui des difficultés, ce qui diffère du risque envisagé dans une demande d’ERAR. Comme le juge Montigny l’a souligné dans la décision Ramirez, « [i]l va sans dire que la notion de "difficultés" dans une demande CH, et la notion de "risque" envisagée dans une ERAR ne sont pas équivalentes et doivent être appréciées selon une norme différente ».
[21] Il est également de jurisprudence constante que les risques allégués au soutien d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doivent être personnellement courus par le demandeur.
[22] Dans le jugement Lalane c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 6, [2009] ACF no 658 [Lalane], le juge Shore fait observer ce qui suit :
[1] L’allégation des risques au sein d’une demande de résidence permanente en vertu de considérations humanitaires (CH) doit être un risque particulier et personnel au demandeur. Le demandeur a le fardeau de démontrer un lien entre cette preuve et sa situation personnelle. Autrement, chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande CH, peu importe sa situation personnelle en cause, ce qui n’est pas le but et l’objectif d’une demande CH. En conclure ainsi constituerait une erreur à l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 25 de la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et délégué notamment à l’agent d’Examen des risques avant renvoi (ERAR) par le Ministre (Mathewa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 914, [2005] A.C.F. no 1153 (QL), au par. 10; également, le chapitre IP 5 du Guide de Citoyenneté et Immigration Canada sur le traitement des demandes au Canada intitulé « Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire » qui prévoit expressément que le risque identifié dans une demande CH doit être un risque personnalisé (section 13, p. 34), pièce « B », Affidavit de Dominique Toillon; Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 719, 149 A.C.W.S. (3d) 303).
[23] Dans le jugement Ramaischrand c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 441, [2011] ACF no 551 [Ramaischrand], le juge Mosley a également conclu qu’il n’était pas suffisant d’invoquer un risque généralisé pour obtenir gain de cause dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et qu’il devait y avoir un lien entre les éléments de preuve tendant à démontrer l’existence d’un risque généralisé et ceux relatifs à l’existence d’un risque personnalisé.
[24] Suivant la jurisprudence, il est possible d’examiner le même risque dans le cas d’une demande fondée sur l’article 25, à condition d’appliquer un critère préliminaire moins exigeant, parce qu’il faut apprécier les difficultés à la lumière des modifications apportées à l’article 25.
[25] Le paragraphe 25(1) de la Loi, qui est la disposition générale régissant les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, dispose :
25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché. |
25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected. |
[26] La Loi a été modifiée en 2010 pour clarifier la portée de l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire. Le paragraphe 25(1.3) a été ajouté et il dispose :
(1.3) Le ministre, dans l’étude de la demande faite au titre du paragraphe (1) d’un étranger se trouvant au Canada, ne tient compte d’aucun des facteurs servant à établir la qualité de réfugié — au sens de la Convention — aux termes de l’article 96 ou de personne à protéger au titre du paragraphe 97(1); il tient compte, toutefois, des difficultés auxquelles l’étranger fait face. |
(1.3) In examining the request of a foreign national in Canada, the Minister may not consider the factors that are taken into account in the determination of whether a person is a Convention refugee under section 96 or a person in need of protection under subsection 97(1) but must consider elements related to the hardships that affect the foreign national. |
|
|
[27] Dans l’affaire Caliskan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1190, [2012] ACF no 1291 [Caliskan], le juge Hughes a examiné les modifications apportées aux dispositions de la Loi en ce qui concerne les motifs d’ordre humanitaire. Il s’est notamment penché sur le nouveau paragraphe 25(1.3), qui exige que l’on ne tienne compte d’aucun des facteurs qui entrent en jeu pour rendre une décision aux termes des articles 96 et 97, lorsqu’il s’agit de statuer sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[28] Le juge Hughes a examiné le témoignage des personnes qui s’étaient présentées devant le comité parlementaire chargé d’étudier les modifications proposées en vue d’interpréter ce paragraphe, d’en préciser l’objectif et de déterminer ce qu’il fallait entendre par « éléments liés aux difficultés auxquelles l’étranger fait face ».
