Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20130626

Dossier : IMM-9778-12

Référence : 2013 CF 708

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 26 juin 2013

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

Entre :

 

LUIS FERNANDO RAMOS AGUILAR

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), à l’encontre d’une décision datée du 28 août 2012, dans laquelle il a été conclu que le demandeur M. Aguilar n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97(1) de la Loi.

 

[2]               La seule question en l’espèce est celle de savoir si la décision de la Commission de rejeter la demande de M. Aguilar, présentée en application du paragraphe 97(1), parce qu’elle a conclu, après examen de la jurisprudence, que le risque auquel il était exposé était un risque « auquel sont généralement exposées "d’autres personnes originaires de ce pays" », aux termes du sous‑alinéa 97(1)b)(ii), était raisonnable.

 

[3]               La Commission a répété à divers moments après la fin du témoignage de M. Aguilar à l’audience qu’elle croyait son récit. La Commission a malheureusement omis de rendre justice au témoignage détaillé donné par M. Aguilar dans son témoignage oral et dans le récit de 10 pages, tapé à simple interligne, qu’il avait annexé à son Formulaire de renseignements personnels. On retrouve le résumé de la Commission au paragraphe deux de sa décision :

[2] Le demandeur d’asile et son frère se sont rendus aux États‑Unis en 2000 et, en l’espace de quelques années, ils ont réussi à économiser suffisamment d’argent pour retourner au Mexique et y ouvrir un restaurant en janvier 2005. Peu de temps après l’ouverture du restaurant, les deux frères ont commencé à être victimes d’extorsion, à l’instar de toutes les autres entreprises de la région. Quelques mois plus tard, soit en avril 2005, ils ont ouvert un autre restaurant. En août 2005, les criminels ont augmenté considérablement la somme qu’ils exigeaient du demandeur d’asile et de son frère pour assurer leur protection. Le demandeur d’asile a refusé de payer cette somme, après quoi il a eu une altercation physique avec les criminels. Le demandeur d’asile a signalé cet incident à la police, mais celle‑ci lui a expliqué qu’elle ne pouvait rien faire parce qu’elle n’avait trouvé aucune arme à feu, contrairement à ce qu’avait allégué le demandeur d’asile. Ce dernier est arrivé à Montréal le 28 octobre 2005 en compagnie de son frère. Ensuite, le demandeur d’asile est retourné au Mexique et il a ouvert une autre entreprise, soit un atelier de mécanique situé juste à côté du restaurant. Les criminels sont retournés voir le demandeur d’asile, et ce dernier est donc revenu au Canada en juin 2006. Il est ensuite retourné au Mexique en avril 2007 et, après avoir vécu d’autres incidents avec les criminels, il est revenu au Canada en avril 2009 et il a présenté une demande d’asile quelques jours plus tard.

 

[4]               Les faits essentiels suivants brillent par leur absence dans le résumé de la Commission :

a.       En septembre 2005, le demandeur a été arrêté alors qu’il conduisait sa camionnette, il a été extirpé de son véhicule, il a été frappé, a reçu des coups de pieds, et a été forcé à genoux, auquel moment un des hommes à dit [traduction] « tue-le maintenant ».

b.      Il a entendu le surnom de l’un de ses agresseurs (El Memo) et ce n’est que par chance qu’il a évité la mort.

c.       Il a fait un rapport à la police au sujet de cette situation, et il a précisément identifié El Memo comme l’un de ses agresseurs. Les policiers ont arrêté El Memo, mais l’ont relâché dans la semaine parce que son « patron » El Jarocho a payé un pot‑de‑vin à la police.

d.      Lorsqu’on a avisé le demandeur de ce fait, on l’a aussi avisé que les agresseurs voulaient [traduction] « me trouver pour me tuer ».

e.       Le demandeur et sa famille sont venus au Canada pour « un certain temps » et, à son retour au Mexique, il a lancé une nouvelle entreprise.

f.       En mai 2006, le demandeur et sa famille sont retournés à la camionnette après avoir fait des achats et ont vu un objet étrange sur le toit de la camionnette et quelque chose dans la fenêtre. Après inspection, ils ont réalisé qu’il s’agissait d’un sac dans lequel on avait placé un animal mort et sanglant (probablement un chat) et qu’on avait écrit sur la fenêtre arrière [traduction] « nous t’avons trouvé, connard ».

g.      Le demandeur et sa famille ont de nouveau quitté le Mexique pour venir au Canada. À son retour au Mexique, le demandeur a reçu une demande des criminels pour le paiement de 2 millions de pesos parce qu’il avait causé l’arrestation et l’emprisonnement de l’un de leurs membres. Il a négocié de leur payer 10 000 pesos par mois pendant un an, ce qu’il a fait.

h.      Lorsqu’il a eu terminé les paiements, il a cru, à tort, qu’on le laisserait tranquille; cependant, on lui a dit que [traduction] « ce n’était pas fini ».

i.        En mars 2009, alors qu’il conduisait sa voiture avec sa famille à bord, il a été suivi par un véhicule et, lorsque le véhicule est arrivé à sa hauteur, les deux hommes à son bord lui ont dit d’arrêter. Craignant le pire, le demandeur a continué de conduire et a percuté l’autre véhicule de force. C’est après cet incident qu’il s’est enfui au Canada et a demandé l’asile.

 

[5]               Dans son résumé, la Commission omet aussi de mentionner que ces hommes font partie d’un gang nommé La Hermandad, qui est constitué d’un groupe de policiers corrompus, et que El Jarocho était un membre du secrétariat de la sécurité publique.

 

[6]               Dans ses motifs, la Commission a noté que l’approche à suivre lors de l’examen d’un risque au sens du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi est celle que j’ai décrite dans la décision Corado Guerrero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1210 :

27        La majorité des affaires dépendent de la question de savoir si la dernière condition est remplie, c’est-à-dire si d’autres personnes qui se trouvent dans le pays sont généralement exposées au même risque que le demandeur d’asile. J’ouvre ici une parenthèse pour souligner que la SPR et la Cour restent malheureusement trop souvent vagues à cet égard. Je l’ai moi-même fait. En particulier, un grand nombre de décisions indiquent ou laissent entendre qu’un risque généralisé n’est pas un risque personnel. Cela signifie habituellement que d’autres personnes sont généralement exposées au même risque que le demandeur d’asile et que ce dernier ne satisfait donc pas aux exigences de la Loi. Cela ne signifie pas que le demandeur d’asile ne court personnellement aucun risque. Il est important qu’un décideur conclue qu’un demandeur d’asile est personnellement exposé à un risque parce que, si aucun risque personnel n’existe, il n’est pas nécessaire de poursuivre l’analyse de la demande; il n’existe tout simplement aucun risque. Ce n’est qu’après avoir conclu que le demandeur d’asile est personnellement exposé à un risque que le décideur doit déterminer si la population est généralement exposée au même risque.

 

28        Par ailleurs, trop de décideurs décrivent de manière inexacte le risque auquel le demandeur est exposé ou omettent totalement d’énoncer ce risque. Le sous-alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi est pourtant très clair : le risque auquel doit être personnellement exposé un demandeur d’asile est « une menace à sa vie ou [le] risque de traitements ou peines cruels et inusités ». Avant de déterminer si d’autres personnes se trouvant dans le pays sont généralement exposées au même risque que le demandeur d’asile, le décideur doit : (1) déterminer expressément le risque en question, (2) déterminer s’il s’agit d’une menace à la vie ou d’un risque de traitements ou peines cruels et inusités et (3) exposer clairement le fondement de ce risque. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[7]               La première erreur de la Commission est qu’elle n’a pas suivi cette directive en précisant quels étaient les risques auxquels M. Aguilar était exposé. Elle semble avoir accepté que M. Aguilar était exposé à un risque de violence ou de mort aux mains des membres du gang qui l’avaient cherché, mais elle ne mentionne pas pourquoi les membres semblaient si déterminés à le tuer. Contrairement à l’explication que la Commission semble avoir privilégiée, soit l’extorsion, il est tout aussi possible que les membres du gang souhaitaient se venger parce que le demandeur a causé l’arrestation de l’un de leurs membres et que le gang a dû payer un important montant d’argent pour que ce membre soit libéré.

