Cour fédérale |
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Federal Court |
Date : 20130605
Dossier : IMM‑3209‑12
Référence : 2013 CF 591
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 5 juin 2013
En présence de monsieur le juge Simon Noël
ENTRE :
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BABATUNDE YUSUF
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision par laquelle un agent d’immigration a rejeté la demande d’évaluation des risques avant renvoi [ERAR] du demandeur.
I. Faits
[2] Le demandeur est un citoyen du Nigéria. Il a présenté une demande d’asile en 2008 parce qu’il craignait d’être persécuté du fait de ses liens avec la sœur du gouverneur Ibori.
[3] Ayant conclu qu’il avait déjà été reconnu coupable d’actes criminels aux États-Unis, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] a jugé qu’il devait être exclu de la protection accordée aux réfugiés à cause de sa criminalité. Elle a aussi conclu qu’il n’avait pas prouvé son identité. Pour tirer sa conclusion relative à l’inclusion, la SPR a jugé que le demandeur n’avait pas fourni de documents acceptables pour établir son identité, comme l’exige l’article 106 de la LIPR, et qu’il lui incombait de le faire. Étant donné que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve fiables pour prouver son identité, la SPR a estimé qu’il n’existait pas de preuve objective qu’il craignait avec raison d’être persécuté et que les conclusions relatives à sa crédibilité englobaient aussi son assertion selon laquelle il serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au Nigéria. Le 24 juin 2011, la Cour a refusé de lui accorder l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire.
[4] Le demandeur a présenté une demande d’ERAR le 26 juillet 2011 dans laquelle il faisait état des risques allégués dans sa demande d’asile de même que de son diagnostic de séropositivité reçu en juillet 2011.
II. Décision faisant l’objet du contrôle
[5] L’agent a d’abord souligné que la SPR avait rendu une décision défavorable dans laquelle il avait été conclu que le demandeur était interdit de territoire sur le fondement de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention et que, par conséquent, il n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.
[6] Il a conclu que vu l’application de l’alinéa 112(3)c) de la LIPR, la demande d’asile du demandeur serait évaluée suivant les facteurs énumérés à l’article 97 de la LIPR.
[7] L’agent a conclu qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que le demandeur, s’il était renvoyé au Nigéria, serait exposé au risque d’être soumis à la torture au sens de l’alinéa 97(1)a) de la LIPR.
[8] L’agent a ensuite cherché à établir si une protection devait être accordée au demandeur en vertu de l’alinéa 97(1)b) de la LIPR. Il a examiné les observations du conseil du demandeur et a conclu que les allégations d’exposition au risque formulées devant la SPR étaient essentiellement les mêmes que celles qui figuraient dans ses observations présentées en vue de l’ERAR. L’agent a conclu que même si les renseignements relatifs au vécu du demandeur au Nigéria avaient été fournis à titre de nouveaux éléments de preuve suivant l’alinéa 113a) de la LIPR, la teneur de ces observations ne permettait pas d’établir qu’il s’agissait de « nouveaux éléments de preuve ».
[9] L’agent a souligné que le demandeur avait proposé la prise en compte d’un nouveau risque. Le 26 juillet 2011, dix mois après le rejet de sa demande d’asile, le demandeur a reçu un diagnostic de néphropathie due au VIH. L’agent a pris note de l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait été raisonnablement impossible qu’il présente les nouvelles preuves relatives à son problème de santé au moment de l’audience devant la SPR. L’agent a pris en compte les observations du demandeur selon lesquelles il serait stigmatisé et victime de discrimination à son retour au Nigéria, lesquels constituaient ainsi un risque de persécution et une menace à sa vie. L’agent a aussi souligné que le demandeur avait présenté des rapports sur l’existence de traitements du VIH au Nigéria et sur la discrimination que subissent les personnes séropositives dans ce pays; il joignait aussi à sa demande la lettre d’un médecin qui confirmait le diagnostic.
