Date : 20130624
Dossier : IMM-9511-12
[Traduction française certifiée, non révisée] Référence : 2013 CF 702
Toronto (Ontario), le 24 juin 2013
En présence de monsieur le juge Zinn
ENTRE :
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DENES CSABA RACZ MARODI RACZNE TIMEA DAVID RACZ VENESSZA RACZ KEVIN RACZ
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Les membres de la famille du demandeur sont des Hongrois d’origine ethnique rom.
[2] Dans leur FRP et devant la Commission, ils ont relaté divers incidents de harcèlement, de discrimination et de violence dont ils ont été victimes en Hongrie. Deux incidents violents relativement récents constituaient les faits essentiels visés par la décision de la Commission et la présente demande de contrôle judiciaire.
[3] Le soir du 3 mai 2011, au moment où les demandeurs se trouvaient à la maison, quelqu’un a fracassé leurs fenêtres en lançant des pierres. Denes Csaba Racz, le père de la famille des demandeurs, est sorti de la maison en courant pour voir ce qui se passait, mais il a immédiatement reçu un coup de pied au ventre et une volée de coups. Lorsque Timea Raczne Marodi, la mère de la famille des demandeurs, est sortie, son mari gisait sur le sol et ses agresseurs prenaient la fuite en voiture. Ceux-ci leur ont dit en criant que [traduction] « ce n’était pas fini » et que les demandeurs mourraient. Monsieur Racz a appelé la police. Lorsque les policiers sont arrivés, il leur a montré les fenêtres brisées et les endroits où il avait reçu des coups de pied et des coups de poing. Les policiers lui ont demandé s’il avait vu ses agresseurs et M. Racz a répondu qu’il n’avait pas pu le faire parce qu’il avait été frappé dès qu’il était sorti. De son côté, Mme Marodi n’a pas pris en note le numéro de la plaque d’immatriculation du véhicule des agresseurs. Les policiers ont dit qu’ils ne pouvaient pas faire grand-chose dans ce cas, mais qu’ils patrouilleraient le secteur plus souvent. Ils ont quitté les lieux sans établir de rapport. Ils sont revenus patrouiller une fois ce soir-là, mais ce fut tout. Les demandeurs ont aussi demandé au maire de leur village de les aider, mais ce dernier leur a répondu que les policiers s’en chargeraient.
[4] Le 2 août 2011, Mme Marodi revenait chez elle après être allée au magasin. Sur son trajet de retour, trois jeunes hommes lui ont bloqué la route et l’ont insultée. Elle voulait crier pour demander de l’aide, mais les hommes lui ont intimé l’ordre de se taire puis ils lui ont asséné des coups de poing au ventre. Ils ont ensuite jeté par terre les articles qu’elle avait achetés, ils lui ont donné des coups de pied et ils l’ont insultée. Ils l’ont traitée de putain tzigane et ont dit que les Tziganes devraient être exterminés. Après le départ des hommes, Mme Marodi s’est remise un peu du choc, a ramassé ses choses et, de retour à la maison, elle a raconté à son mari ce qui était arrivé. Ce dernier a téléphoné à la police. Les policiers se sont présentés à leur domicile et ont pris en note les renseignements personnels. Elle leur a déclaré que ce n’était pas la première fois qu’ils faisaient l’objet d’une agression. Elle n’a pas pu donner un signalement précis de ses agresseurs parce que, au moment de l’agression, elle avait peur et elle avait essayé d’éviter le contact visuel avec eux. Les policiers ont déclaré qu’ils enverraient par la poste une copie de leur rapport, mais les demandeurs ne l’ont jamais reçu. Madame Marodi s’est même rendue au poste de police quelque temps après l’agression, mais les policiers présents lui ont dit qu’ils n’avaient pas terminé l’établissement du rapport. Elle n’a pas réussi à obtenir de copie de ce rapport avant le départ de la famille pour le Canada le 27 septembre 2011.
[5] La Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’ils pouvaient se réclamer de la protection de l’État. Plus précisément, la Commission a conclu que dans le contexte de la preuve documentaire au sujet de la Hongrie, qu’elle avait examinée à fond puis résumée dans sa décision, les demandeurs « n’[avaient] pas réfuté la présomption de protection de l’État en s’appuyant sur leurs expériences personnelles en Hongrie » [avec la police].
Questions en litige
[6] Les demandeurs soulèvent deux questions dans leur mémoire :
1. La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les divers actes de discrimination et les agressions contre les demandeurs n’équivalaient pas à de la persécution?
2. La Commission a-t-elle commis une erreur en n’effectuant pas une analyse distincte fondée sur l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]?
[7] Cependant, en ce qui concerne la première question en litige, la Commission n’a pas vraiment conclu dans sa décision que les mauvais traitements subis par les demandeurs n’équivalaient pas à de la persécution. En ce qui concerne la deuxième question, étant donné qu’un demandeur doit démontrer l’absence de protection de l’État tant en vertu de l’article 96 que du paragraphe 97(1) de la Loi et que la Commission a estimé que la protection de l’État était suffisante, elle n’avait pas à se demander si les demandeurs avaient été exposés aux risques de mauvais traitements décrits au paragraphe 97(1). Ce raisonnement a souvent été reconnu par la Cour : voir, par exemple, Racz c Canada (Ministre de la Santé et de l’Immigration), 2012 CF 436. De plus, contrairement aux observations des demandeurs, la Commission n’a tiré aucune conclusion en matière de crédibilité. Par conséquent, la présente espèce est en tous points conforme à la décision susmentionnée.