[29] Les témoins ont indiqué que la réforme visait à établir une distinction entre la détermination du statut de réfugié, un ERAR et une dispense fondée sur les motifs d’ordre humanitaire. La décision relative aux motifs d’ordre humanitaire n’est pas censée donner lieu à une nouvelle évaluation des mêmes risques, mais à une appréciation d’autres difficultés. Les témoins ont laissé entendre que des facteurs tels que des conditions défavorables généralisées dans le pays, une discrimination systémique, l’intérêt supérieur de l’enfant, ainsi que le degré d’établissement au Canada seraient étudiés dans le cadre d’une demande présentée en vertu du paragraphe 25(1.3).
[30] Le juge Hughes a abordé dans l’affaire Caliskan la même question que celle qui se pose en l’espèce :
[14] La question qui se pose est donc celle de savoir si le paragraphe 25(1.3) de la LIPR modifié, qui exclut la prise en compte des facteurs visés à l’article 96 et au paragraphe 97(1), est lui-même assujetti à l’exception au paragraphe 97(1) prévue au sous-alinéa 97(1)b)(ii). Autrement dit, le ministre, ou l’agent qui agit en son nom, doit-il tenir compte du« risque généralisé » lorsqu’il examine les « difficultés »?
[…]
[22] Je conclus que les auteurs des lignes directrices ont vu juste quant à l’interprétation qu’il convient de faire des dispositions modifiées de l’article 25 de la LIPR. Nous devons abandonner le vieux jargon et l’ancienne jurisprudence relatifs aux risques personnalisés et généralisés et nous concentrer sur les difficultés qu’éprouverait l’intéressé. Cet exercice plus général d’examen des difficultés en question comprend la prise en compte « des conditions défavorables dans le pays qui ont une incidence néfaste directe sur le demandeur ».
[31] Voici ce qu’on trouve à ce sujet dans les Lignes directrices :
5.16. Considérations d’ordre humanitaire et difficultés : facteurs pertinents à l’égard du pays d’origine
Bien qu’il ne puisse tenir compte des facteurs visés aux L96 et L97, le décideur doit tenir compte des éléments liés aux difficultés auxquelles l’étranger fait face. Voici quelques exemples de « difficultés » :
a. l’incapacité d’obtenir des traitements médicaux essentiels;
b. une forme de discrimination qui n’équivaut pas à de la persécution;
c. des conditions défavorables dans le pays qui ont une incidence néfaste directe sur le demandeur.
[32] Dans le jugement Caliskan, le juge Hughes a estimé que l’agent avait eu tort de se concentrer sur les risques auxquels le demandeur serait exposé et non sur les difficultés qu’il pourrait connaître, contrairement aux exigences de l’article 25. Il a ensuite certifié une question portant sur la nature des risques à examiner pour se conformer à l’article 25, dans sa version modifiée :
[26] J’estime que les motifs se concentrent à tort sur le risque et s’évertuent à opérer une distinction entre le risque personnalisé et le risque généralisé qui n’a pas sa place. Les motifs devraient se concentrer sur les difficultés, et notamment sur les conditions défavorables dans le pays qui ont une incidence néfaste directe sur le demandeur, le cas échéant. L’affaire sera renvoyée pour nouvelle décision par un agent différent, qui devra avoir ces principes à l’esprit.
[27] Je reconnais que la présente affaire soulève une question nouvelle qui n’a pas encore été examinée par la jurisprudence, et je certifierai la question suivante :
[traduction] Quelle est la nature du risque, s’il en est, qui doit être examiné au titre des considérations d’ordre humanitaire visées à l’article 25 de la LIPR, modifié par la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés?
[33] Dans le cas qui nous occupe, nous sommes également amenés à nous demander si les difficultés – par opposition aux risques déjà examinés en vertu de l’article 96 et 97 – auraient une incidence directe sur le demandeur. Bien que le juge Hughes affirme qu’il faille abandonner le vieux « jargon », il ne laisse pas entendre qu’il n’est pas nécessaire d’apprécier les difficultés que le demandeur en question pourrait connaître. Ainsi que la Cour l’a fait observer, dans le jugement Lalane, précité, s’il en était ainsi « chaque ressortissant d’un pays en difficulté devrait recevoir une évaluation positive de sa demande CH, peu importe sa situation personnelle en cause ». Pour justifier une dispense fondée sur les motifs d’ordre humanitaire, il est nécessaire que des facteurs, dont les conditions défavorables dans le pays et la discrimination, aient une incidence néfaste directe sur le demandeur.
[34] Il est possible d’adapter en fonction du nouvel article 25 la jurisprudence établie dans les décisions Lalane et Ramaischrand. En l’espèce, le demandeur doit par conséquent établir l’existence d’un lien entre les difficultés que pourraient connaître de façon générale les jeunes Tamouls de sexe masculin et celles auxquelles il serait exposé à son retour au Sri Lanka.
[35] L’agente a manifestement évalué la situation à laquelle le demandeur serait exposé. Elle a fait observer que certains Tamouls étaient spécialement visés et qu’ils étaient interrogés et détenus, mais uniquement parce qu’ils étaient soupçonnés d’être des sympathisants ou des partisans des TLET. L’agente a fait observer que la famille du demandeur au Sri Lanka n’avait pas été ciblée en vue de faire l’objet de mauvais traitements du fait de leur origine ethnique et que rien ne permettait de penser que le demandeur intéressait les autorités ou que ces dernières avaient cherché à savoir auprès de sa famille où il se trouvait. L’agente a conclu qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour pouvoir conclure que le demandeur serait ciblé ou encore pour confirmer ses affirmations qu’il serait personnellement victime de discrimination en raison de ses origines ethniques.
[36] L’agente s’est demandé en quoi, le cas échéant, les conditions défavorables au Sri Lanka et la discrimination dont étaient victimes les jeunes Tamouls de sexe masculin auraient une incidence néfaste directe sur le demandeur et elle a conclu que cette incidence ne serait pas suffisamment grave pour être assimilé à des difficultés justifiant d’accorder une dispense.
[37] Par suite des modifications apportées à l’article 25, les risques évoqués par le demandeur, en l’occurrence le risque d’être persécuté ou torturé ou de voir sa vie menacée ou de subir des traitements cruels et inusités du fait de sa race ou de ses origines ethniques, ont été examinés dans le cadre de sa demande d’asile et de sa demande d’ERAR et ne peuvent être réexaminés dans le cadre d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les motifs d’ordre humanitaire sont axés sur d’autres difficultés qui ne satisferaient pas au même critère minimal que celui qui est exigé aux articles 96 et 97. Dans certains cas, il peut y avoir un certain chevauchement entre les allégations de risque et les allégations de difficultés. Toutefois, pour donner effet aux modifications, l’appréciation devrait porter sur d’autres difficultés, y compris la discrimination et les conditions défavorables dans le pays et la question de savoir dans quelle mesure elles ont une incidence sur le demandeur, et sur la question de savoir si ces difficultés constituent des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.
[38] Ce raisonnement va dans le sens de la décision rendue par le juge Near (maintenant juge à la Cour d’appel) dans l’affaire JMSL c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1274, [2012] ACF no 1374, aux paragraphes 18 et 19 [JMSL]:
18 En l’espèce, je suis convaincu que l’agente a pris en considération la totalité des éléments de preuve qui lui étaient soumis et qu’elle est arrivée à une conclusion raisonnable. Il ressort clairement de la mention qu’elle a faite des décisions relatives aux demandes d’asile et d’ERAR des demandeurs qu’elle était au fait des [traduction] « problèmes que [les demandeurs] risquent d’avoir aux mains des Mara Salvatruchia [sic] ». Vu le paragraphe 25(1.3) de la LIPR, il était raisonnable de sa part de conclure que l’on avait déjà traité des craintes des demandeurs dans l’examen de ces autres demandes, et de se concentrer sur les difficultés que les demandeurs pourraient subir s’ils retournaient au Salvador pour présenter de là une demande de résidence permanente.
19 Comme le signale à juste titre le défendeur, les documents dont il est question aux pages 145 à 188 du dossier de demande sont principalement de documents d’identification et de vérification de dossiers de police. Le seul document qui est lié aux problèmes particuliers que les demandeurs pourraient subir en rapport avec le MS est un affidavit, fait par Mme Rosa Elbira Alvarado de Carranza, qui allègue avoir reçu des appels téléphoniques menaçants demandant où se trouvaient les demandeurs. Aucune mention précise de ce document n’a été faite dans les observations des demandeurs, et il n’existe aucune preuve corroborante. L’agente est en droit d’évaluer les éléments de preuve qu’elle a en main, et il n’est pas nécessaire qu’elle mentionne tous les éléments de preuve qu’elle prend en considération. Il ressort clairement de la décision que l’agente a tenu compte des difficultés précises auxquelles le demandeur mineur et la demanderesse pourraient être exposés. Sa conclusion selon laquelle ces difficultés n’étaient pas assimilables à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives était raisonnable.