[10] L’agent a examiné le jugement Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 288, 39 Imm LR (3d) 261, au paragraphe 24, dans lequel la Cour affirmait que « [l]a question d’une menace à la vie suivant l’article 97 ne devrait pas inclure l’obligation d’évaluer la question de savoir s’il existe des soins médicaux et de santé adéquats dans le pays en question ». L’agent a aussi pris connaissance de la preuve sur la discrimination dont font l’objet les citoyens séropositifs au Nigéria, mais il a souligné que la preuve documentaire démontre que l’État reconnaît qu’il faut accorder une attention prioritaire au problème du VIH/SIDA. L’agent a ensuite conclu qu’[traduction] « en raison du sous‑alinéa 97(1)b)(iv), il ne lui incombait pas d’évaluer le caractère adéquat des soins de santé et des soins médicaux » et que les allégations du demandeur conviendraient davantage dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[11] Enfin, l’agent a établi que la situation au Nigéria est semblable à celle qui existait avant le rejet par la SPR de la demande d’asile du demandeur et qu’aucun risque nouveau n’avait été ajouté depuis.
III. Observations du demandeur
[12] Le demandeur soutient que dans les cas où une décision défavorable est rendue par la SPR sur la foi de l’exclusion prévue à l’article 98 de la LIPR ou d’une identité insuffisamment établie selon les exigences de l’article 106 de la LIPR, l’alinéa 113a) de la LIPR n’est pas censé empêcher la prise en compte d’éléments de preuve. En fait, étant donné que les éléments de preuve n’ont pas été évalués par un décideur, ils constituent de « nouveaux éléments de preuve » aux fins de la demande d’ERAR. Le demandeur allègue que tout comme l’agent l’a fait dans l’affaire Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 379, 176 ACWS (3d) 1120 [Chen] ‑ bien que dans cette décision l’exclusion ne fût pas en cause‑, l’agent dans la présente affaire devait évaluer les risques auxquels était exposé le demandeur; même si l’identité d’un demandeur est incertaine dans le contexte d’une demande d’asile, l’agent chargé de l’ERAR demeure tenu d’évaluer le risque attribuable à la situation dans le pays. Selon le demandeur, le sens de l’expression « nouveaux éléments de preuve » doit être élargi de façon à prendre en compte les personnes dont l’exposition à des risques n’a été évaluée par aucun autre décideur.
[13] Le demandeur soutient que l’agent chargé de l’ERAR n’est pas lié par les conclusions d’inclusion de la SPR. De plus, bien que les éléments de preuve fournis par le demandeur ne constituent pas de « nouveaux éléments de preuve » dans le sens étroit de l’alinéa 113a) de la LIPR, étant donné sa situation unique – les risques auxquels il est exposé n’ayant pas été évalués par la SPR – le demandeur soutient que l’ERAR constitue l’instance appropriée pour évaluer tous les éléments de preuve qu’il a présentés. Il est vrai que dans les faits, les éléments de preuve ont été présentés à la SPR, mais étant donné qu’elle n’en a pas tenu compte, la SPR n’a pas véritablement eu à les évaluer et à les examiner ni à statuer à leur égard, car elle ne s’est pas penchée sur la question de l’inclusion. Selon le demandeur, le jugement Elezi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 240, 62 Imm LR (3d) 66, permet d’affirmer que l’agent « ne saurait faire abstraction d’un élément de preuve crédible attestant qu’une personne serait exposée à un risque en cas de renvoi dans son pays d’origine, en affirmant simplement que cette preuve est techniquement irrecevable ».
[14] L’application de l’article 98 et du paragraphe 112(3) de la LIPR empêche le demandeur de devenir un résident permanent tant dans le processus de traitement des demandes d’asile que dans celui du traitement des demandes d’ERAR. Cependant, le demandeur soutient que ces dispositions n’ont pas pour objet d’empêcher à tout jamais la prise en compte de risques.
[15] Le renvoi du Canada sans évaluation des risques est contraire aux principes du non‑refoulement et à l’engagement du Canada envers les valeurs humanitaires ainsi que les objectifs de la LIPR. De plus, les dispositions de la Loi doivent être interprétées de façon à favoriser la réalisation de son objet et, en tenant compte des objectifs de la LIPR relatifs aux réfugiés, les décideurs doivent faire en sorte que les demandeurs d’asile aient droit à un examen équitable de leurs demandes.
[16] Par ailleurs, il n’était pas raisonnable que l’agent en l’espèce conclue que les allégations formulées par le demandeur et incorporées dans sa demande d’asile avaient déjà été tranchées par la SPR étant donné que rien ne démontre que la SPR s’était réellement penchée sur les allégations du demandeur.