 

[8]               De toute façon, la deuxième erreur de la Commission est évidente dans le passage suivant de ses motifs :

[27]      Même si les criminels veulent se venger du demandeur d’asile parce que ce dernier a refusé de coopérer, il n’y a toujours pas de lien avec l’un des motifs prévus par la Convention, pas plus que le demandeur d’asile n’est personnellement exposé au risque. Le niveau de risque a pu se trouver accru pour le demandeur d’asile, mais je m’appuie sur les tribunaux canadiens pour affirmer que même le risque accru demeure un risque généralisé et qu’il est visé à l’exception prévue à l’article 97 de la LIPR, puisqu’il s’agit d’un risque auquel d’autres personnes sont généralement exposées. [Non souligné dans l’original.]

 

[9]               La Cour n’a pas conclu que tous les risques accrus causés par le fait d’être ciblé par des criminels demeurent des risques généralisés; elle a conclu que les risques accrus causés par le fait d’être ciblé par des criminels peuvent être des risques généralisés si, en fonction de la preuve documentaire, le risque généralisé en est un auquel un nombre important de personnes est exposé. En fait, la Cour ne pourrait pas faire une telle déclaration. Pour trancher la question de savoir si un nombre suffisamment important de personnes dans un pays est exposé à un risque accru, il faut d’abord examiner les faits propres à chaque affaire et à chaque pays.

 

[10]           De plus, le fait que le risque auquel le demandeur est exposé découle ou prend sa source d’une activité criminelle (l’extorsion) ne signifie pas en soi que le risque en est un auquel sont généralement exposées d’autres personnes au Mexique. Il est essentiel que la Commission examine les circonstances et les faits particuliers afin de déterminer si le risque précis auquel le demandeur est exposé en est un auquel les autres citoyens sont généralement exposés. Comme le juge Rennie l’a noté dans la décision Vivero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 138, au paragraphe 25 : « certains risques liés à des activités criminelles constituent des risques généraux, et d’autres non. » Comme il l’a ensuite déclaré au paragraphe 29, l’erreur dans la décision qu’il contrôlait, et dans la décision en l’espèce, est « une insistance déplacée sur le fondement du risque ».

 

[11]           En raison de son erreur, la Commission n’a jamais traité la preuve documentaire au sujet du Mexique afin d’examiner combien de personnes étaient exposées au même genre de risque auquel, selon ce qu’elle semble accepter, M. Aguilar est exposé. Il est possible qu’un nombre suffisamment important de Mexicains soit exposé à ce type de risque imminent et ciblé de mort ou de blessures par des criminels pour les mêmes raisons que le demandeur en l’espèce, de façon telle qu’il s’agit d’un risque généralisé auquel d’autres sont exposés, mais pour en arriver à cette conclusion, la Commission doit d’abord tirer une conclusion de fait fondée sur la preuve documentaire au sujet du Mexique. On ne peut pas simplement tenir pour acquis cette conclusion de fait, qui ne serait fondée sur rien de plus qu’une simple proposition qu’un risque accru peut demeurer un risque généralisé. Cela peut être le cas, ou non.

 

[12]           En résumé, ce que la Commission a omis de faire est de décrire de façon juste le risque auquel M. Aguilar est exposé, puis d’entreprendre un examen fondé sur la preuve documentaire au sujet de la question de savoir si ce risque est courant au Mexique.

 

[13]           Pour ces motifs, la décision est annulée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, la décision faisant l’objet du présent contrôle est annulée, la demande d’asile du demandeur est renvoyée pour nouvel examen devant un tribunal différemment constitué de la Commission et aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-9778-12

 

 

INTITULÉ :                                      LUIS FERNANDO RAMOS AGUILAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 25 juin 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ZINN

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee      

 

 

 POUR LE DEMANDEUR

Laoura Christodoulides

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LEE & COMPANY

Toronto (Ontario)

 

 POUR LE DEMANDEUR

WILLIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

 

 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.