Date : 20130607
Dossier : T-120-13
Citation : 2013 CF 615
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 7 juin 2013
En présence de madame la juge Simpson
ENTRE :
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RANJIT GILL
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Ranjit Gill [le demandeur] sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles du Canada [la Section d’appel], datée du 17 décembre 2012 [la décision], rendue sous le régime de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20, maintenant la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles du Canada [la Commission] de révoquer la libération du demandeur.
[2] Pour les motifs suivants, la demande est rejetée.
I. Faits et procédure
[3] Le 24 novembre 1988, le demandeur, un citoyen canadien âgé de 52 ans, a commencé à purger une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au deuxième degré, commis pendant qu’il avait les facultés affaiblies. Il a été libéré de l’Établissement Ferndale en Colombie‑Britannique par suite de sa libération conditionnelle totale le 14 février 2001, et il a subséquemment travaillé comme débardeur.
[4] La suspension de liberté conditionnelle en cause date du 7 mai 2012, au moment où la police a répondu à un appel l’informant qu’un conducteur en état d’ébriété avait stationné sa voiture et s’était rendu dans un restaurant en titubant. Dans sa décision, la Commission dit que les policiers ont indiqué que le demandeur [traduction] « semblait être ivre ». Ils ont aussi relevé que son haleine dégageait une odeur d’alcool et qu’il venait juste de commander une bière malgré qu’il lui soit interdit aux termes de ses conditions de libération de consommer des substances intoxicantes [l’incident]. Le demandeur a été arrêté et retourné à l’Établissement Ferndale. Il a dit aux policiers que ses symptômes étaient attribuables au fait qu’il avait pris des comprimés de Tylenol no 3.
[5] Par le passé, la libération conditionnelle du demandeur a été suspendue à quatre reprises : une fois en 2003, une fois en 2005, et deux fois en 2011 [les suspensions précédentes]. Elles se rapportaient toutes à une possible consommation d’alcool, mais dans chaque cas sa libération conditionnelle a été rétablie.
[6] Avant l’audition, la Commission a reçu une évaluation en vue d’une décision datée du 29 mai 2012 préparée par l’agent de libération conditionnelle [ALC] du demandeur [l’évaluation]. Dans celle‑ci, l’ALC recommandait pour la première fois la révocation de la libération conditionnelle du demandeur. Elle faisait état du danger accru qu’il constituait quand il était en état d’ébriété et du fait que lors du récent incident il avait conduit dans cet état, mais qu’il continuait à nier qu’il buvait [traduction] « bien que ses dénis devenaient de moins en moins vraisemblables vu le nombre d’incidents auxquels il avait été mêlé ».
[7] Dans l’évaluation, l’ALC a aussi formulé l’observation suivante : [traduction] « Étant donné qu’il est diabétique, il semblait s’efforcer d’avoir un mode de vie sain, c’est‑à‑dire de bien se nourrir et de faire de l’exercice ». Il n’est pas question de son diabète ailleurs dans l’évaluation. La seule autre preuve documentaire devant la Commission précède de plus de cinq ans l’évaluation. Il s’agit d’un rapport d’évaluation psychologiquel/psychiatrique daté du 22 juin 2007, dans lequel il est indiqué que le demandeur a dit aux médecins qu’[traduction] « au cours de cette période, il faisait attention à sa santé parce que son médecin lui a dit qu’il était prédiabétique. Cela l’a incité à changer ses habitudes alimentaires et à faire plus d’exercice, ce qui lui a permis de retrouver son poids normal et de garder sa glycémie sous contrôle ».
[8] À l’audience, la Commission a demandé au demandeur d’expliquer son comportement pendant l’incident. En réponse, ce dernier a nié avoir marché en titubant et n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi son haleine dégageait une odeur d’alcool. Toutefois, il a dit que le stationnement était raboteux et qu’il avait pris des Tylenol no 3. Il n’a pas parlé de son diabète.
[9] Une fois l’interrogatoire de la Commission terminé, l’avocate du demandeur a informé cette dernière que le demandeur souffrait de diabète et que ses symptômes pouvaient s’apparenter à des symptômes d’ébriété. Elle a aussi fait valoir que le demandeur aurait dû témoigner à ce sujet.
[10] Malgré cet argument, qui selon moi visait à lui ouvrir la porte, le demandeur a simplement reconnu qu’il souffrait de diabète. Il n’a pas indiqué qu’il avait eu des problèmes de glycémie le jour de l’incident ou auparavant, et il n’a pas indiqué que son comportement était attribuable à sa maladie ou qu’elle pouvait expliquer son comportement le jour en question.