[Non souligné dans l’original].
[39] Dans le cas qui nous occupe, l’agente a appliqué le bon critère et ses conclusions de fait sont raisonnables.
Établissement
[40] Le demandeur affirme que l’agente a commis une erreur en ne tenant pas compte de son degré d’établissement au Canada parce qu’il se trouvait au Canada sans statut pendant toute cette période.
[41] Je ne suis pas de cet avis. L’agente a examiné à fond le degré d’établissement du demandeur au sein de la société canadienne et de sa famille dans ses deux décisions. L’agente a fait observer que le demandeur s’était adapté à la vie avec son oncle et sa tante, qu’il réussissait bien à l’école, qu’il travaillait à temps partiel pour son oncle et qu’il s’était fait des amis. L’agente a toutefois estimé que ce degré d’établissement correspondait à celui auquel on pouvait s’attendre dans des situations analogues. L’agente a reconnu que le demandeur préférerait demeurer au Canada et que son retour au Sri Lanka entraînerait une séparation d’avec ses nouveaux amis, son oncle et sa tante ainsi qu’avec ses proches canadiens, mais qu’il avait de la famille au Sri Lanka pour l’aider. L’agente a examiné tous les aspects de l’établissement du demandeur et a conclu de façon raisonnable que, bien que difficile, la séparation en question n’équivalait pas à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.
[42] L’agente a fait observer, comme je le ferais, qu’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire dispense le demandeur de présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger et que le demandeur pouvait présenter sa demande une fois revenu chez lui.
[43] Dans le jugement Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, [2006] ACF no 425, le juge de Montigny s’est demandé si l’agente avait entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas compte d’éléments de preuve relatifs à l’établissement des demandeurs après que ceux‑ci eurent fait l’objet d’une mesure de renvoi. Le juge de Montigny a fait les observations suivantes aux paragraphes 20 à 24 :
L’une des pierres angulaires de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est l’obligation, pour les personnes qui souhaitent s’établir de manière permanente au Canada, de soumettre avant leur arrivée au Canada une demande hors du Canada, de satisfaire aux critères relatifs au statut de résident permanent et d’obtenir un visa de résidence permanente. L’article 25 de la Loi donne au ministre la possibilité d’autoriser certaines personnes, dans les cas qui le justifient, à déposer leur demande depuis le Canada. Cette mesure se veut clairement une mesure d’exception […]
Il serait clairement à l’encontre de l’objet de la Loi de prétendre que plus un demandeur reste longtemps au Canada en situation illégale, meilleures sont ses chances d’être autorisé à s’établir de manière permanente, et ce, même si ce demandeur ne satisfait pas aux critères lui permettant d’obtenir le statut de réfugié ou de résident permanent. Cet argument circulaire a effectivement été examiné par l’agente d’immigration, mais il n’a pas été retenu. Cette conclusion ne m’apparaît pas déraisonnable.
[…]
[O]n ne peut pas dire que l’exercice de tous les recours prévus par la LIPR corresponde à des circonstances échappant au contrôle du demandeur. Le demandeur qui se voir refuser le statut de réfugié est parfaitement en droit d’épuiser tous les recours mis à sa disposition par la loi, mais il doit savoir que ce faisant, son éventuel renvoi en sera d’autant plus pénible. […]
En tout état de cause, l’agente d’immigration n’a pas refusé de prendre en compte l’établissement des demandeurs au Canada, mais elle a décidé d’accorder peu de valeur à ce facteur. En conséquence, on ne peut pas dire qu’elle a entravé son pouvoir discrétionnaire; bien au contraire, elle a examiné l’ensemble des circonstances avant de conclure comme elle l’a fait et elle a donc ainsi exercé son pouvoir discrétionnaire. […]
[44] En l’espèce, le demandeur s’est prévalu de toutes les possibilités qui s’offraient à lui pour demeurer au Canada et, pendant la période qu’il a passée au Canada, il s’est adapté et a fait ce à quoi on s’attendrait d’un jeune étudiant : il a fréquenté l’école, s’est fait des amis, s’est adapté à la vie avec ses proches au Canada et a exercé un emploi à temps partiel. L’agente a tenu compte de ces facteurs et elle n’a pas minimisé l’importance de son degré d’établissement. Elle s’est contentée de faire observer ce qui était évident, en l’occurrence, que le demandeur avait agi de la sorte en attendant d’obtenir son statut d’immigrant.