[17] Le demandeur ajoute qu’étant donné que l’agent n’a fait état d’aucune préoccupation relative à l’identité du demandeur, il était tenu, en vertu de l’article 97 de la LIPR, d’effectuer un examen complet des risques inhérents aux relations passées du demandeur avec Christine Ibori. De plus, étant donné que la Cour a affirmé dans la jurisprudence que des éléments de preuve constituent de « nouveaux éléments de preuve » lorsqu’ils peuvent contredire une conclusion de fait tirée par la SPR, notamment sur l’identité laquelle est considérée comme une question de crédibilité en application de l’article 106 de la LIPR, l’agent aurait dû prendre en compte les risques auxquels le demandeur serait exposé s’il était renvoyé au Nigéria étant donné qu’il ne mettait pas en doute la crédibilité du demandeur.
[18] Le demandeur s’oppose à l’observation du défendeur selon laquelle l’agent chargé de l’ERAR pouvait faire sienne la conclusion d’inclusion de la SPR, vu que la seule conclusion de la SPR fondée sur l’inclusion concernait l’identité. De plus, rien ne démontre que l’agent s’est appuyé sur cette conclusion ou qu’il a même examiné la question de l’identité; par conséquent, il y a lieu de considérer que l’agent chargé de l’ERAR n’entretenait aucun doute quant à l’identité du demandeur.
[19] Selon le demandeur, les facteurs que l’agent a pris en considération relativement à l’alinéa 97(1)a) de la LIPR n’étaient pas raisonnables étant donné que le simple fait de passer en revue le droit applicable pour ensuite tirer une conclusion est insuffisant étant donné qu’il est contraire à l’obligation de l’agent de motiver sa décision au moyen d’explications suffisamment précises qui vise à permettre au demandeur de comprendre pourquoi sa demande a été rejetée. La conclusion de l’agent ne tient pas compte du fait que le demandeur a été détenu, agressé et interrogé pendant qu’il était sous la garde de la police au Nigéria, ce fait constituant une preuve prima facie qu’il serait victime de ce type de traitement à son retour dans le pays.
[20] Enfin, le demandeur soutient que l’agent a limité l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en décidant que l’accès aux soins de santé ou aux soins médicaux ne pourrait pas satisfaire aux exigences du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR. La conclusion de l’agent ne relève pas du champ d’application de cette disposition de la LIPR laquelle peut entraîner une décision favorable à l’issue de l’ERAR dans les cas où il est possible d’établir qu’un gouvernement refuse les soins à un groupe donné de patients. Le demandeur prétend que l’agent disposait d’amplement d’éléments de preuve établissant le refus de soins de santé aux personnes atteintes de VIH/SIDA au Nigéria et qu’il ne semble pas même avoir su qu’il aurait pu tenir compte de ce facteur en application du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR.
IV. Observations du défendeur
[21] Selon le défendeur, bien que l’agent n’ait pas été tenu de faire siennes les conclusions de la SPR relatives à l’inclusion, rien ne lui interdisait de le faire. De plus, le raisonnement tenu dans le jugement Chen, précité, confirme la validité du raisonnement de l’agent.
[22] Le défendeur estime qu’il était raisonnablement loisible à l’agent de conclure que les allégations faites par le demandeur dans sa demande d’asile avaient déjà été tranchées par la SPR. Bien que la demande d’asile du demandeur ait été jugée sur les questions d’identité, celles-ci ne constituaient pas de nouveaux éléments de preuve au moment où elles ont été soumises de nouveau à l’agent chargé de l’ERAR.
[23] Selon le défendeur, le fait pour l’agent de ne pas être lié par la conclusion d’inclusion de la SPR ne signifie pas qu’il lui est interdit de la faire sienne ou qu’il est tenu de se prononcer de nouveau à ce sujet. Le processus d’ERAR a pour objectif d’éviter que les questions déjà tranchées ne soient pas soumises à un nouvel examen. Le défendeur soutient qu’il est vrai que la conclusion de la SPR en matière d’identité ne liait pas nécessairement l’agent chargé de l’ERAR, mais celui-ci n’était pas tenu de réexaminer la question. C’est particulièrement vrai en l’espèce étant donné que le demandeur n’a pas fait état d’éléments de preuve qui auraient pu réfuter la conclusion de la SPR.