[8] Dans la présente demande, la seule véritable question à laquelle nous devons répondre est celle de savoir si la conclusion de la Commission relative à la protection de l’État était raisonnable.
Analyse
[9] Les demandeurs présentent quatre arguments sur la protection de l’État. Premièrement, invoquant l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, ils soutiennent qu’il n’est pas nécessaire qu’un demandeur d’asile risque sa vie pour chercher à obtenir la protection de l’État. Cependant, les demandeurs ne mentionnent aucun élément de preuve au dossier, y compris dans leur propre témoignage, selon lequel eux-mêmes risqueraient leur vie en cherchant à obtenir la protection de la Hongrie.
[10] Deuxièmement, citant un paragraphe des motifs de la Commission, les demandeurs soutiennent que les Roms ne peuvent se réclamer de la protection de l’État dans les régions rurales, mais seulement dans les grandes villes. Or, dans ce paragraphe – le paragraphe 52 des motifs de la Commission – celle-ci explique simplement de quelle façon un certain programme d’aide juridique n’est offert que dans les grandes villes. De plus, un demandeur d’asile n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de la Loi s’il a accès à une possibilité de refuge intérieur dans son pays. Par conséquent, il serait possible d’affirmer au vu de cet argument que les demandeurs reconnaissent implicitement qu’ils auraient accès à la protection de l’État dans les grandes villes.
[11] Troisièmement, les demandeurs soutiennent qu’il existe uniquement une forte présomption de protection de l’État dans une démocratie, et que leur témoignage quant au trucage des élections dans leur village révèle qu’il n’y avait pas de démocratie véritable dans leur village. Cependant, bien que le témoignage des demandeurs relatif aux élections dans leur village puisse démontrer que les institutions démocratiques sont faibles à cet endroit, l’unité d’analyse pertinente est sans aucun doute l’État : voir, p. ex., Kadenko c Canada (Solliciteur général) (1996), 143 DLR (4th) 532 (CAF). Les demandeurs n’ont présenté aucun argument véritable selon lequel la Hongrie dans son ensemble n’est pas une démocratie.
[12] Enfin, les demandeurs reprochent à la Commission de s’être appuyée sur des éléments de preuve relatifs à la Commission indépendante des plaintes contre la police (IPCB), soutenant que la Commission, au paragraphe 37 de sa décision, [traduction] « a reconnu que seule une faible proportion des recommandations de l’IPCB était respectée par la police, mais en a conclu que l’IPCB est efficace ». Or, la Commission n’a rien reconnu de tel. Elle a plutôt souligné que l’IPCB avait transmis 67 cas au chef de la police nationale et que, au moment de l’établissement du rapport, le chef de police avait accepté les conclusions de l’IPCB dans deux cas, avait accepté en partie trois autres cas et en avait rejeté trois; les autres cas, selon la Commission, étant encore « en instance ». En d’autres termes, les commentaires de la Commission font seulement état du fait que – au moment de la rédaction du rapport – la police avait donné suite à huit des 67 plaintes qui lui avaient été soumises. Les demandeurs n’indiquent pas de quelle source documentaire ce renseignement est tiré; cependant, le libellé même des motifs de la Commission ne correspond pas à la version qu’en font les demandeurs. Quoi qu’il en soit, même si l’IPCB était un organe inefficace de traitement des plaintes, ce fait à lui seul ne signifierait pas que la protection de l’État offerte en Hongrie n’est pas suffisante d’un point de vue pratique.
[13] En résumé, les demandeurs n’ont trouvé aucune erreur susceptible de contrôle dans la conclusion de la Commission relative à la protection de l’État. De plus, je fais mienne l’observation du défendeur selon laquelle la Commission doit, dans son examen, s’en tenir à la question de savoir si ces personnes, selon une preuve claire et convaincante, ont établi que la protection de l’État n’était pas suffisante d’un point de vue pratique. Je ne puis conclure, d’après leurs observations qu’ils ont présentées dans le cadre de la présente demande, que la décision de la Commission selon laquelle ils n’ont pas démontré le caractère insuffisant de la protection de l’État est déraisonnable. En fait, même si elle n’est pas parfaite, la réaction de la police aux plaintes des demandeurs, étant donné les circonstances particulières des agressions qui lui avaient été signalées, semble avoir été adéquate et conforme à ce que les membres des forces policières au Canada seraient probablement en mesure de faire dans ce genre de situation.
[14] Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE : la présente demande est rejetée et aucune question n’est certifiée.
« Russel W. Zinn »
Juge
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-9511-12
INTITULÉ : DENES CSABA RACZ ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 20 juin 2013
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE ZINN
DATE DES MOTIFS : Le 24 juin 2013
COMPARUTIONS :
Vikramjit S. Uppal
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POUR LES DEMANDEURS |
Charles J. Jubenville
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
VIKRAMJIT S. UPPAL Avocat Mississauga (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS |
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR |