Date : 20130611
Dossier : T-697-02
Référence : 2013 CF 626
Montréal (Québec) le 11 juin 2013
En présence de monsieur le juge Martineau
ENTRE :
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OSMOSE-PENTOX INC.
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demanderesse
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et
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SOCIÉTÉ LAURENTIDE INC.
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défenderesse
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une action en violation de marque de commerce. La présente affaire représente une occasion unique d’examiner la portée de la protection accordée par la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [Loi], au propriétaire d’une marque de commerce enregistrée qui consiste en une série de lettres et un dessin et qui, prises dans leur ensemble, forment un seul mot. La marque de commerce en cause [dessin-marque conservator] est la suivante :
[2] Les faits qui ont mené à la présente instance ont été admis par les parties ou découlent des documents qu’elles ont déposés conjointement. Quelques semaines avant l’audience, les parties ont convenu de ne pas faire comparaître de témoins experts. Tous ces efforts ainsi que les admissions utiles faites à l’audience par la défenderesse ont réduit la durée de l’audience.
[3] À l’audience, la demanderesse a fait témoigner trois personnes : Mme Suzanne Maggi, directrice de la commercialisation à RONA Inc. [RONA], et les deux directeurs de la demanderesse, M. Alex Gabanski et M. George Gabanski [les frères Gabanski]. M. André Buisson a témoigné pour la défenderesse.
[4] Les éléments pertinents des admissions et des témoignages sont résumés ci-dessous.
Osmose-Pentox
[5] La demanderesse, Osmose-Pentox Inc., fabrique et vend des revêtements et des produits de préservation du bois. Les marchandises de la demanderesse sont surtout vendues sous les marques de commerce PENTOX®, PENTOX® COP-R-NAP®, PENTOX® ZIN-K-NAP® et, depuis février 1996, pour les bouche-pores pour le bois, PENTOX® ®.
[6] M. Alex Gabanski, qui détient un diplôme en chimie, a présenté un résumé général de la naissance et de l’évolution de la petite entreprise familiale qui, lorsqu’elle avait été fondée dans les années 1930, était une société privée appartenant à un certain nombre d’actionnaires, dont son père. Il a aussi parlé des aspects techniques des produits que la demanderesse fabrique et vend. Son frère aîné, M. George Gabanski, qui a des diplômes en génie ainsi qu’une maîtrise en administration des affaires (MAA), a aussi parlé de l’histoire de l’entreprise familiale, mais son témoignage a davantage porté sur les aspects commerciaux de l’entreprise que sur les aspects techniques des produits.
[7] La demanderesse exploite son entreprise à Montréal, au Québec. Elle compte moins de six employés et vend ses produits partout au Canada. Au fil des années, la demanderesse a acquis une expertise spécialisée en matière de produits de préservation du bois et de revêtements divers. Selon le témoignage de M. Alex Gabanski, le produit de la demanderesse qui fait l’objet du présent litige est un bouche-pores qu’elle avait commencé à vendre en 1996, c’est-à-dire après l’enregistrement du dessin-marque conservator.
[8] M. Gabanski a expliqué que le bouche-pores joue essentiellement le rôle de produit de préservation du bois. Toutefois, en éliminant les pesticides de la composition de son bouche‑pores, la demanderesse a évité de devoir enregistrer ce nouveau produit auprès de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de Santé Canada et les tiers qui veulent vendre le produit aux consommateurs n’ont pas à obtenir de permis. Par conséquent, le nouveau produit n’est pas réglementé par la Loi sur les produits antiparasitaires, LC 2002, c 28 (qui a abrogé la Loi sur les produits antiparasitaires, LRC 1985, c P-9 [PA]).
[9] M. Gabanski a aussi témoigné que les caractéristiques visuelles du bouche-pores commercialisé par la demanderesse lui ont aussi permis d’accaparer un créneau commercial parce que le produit « CONSERVATOR » est transparent. La demanderesse a expliqué que, lorsque son bouche-pores a été lancé sur le marché, les autres bouche-pores produisaient un revêtement blanc opaque, alors que le sien produit un revêtement transparent – soit clair, soit brun transparent.
[10] L’étiquette de face du bouche-pores clair vendu par la demanderesse est reproduite en couleurs ci-dessous :
[11] L’étiquette du bouche-pores brun vendu par la demanderesse a les mêmes caractéristiques générales que le bouche-pores clair, à l’exception de l’arrière-plan, qui est brun pâle au lieu d’être jaune. La demanderesse continue d’être propriétaire du dessin-marque conservator, qui a été enregistré au Canada le 26 mars 1996 relativement aux [traduction] « revêtements de surface, à savoir les revêtements de protection du bois ». La particularité du produit « CONSERVATOR » fabriqué par la demanderesse est qu’il ne contient aucun pesticide. Ce produit est toujours vendu au Canada.
Société Laurentide
[12] La défenderesse, Société Laurentide Inc., fabrique un vaste éventail de produits, notamment de la peinture, des revêtements pour le bois, du vernis, de l’émail et du diluant ainsi que du solvant et du vernis à laque. De 2000 à 2003, les activités de la défenderesse employaient environ 350 employés. En février 2012, la défenderesse a vendu sa division de peinture.
[13] M. Buisson, qui travaille pour l’entreprise depuis le début de sa carrière, a témoigné au sujet de l’historique de l’entreprise familiale et des gammes de produits vendues sous les marques de commerce PERMATEC, DUROTEC, NATIONAL et LAURENTIDE.
[14] La défenderesse a d’abord utilisé la marque de commerce PermaTec relativement à des revêtements extérieurs pour le bois appelés « PermaTec PROTECTOR♦PROTECTEUR » [produit protecteur] qui était offert dans des couleurs prémélangées ou des couleurs semi-transparentes mélangées sur commande. Ces revêtements colorés – qui protègent le bois extérieur contre l’ébrèchement, le noircissement, le fendillement et le gonflement – ont connus beaucoup de succès et sont encore en vente aujourd’hui.
[15] M. Buisson a aussi témoigné que les produits protecteur incluent désormais du « PermaTec PLUS PROTECTOR♦PROTECTEUR », qui contient du téflon. Les étiquettes des produits de la gamme « Protecteur » ont une apparence commune : le mot PermaTec figure bien en évidence et le mot « Protecteur » apparaît en dessous, avec parfois d’autres mots qui précisent ce que le produit sert à « protéger », par exemple, « Protector for Concrete and Masonry/Protecteur pour béton et maçonnerie ».
[16] Vers la fin des années 1990, la défenderesse a élargi la gamme de produits PermaTec en y ajoutant un « Nettoyeur », un « Préservatif », un « Conservateur pour bois » et un « Éclaircissant ». Les étiquettes des produits de la gamme PermaTec sont faciles à reconnaître et ont une apparence très semblable en ce qui a trait aux polices de caractère, au graphisme et aux couleurs (arrière-plan vert et blanc). Les étiquettes PermaTec consistent en deux bandes dorées, l’une en haut et l’autre en bas de l’étiquette, qui encadrent une clôture de bois verte sous laquelle se trouve la marque de commerce PermaTec en lettrage blanc sur un rectangle noir.
La violation alléguée
[17] Les frères Gabanski ont témoigné qu’ils avaient été très surpris et choqués de découvrir, en 2000, que la défenderesse vendait et livrait à des magasins RONA des contenants de bouche‑pores clair et brun pour le bois extérieur [les marchandises en cause] sur lesquels apparaissait, tout juste sous le nom PermaTec, les mots « CONSERVATEUR POUR BOIS » et « WOOD CONSERVATOR » :
[18] La demanderesse a immédiatement conclu que cette utilisation précise des termes « conservator » et « conservateur » constituait une violation manifeste de son droit exclusif à l’égard du dessin-marque conservator. Cette découverte était particulièrement troublante, car à cette époque, RONA était le client principal de la demanderesse. Toutefois, bien que cette perte de ventes ait représenté un coup dur pour l’entreprise de la demanderesse, M. George Gabanski a expliqué que la société a été prudente dans ses démarches subséquentes afin de ne pas nuire inutilement à sa relation d’affaires avec RONA.
[19] À ce stade, il est utile d’expliquer brièvement de quelle manière la structure organisationnelle de RONA s’applique aux faits en cause. Mme Maggi a témoigné que l’entreprise de RONA repose sur trois grandes catégories de magasins : les magasins d’entreprise, les magasins franchisés et les magasins affiliés. Le témoignage de Mme Maggi et les documents déposés en preuve au sujet de RONA portent sur les magasins d’entreprise et les magasins franchisés. Toutefois, les magasins affiliés appartiennent habituellement à des propriétaires qui les exploitent indépendamment du siège social de RONA, qui est situé à Boucherville, au Québec.
[20] En mai 2001, la demanderesse a envoyé une lettre au président de RONA pour exiger que RONA cesse de vendre les marchandises en cause. Cependant, les violations alléguées se sont poursuivies, même après que RONA eut fait part de cette lettre à M. Buisson. Dans leurs témoignages, les frères Gabanski ont laissé entendre que la conduite de la défenderesse est la preuve d’une intention d’agir de manière déloyale à l’endroit de la demanderesse. M. Alex Gabanski a notamment témoigné que, en octobre 2001, la défenderesse avait cherché à obtenir de la demanderesse la fiche signalétique de sécurité de produit (FSSP) pour un produit qui n’est pas en cause en l’espèce : le PENTOX COP-R-NAP (vert). M. George Gabanski a accusé RONA de s’être faite complice de la défenderesse et d’avoir exclu la demanderesse du marché en remplaçant ses produits par ceux de la défenderesse, y compris le bouche-pores pour le bois.
[21] Par un avis officiel daté du 6 mars 2002, la défenderesse s’est vu intimer de mettre fin à la violation alléguée en cessant d’utiliser les mots « CONSERVATEUR » et « CONSERVATOR ». L’action en cause a été déposée au printemps 2002.
[22] Il n’est pas contesté que la défenderesse a vendu les marchandises en cause (code de produit 8534), qui portaient les étiquettes en litige, durant une période allant d’au moins 2000 au 31 janvier 2003. Il semble que la demanderesse ait perdu la plus grande part de son volume d’affaires avec RONA, bien que certains détaillants indépendants affiliés à RONA continuent jusqu’à ce jour d’acheter ses produits. C’est notamment le cas des magasins Le Rénovateur St‑Patrick et Quincaillerie Notre‑Dame, situés à Montréal, qui sont indépendants et qui vendent autant les produits de marque Pentox que ceux de marque PermaTec.
Développements après le début de l’action
[23] Le 31 janvier 2003, la Cour a émis une injonction interlocutoire par laquelle elle a interdit à la défenderesse et à ses administrateurs, dirigeants, actionnaires, employés, associés, représentants, préposés et mandataires ainsi qu’à toute autre personne ayant connaissance de l’injonction de vendre directement ou indirectement tout produit bouche-pores pour le bois comportant les mots « CONSERVATEUR », « CONSERVATOR », « CONSERVATEUR POUR BOIS » ou « WOOD CONSERVATOR » [les mots en litige] jusqu’à ce qu’un jugement soit rendu sur le fond.
[24] La défenderesse a tenté, en vain, de faire annuler l’injonction interlocutoire. Cela dit, la défenderesse affirme qu’elle a ensuite modifié les étiquettes en litige afin de se conformer à l’injonction interlocutoire pendant qu’au même moment, comme l’a expliqué M. Buisson à l’audience, elle prenait des mesures supplémentaires avec RONA et d’autres clients importants pour veiller à ce que les étiquettes en litige soient remplacées. Je n’ai aucune raison de douter de la crédibilité ou de la bonne foi de M. Buisson.
[25] Premièrement, la défenderesse a diffusé un communiqué au sujet de l’injonction interlocutoire et des mesures juridiques qu’elle allait prendre pour y répondre. De plus, comme en témoigne un courriel qu’elle a déposé en preuve pendant le procès, la défenderesse semble avoir communiqué avec ses clients les plus importants, dont RONA. Dans ce courriel, la défenderesse a demandé que ses produits portant les étiquettes en litige soient retirés des rayons et elle a avisé ses clients qu’un de ses représentants allait se rendre dans leurs magasins au cours des trois semaines suivantes afin de remplacer les étiquettes et de permettre que les produits soient remis en vente.
[26] Deuxièmement, la défenderesse a effectivement remplacé les étiquettes en litige. M. Buisson a expliqué que MédiaVox était responsable de la conception graphique des nouvelles étiquettes, et la défenderesse a déposé en preuve un reçu daté du 18 mars 2003 qui correspond à ce travail (il a toutefois été allégué que la commande pour la conception graphique avait été passée immédiatement). M. Buisson a aussi expliqué que la défenderesse avait ensuite fait imprimer les nouvelles étiquettes par Imprimerie de la Rive Sud Ltée. La demanderesse a d’ailleurs déposé en preuve un reçu daté du 17 février 2003 pour ces travaux d’imprimerie.
[27] La défenderesse n’a pas seulement supprimé les mots « CONSERVATEUR » et « CONSERVATOR » des étiquettes, elle a aussi modifié considérablement sa stratégie de commercialisation. La gamme de produits « Préservateur » de PermaTec, qui comprenait initialement le produit préservateur vert (qui contient des pesticides), a été élargie par l’ajout de produits bouche-pores clair et brun. Dans la conception graphique des étiquettes de remplacement, les trois produits sont décrits comme « Préservateur pour le bois » et « Wood Preservative », et un petit triangle sert à indiquer la couleur du produit qui se trouve dans le contenant.
[28] J’ai reproduit ci-dessous, en couleur, l’étiquette de face de remplacement, en l’occurrence celle du bouche-pores brun :
[29] Il convient de souligner que le préservateur vert vendu par la défenderesse sous la marque de commerce PermaTec était auparavant décrit comme un « Wood Preservative » en anglais, mais comme un « Préservatif pour bois en français ». M. Buisson a expliqué que l’empressement avec lequel les étiquettes avaient été modifiées en février 2003 avait fait que la défenderesse n’avait pas tenu compte des exigences réglementaires qui doivent être remplies pour décrire un produit comme un préservateur. En l’espèce, la Cour n’a pas à trancher la question de savoir si cette nouvelle gamme de produits risquait de tromper les consommateurs parce qu’il fallait examiner l’étiquette de près pour découvrir que le produit vert contenait des pesticides.
[30] La demanderesse accuse aussi RONA et la défenderesse de publicité trompeuse. Dans son témoignage, M. George Gabanski a mentionné un dépliant publicitaire de RONA (pièce C‑1‑42) qui montre un contenant de produit PermaTec décrit comme un « Produit de préservation pour le bois ». La question de savoir si la défenderesse et RONA ont agi illégalement n’est pas pertinente et il en va de même pour l’allégation de la demanderesse selon laquelle la publicité de RONA qui décrit les produits pour le bois PermaTec comme des produits de « préservation » était trompeuse. Par conséquent, j’accueille l’objection soulevée par la défenderesse à l’égard de ce témoignage.
[31] Comme il est mentionné ci-dessus, l’injonction interlocutoire rendue en janvier 2003 interdisait formellement à la défenderesse de vendre ses produits bouche-pores portant les mots en litige « CONSERVATOR », « CONSERVATEUR », « WOOD CONSERVATOR » ou « CONSERVATEUR POUR BOIS ». Cette ordonnance n’interdisait pas la vente des marchandises en cause qui portent les numéros de produit 8534-28L09 (clair, format de 0,94 L), 8534-28L19 (clair, format de 3,78 L), 8534-85L09 (brun, format de 0,94 L) et 8534-85L19 (brun, format de 3,78 L). Cette ordonnance n’enjoignait pas non plus aux tiers de continuer à acheter ou à vendre les produits de la demanderesse.
[32] Je note, en passant, que la défenderesse a cessé de produire les bouche-pores pour le bois extérieur (clair et brun) en 2005. À l’audience, M. Buisson a confirmé que la défenderesse avait complètement abandonné la fabrication de ces produits. Cette affirmation est étayée par des documents déposés lors de l’audience qui font état du statut et des ventes des marchandises en cause par RONA pour la période de 2002 à 2013. Selon ces documents, les ventes totalisaient 10 572 $ en 2002, 9 850 $ en 2003 – une faible diminution –, 1 652 $ en 2004 – une chute considérable –, 946 $ en 2005 – une autre faible diminution –, puis 67 $ en 2006, l’année suivant l’arrêt de la production. Les derniers produits ont été vendus en 2007, pour des ventes totales de 16 $.
[33] Bien que la défenderesse ait cessé de produire les marchandises en cause, la relation d’affaires entre la demanderesse et RONA n’a pas retrouvé son niveau antérieur. À peu près au même moment que RONA a cessé de vendre les marchandises de la défenderesse dans ses magasins – selon ce que démontrent les documents produits à l’audience –, la demanderesse semble avoir abandonné tout espoir de préserver sa relation d’affaires avec RONA. En 2005, la demanderesse a donc intenté contre RONA un recours parallèle qui repose essentiellement sur les mêmes faits qui sont en cause en l’espèce (Osmose-Pentox Inc c Rona Inc, déclaration déposée le 19 décembre 2005, dossier T-2227-05). À toutes fins utiles, bien qu’aucune ordonnance de suspension n’ait été rendue, cette action a été suspendue en attendant que la présente instance soit tranchée définitivement.
[34] RONA n’est pas une partie défenderesse dans la présente instance, et les accusations gratuites que les frères Gabanski ont faites à son endroit ne sont pas pertinentes dans le contexte de l’action en violation de marque de commerce en cause, du moins à cette étape de l’instance, compte tenu de l’ordonnance de disjonction rendue par la Cour. L’action en cause porte principalement sur les pratiques commerciales de la défenderesse et sur les questions de la confusion et de la violation des marques de commerce.
[35] Il semble que toutes les étiquettes en litige pour les produits bouche-pores avaient toutes été remplacées en février 2003, mais, après la fin de la première journée d’audience (le 6 mai 2013), M. Alex Gabanski a réussi à trouver et à acheter six bidons de produits portant les étiquettes en litige dans un magasin RONA : le Centre de Rénovation St-Patrick. Lorsqu’il a présenté ces produits lors de la deuxième journée d’audience (le 7 mai 2013), il a affirmé que ces six bidons étaient les derniers produits de la défenderesse que ce magasin avait en stock.
[36] Lorsqu’on lui a présenté ces éléments de preuve, M. Buisson a attiré l’attention sur le numéro d’étiquette situé au bas du contenant, qui indique le numéro de lot de fabrication ainsi que l’année, le mois et l’endroit où le lot a été fabriqué. Le lot en cause, le cinquante et unième, avait été fabriqué à Shawinigan, au Québec, en mars 2001. Les bidons étaient très vieux et rouillés, mais les étiquettes étaient complètement propres. Bien que M. Buisson ne se soit pas hasardé à accuser la demanderesse d’avoir apposé des étiquettes en litige au-dessus des étiquettes de remplacement, il a souligné que les étiquettes en litige n’adhéraient pas solidement aux bidons achetés par M. Alex Gabanski. Manifestement, cela semblait très louche.
[37] Pendant la pause‑repas de la deuxième journée d’audience (le 7 mai 2013), M. Buisson s’est rendu dans le même magasin et a acheté un bidon du même produit. Lorsque l’audience a repris après la pause‑repas, M. Buisson a souligné que ce bidon était lui aussi très rouillé et faisait partie du cinquante et unième lot, produit en mars 2001. Cependant, ce bidon portait l’étiquette de remplacement, qui comporte les mots « PRÉSERVATEUR POUR LE BOIS/WOOD PRESERVATIVE », et M. Buisson a fait remarquer que l’étiquette de remplacement était très bien collée sur le bidon.
[38] Pour déterminer quel poids il convient d’accorder à ces nouveaux éléments de preuve matériels, mais contradictoires, que les deux parties ont obtenus pendant l’audience, la Cour doit faire preuve de prudence. D’abord, ces éléments de preuve n’ont pas été corroborés par l’employé de RONA qui avait pris les bidons sur les rayons. Ensuite, ces éléments de preuve matériels ont trait à l’ampleur de la violation alléguée, une question qui deviendrait seulement pertinente à la deuxième étape de l’instance, compte tenu de l’ordonnance de bifurcation.
[39] Le 25 septembre 2006, donc après le dépôt de l’action en cause, la défenderesse a obtenu l’enregistrement de la marque de commerce PermaTec relativement à « [d]es peintures et teintures à usage domestique et industrielle comprenant les marchandises spécifiques suivantes nommément protecteur pour bois, nettoyant pour bois et teinture pour le bois à l’eau (latex) pour l’intérieur et l’extérieur ainsi que teintures pour bois à l’huile (alkyde) pour l’intérieur et l’extérieur ». L’enregistrement de cette marque de commerce a été autorisé sur le fondement de l’utilisation de la marque de commerce PermaTec au Canada depuis le 1er février 1999.
[40] Ceci dit, la Cour souligne que la défenderesse n’est plus le propriétaire inscrit de la marque de commerce PermaTec. Selon les données les plus récentes sur les marques de commerce, mises à jour le 7 mai 2013, le propriétaire actuel de la marque de commerce PermaTec est General Paint Corp, une société britanno‑colombienne. La cession a eu lieu le 9 février 2012 et le changement de propriétaire a été enregistré au Canada le 10 juillet 2012.
Les positions des parties
[41] Essentiellement, la demanderesse soutient que les mots « CONSERVATOR » et « CONSERVATEUR » ne peuvent pas être utilisés relativement à la fabrication, la promotion, la vente ou la distribution de revêtements servant à protéger le bois. À cet égard, la demanderesse allègue que la défenderesse a appelé l’attention du public sur ses marchandises de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada entre ses marchandises et les marchandises de la demanderesse portant le dessin-marque conservator, qui a été utilisé comme marque de commerce.
[42] De plus, la demanderesse allègue, dans sa déclaration modifiée, que la défenderesse a fait passer ses marchandises pour celles de la demanderesse et que la défenderesse a tiré profit indûment de l’achalandage lié à l’entreprise de la demanderesse et au dessin-marque conservator. Sous réserve de l’ordonnance de disjonction rendue le 1er mars 2007 (Osmose-Pentox Inc c Société Laurentide Inc, 2007 CF 242), la demanderesse veut obtenir une injonction permanente ainsi que des dommages‑intérêts (y compris des dommages‑intérêts punitifs) ou la restitution des bénéfices (au choix de la demanderesse), les intérêts avant jugement et après jugement et les dépens.
[43] Quelques semaines avant le procès, la défenderesse a abandonné sa demande reconventionnelle qui visait à ce que l’enregistrement du dessin-marque conservator soit déclaré invalide. Ceci dit, la défenderesse reconnaît volontiers qu’elle a utilisé les mots en litige pendant la période allant au moins de 2000 au 31 janvier 2003. Toutefois, la défenderesse soutient qu’elle n’a pas utilisé les mots « CONSERVATOR » et « CONSERVATEUR » à titre de marques de commerce et elle ajoute que son emploi des expressions « CONSERVATOR for wood » et « CONSERVATEUR pour bois » ne portait pas à confusion.
[44] Les deux parties conviennent des principes juridiques généraux qui s’appliquent aux actions en violation de marque de commerce, mais pas nécessairement de la manière dont ces principes s’appliquent aux faits de la présente espèce :
• L’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services (article 19 de la Loi);
• Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce (paragraphe 22(1) de la Loi);
• Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion (paragraphe 20(1) de la Loi);
• L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale (paragraphe 6(2) de la Loi);
• En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus, b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage, c) le genre de marchandises, services ou entreprises, d) la nature du commerce et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent (paragraphe 6(5) de la Loi);
• Aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut empêcher une personne d’employer de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de commerce, toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce (sous‑alinéa 20(1)b)(ii) de la Loi).
[45] Les parties conviennent qu’en l’espèce, la Cour doit appliquer le critère de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue de la marque de commerce ou du nom commercial, alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce ou des noms commerciaux en question, et que la Cour ne doit pas faire un examen minutieux des marques concurrentes ou une comparaison côte à côte : Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27 au para 40 [Masterpiece], où est cité Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 au para 20 [Veuve Clicquot]).
[46] D’ailleurs, quelques semaines avant le procès, les parties ont décidé de ne produire aucun rapport d’expert sur la question litigieuse de la confusion, y compris toute enquête menée par le témoin expert de la défenderesse et tout affidavit fait une personne n’étant pas un consommateur ordinaire, par exemple un peintre professionnel ou un agent d’approvisionnement pour un magasin de détail. Les parties m’ont simplement invité à me mettre dans les souliers d’un consommateur ordinaire qui n’aurait qu’un vague souvenir du dessin-marque conservator. C’est ce que j’ai fait en l’espèce.
[47] Bien qu’aucune des parties n’a invoqué l’arrêt de principe Masterpiece dans les conclusions finales présentées à l’audience, dans l’ensemble, les parties ont néanmoins invoqué les mêmes principes et ne se sont pas écartées sensiblement de l’état du droit actuel en matière de marques de commerce au Canada. Cela étant dit, les parties répondent de manières diamétralement opposées à la question fondamentale de savoir si l’utilisation des mots « CONSERVATOR » et « CONSERVATEUR » par la défenderesse relativement aux produits bouche‑pores (clair et brun) qu’elle vendait causait de la confusion et était susceptible de faire conclure que ces marchandises étaient celles de la demanderesse ou étaient distribuées avec la permission de cette dernière.
[48] J’ai résumé ci-dessous les principales observations présentées par les avocats de la demanderesse et de la défenderesse. Je souligne qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un compte rendu intégral de tout ce que les avocats ont dit. Tout résumé est imparfait de par sa nature, mais je crois, en les réécrivant et les révisant, avoir réussi à rendre l’essence des arguments soulevés par les parties, même si l’avocat de la demanderesse a plaidé en anglais et celui de la défenderesse, en français.
[49] Comme l’a souligné l’avocat de la demanderesse à la fin de ses conclusions finales, l’affaire est simple à résumer. La demanderesse a d’abord utilisé le dessin‑marque conservator en 1996, relativement à son produit bouche-pores particulier. Le dessin‑marque conservator a été créé pour répondre au marché bilingue, qui exigeait des étiquettes en français et en anglais. À cette époque, aucun autre produit ne portait le mot « CONSERVATOR » sur le marché canadien.
[50] L’avocat de la demanderesse accorde une grande importance au fait – qui n’est pas admis par la défenderesse – que sa cliente a été la première à vendre un bouche-pores transparent ayant les caractéristiques du produit CONSERVATOR. Constatant alors qu’il y avait un excellent marché pour ce type de produit, la défenderesse a ajouté un produit comparable à sa gamme de produits de marque PermaTec, en lui donnant le nom de « CONSERVATEUR POUR BOIS/WOOD CONSERVATOR ». Du jour au lendemain, les produits de la demanderesse, qui étaient auparavant achetés par quelque 25 magasins RONA, n’étaient désormais achetés que par deux magasins qui étaient seulement des magasins affiliés à RONA, et non des magasins d’entreprise ou franchisés.
[51] Les conclusions finales présentées par l’avocat de la demanderesse ont révélé que cette dernière ne considère pas que sa marque de commerce est un dessin‑marque, et ce, même si elle semble avoir été enregistrée comme tel. L’avocat de la demanderesse a insisté sur le fait que le remplacement de la lettre « O » par un casque de construction a permis à la demanderesse de contourner les exigences d’étiquetage bilingue. L’avocat de la demanderesse est même allé jusqu’à affirmer qu’il s’agit d’un nom commercial plutôt que d’une marque de commerce. Quoi qu’il en soit, l’avocat de la demanderesse a soutenu que les concurrents de sa cliente ne peuvent pas utiliser les mots « CONSERVATOR » et « CONSERVATEUR » relativement à des revêtements de surface, à savoir les revêtements de protection du bois, et ce, en raison du droit exclusif qui découle de l’enregistrement du dessin-marque conservator.
[52] L’avocat de la demanderesse a avancé qu’il existe de la confusion, au sens de l’article 6 de la Loi, et que cette confusion a entraîné une diminution de la valeur de la marque de commerce de la demanderesse. Il a aussi soutenu que la défenderesse, par un comportement trompeur témoignant de sa mauvaise foi, n’avait pas fait tout ce qui était possible pour remplacer rapidement toutes les étiquettes portant l’expression en litige « CONSERVATEUR POUR BOIS/WOOD CONSERVATOR » qui étaient sur le marché et ne s’était pas assurée qu’il était impossible de trouver des bidons portant les anciennes étiquettes dans les magasins (cet argument correspond vaguement à la décision Coca‑Cola Ltée c Pardhan, 163 FTR 260, 172 DLR (4th) 31 (CFPI)).
[53] L’avocat de la demanderesse a ensuite invoqué les précédents habituels en matière de droit canadien des marques de commerce, notamment l’arrêt Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 [Mattel], Veuve Clicquot et Disney Productions v Triple Five Corp, 56 CPR (3d) 129 [Walt Disney] pour décrire le critère qui sert à décider s’il existe une confusion au sens du paragraphe 6(5) de la Loi. Puisque la demanderesse et la défenderesse vendent leurs marchandises dans le même marché, l’avocat de la demanderesse a fait une distinction entre la présente espèce et les faits en cause dans les arrêts Veuve Clicquot et Walt Disney.
[54] L’avocat de la demanderesse s’est aussi prononcé sur le caractère distinctif inhérent du dessin‑marque conservator, se fondant largement sur la décision Sprint Communications Co LP c Merlin International Communications, 197 FTR 44, 9 CPR (4th) 307 (paragraphes 10, 15 et 18), pour affirmer que le dessin-marque conservator avait acquis un caractère distinctif grâce à la commercialisation et à la vente du produit de la demanderesse. Je souligne toutefois que « sprint » est un simple mot, alors que le dessin-marque conservator est formé de 10 lettres et d’un symbole.
[55] Selon l’avocat de la demanderesse, le simple fait qu’une entreprise utilise une marque de commerce sur ses marchandises (par exemple, PermaTec), ne signifie pas que l’utilisation d’un autre dessin (par exemple « CONSERVATEUR POUR BOIS/WOOD CONSERVATOR ») ne peut pas être considérée comme une violation d’une marque de commerce si cet autre dessin sert à distinguer les marchandises (Gowling, Strathy & Henderson c Degrémont Infilco Ltd, 2000 CanLII 28561 (COMC)). L’avocat de la demanderesse a de nouveau insisté sur la dépréciation de l’achalandage, aux termes de l’article 22 de la Loi (Parmalat Canada Inc c Sysco Corporation, 2008 CF 1104 au para 46).
[56] L’avocat de la demanderesse a aussi soulevé la question des mesures de réparation et du pouvoir discrétionnaire des juges à cet égard. Il a affirmé que, même si les activités en litige ont cessé il y a longtemps, une injonction permanente constitue la meilleure solution lorsqu’aucune autre réparation n’est appropriée (Nalcor Energy v NunatuKavut Community Council Inc, 2012 NLTD(G) 175 aux para 84 et 100). Au fond, l’avocat de la demanderesse cherche à obtenir cette injonction afin que tous sachent que le dessin-marque conservator est protégé et afin d’empêcher de futures violations de cette marque par la défenderesse ou par d’autres concurrents.
[57] Cela m’amène à la position de la défenderesse. Essentiellement, la défenderesse soutient qu’il n’y a aucune confusion et qu’elle n’a donc pas violé le droit exclusif de la demanderesse d’utiliser le dessin-marque conservator. La défenderesse soutient qu’elle n’a pas utilisé le dessin-marque conservator et que son emploi des mots « CONSERVATOR » et « CONSERVATEUR » dans les étiquettes en litige était légal. Selon elle, l’action de la demanderesse doit donc être rejetée. Dans le résumé que je présente ci-dessous, j’ai aussi tenu compte des observations écrites présentées par la défenderesse dans son « plan d’argumentation ».
[58] L’avocat de la défenderesse a commencé ses conclusions finales en abordant la question préliminaire de savoir si la défenderesse avait utilisé les mots « CONSERVATEUR POUR BOIS/WOOD CONSERVATOR » à titre de marque de commerce ou simplement pour décrire son produit. S’il s’agissait d’une description, cet usage correspondrait à l’une des exceptions énumérées à l’alinéa 20(1)b) de la Loi, à savoir l’emploi de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de commerce, de toute description exacte du genre ou de la qualité des marchandises ou services en cause (sous‑alinéa 20(1)b)(ii) de la Loi).
[59] L’avocat de la défenderesse s’est fondé largement sur un jugement de la Cour, Pepper King Ltd c Sunfresh Ltd, [2000] ACF no 1455, 194 FTR 293 (CFPI) [Pepper King]. Dans cette affaire, Pepper King était le propriétaire inscrit de la marque de commerce VOLCANO pour les étiquettes de sa sauce aux piments. Loblaws s’était servie du mot « volcano » sur les étiquettes de l’une de ses salsas. La Cour a fait une distinction entre l’utilisation du mot « volcano » faite par Pepper King, pour indiquer la source des piments forts, et celle faite par Loblaws, qui visait à indiquer à quel point sa salsa était piquante plutôt que la source de la salsa (Pepper King aux para 54 à 57).
[60] L’avocat de la défenderesse a ensuite tracé un parallèle entre le caractère descriptif du mot « volcano » et l’usage des mots « CONSERVATEUR POUR BOIS/WOOD CONSERVATOR » sur l’étiquette PermaTec afin de décrire le produit bouche‑pores particulier qui était vendu. L’avocat de la défenderesse a soutenu que la seule marque de commerce figurant sur ses étiquettes était PermaTec, et que les mots « CONSERVATEUR POUR BOIS/WOOD CONSERVATOR » constituaient manifestement une description, puisqu’ils sont autant anglais que français, ce qui n’est pas le cas du dessin-marque conservator de la demanderesse.
[61] Peu importe que la défenderesse ait utilisé les mots « CONSERVATEUR POUR BOIS/WOOD CONSERVATOR » à titre de marque de commerce ou non, il reste qu’ils n’ont pas été utilisés « d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce » (sous‑alinéa 20(1)b)(ii) de la Loi). En outre, niant qu’il y ait eu la moindre diminution de l’achalandage, l’avocat de la défenderesse a souligné que le paragraphe 22(1) de la Loi – qui prévoit que « nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à
cette marque de commerce » – ne s’applique pas en l’espèce, car la défenderesse n’a jamais utilisé le dessin-marque conservator.
[62] L’avocat de la défenderesse a ensuite soutenu que, même si la Cour rejetait son argument préliminaire et concluait que les mots « CONSERVATEUR POUR BOIS/WOOD CONSERVATOR » ont été utilisés à titre de marque de commerce, un consommateur ordinaire n’ayant qu’un vague souvenir du dessin-marque conservator n’éprouverait aucune confusion quant à la source et à l’origine des marchandises en question : paragraphe 6(5) de la Loi et l’arrêt Veuve Clicquot au para 20).
[63] Par la suite, l’avocat de la défenderesse a affirmé que la demanderesse n’avait présenté aucune preuve d’une confusion réelle qui serait survenue depuis qu’elle avait déposé son action. Selon lui, cela signifie que la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve (voir l’arrêt Veuve Clicquot aux para 14 et 15). L’avocat de la demanderesse a répliqué que rien de cela n’était pertinent, mais l’avocat de la défenderesse a expliqué que l’on peut tirer une conclusion défavorable en l’absence de la preuve d’une confusion réelle (Massif inc c Station touristique Massif du Sud (1993) inc, 2011 QCCA 573 aux para 64 et 65 ([Massif], et l’arrêt Mattel au para 55).
[64] L’avocat de la défenderesse a aussi nié que le produit ou la marque de la demanderesse avaient acquis une notoriété comparable à ceux de la défenderesse, soulignant que seulement 25 des 450 magasins RONA avaient vendu les produits de la demanderesse, comparativement aux sociétés notoires typiques qui ont allégué des violations de l’article 22 de la Loi : Veuve Clicquot aux para 57 et 60). L’avocat de la défenderesse a affirmé que les éléments de preuve présentés durant le procès démontrent seulement une diminution générale des ventes totales des diverses gammes de produits de la demanderesse.
[65] De plus, l’avocat de la défenderesse a soutenu que le dessin-marque conservator de la demanderesse n’a pas de caractère distinctif inhérent – ce qui entraîne un faible degré de protection de la marque – et que, dans le cas d’une marque descriptive, même de légères différences entre les mots utilisés peuvent être suffisantes pour atténuer toute confusion possible (voir l’arrêt Massif au para 43; Prince Edward Island Mutual Insurance c Insurance Co of Prince Edward Island, 159 FTR 112 (CFPI) aux para 32 et 33). En outre, l’avocat de la défenderesse a avancé que lorsqu’une société cherche à s’approprier une marque qui emploie un mot descriptif tiré du vocabulaire général d’une langue, elle doit s’attendre à une certaine confusion chez les consommateurs lorsque la marque reçoit seulement une faible protection (Walt Disney à la p 183, qui cite une décision du Royaume‑Uni, Office Cleaning Services Ltd v Westminster Window and Sign General Cleaners Ltd, (1946) 63 RPC 39 à la p 41; Massif au para 46).
[66] L’avocat de la défenderesse a aussi affirmé que le petit casque de construction qui remplace l’« O » dans le dessin-marque conservator constitue la caractéristique déterminante de la marque de commerce de la demanderesse. Il a aussi insisté sur le fait que la demanderesse n’a jamais prétendu avoir un droit exclusif à l’égard du mot « conservator » et qu’il n’est pas possible de s’approprier ainsi l’usage d’un mot commun (Via Rail Canada c location Via-Route, 45 CPR (3d) 96, 96 DLR (4th) 347; Johnson (SC) and Son Ltd c Marketing International Ltd, [1980] 1 RCS 99 à la p 110). En outre, compte tenu de la courte période – 4 ans – durant laquelle la demanderesse avait vendu son produit avant que la défenderesse lance son produit sur le marché, on ne peut pas affirmer que le dessin-marque conservator avait acquis un caractère distinctif (Pink Panther Beauty Corp c United Artists Corp, [1983] 3 CF 534 (CAF) aux para 23 et 24).
[67] Finalement, l’avocat de la défenderesse a répondu aux allégations de la demanderesse, fondées sur l’injonction initiale qui avait interdit la vente de produits portant les étiquettes en litige et selon lesquelles la défenderesse avait fait preuve de mauvaise foi de par sa conduite et l’usage des mots « CONSERVATEUR POUR BOIS/WOOD CONSERVATOR ». Bien qu’une grande partie du procès ait portée sur la question de savoir si les étiquettes avaient bel et bien été remplacées et sur la vitesse d’un tel remplacement, l’avocat de la défenderesse a simplement affirmé qu’en fait, sa cliente en avait fait davantage que l’exigeait l’injonction. La défenderesse n’avait pas seulement cessé de vendre les produits portant les étiquettes en litige, elle avait aussi communiqué avec les magasins auxquels elle avait déjà vendu ces produits et leur avait demandé de retirer les produits des rayons en attendant qu’un représentant de la défenderesse puise se rendre sur place pour remplacer les étiquettes.
[68] Malgré tout le temps qui a été consacré lors du procès à l’analyse des délais de création, d’impression et de remplacement des étiquettes, à la comptabilisation du nombre de produits et d’étiquettes ainsi qu’à la question de savoir si d’anciennes étiquettes en litige étaient encore en circulation, l’avocat de la défenderesse a expliqué que, en fin de compte, il a été démontré que sa cliente avait effectivement créé de nouvelles étiquettes et les avait apposées sur les produits en cause. Il a aussi souligné que, si les concepteurs des étiquettes initiales étaient de mauvaise foi, ils ont échoué lamentablement puisque la facture visuelle des produits de la défenderesse n’a pas la moindre ressemblance avec celle des produits de la demanderesse. Évidemment, lors des échanges, il a reconnu qu’il ne s’agissait peut-être pas du critère servant à décider s’il y a confusion (voir l’arrêt Masterpiece en général), mais cela est pertinent quant aux allégations de mauvaise foi.
[69] En réponse, l’avocat de la demanderesse a consacré le plus clair du temps restant à passer en revue la jurisprudence citée par l’avocat de la défenderesse et à chercher à faire des distinctions entre ces précédents et les faits de la présente espèce, faits qui, selon lui, démontrent clairement l’existence d’une confusion et d’une violation. L’avocat de la demanderesse est allé jusqu’à laisser entendre que RONA et la défenderesse avaient monté une [traduction] « arnaque » afin d’écarter la demanderesse du marché. Bien que la demanderesse ait été la première à se servir du dessin-marque conservator, l’avocat de la demanderesse a soutenu que la défenderesse s’était approprié illégalement les mots « CONSERVATOR » « CONSERVATEUR » pour se tailler une place dans le « marché de niche » dans lequel la demanderesse était active depuis 1996.
[70] Dans ses conclusions finales, l’avocat de la demanderesse a vivement reproché aux tribunaux leur tendance à rédiger de longues décisions et à faire la leçon aux parties quant au droit et à la jurisprudence. Il a laissé entendre que la présente affaire est fort simple que la Cour n’a pas besoin de présenter un long raisonnement pour trancher les arguments des parties.
La décision de la Cour
[71] Simplement dit, j’estime que les reproches de la demanderesse sont soit non pertinents, soit mal fondés en fait et en droit. Je souscris essentiellement aux observations de la défenderesse. Je ne répéterai pas ces observations et je ne reviendrai pas sur la jurisprudence citée par les parties, sauf si nécessaire. Dans les paragraphes suivants, je présenterai des observations supplémentaires et des conclusions précises qui aideront les parties à comprendre le raisonnement de la Cour.
[72] En l’espèce, les questions de la confusion et de la violation sont quelque peu entremêlées avec les allégations de concurrence déloyale et d’imitation frauduleuse, car la demanderesse est convaincue que l’enregistrement du dessin-marque conservator empêche ses concurrents de se servir des mots « CONSERVATOR » et « CONSERVATEUR » à titre de marque de commerce ou de description des caractéristiques ou de la qualité de leurs revêtements de protection du bois.
[73] Premièrement, je souligne que toute allégation d’imitation frauduleuse ou de confusion entre les marchandises en cause est injustifiée. D’une part, aucune preuve directe de confusion réelle dans le marché n’a été présentée. D’autre part, l’examen rapide des produits bouche-pores vendus par les parties (notamment, les pièces C-1-1 à C-1-4, P-5-1 à P-5-6 et D-7) porte la Cour à conclure qu’il y a fort peu de risque qu’un consommateur ordinaire soit trompé et croit acheter le produit PENTOX® ®. Même s’il n’a qu’un vague souvenir de ce produit, le consommateur remarquera immédiatement le nom , qui figure bien en évidence sur l’étiquette de face des produits bouche-pores de la défenderesse et qui montre clairement qu’il s’agit d’un produit différent.
[74] Deuxièmement, je souscris à l’argument préliminaire de la défenderesse selon lequel les mots « CONSERVATEUR POUR BOIS » et « WOOD CONSERVATOR », qui figurent côte à côte en petits caractères sous le nom , ne sont pas utilisés à titre de marque de commerce, mais simplement pour décrire le produit. En outre, même si je tenais pour acquis que les mots « CONSERVATEUR POUR BOIS » et « WOOD CONSERVATOR » étaient utilisés comme marque de commerce par la défenderesse, compte tenu de l’ensemble des circonstances – y compris les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi –, il me serait impossible de conclure que l’utilisation de ces mots et du dessin-marque conservator dans la même région était susceptible de faire conclure que les marchandises en cause étaient toutes fabriquées et vendues par la même personne.
[75] Troisièmement, compte tenu du fait admis au paragraphe 29 de l’exposé conjoint des faits (dans sa version modifiée datée du 16 avril 2013), c’est‑à‑dire que la défenderesse n’utilise pas le dessin-marque conservator à titre de marque de commerce, il s’ensuit que toute allégation fondée sur le paragraphe 22(1) de la Loi est infondée en fait et en droit. En outre, je conclus que la défenderesse n’a pas utilisé les mots « CONSERVATEUR POUR BOIS » ou « WOOD CONSERVATOR » d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce que constitue le dessin-marque conservator.
[76] Quatrièmement, même si l’utilisation des mots « CONSERVATEUR POUR BOIS » et « WOOD CONSERVATOR » par la défenderesse correspond à l’exception prévue au sous‑alinéa 29(1)b)(ii) de la Loi, j’ai analysé les cinq facteurs énumérés aux alinéas 6(5)a) à e) de la Loi comme si ces mots avaient été utilisés à titre de « marques de commerce ». J’ai modifié l’ordre de présentation de ces facteurs et j’en ai réuni certains afin que ma présentation demeure logique et corresponde aux éléments de preuve présentés lors du procès. J’ai conclu qu’il n’y avait pas eu de confusion. Cette conclusion est conforme aux précédents cités par la défenderesse, et je souscris à la manière elle a interprété la jurisprudence pertinente.
La nature du commerce et le genre des marchandises en cause
[77] Je note que les parties sont des sociétés concurrentes qui veulent faire affaire avec des détaillants (les premiers acheteurs), lesquels revendent de la peinture, des produits de traitement pour le bois et des produits connexes aux consommateurs. J’estime que les marchandises en cause sont semblables, du moins du point de vue du consommateur ordinaire qui n’est pas chimiste et qui ne connaît pas la composition et les propriétés particulières, le cas échéant, des produits bouche‑pores pour bois fabriqués par les parties. Je souligne en passant que le produit Pentox conservator ne contient aucun pesticide, mais ce détail échapperait au consommateur ordinaire.
[78] Les marchandises en cause sont seulement vendues sous forme liquide. Les marchandises sont offertes dans des contenants de mêmes volumes qui ont des tailles et des formes standards (c’est‑à-dire 3,78 L (1 gallon US) et 0,94 L (1 pinte US)). Par conséquent, le consommateur doit lire les étiquettes pour distinguer les marchandises en cause. De plus, dans ce domaine, les marchandises en cause sont vendues par des détaillants et ces derniers les regroupent avec d’autres produits de même taille et forme dans la section de la peinture. Bon nombre de ces produits font partie de gammes qui utilisent les couleurs et la facture visuelle particulière de leur fabricant. Cette dernière observation serait fort pertinente dans une pure affaire d’imitation frauduleuse.
[79] Pour ce qui est des qualités particulières des marchandises en cause, l’usage domestique du bouche‑pores vise à protéger le bois extérieur des éléments et à l’empêcher de fendiller et de tordre, mais d’autres produits vendus à titre de « préservateurs », de « teintures » ou de « protecteurs » donnent le même résultat. Le consommateur ordinaire fait donc face à un problème : lire les petits caractères figurant sur les étiquettes de ces produits. Sur les marchandises en cause, l’information est présentée en anglais et en français. L’étiquette de face présente une description générale du produit alors que l’étiquette de dos fournit des renseignements supplémentaires sur le produit, des instructions pour la préparation du bois, des mises en garde et des explications sur la garantie. Puisque les marchandises en cause sont habituellement mises en vente à côté d’autres produits servant à protéger, à préserver ou à conserver le bois ou à en boucher les pores, le consommateur doit faire un choix difficile.
[80] Bien que les deux frères Gabanski aient témoigné que la demanderesse avait été la première à vendre des produits bouche‑pores au Canada, la défenderesse a contesté cette affirmation en mentionnant d’autres sociétés canadiennes qui, selon elle, vendaient des produits comparables à la même époque, notamment Flood, Thompson’s et Techni‑seal. Un article intitulé « FINITION EXTÉRIEURE – Les produits se raffinent », publié dans le numéro août‑septembre 1999 du magazine RÉNOVATION BRICOLAGE (pièce D‑5) corrobore cette assertion de la défenderesse. Cet article, qui fait état de l’éventail de produits qui étaient sur le marché à ce moment, est fort pertinent. Je rejette donc toute objection soulevée lors du procès par l’avocat de la demanderesse relativement au dépôt en preuve de cet article.
[81] Lors de son réinterrogatoire, M. Alex Gabanski a répliqué que la différence entre le produit de la demanderesse et des produits comme ceux de Flood et de Thompson’s tient aux propriétés de scellement particulières et aux avantages du produit bouche‑pores vendu sous le dessin‑marque conservator. Alors que les autres produits rendent la surface du bois complètement résistante à l’eau, le bouche‑pores de la demanderesse ne laisse pas passer l’humidité, mais permet au bois de conserver sa respirabilité. Cela permet au consommateur d’appliquer de la peinture par-dessus le produit conservator de la demanderesse, alors que les autres produits d’étanchéité – par exemple, le produit WaterSeal de Thompson’s – repoussent complètement l’humidité, ce qui empêche l’application de tout autre revêtement sur la surface traitée. Cependant, un consommateur ordinaire comme moi n’aurait pas connaissance d’un tel avantage technique, à moins qu’il ait été mis de l’avant par la demanderesse comme une caractéristique qui distingue son produit des produits concurrents.
Le degré de ressemblance
[82] Je note que les marchandises en cause sont vendues sous les marques de commerce respectives de leurs fabricants, à savoir Pentox et PermaTec. De plus, la dénomination sociale de chaque fabricant est inscrite en petits caractères, soit au bas de l’étiquette de face (pour Omtose‑Pentox Inc.), soit au bas de l’étiquette de dos (pour la Société-Laurentide Inc.).
[83] La question en litige est de savoir si l’utilisation des mots en litige « CONSERVATEUR POUR BOIS » et « CONSERVATOR FOR WOOD » à titre de marque de commerce (article 6 de la Loi) serait susceptible de faire conclure que les marchandises de la défenderesse sont fabriquées par la demanderesse, qui a le droit exclusif d’utiliser le dessin-marque conservator. Le degré de ressemblance entre les marques en cause est un facteur important dans cette appréciation (Masterpiece aux para 42 à 48).
[84] La demanderesse soutient qu’elle a inventé le dessin-marque conservator, ce que la défenderesse ne remet pas en cause. Comme le montre le dessin , la marque de commerce enregistrée est composée de dix lettres majuscules – C, O, N, S, E, R, V, A, T et R – et d’un dessin représentant un casque de construction incliné dont la visière pointe vers le sol. Cette forme fait vaguement penser à la forme de la lettre « O », quoiqu’imparfaitement.
[85] Visuellement et phonétiquement, les mots en litige « CONSERVATEUR POUR BOIS » et « CONSERVATOR FOR WOOD » apparaissent côte à côte et doivent donc être lus comme un tout. Si la Cour tient pour acquis que ces mots ont été utilisés à titre de marque de commerce, force est de conclure qu’ils ont seulement une vague ressemblance avec le dessin-marque conservator. Ensemble, les mots en litige sont composés de six mots et de 38 lettres, formant des expressions française et anglaise. Le seul élément commun aux deux « marques de commerce », si même il en existe un, serait le mot anglais « CONSERVATOR », qui est orthographié avec toutes les lettres – sans dessin de casque de construction – dans la prétendue « marque de commerce » de la défenderesse. La prononciation de CONSERVATOR et de est semblable.
[86] Bien que l’« O » soit absent du dessin-marque conservator et même si l’on présumait que le consommateur ordinaire lirait et retiendrait le mot « CONSERVATOR » en voyant le dessin , il est peu probable que le degré de ressemblance que la marque de commerce enregistrée en cause pourrait avoir avec les mots « CONSERVATEUR POUR BOIS » et « CONSERVATOR FOR WOOD » soit une source de confusion pour ce consommateur. Les mots « CONSERVATEUR » et ne sont pas identiques phonétiquement, et la Cour ne peut pas présumer qu’un consommateur anglophone qui n’a aucune connaissance du français se méprendrait en raison de l’utilisation du mot français « CONSERVATEUR », surtout lorsque ce mot est accompagné de son complément, le qualificatif « POUR BOIS ».
Le caractère distinctif inhérent et la mesure et la période de l’usage des marques de commerce
[87] La demanderesse soutient avoir le droit exclusif d’utiliser le mot anglais « CONSERVATOR » et l’équivalent français « CONSERVATEUR » relativement aux revêtements de surface, à savoir les revêtements de protection du bois. Cette assertion ne repose pas sur la période durant laquelle la demanderesse a utilisé la marque de commerce en cause, mais sur l’enregistrement du dessin-marque conservator en 1996.
[88] Très peu d’éléments de preuve ont été présentés quant à l’ampleur de l’utilisation de la marque de commerce ®, sauf pour expliquer qu’elle a été utilisée exclusivement à l’égard des bouche-pores clair et brun de la demanderesse, mais pas exclusivement, car ces deux produits ont continué à être vendus sous la marque de commerce PENTOX®. Par ailleurs, comme l’a expliqué l’avocat de la défenderesse, le produit conservator a seulement été vendu dans un faible nombre de magasins RONA (25 sur 450).
[89] Il n’y a pas la moindre preuve que la demanderesse a utilisé les mots « CONSERVATOR » et « CONSERVATEUR » comme marque de commerce à quelque moment que ce soit. Il serait tout à fait incompatible avec la protection légale accordée aux dessins-marques de permettre à un propriétaire enregistré de profiter de son droit exclusif d’utiliser le dessin pour obtenir un monopole sur tout mot évoqué par ce dessin, surtout s’il s’agit des mots faisant partie du vocabulaire existant. De plus, un tel monopole serait contraire à l’objectif que la demanderesse visait en faisant enregistrer le dessin-marque conservator, à savoir qu’en remplaçant la lettre « O » par un symbole, la demanderesse a écarté l’objection possible fondée sur le fait que le mot « CONSERVATOR » et son équivalent français « CONSERVATEUR » sont intrinsèquement descriptifs.
[90] Je conclus que le caractère distinctif inhérent du dessin-marque conservator, s’il a un tel caractère, découle de sa capacité à communiquer une image ou une idée au consommateur sans qu’il soit nécessaire de fournir une description. En soi, le mot « CONSERVATOR » n’est pas très distinctif. Il s’agit d’un nom commun qui est recensé dans les dictionnaires de langue anglaise. Il en va de même pour le mot « CONSERVATEUR ». Par conséquent, c’est le symbole de casque de construction qui rend le dessin-marque conservator vraiment distinctif.
[91] À mon avis, l’élément créatif de la marque de commerce enregistrée tient au fait qu’elle permet au consommateur ordinaire d’associer le symbole de casque de construction à son utilisateur, c’est-à-dire la personne qui porte ce casque. Cela ne fait que renforcer le sens premier du mot anglais « CONSERVATOR », qui désigne habituellement une personne plutôt qu’un objet lorsqu’il est employé sans qualificatif. Inversement, les mots « CONSERVATEUR POUR BOIS » et « WOOD CONSERVATOR » employés par la défenderesse sont véritablement descriptifs et n’ont aucun caractère distinctif inhérent. Les mots en litige renvoient à l’idée d’un produit qui sert à protéger, à conserver ou à préserver le bois. Comme il est impossible d’enregistrer ces mots à titre de marque de commerce, il y a lieu de se demander si la demanderesse aurait même pu les utiliser comme une marque de commerce.
[92] Si le dessin-marque conservator est censé couvrir à la fois le sens premier (une personne) et le sens secondaire (un objet) qui peuvent être prêtés au mot « CONSERVATOR », une telle dualité a pour conséquence de réduire le caractère distinctif inhérent du dessin-marque conservator et en fait une marque de commerce très faible, qui doit donc recevoir une protection minime des tribunaux. Je tiens aussi compte du milieu particulier dans lequel le dessin-marque conservator a été conçu.
[93] La demanderesse et la défenderesse mènent toutes deux leurs activités au Canada et font donc face à certaines des contraintes linguistiques lorsqu’elles veulent vendre leurs produits aux consommateurs, dont certains ne parlent pas anglais ou français. De plus, au Québec, les éléments descriptifs utilisés sur les étiquettes doivent être conformes à la Charte de la langue française (la « Loi 101 »). Selon le témoignage de M. Alex Gabanski, le dessin-marque conservator a été créé afin de répondre à la [traduction] « question linguistique » québécoise. Le recours ingénieux au dessin-marque conservator permet à la demanderesse d’inscrire un seul nom sur l’étiquette de son produit. Il n’est pas nécessaire de traduire le dessin-marque conservator, car il ne s’agit pas d’un mot, mais le consommateur est quand même capable de le lire comme s’il s’agissait d’un mot. Cela est différent des étiquettes PermaTec, sur lesquelles le nom descriptif de chaque produit (par exemple, PROTECTEUR/PROTECTOR, PRÉSERVATEUR/PRESERVATIVE ou CONSERVATEUR POUR BOIS/WOOD CONSERVATOR) figure en anglais et en français sous le nom de la gamme de produits .
La défenderesse a-t-elle employé de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de commerce, une description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises?
[94] Je conclus également que la défenderesse n’a pas employé les mots « CONSERVATEUR POUR BOIS » et « WOOD CONSERVATOR » à titre de marque de commerce et que ces mots constituent une description exacte du genre ou de la qualité des marchandises de la défenderesse. Il n’y a pas la moindre preuve de mauvaise foi et je suis convaincu que les mots en litige n’ont pas été employés d’une manière qui a entraîné la diminution de la valeur de l’achalandage attaché au dessin-marque conservator.
[95] Premièrement, le fait que les mots en litige n’ont pas été employés à titre de marque de commerce est étayé par un simple examen visuel de l’étiquette de face des produits de la défenderesse, sur lequel les mots « CONSERVATEUR POUR BOIS » et « WOOD CONSERVATOR » figurent sou le nom PermaTec. Je reproduis de nouveau cette étiquette ci-dessous :
[96] Deuxièmement, le consommateur ordinaire n’arrêtera pas de lire après le mot « CONSERVATEUR » ou « CONSERVATOR »; il lira plutôt l’expression « CONSERVATEUR POUR BOIS » ou « WOOD CONSERVATOR » dans son ensemble et comprendra immédiatement qu’il s’agit d’une qualité ou d’une caractéristique inhérente du produit bouche‑pores vendu par la défenderesse. Cela est confirmé par la mention qui figure sur l’étiquette de dos du produit.
[97] Troisièmement, bien que l’emploi des mots « CONSERVATEUR POUR BOIS » et « WOOD CONSERVATOR » puisse être erroné sur le plan linguistique et constituer une impropriété, la demanderesse n’a pas vraiment nié que les mots en litige sont une description exacte du genre ou de la qualité des marchandises en cause, c’est‑à‑dire de conserver, de protéger ou de préserver le bois extérieur des dommages causés par les éléments.
[98] Quatrièmement, la preuve démontre que les mots « CONSERVATEUR POUR BOIS » et « WOOD CONSERVATOR » n’ont pas été employés d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché au dessin-marque conservator comme marque de commerce. J’ajoute que les preuves d’un achalandage sont faibles, voire inexistantes.
[99] Cinquièmement, les éléments de preuve présentés par la demanderesse ne sont pas suffisants pour réfuter la présomption de bonne foi. Par ailleurs, à la lumière du témoignage de M. Buisson – que j’ai jugé crédible – je suis convaincu que la défenderesse a employé les mots « CONSERVATEUR POUR BOIS » et « WOOD CONSERVATOR » de bonne foi.
Conclusion
[100] Au final, compte tenu de l’ensemble de la preuve documentaire et des témoignages, des faits admis par les parties ainsi que des dispositions pertinentes de la Loi et de la jurisprudence, l’action de la demanderesse ne peut réussir, et la Cour la rejettera donc.
[101] La question des dépens sera tranchée ultérieurement, par voie de requête écrite déposée auprès de la Cour et signifiée à l’autre partie.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. L’action est rejetée.
2. La question des dépens sera tranchée ultérieurement, par voie de requête écrite déposée auprès de la Cour et signifiée à l’autre partie.
« Luc Martineau »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-697-02
INTITULÉ : OSMOSE-PENTOX INC. c
SOCIÉTÉ LAURENTIDE INC.
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Les 6, 7 et 9 mai 2013
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE MARTINEAU
DATE DES MOTIFS : Le 11 juin 2013
COMPARUTIONS :
Me Laddie H. Schnaiberg Me Paul Vanasse
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Me Pierre Archambault Me Alain Chevrier |
POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Laddie H. Schnaiberg Avocat Montréal (Québec)
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Dunton Rainville S.E.N.C.R.L. Montréal (Québec) |
POUR LA DÉFENDERESSE |