[24] Dans les cas où, comme en l’espèce, la SPR a tiré sa conclusion d’inclusion de façon subsidiaire ‑ une façon de procéder qui a été approuvée à de nombreuses reprises ‑, le défendeur soutient que la justice fondamentale n’exige pas que l’agent chargé de l’ERAR se prononce de nouveau sur les mêmes questions. Il était donc raisonnable que l’agent estime que la conclusion subsidiaire de la SPR avait tranché la question de l’identité et qu’il ne s’agissait pas de « nouveaux éléments de preuve ».
[25] De plus, le défendeur allègue que le demandeur n’a renvoyé à aucun nouvel élément de preuve qui pourrait réfuter la conclusion de la SPR en matière d’identité étant donné qu’aucun élément de preuve n’a été soumis pour établir de façon fiable son identité véritable. Le demandeur n’a déposé aucun nouveau document afin de prouver son identité.
[26] Selon le défendeur, le raisonnement tenu dans Chen, précité, n’exigeait pas de l’agent chargé de l’ERAR qu’il effectue sa propre analyse en matière d’identité. Il indiquait plutôt à l’agent de prendre en compte les nouveaux éléments de preuve soumis – indépendamment des questions déjà tranchées par la SPR – par rapport aux documents sur la situation dans le pays. Or, c’est le raisonnement qu’a suivi l’agent en l’espèce parce qu’il a tenu compte des nouveaux éléments de preuve soumis afin d’évaluer les risques que courrait une personne séropositive renvoyée au Nigéria.
[27] Le défendeur affirme que les motifs fournis par l’agent afin d’expliquer les raisons pour lesquelles il avait estimé que la reprise de la demande d’asile que le demandeur avait présentée à la SPR ne satisfaisait pas au critère applicable aux nouveaux éléments de preuve étaient suffisants.
[28] Le défendeur termine en disant que l’analyse effectuée par l’agent en application de l’alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR était raisonnable parce qu’il y était reconnu que les citoyens séropositifs au Nigéria étaient stigmatisés et y faisaient l’objet de discrimination; cependant, l’analyse relevait également les efforts constants de l’État pour régler le problème.
V. Questions en litige
1. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation de ce qui constitue de « nouveaux éléments de preuve »?
2. L’agent a‑t‑il fourni des motifs suffisants pour expliquer sa conclusion selon laquelle le demandeur ne serait pas soumis à la torture?
3. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation de la situation du demandeur au sens de l’alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR?
[29] Pour les raisons qui suivent, il ne sera pas nécessaire que je me prononce sur la deuxième question.
VI. Norme de contrôle
[30] L’évaluation de la preuve est une question de fait susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). La même norme s’applique au caractère suffisant des motifs de l’agent chargé de l’ERAR (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 22). L’interprétation du sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR effectuée par l’agent chargé de l’ERAR doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable étant donné qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 53). Cependant, dans les cas où l’agent se prononce sur la question de savoir s’il a compétence pour examiner les questions fondées sur le sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR, la norme de la décision correcte doit être appliquée (Dunsmuir, précité, au paragraphe 50).
VII. Analyse
A. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation de ce qui constitue de « nouveaux éléments de preuve »?
[31] La lecture de la décision de la SPR permet d’établir que les questions liées aux risques et à la protection n’ont pas été abordées. Dans ces circonstances, le guide PP 3 – Examen des risques avant renvoi (ERAR) [le guide d’ERAR] prévoit que le demandeur peut présenter à titre de « nouveaux éléments de preuve » les éléments de preuve qui n’ont pas été soumis à la SPR. Par conséquent, l’agent chargé de l’ERAR doit prendre ces éléments de preuve en compte afin de rendre une décision valable quant au risque. Voici un extrait du paragraphe 10.1 du guide d’ERAR :
10.1 Acceptation de nouvelles preuves seulement
Le L113a) prévoit que la personne dont la demande de protection a été rejetée peut seulement présenter de nouveaux éléments de preuve obtenus après le rejet de la demande. Il doit s’agir d’éléments de preuve qui n’étaient pas raisonnablement accessibles ou que le demandeur ne pouvait raisonnablement présenter dans les circonstances.