[11] Le fait qu’il ait uniquement été question des Tylenol no 3 dans les explications qu’il a fournies est confirmé dans une note de service datée du 6 juin 2012m, qui a été préparée par l’Unité de détention temporaire de la région du Pacifique avant l’audition devant la Commission et qui faisait partie du dossier lui ayant été présenté. La note de service fait état d’une discussion avec le demandeur concernant l’incident : [traduction] « Lorsqu’on lui a demandé s’il avait bu ou pris d’autres substances, M. Gill a dit qu’il avait pris des T3 prescrits par un deuxième médecin après avoir fait du jogging et rien d’autre (deux T3 au total). »
[12] En bref, aucune preuve documentaire n’a été fournie à la Commission donnant à penser que le demandeur avait des problèmes de glycémie ou qu’il recevait de l’insuline ou un autre traitement contre le diabète au moment de l’incident. La preuve présentée par le demandeur tout au long du processus a été constante. Il a donné aux policiers, aux représentants de l’Unité de détention temporaire et à la Commission la même et simple explication, soit dans tous les cas le fait d’avoir pris des Tylenol no 3.
II. La question en litige
[13] La question principale soulevée par le demandeur concerne la façon dont la Commission a mené l’audience. Il est reconnu que lorsque la Section d’appel confirme la décision de la Commission, comme elle l’a fait en l’espèce, la Cour peut vérifier la légalité de la décision de la Commission (Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, aux par. 6‑10).
[14] L’argument initial que le demandeur a fait valoir dans le cadre du contrôle judiciaire consistait à dire que la Commission avait l’obligation d’obtenir des renseignements sur le diabète dont souffre le demandeur. Toutefois, pendant l’audience, il est devenu clair que tous les éléments de preuve documentaire pertinents étaient devant la Commission. Ainsi, la question en litige consiste uniquement à déterminer si, après que le demandeur ait dit qu’il souffrait de diabète, la Commission devait lui demander si son taux de sucre avait fluctué et si cela pouvait expliquer les symptômes observés pendant l’incident.
III. Discussion
[15] Le demandeur fait à juste titre valoir que dans une décision datée du 7 septembre 2011 [la décision antérieure], rendue à la suite de l’une des suspensions précédentes, la Commission a conclu que le fait que le demandeur souffre de diabète pouvait expliquer ses symptômes apparents d’ébriété. Le demandeur soutient en conséquence qu’en l’espèce, l’équité procédurale commandait que la Commission explore cette possibilité avec le demandeur. Toutefois, dans la décision antérieure, comme dans la présente affaire, seul le conseil du demandeur a évoqué la possibilité que le diabète soit à l’origine des symptômes du demandeur; le demandeur n’a pas témoigné en ce sens. Lors de l’audience précédente, il a mentionné dans ses explications le manque de sommeil et le fait qu’il avait pris du sirop contre la toux. La Commission a dit ce qui suit à ce sujet :
[traduction] « Bien que des doutes persistent quant à savoir si vous avez contrevenu à la condition spéciale à laquelle votre libération était assujettie [s’abstenir de prendre des substances intoxicantes], une autre explication a été fournie par votre conseiller sur l’état dans lequel vous étiez lorsque vous avez rencontré votre ALCC ».
[16] J’estime qu’il ne s’agissait pas d’une conclusion déterminante, et qu’elle n’était pas étayée par la preuve. Je conclus donc que la décision antérieure n’avait pas pour effet d’imposer à la Commission l’obligation de questionner davantage le demandeur.
[17] Par conséquent, la demande sera rejetée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens en faveur du défendeur selon la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur une somme forfaitaire, elles pourront communiquer avec le greffe au sujet des arrangements à prendre pour fixer le montant des dépens.
« Sandra J. Simpson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.
Cour fédérale
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-120-13
INTITULÉ : RANJIT GILL c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie‑Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : 23 mai 2013
Motifs de l’ordonnance
ET ORDONNANCE : LA JUGE SIMPSON
DATE : Le 7 juin 2013
COMPARUTIONS :
Donna M. Turko |
POUR LE DEMANDEUR
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Sarah-Dawn Norris
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Donna M. Turko Avocate Vancouver (C.‑B.)
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POUR LE DEMANDEUR |
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Vancouver (C.‑B.)
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POUR LE DÉFENDEUR |