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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20130702

Dossier : IMM-5788-12

Référence : 2013 CF 731

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2013

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

GRACE OMOLARA TAIWO

 

demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée contre la décision rendue, le 15 mai 2012, par la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SAI a rejeté l’appel interjeté par Mme Grace Omolara Taiwo (la demanderesse) contre la décision d’un agent des visas de refuser la demande qu’elle avait présentée pour le parrainage de M. Raphael Agboola, un citoyen du Nigéria. La demanderesse souhaiterait que M. Agboola obtienne le statut de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial. L’appel a été entendu conformément à l’article 62 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi); le contrôle judiciaire est sollicité en vertu de l’article 72 de la Loi.

 

[2]               La demanderesse allègue que M. Agboola est son époux. La SAI a confirmé la décision de l’agent des visas selon laquelle, aux termes de la Loi, le mariage n’était pas authentique.

 

[3]               Le paragraphe 13(1) de la Loi permet le parrainage pour l’obtention de la résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial. L’article 117 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) dispose que l’époux du répondant appartient à la catégorie du regroupement familial.

 

[4]               C’est l’article 4 du Règlement qui est la source de la question en litige en l’espèce, car il exclut certains époux :

  4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

a)   visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

b)   n’est pas authentique.

 

  4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

(a)   was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

(b)   is not genuine.

 

 

Question en litige et norme de contrôle applicable

[5]               La seule question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire consiste à savoir si le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la Loi ou s’il n’est pas authentique. Tant l’agent des visas que la SAI ont conclu que le mariage n’était pas authentique.

 

[6]               La norme de contrôle applicable à la présente demande est celle de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 RCS 654, la Cour suprême a décidé que la norme de contrôle applicable aux questions mixtes de faits et de droit est présumée être celle de la décision raisonnable. Les parties ne sont pas en désaccord. Il s’agit simplement de l’application des faits au droit, une question mixte de faits et de droit, laquelle commande l’application de la norme de la décision raisonnable. Il s’ensuit qu’il appartiendra à la demanderesse de convaincre la Cour que la décision n’était pas raisonnable. Comme la Cour suprême l’a relevé dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190 :

 

 

[47]      La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

Le décideur a droit à la déférence.

 

Faits

[7]               Les faits invoqués dans la décision de savoir si oui ou non le mariage est authentique, ou s’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut quelconque sous le régime de la Loi sont bien entendu cruciaux. En l’espèce, l’ensemble des faits avec lesquels le décideur a dû composer était particulièrement alambiqué. En fait, cela fait partie des raisons pour lesquelles l’appel devait être rejeté, en ce sens que la demanderesse et M. Agboola avaient fait des récits si alambiqués et si contradictoires qu’il était raisonnable que la SAI tire une telle conclusion. Il incombe à la demanderesse de démontrer que le mariage est authentique. Lorsque la preuve est déficiente, une telle démonstration fera défaut.

 

[8]               La demanderesse est arrivée au Canada en provenance du Nigéria en novembre 2003, et elle a obtenu le statut de résidente permanente le 31 mai 2005. Elle est devenue citoyenne en 2009. Elle est dans le milieu de la trentaine et mère de quatre enfants. Son premier enfant est né avant qu’elle ne rencontre M. Agboola.

 

[9]               Il semble que les deux se sont rencontrés par hasard en novembre 2003. Selon le demandeur, leur relation a rapidement évolué en décembre 2003, ce qui a mené sept mois plus tard à la naissance d’un enfant. Toutefois, M. Agboola a été expulsé au Nigéria le 4 janvier 2004. Il est revenu illégalement au Canada en mai 2005. En janvier 2006, il a été détenu et expulsé, une fois de plus, en avril. Le couple s’est marié en mars 2006 pendant que M. Agboola était en détention, mais avant qu’il ne soit expulsé. La demanderesse a déposé une demande de parrainage en juin 2008. Ce qui s’est passé entre ces dates demeure très peu clair malgré de longs interrogatoires et des occasions qui ont été données aux deux de lever le voile sur leur relation. Trois enfants seraient nés de cette union. L’un le 4 juillet 2004, le deuxième le 26 mars 2006, et le troisième le 8 août 2009.

 

[10]           M. Agboola, un citoyen du Nigéria, est dans le milieu de la quarantaine. La demanderesse se fonde principalement sur les trois enfants qu’elle dit être les fruits de la relation, pour établir qu’il existe un mariage qui ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la Loi. Toutefois, les antécédents d’immigration de M. Agboola font planer une ombre sur la question. La qualité de la relation ne dissipe pas cette ombre, tout au contraire.

 

[11]           Le conjoint de la demanderesse est venu au Canada à de nombreuses occasions depuis 2001 et il a été expulsé plus d’une fois. Pendant qu’il était au Canada, il s’est marié une première fois, en juin 2001, juste avant que sa demande d’asile ne soit entendue et qu’une décision ne soit rendue en septembre de cette année‑là. Celle qui était alors l’épouse de M. Agboola n’a pas tenté de le parrainer; le mariage s’est terminé par un divorce en février 2006, mais il est allégué que les époux se sont séparés en octobre 2003, juste avant que M. Agboola ne rencontre la demanderesse.

 

Décision contestée

[12]           Le moins que l’on puisse dire, c’est que le décideur a eu de la difficulté à apprécier la présente affaire. La SAI a conclu qu’il y avait un important manque de crédibilité tant de la part de la demanderesse que de la part de M. Agboola. La SAI a été incapable d’assembler les éléments du récit.