Dans le cas où la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) n’avait pas le pouvoir ou ne s’est pas prévalue de son pouvoir quant à la question de la protection et qu’elle n’a pas pris en considération les éléments de preuve dont le demandeur disposait, la règle concernant les « nouveaux éléments de preuve » n’empêche pas le demandeur de soumettre ces éléments de preuve à l’appui de sa demande. Des exemples de cette situation incluent les cas « transitionnels », où l’ancienne Section du statut de réfugié ne disposait pas du pouvoir d’évaluer les allégations de torture ou de traitements ou peines cruels ou inhabituels, ou les cas où la SPR a exclu le demandeur sans évaluer si ses craintes de persécution étaient fondées.
[Non souligné dans l’original.]
[32] En l’espèce, l’agent aurait donc dû considérer les éléments de preuve présentés à la SPR comme de « nouveaux éléments de preuve » et les prendre en compte afin de rendre une décision fondée sur l’article 97 de la LIPR. À ce titre, il était erroné de ne pas considérer les éléments de preuve comme de nouveaux éléments de preuve. Cette conclusion est suffisante pour statuer sur le présent contrôle judiciaire mais, dans l’intérêt des parties, la troisième question sera examinée.
B. L’agent a‑t‑il commis une erreur dans son évaluation de la situation du demandeur au sens du 97(1)b)(iv) de la LIPR?
[33] Dans sa décision, l’agent chargé de l’ERAR a brièvement examiné la preuve documentaire relative au traitement des personnes séropositives au Nigéria et à l’existence de traitements pertinents; il a ensuite conclu que [traduction] « selon le sous‑alinéa 97(1)b)(iv), l’évaluation du caractère adéquat des soins de santé et des soins médicaux ne relève pas de [son] mandat ». L’agent chargé de l’ERAR s’est déclaré incompétent sans justification.
[34] La Cour d’appel fédérale a interprété le sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR dans l’arrêt Covarrubias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 365, 148 CRR (2d) 45, et a jugé que cette exception ne doit pas être interprétée de manière à rendre irrecevable toute demande se rapportant à un problème de santé :
39 Il ne faudrait toutefois pas en conclure que l’exception prévue au sous‑alinéa 97(1)b)(iv) doit recevoir une interprétation large au point de rendre irrecevable toute demande se rapportant à des soins de santé. Le libellé de la disposition permet de toute évidence à l’intéressé d’obtenir la qualité de personne à protéger lorsqu’il peut démontrer qu’il serait personnellement exposé à une menace à sa vie en raison du refus injustifié de son pays de lui fournir des soins de santé adéquats lorsque ce pays a la capacité financière de les lui offrir. Par exemple, lorsqu’un pays cherche délibérément à persécuter une personne ou agit de façon discriminatoire à son égard en allouant sciemment des ressources insuffisantes pour traiter et soigner la maladie ou l’invalidité dont souffre cette personne, comme certains pays l’ont fait dans le cas de patients atteints du VIH/SIDA, cette personne peut bénéficier de cet article, car il s’agit en pareil cas d’un refus et non d’une incapacité de fournir des soins. C’est toutefois au demandeur qu’il incombe d’établir ce fait.
[35] Par conséquent, l’agent a commis une erreur en se déclarant incompétent relativement à la question soulevée par le demandeur eu égard au risque fondé sur un problème de santé étant donné que la Cour d’appel fédérale a expliqué qu’il fallait tenir pour acquis que cette disposition signifie qu’une personne devrait être protégée lorsque son pays choisit délibérément d’allouer des ressources insuffisantes aux traitements et aux soins relatifs à la maladie ou à l’invalidité de cette personne. L’agent était tenu de vérifier si la situation du demandeur entrait dans cette catégorie vu la preuve documentaire selon laquelle l’accès des personnes séropositives aux soins médicaux au Nigéria est limité; or, il ne l’a pas fait. Il a donc commis une erreur lorsqu’il n’a pas tenu compte de l’état de santé du demandeur à la lumière de la preuve documentaire sur la situation médicale dans le pays. Par conséquent, l’agent chargé de l’ERAR a mal interprété sa compétence relativement au sous‑alinéa 97(1)b)(iv) de la LIPR. Il est fort possible que la preuve soumise par le demandeur révèle qu’il n’est pas personnellement exposé à un risque à sa vie parce que des services médicaux existent et qu’il peut y avoir accès; cependant, en n’ayant pas abordé cette question comme il le devait, l’agent a décliné compétence.