[45] Ainsi que la juge Snider l’a fait observer dans le jugement Alexander c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 634, [2012] ACF no 863 :
[14] Comme le défendeur le fait remarquer, Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 8, [2004] 2 RCF 635, enseigne que « le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose ». Même si la demanderesse affirme que seule une décision favorable pouvait être rendue sur la foi de son établissement au Canada, ce n’est tout simplement pas le cas. La preuve relative à son établissement au Canada démontrait que des membres de sa famille vivaient ici, qu’elle travaillait ici et qu’elle avait créé des liens avec la collectivité ici. Le fait que la procédure d’expulsion entraîne normalement des difficultés et qu’une dispense ne doit être accordée que lorsque ces difficultés dépassent les conséquences inhérentes à l’expulsion est indissociable des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agent a tenu compte de tous les éléments de preuve et a raisonnablement conclu que l’établissement de la demanderesse n’entraînerait pas de difficultés indues.
[Non souligné dans l’original.]
[46] L’évaluation d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire suppose que l’on tienne compte d’une foule de facteurs, et le degré d’établissement n’est pas déterminant en soi (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 813, [2011] ACF no 1014, au paragraphe 13).
L’intérêt supérieur de l’enfant
[47] Le demandeur affirme également que l’agente n’a pas analysé la question de l’intérêt supérieur de l’enfant comme elle devait le faire pour se prononcer sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[48] Le demandeur avait moins de 18 ans lorsqu’il est arrivé au Canada et il avait 18 ans au moment où il a soumis sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Bien que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant porte sur des enfants âgés de moins de 18 ans, il est évident que l’agente a tenu expressément compte de cet aspect de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire dans sa décision d’avril et qu’elle a tenu compte de l’âge du demandeur pour apprécier son degré d’établissement dans sa décision de juillet.
[49] L’agente a fait observer que le demandeur avait créé des liens avec les membres de sa famille avec lesquels il vivait au Canada, mais qu’il avait également ses parents et des frères et sœurs au Sri Lanka et qu’il avait vécu toute sa vie au Sri Lanka jusqu’en 2010 et y avait fréquenté l’école.
[50] L’agente a conclu de façon raisonnable que le demandeur ne serait pas exposé à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’il devait retourner auprès de sa famille pour poursuivre ses études au Sri Lanka.
[51] L’agente n’a pas commis d’erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle s’est montrée « réceptive, attentive et sensible » à cet intérêt : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, [1999] ACS no 39, au paragraphe 75. Le point de départ de cette analyse consiste à se demander où réside l’intérêt supérieur de l’enfant. Or, c’est ce que l’agente a fait. Elle a estimé qu’il était dans l’intérêt supérieur du demandeur qu’il retourne auprès de sa famille au Sri Lanka. Bien que le demandeur soit d’avis qu’il est plutôt dans son intérêt supérieur de demeurer au Canada, il est de jurisprudence constante que, même si la vie peut être meilleure au Canada pour les enfants, il en faut plus pour justifier une dispense fondée sur l’intérêt supérieur de l’enfant (voir, par ex., le jugement Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2002] ACF no 1687, au paragraphe 5).
Évaluation psychologique
[52] Le demandeur affirme que l’agente a commis une erreur en écartant l’évaluation psychologique parce qu’elle reposait sur ce que le demandeur avait dit au psychologue. Le demandeur soutient que, comme aucune conclusion négative n’avait été tirée au sujet de la crédibilité, l’agente n’avait aucune raison valable de rejeter le rapport du psychologue.
[53] Le demandeur affirme également qu’il était impossible que l’agente accepte le diagnostic du demandeur tout en écartant les raisons de ce diagnostic. Le demandeur affirme en outre que l’agente n’a pas tenu compte du préjudice que subirait le demandeur s’il devait retourner au Sri Lanka.