 

[13]           On aurait pu penser que l’existence des enfants aurait milité en faveur de l’authenticité du mariage. En fait, la demanderesse allègue que cela devrait être un élément décisif. C’est ainsi que cet élément de preuve a été reconnu. Cependant, la SAI a conclu qu’il y avait de nombreuses incohérences dans les récits, et de la confusion à propos de l’histoire du couple, y compris les enfants. Au paragraphe 16 de sa décision, la SAI a fait état de ce que « l’élément de preuve relatif aux enfants est, comme tous les autres éléments de preuve, très mystérieux ». La SAI a continué par l’affirmation suivante :

La pratique la plus acceptable et privilégiée consiste à accepter ce qui a été dit au sujet de la conception des enfants et de la paternité en dépit du manque de crédibilité du couple dans d’autres parties de leur témoignage. Cependant, une analyse objective des éléments de preuve disponibles ne soutient pas cette approche en l’espèce.

 

[14]           La SAI a conclu qu’il y avait un manque de clarté concernant de nombreux facteurs qui sont pris en compte pour apprécier si un mariage est authentique et s’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut lié à l’immigration. Ces facteurs ne sont pas insignifiants : le moment des naissances et la paternité, quand le couple a passé du temps ensemble, le défaut de précision relativement aux retards quant au progrès de la demande de parrainage déposée en juin 2008, les questions relatives à l’histoire de M. Agboola et le temps passé avec la famille, auxquelles s’ajoutent de nombreuses tentatives pour venir au Canada, y compris une demande d’asile déboutée en 2001. Les nombreuses tentatives de M. Agboola pour venir au Canada peuvent certainement attester que son but premier visait l’obtention d’un statut au Canada.

 

[15]           En fin de compte, la SAI a conclu que non seulement les doutes de l’agent des visas n’avaient pas été dissipés, mais que d’autres contradictions et questions relatives à la crédibilité ont émergé dans le cadre de l’appel, lorsque la demanderesse et son époux ont été entendus. Loin de clarifier ces questions, les témoignages, en particulier celui de la demanderesse, manquaient de crédibilité. En fait, la SAI a fourni des exemples patents d’importantes « […] divergences et […] points embrouillés », allant de l’incertitude sur la paternité, à la question de savoir quand et où les deux auraient pu passer du temps ensemble pendant de nombreuses années.

 

[16]           C’est cette décision qui est maintenant contestée devant la Cour. La demanderesse doit établir, selon la prépondérance des probabilités, que non seulement il y a une autre issue possible, mais aussi que le mariage était authentique, que la conclusion tirée par la SAI selon laquelle le mariage n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut sous le régime de la Loi n’appartient pas aux issues possibles et acceptables.

 

Analyse

[17]           La demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau. J’ai examiné la preuve, et tout comme la SAI, j’ai conclu que les témoignages de la demanderesse et de M. Agboola à l’appui du caractère authentique de leur mariage n’étaient pas convaincants. En fait, leurs témoignages jettent de l’ombre sur leur crédibilité.

 

[18]           La demanderesse allègue que sa crédibilité et celle de M. Agboola, en tant que couple, ne sont pas contestées. Telle n’est pas la conclusion de la SAI. Non seulement leur crédibilité a été mise en doute, mais le récit, tel qu’il a été relaté, n’était objectivement pas persuasif.

 

[19]           Il est certainement vrai que l’existence des enfants jouera en faveur du caractère authentique du mariage (Gill c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 122). La SAI l’a immédiatement reconnu, et la demanderesse l’a souligné de façon répétée. Comme cela a déjà été relevé, même la preuve relative aux enfants est restée très peu claire, malgré une tentative d’examen poussé. On se serait attendu à de la clarté sur cet aspect. Il y avait un manque d’honnêteté. Cependant, ce n’est pas la seule question. D’autres éléments sont à prendre en considération. C’est plutôt le manque de clarté et de précision sur le mariage qui est douteux. Une fois les éléments colligés, la SAI avait encore de sérieux doutes relativement à ce qu’elle a appelé les « intentions sous‑jacentes liées à ce mariage ». Étant donné la preuve présentée, une telle conclusion était amplement étayée.

 

[20]           La seule question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si la décision de la SAI était déraisonnable. Il incombait à la demanderesse de faire une telle démonstration, selon la prépondérance des probabilités. Pour établir un fait de façon probante, la preuve doit être au moins cohérente pour pouvoir être persuasive. Il était tout simplement impossible de dissiper, à partir des témoignages de la demanderesse et de M. Agboola, quelle était la véritable situation. Ce qui apparaissait comme étant des questions simples qui devaient recevoir des réponses simples et honnêtes sont devenues des incohérences, des contradictions et des invraisemblances. Le décideur s’est retrouvé devant des éléments si incohérents et peu clairs qu’il ne pouvait pas conclure que le mariage était authentique. Dans ces circonstances, la Cour doit déférence à la SAI qui a eu l’avantage supplémentaire d’entendre le témoignage des témoins.


 

JUGEMENT

 

La demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 15 mai 2012, par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse contre la décision d’un agent des visas de refuser la demande qu’elle avait présentée pour le parrainage de M. Raphael Agboola est rejetée. Aucune question n’a été proposée pour certification et la Cour conclut qu’aucune n’est soulevée.

 

 

« Yvan Roy »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5788-12

 

INTITULÉ :                                                  GRACE OMOLARA TAIWO

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 7 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        Le juge Roy 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                 Le 2 juillet 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Raj Sharma                                                      POUR LA DEMANDERESSE

 

Rick Garvin                                                     POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Sharma Harsanyi                               POUR LA DEMANDERESSE

Calgary (Alberta)

 

William F. Pentney                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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