VIII. Questions à certifier
[36] Les parties ont été invitées à proposer une question à certifier. Le demandeur a proposé les deux questions suivantes :
1) Si la SPR juge qu’un demandeur est exclu de la protection en vertu de l’article 98 de la LIPR, le commissaire de la SPR doit‑il aussi se prononcer sur la question de savoir si le demandeur d’asile aurait pu être considéré comme une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR n’eût été la conclusion tirée en application de l’article 98?
2) Si la réponse à la première question est négative, les éléments de preuve relatifs aux facteurs de risque énumérés aux articles 96 et 97 de la LIPR, qui n’ont pas été examinés par la SPR, constituent‑ils des « éléments de preuve nouveaux » aux fins de la demande d’évaluation des risques avant renvoi en vertu de l’alinéa 113a) de la LIPR étant donné qu’il aurait été raisonnablement impossible de s’attendre à ce que la SPR, dans les circonstances, disposait véritablement de ces éléments de preuve?
[37] Le demandeur soutient que les questions proposées sont graves, ont une portée générale, dépassent les intérêts des parties au litige et touchent des sujets de grande importance ou d’application générale déterminantes pour trancher les questions dont la Cour est saisie.
[38] Le demandeur ajoute que la première question vise la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, laquelle n’est pas une partie à l’instance en l’espèce, mais la conduite de la SPR et celle de l’agent chargé de l’ERAR sont inextricablement liées, vu les exigences de l’alinéa 113a) de la LIPR.
[39] Le demandeur rappelle qu’une personne exclue de la protection accordée aux réfugiés en vertu de l’article 98 de la LIPR a quand même droit à la possibilité de faire évaluer les risques auxquels elle est exposée avant d’être renvoyée du Canada.
[40] Le demandeur ajoute qu’en ce qui concerne la section E de l’article premier de la Convention, la SPR ne peut pas faire l’examen des risques étant donné qu’il n’est pas encore bien établi dans quel pays il sera renvoyé. Une fois que l’Agence des services frontaliers du Canada aura répondu à cette question, l’agent chargé de l’ERAR sera justifié d’examiner tous les éléments de preuve relatifs aux risques auxquels serait exposée la personne à son retour dans le pays qui aura été choisi.
[41] Selon le demandeur, dans les cas où un demandeur est visé par la section F de l’article premier de la Convention et qu’en conséquence, il est exclu en vertu de l’article 98 de la LIPR, il est visé par l’alinéa 112(3)c) de la LIPR. L’agent chargé de l’ERAR doit, par conséquent, non seulement évaluer le risque en vertu de l’article 97 de la LIPR, mais aussi le danger que le demandeur constitue pour le Canada, comme l’exige l’alinéa 113d) de la LIPR. Cette exigence selon laquelle l’agent doit mettre en balance son analyse fondée sur l’article 97 et le risque que constitue le demandeur pour les citoyens au Canada est l’élément qui entraîne le retrait de la question de l’inclusion du domaine de compétence du commissaire de la SPR. C’est aux agents chargés de l’ERAR, et non à la SPR, qu’il incombe de se livrer à cet exercice. Selon l’arrêt Xie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, 37 Imm LR (3d) 163, qui fait toujours autorité, la SPR ne peur connaître de l’inclusion après qu’un demandeur d’asile ait été jugé exclu.
[42] Par conséquent, le demandeur fait valoir que si la question de l’inclusion ne doit pas être examinée par la SPR après que l’exclusion a été établie, il revient à l’agent chargé de l’ERAR d’examiner les éléments de preuve dont la SPR ne disposait pas véritablement à l’audience. L’agent chargé de l’ERAR était tenu de tenir compte de ces documents. Cependant, selon le demandeur, la jurisprudence varie sur cette question. Les tribunaux ont indiqué que, dans l’intérêt de l’efficacité du processus, il convient que le commissaire de la SPR se livre à une évaluation de la question de l’inclusion au cas où son évaluation sur la question de l’exclusion est erronée. Les interprétations différentes relevées dans la jurisprudence ont fait en sorte que les agents chargés de l’ERAR et les commissaires de la SPR n’ont pas d’indications claires sur la portée de leurs tâches et de leurs compétences respectives. Le fait pour les commissaires de continuer à trancher cette question au cas par cas ne fera qu’ajouter à la confusion des agents chargés de l’ERAR qui sauront encore moins quels éléments de preuve ils devront évaluer. Le demandeur estime qu’une définition claire de la compétence serait avantageuse pour toutes les parties, donnerait des indications claires et limiterait probablement le nombre de litiges inutiles dans ce contexte.
