Cour fédérale |
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Federal Court |
Date : 20130712
Dossier : T-788-12
Référence : 2013 CF 783
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2013
En présence de monsieur le juge O’Keefe
ENTRE :
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SORAYA KAMAL FARAG
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c. C‑29, (la Loi), à l’égard d’une décision d’une juge de la citoyenneté datée du 15 février 2012, rejetant la demande de citoyenneté de la demanderesse.
[2] La demanderesse sollicite une ordonnance renvoyant l’affaire à un autre juge de la citoyenneté afin qu’il rende une nouvelle décision.
Contexte
[3] La demanderesse est devenue résidente permanente du Canada à son arrivée, le 19 juillet 1997. Elle a demandé la citoyenneté le 16 août 2010.
[4] Le 1er septembre 2011, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a envoyé à la demanderesse un questionnaire sur la résidence. Le bureau de Windsor de CIC a reçu le questionnaire le 27 septembre 2011.
[5] La demanderesse a eu une audience avec la juge de la citoyenneté le 15 décembre 2011.
La décision
[6] La décision est datée du 15 février 2012. La période pertinente en l’espèce au titre du calcul de la résidence selon la Loi, comme l’a définie la juge de la citoyenneté, est du 16 août 2006 au 15 août 2010. La juge a indiqué que la demanderesse a déclaré 1 286 jours de présence physique possible. Elle n’était pas convaincue que la demanderesse a établi et maintenu une résidence conformément à la Loi.
[7] La juge de la citoyenneté a relevé que le bail relatif à l’adresse de la demanderesse du 19 août 2005 au 31 août 2007 portait le nom des autres membres de la famille de la demanderesse, mais pas le sien. Les relevés de carte de crédit produits ne commençaient que 14 mois après le début de la période de résidence et faisaient état de nombreux achats effectués outre‑mer pendant la période au cours de laquelle la demanderesse a prétendu être au Canada. Les relevés bancaires produits ne consistaient qu’en la première page de documents de plusieurs pages et, par conséquent, n’ont pas pu être analysés. Ils faisaient aussi état d’achats acquittés par carte de débit à des périodes où la demanderesse n’était pas physiquement présente au Canada.
[8] La demanderesse a produit des déclarations de revenus pour 2006, 2007, 2008 et 2010, mais pas 2009. Toutes les déclarations ne font état d’aucun revenu. La juge de la citoyenneté s’est demandé comment la demanderesse pouvait se permettre de voyager à l’étranger. Le relevé de notes de la demanderesse à l’Université de Windsor indique qu’elle n’a accumulé aucun crédit depuis la session d’automne de 2008 et qu’elle a dû abandonner le programme.
[9] Dans le questionnaire de résidence de la demanderesse, des changements ont été relevés par rapport aux faits énoncés sur la demande originale. La demanderesse a ajouté des adresses domiciliaires à Montréal, à Ottawa et à Windsor. Elle a aussi ajouté, au titre de ses études, qu’elle a suivi des cours à domicile et qu’elle a fréquenté le collège St. Claire. Elle a changé la date d’un voyage effectué en 2007 pour faire état de 10 jours de plus à l’étranger.
[10] La juge de la citoyenneté a souligné que la demanderesse avait été convoquée à une audience pour évaluation de ses capacités linguistiques et de ses connaissances et pour qu’elle explique les divergences relevées.
[11] À l’audience, la demanderesse a produit un permis de conduire ayant expiré le 22 août 2010 et a expliqué qu’elle n’a jamais conduit de véhicule automobile et n’utilisait le permis qu’à des fins d’identification. La demanderesse a affirmé qu’elle avait fait la navette plusieurs fois entre l’Égypte et le Canada après avoir obtenu la résidence permanente, mais qu’elle n’avait pas fait mention de ces voyages dans son questionnaire sur la résidence. La demanderesse a aussi inscrit une adresse qui, selon ce que la GRC a fait savoir à CIC, est fausse. La demanderesse a affirmé à cet égard qu’elle avait inscrit ce que son père lui avait dit d’inscrire.
[12] La demanderesse a décrit son domicile actuel à l’audience. Elle a laissé en blanc la section du questionnaire portant sur les liens sociaux avec le Canada et a déclaré à la juge de la citoyenneté à l’audience qu’elle ne fréquentait pas d’établissement d’enseignement et ne faisait pas de bénévolat parce qu’elle souffrait d’une dépression. Elle n’a jamais consulté de dentiste ou de médecin; ses verres de correction lui ont été prescrits au Caire en 2008.
[13] À l’audience, la juge de la citoyenneté a demandé à la demanderesse de produire divers documents additionnels. CIC a reçu les documents en question le 23 décembre 2011. Les relevés d’entrée et de sortie des Émirats arabes unis indiquaient quelque 92 jours d’absence non déclarés pendant la période pertinente.
[14] La juge de la citoyenneté n’était pas convaincue que, selon la prépondérance des probabilités, l’information fournie par la demanderesse reflétait exactement le nombre de jours où celle‑ci avait été physiquement présente au Canada.