[54] Il ressort à l’évidence des motifs de sa décision que l’agente n’a pas écarté le rapport. Elle en a tenu compte dans ses deux décisions. Dans son addenda, l’agente fait observer que le psychologue avait relevé que le demandeur avait raconté le fait qu’il avait été détenu avec d’autres garçons pendant plusieurs heures, que des soldats l’avaient menacé pendant sa période de détention et qu’ils continuaient à interroger sa famille pour savoir où il se trouvait.
[55] L’agente a examiné l’évaluation psychologique dans laquelle étaient analysées les conséquences du renvoi imminent du demandeur au Sri Lanka. L’agente a fait observer que l’on trouvait dans le rapport du psychologue du ouï‑dire sur la situation qui existe au Sri Lanka, et que le médecin n’était pas en mesure de témoigner à titre d’expert à ce sujet. L’agente a reconnu que le demandeur pouvait souffrir d’anxiété et d’angoisse pour diverses raisons.
[56] L’agente a également fait observer que le demandeur ne cherchait pas à se faire soigner au Canada et que s’il avait besoin de soins, il pouvait les obtenir au Sri Lanka. L’agente n’a pas omis de tenir compte du fait que le rapport indiquait que le bien-être du demandeur déclinait depuis qu’une mesure d’expulsion avait été prise contre lui.
[57] L’agente a conclu de façon raisonnable que ces circonstances ne pouvaient être assimilées à des difficultés excessives.
[58] L’agente n’a pas mal interprété les éléments de preuve suivant lesquels le demandeur subirait un préjudice s’il retournait au Sri Lanka, c.‑à‑d. que son trouble de stress post-traumatique s’aggraverait s’il retournait au Sri Lanka. L’agente a tenu compte de ce facteur, et a fait observer que, chez la plupart des gens, une expulsion crée des difficultés, sans toutefois être convaincue que ces éléments de preuve permettaient de conclure que le demandeur subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.
[59] L’agente a conclu en expliquant que le processus d’examen des motifs d’ordre humanitaire n’était pas censé supprimer les difficultés, mais plutôt à remédier aux difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.
Conclusion
[60] Comme je l’ai déjà mentionné, la norme de contrôle qui s’applique aux décisions relatives aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaires est celle de la décision raisonnable.
[61] Ainsi que l’agente le fait observer dans ses motifs, le processus d’examen des motifs d’ordre humanitaire permet d’accorder une dispense de l’obligation de présenter sa demande de résidence permanente depuis l’extérieur du Canada. Il s’agit d’une mesure exceptionnelle qui ne doit être prise que lorsqu’il existe des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. L’agente a apprécié tous les facteurs et a établi la distinction qu’il convenait d’établir entre l’évaluation du risque, qui avait déjà été effectuée dans le cadre de la demande d’ERAR, et l’appréciation des difficultés à laquelle il faut procéder pour trancher une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agente a reconnu l’existence de conditions défavorables pour l’ensemble des Tamouls de sexe masculin au Sri Lanka, mais a conclu de façon raisonnable qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur avait un profil qui ferait en sorte qu’il serait ciblé, ajoutant qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur subirait des conséquences négatives directes. L’agente a clairement motivé son appréciation et sa décision. Rien ne nous justifie de modifier ces conclusions.
[62] Bien que le demandeur souhaite ardemment demeurer au Canada, son retour chez lui au Sri Lanka ne l’empêcherait pas de présenter une demande de résidence permanente.
Question certifiée
[63] Le demandeur a proposé deux questions à certifier. La première est accompagnée d’un préambule qui mentionne l’appréciation que l’agente a faite de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en faisant valoir que l’agente a tenu compte de facteurs positifs pour ensuite les rejeter tous, y compris le facteur relatif à l’établissement du demandeur au Canada. Le demandeur affirme qu’il existe une tendance en jurisprudence suivant laquelle le caractère exceptionnel du pouvoir discrétionnaire qui est exercé en matière de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire justifie d’écarter les facteurs positifs.
[64] Voici la première question proposée :
[traduction]
L’agent exerce‑t‑il son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable lorsqu’il transforme systématiquement des facteurs positifs favorisant le maintien de l’intéressé au Canada en des facteurs négatifs, de sorte que tous les facteurs sont essentiellement écartés lorsqu’il s’agit pour l’agent d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour statuer sur une demande fondée sur les motifs d’ordre humanitaire?