[43] Enfin, le demandeur souligne que ces questions permettent de trancher la présente affaire, dépassent les intérêts des parties et revêtent une portée générale.
[44] Le défendeur réitère que la décision de l’agent chargé de l’ERAR était raisonnable à tous égards. Si la Cour estime que l’évaluation des éléments de preuve relatifs au VIH, qui sont reconnus comme étant de « nouveaux éléments de preuve », était déraisonnable, le défendeur croit que les questions telles que proposées ne permettent pas de trancher l’affaire.
[45] S’agissant de la première question, le défendeur soutient qu’elle a été tranchée par la Cour d’appel dans l’arrêt Moreno c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 159 NR 210, 21 Imm LR (2d) 221 [Moreno]. Les conclusions de l’agent chargé de l’ERAR ont été confirmées récemment dans Hedayati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (7 mars 2013), Ottawa, IMM‑2687‑12 (CF), une affaire dans laquelle la SPR avait rendu une décision à la fois sur la question de l’inclusion et sur celle de l’exclusion. Il faut rappeler que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de la SPR a été rejetée. De plus, étant donné que la contestation par le demandeur de la compétence de la SPR constituerait une contestation subsidiaire de cette décision, elle ne devrait pas constituer le fondement d’une question certifiée.
[46] Quant à la deuxième question, le défendeur soutient qu’elle n’a pas à être tranchée étant donné que le guide d’ERAR prévoit que les demandeurs d’asile ont la possibilité de soumettre des éléments de preuve à un agent chargé de l’ERAR dans les cas où la SPR n’était pas compétente ou ne s’était pas déclarée compétente relativement à la question liée à la protection qui était soulevée. Par exemple, la SPR a déjà exclu un demandeur sans vérifier s’il craignait avec raison d’être persécuté. À cet égard, la question proposée n’en est pas une « qui n’a jamais été tranchée ».
[47] Pour les motifs qui suivent, aucune question ne doit être certifiée en l’espèce étant donné que les questions proposées n’ont pas de portée générale et qu’elles ne sont pas décisives.
[48] La première question touche la compétence de la SPR. La décision contestée devant la Cour est la décision issue d’un ERAR et non la décision de la SPR. Étant donné que la décision de la SPR ne constitue pas l’objet de la présente instance et qu’en conséquence, son point de vue est absent du dossier, il n’est pas indiqué de certifier cette question. La véritable question soulevée par le demandeur concerne un argument qu’il a défendu lorsqu’il a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la SPR, demande qui avait été rejetée. Quoi qu’il en soit, le problème soulevé par la première question a été réglé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Moreno, précité, où la Cour a jugé qu’il existe des considérations d’ordre pratique qui permettent de tirer des conclusions d’inclusion après qu’un demandeur a été jugé exclu, mais qu’il ne s’agit pas de façon générale d’une obligation imposée à la SPR. Par conséquent, cette question ne permet pas de trancher le présent contrôle judiciaire lequel concerne la décision issue de l’ERAR.
[49] En ce qui a trait à la deuxième question, comme je l’ai déjà expliqué, le guide d’ERAR fournit une réponse claire. Il n’est donc pas nécessaire de certifier une question car elle ne permettrait pas de trancher le présent contrôle judiciaire. En fait, il a déjà été jugé que l’agent chargé de l’ERAR a commis une erreur en ne tenant pas compte des allégations d’exposition au risque faites le demandeur que celui-ci considérait comme étant de « nouveaux éléments de preuve ».
JUGEMENT
LA COUR :
ACCUEILLE la présente demande de contrôle judiciaire.
Aucune question ne sera certifiée par la Cour.
« Simon Noël »
Juge
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑3209‑12
INTITULÉ : BABATUNDE YUSUF c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 22 mai 2013
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE NOËL
DATE DES MOTIFS : Le 5 juin 2013
COMPARUTIONS :
Mario D. Bellissimo Erin Christine Roth
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POUR LE DEMANDEUR
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Christopher Ezrin |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats Bellissimo Law Group Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR
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