[15] La juge de la citoyenneté a appliqué le critère énoncé dans Koo, Re, [1992] ACF no 1107. Elle a appliqué les six facteurs de la façon suivante :
(1) La personne était-elle réellement présente au Canada pendant une longue période avant ses absences récentes qui se sont produites immédiatement avant la présentation de la demande de citoyenneté?
La juge de la citoyenneté a renvoyé aux fréquents voyages effectués par la demanderesse en Égypte et aux Émirats arabes unis avant la période de résidence et au fait que la demanderesse avait indiqué ne pas avoir de liens sociaux avec le Canada.
(2) Où résident les personnes à charge et les membres de la famille immédiate de la demandeure (et de la famille élargie)?
La famille immédiate de la demanderesse vit à Windsor (Ontario), mais les membres de la famille élargie de la demanderesse sont aux Émirats arabes unis et en Égypte.
(3) Les présences réelles de la demandeure au Canada semblent‑elles indiquer qu’elle rentre chez elle ou qu’elle revient au pays simplement en visite?
Il a été difficile pour la juge de la citoyenneté d’évaluer la présence physique de la demanderesse au Canada. Il ne lui semblait pas crédible que la demanderesse n’ait aucun lien social avec le Canada après avoir fréquenté l’université à temps plein. Le fait que la demanderesse n’a pas de médecin, de dentiste et ne se procure aucun médicament d’ordonnance au Canada et qu’elle s’est procurée ses verres correcteurs au Caire indiquait qu’elle n’a laissé aucune trace d’une véritable présence depuis son arrivée en 1997 et qu’elle n’y était qu’en visite.
(4) Quelle est la durée des absences réelles – s’il ne manque que quelques jours à la demandeure pour atteindre le total de 1 095, il est plus facile de conclure à une résidence présumée que si ses absences étaient prolongées;
La juge de la citoyenneté a estimé que, en raison des nombreuses incohérences figurant dans le témoignage et les déclarations de la demanderesse, celle‑ci n’avait pas prouvé qu’elle avait été physiquement présente au Canada pendant la période requise.
(5) L’absence réelle est-elle attribuable à une situation de toute évidence temporaire, comme avoir un emploi de missionnaire à l’étranger, y suivre un cours dans un établissement d’enseignement, accepter un emploi temporaire à l’étranger, accompagner un conjoint qui a accepté un emploi temporaire à l’étranger;
La juge de la citoyenneté a estimé que la situation de la demanderesse n’était pas temporaire. La demanderesse a continué de voyager fréquemment en 2009, 2010 et 2011. La juge de la citoyenneté a conclu que la demanderesse devait avoir un revenu malgré ses déclarations indiquant un revenu néant.
(6) De quelle qualité sont les rapports de la demandeure avec le Canada; sont-ils plus solides que ceux qu’elle entretient avec un autre pays?
La juge de la citoyenneté a estimé que la demanderesse semblait avoir pour seul lien avec le Canada sa famille immédiate.
[16] La juge de la citoyenneté n’a pas approuvé la demande et a refusé de faire une recommandation favorable conformément aux paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi.
Questions en litige
[17] Dans son mémoire, la demanderesse soulève la question suivante :
La juge de la citoyenneté a‑t‑elle commis une erreur de droit en concluant que la demanderesse ne satisfaisait pas aux exigences relatives à la résidence énoncées à l’alinéa 5(1)c) de la Loi?
[18] Je reformulerais les questions en litige ainsi :
1. Quelle est la norme de contrôle qui s’applique?
2. La juge de la citoyenneté a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande?
Observations écrites de la demanderesse
[19] La demanderesse soutient que la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable. Elle soutient que le seul critère qu’il convient d’appliquer en matière de résidence selon la Loi est énoncé dans Martinez-Caro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 640, soit la présence physique. La juge de la citoyenneté a commis une erreur en utilisant dans le cadre de son appréciation le critère énoncé dans Koo (Re), précité. Les calculs effectués par la juge de la citoyenneté montraient que la demanderesse n’avait été absente du Canada que 325 jours, ce qui lui donne 1 135 jours de présence physique.
[20] De plus, la demanderesse soutient que la juge de la citoyenneté a commis une erreur dans l’application du critère énoncé dans Koo (Re), précité. La demanderesse avait fourni à la juge de la citoyenneté de l’information se rapportant aux facteurs énoncés dans Koo :
1. Elle avait demandé de suivre des cours à la maison parce que sa famille s’est établie au Québec et qu’elle n’a aucune connaissance de la langue française. Elle a bien des liens sociaux avec le Canada et n’a pas prétendu ne pas en avoir aucun.
2. Le nombre de jours passés au Canada pendant la période pertinente est exact tel qu’indiqué dans son questionnaire sur la résidence.
3. Elle a déclaré avoir des réticences à consulter des médecins et avoir refusé d’être vaccinée à l’Université de Windsor par crainte des vaccins.