[65] Le défendeur affirme qu’il ne s’agit pas d’une question grave de portée générale qui serait susceptible de trancher un appel.
[66] La question proposée est axée sur la décision que l’agente a rendue en se fondant sur les faits de l’espèce. Une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est une mesure discrétionnaire. Rien ne garantit une issue quelconque. Dans le cas qui nous occupe, l’agente n’a écarté aucun facteur. Elle a plutôt examiné tous les facteurs et arguments pertinents et conclu qu’il n’y avait pas lieu d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour accorder la dispense demandée.
[67] Je suis d’accord pour dire qu’il n’y a pas lieu de certifier la première question proposée.
[68] La seconde question proposée par le demandeur est la suivante :
[traduction]
L’agente a‑t‑elle commis une erreur de droit en obligeant le demandeur à démontrer que les difficultés qu’il pourrait connaître devaient être personnalisées parce qu’elles étaient fondées sur une discrimination?
[69] Le demandeur a formulé la question qu’il propose en y ajoutant le commentaire que la discrimination est fondée sur les caractéristiques d’un groupe.
[70] Le défendeur fait observer, en ce qui concerne la seconde question, que la Loi et la jurisprudence ont déterminé que les facteurs relatifs aux motifs d’ordre humanitaire doivent se rapporter à la situation de l’étranger. Le défendeur affirme que les décisions Lalane et Ramaischrand ont jugé qu’il fallait procéder à une appréciation individuelle.
[71] Le défendeur affirme également que la question proposée vise à rouvrir la question factuelle de savoir si l’agente a bien appliqué le critère des difficultés plutôt que le critère applicable aux risques qui est énoncé aux articles 96 et 97. Il est de jurisprudence constante que ces critères sont distincts. Par conséquent, cette question n’est pas une question grave de portée générale.
[72] Je constate que le juge Near (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a certifié une question sur ce sujet dans le jugement JMSL :
1. Quelle est la nature du risque, s’il en est, qui doit être examiné au titre des considérations d’ordre humanitaire visées à l’article 25 de la LIPR, modifié par la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés?
2. Pour l’examen des considérations d’ordre humanitaire, le fait d’exclure les « facteurs » qui sont pris en compte pour répondre à la question de savoir si une personne a besoin d’être protégé en vertu des articles 96 ou 97 de la LIPR signifie-t-il que les faits qui ont été présentés au décideur dans le cadre de la demande d’asile ne peuvent pas être utilisés pour déterminer les « difficultés » auxquelles fait face un étranger conformément au paragraphe 25(1.3) de la LIPR?
[73] À mon avis, il y a des raisons qui militent en faveur de certifier la même question large que celle qu’avait certifiée le juge Hughes dans l’affaire Caliskan, parce que la question proposée par le demandeur est englobée dans cette question. J’en suis arrivée à la conclusion que les difficultés doivent être personnelles, en ce sens qu’elles doivent avoir des incidences directes et négatives sur le demandeur. Si cette interprétation de l’article 25 n’est pas exacte, il est effectivement nécessaire de clarifier la nature des risques dont il convient de tenir compte en vertu de l’article 25.
[74] Je certifierais donc de nouveau la question suivante :
Quelle est la nature du risque, s’il en est, qui doit être examiné au titre des considérations d’ordre humanitaire visées à l’article 25 de la LIPR, modifié par la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés?
JUGEMENT
LA COUR :
1. REJETTE la demande de contrôle judiciaire;
2. PROPOSE la question suivante en vue de sa certification :
Quelle est la nature du risque, s’il en est, qui doit être examiné au titre des considérations d’ordre humanitaire visées à l’article 25 de la LIPR, modifié par la Loi sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés?
« Catherine M. Kane »
Juge
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-7316-12
INTITULÉ : JEYAKANNAN KANTHASAMY c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 27 février 2013
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LA JUGE KANE
DATE DES MOTIFS : Le 19 juillet 2013
COMPARUTIONS :
Barbara Jackman
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Alexis Singer |
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
BARBARA JACKMAN PROFESSIONAL CORPORATION Jackman, Nazami & Associates Avocats Toronto (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR |
WILLIAM F. PENTNEY Sous-procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR
|