4. Avant sa dépression, la demanderesse a fréquenté l’université à temps plein pendant deux ans, et les relevés bancaires attestent de sa présence au Canada pendant les autres années. Son père subvient à ses besoins.
5. Sa famille ne constitue pas son seul lien avec le Canada, étant donné qu’elle a aussi des amis qu’elle a rencontrés à l’université.
[21] Les documents fournis par la demanderesse attestent qu’elle a centralisé son mode d’existence au Canada. Il était déraisonnable que la juge de la citoyenneté conclue le contraire.
Observations écrites du défendeur
[22] Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Les juges de la citoyenneté peuvent adopter l’un ou l’autre des critères énoncés par la Cour concernant les exigences en matière de résidence prévues dans la Loi. Tant que le critère est appliqué de façon raisonnable, la Cour ne devrait pas intervenir.
[23] La juge de la citoyenneté a appliqué le critère qu’elle a choisi de façon raisonnable, et le choix du critère n’importe pas en l’espèce. Il y a trop d’incohérences dans les éléments de preuve, et la juge de la citoyenneté a conclu de façon raisonnable que la preuve était insuffisante. Le principal problème en l’espèce est l’absence d’éléments de preuve objectifs faisant état d’une piste de vérification. Il ressort clairement des éléments de preuve dont disposait la juge de la citoyenneté que les exigences n’ont pas été remplies.
Analyse et décision
[24] Question en litige 1
Quelle est la norme de contrôle applicable?
Lorsque la jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la Cour est saisie, la cour de révision peut adopter cette norme (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 57).
[25] La Cour a déjà statué que la raisonnabilité est la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux appels interjetés à l’encontre des décisions de juges de la citoyenneté (voir Kohestani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 373, au paragraphe 12, [2012] ACF no 443).
[26] En examinant la décision du juge de la citoyenneté en fonction de la norme de la raisonnabilité, la Cour ne devrait pas intervenir, sauf si le juge de la citoyenneté a rendu une conclusion qui n’est pas transparente, justifiable et intelligible et qui n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier en fonction des éléments de preuve dont il disposait (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 4). Comme l’a statué la Cour suprême dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, les cours de révision ne peuvent pas substituer la solution qu’ils jugent appropriée à celle qui a été retenue, pas plus qu’il ne leur revient de revoir les éléments de preuve (au paragraphe 59).
[27] Question en litige 2
La juge de la citoyenneté a‑t‑elle commis une erreur en rejetant la demande?
Le présent appel n’a pas trait au critère de résidence qu’il convient d’appliquer. Il est clair que la juge de la citoyenneté aurait rejeté la demande peu importe le critère, étant donné qu’elle n’était pas convaincue que la demanderesse avait au Canada des liens plus que minimaux, au plan qualitatif, et que la demanderesse n’avait pas passé ici le nombre de jours nécessaires, au plan quantitatif.
[28] Je ne peux pas, contrairement à ce que soutient la demanderesse, conclure à partir des notes de la juge de la citoyenneté figurant dans le dossier certifié du tribunal que celle‑ci a tiré une conclusion concernant le nombre de jours où la demanderesse était à l’extérieur. Les calculs de la juge de la citoyenneté au sujet du nombre de jours au Canada que la demanderesse prétend avoir passé au Canada sont clairement distincts de sa conclusion sur la question de savoir s’il y a suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de cette prétention.
[29] La juge de la citoyenneté a tenu compte des éléments de preuve produits par la demanderesse et conclu, sur la foi de nombreuses incohérences relevées dans les éléments de preuve documentaire, que celle‑ci n’avait pas été présente le nombre de jours requis. Il était par conséquent à l’avantage de la demanderesse que la juge de la citoyenneté applique le critère qualitatif au lieu de mettre fin à l’enquête après avoir tiré cette conclusion. L’application par la juge de la citoyenneté de ce critère était raisonnable étant donné le degré d’établissement limité de la demanderesse au Canada.
[30] L’appel est par conséquent rejeté.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que l’appel de la demanderesse est rejeté.
« John A. O’Keefe »
Juge
Traduction certifiée conforme
Line Niquet
ANNEXE
Dispositions législatives pertinentes Relevant Statutory Provisions
Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c. C‑29 Citizenship Act, RSC 1985, c C-29
5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :
a) en fait la demande;
b) est âgé d’au moins dix-huit ans;
c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :
(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,
(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;
d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;
e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantage conférés par la citoyenneté;
f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visé par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20. |
5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who
(a) makes application for citizenship;
(b) is eighteen years of age or over;
(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:
(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and
(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;
(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;
(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and
(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20. |
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-788-12
INTITULÉ : SORAYA KAMAL FARAG
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 16 janvier 2013
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : Le juge O’Keefe
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 12 juillet 2013
COMPARUTIONS :
John Rokakis
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POUR LA DEMANDERESSE
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Neeta Logsetty |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John Rokakis Windsor (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
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William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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