Date : 20130417
Dossier : IMM-9763-12
Référence : 2013 CF 388
Montréal (Québec), le 17 avril 2013
En présence de monsieur le juge Shore
ENTRE :
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SATHEESKUMAR KULASEKARAM
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Au préalable
[1] Les passages pertinents du plus récent rapport du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés [HCNUR], intitulé UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum-Seekers from Sri Lanka, HRC/EG/SLK/10/03 (non disponible en français), qui a été publié en juillet 2010, se lisent comme suit :
Given the cessation of hostilities, Sri Lankans originating from the north of the country are no longer in need of international protection under broader refugee criteria or complementary forms of protection solely on the basis of risk of indiscriminate harm. In light of the improved human rights and security situation in Sri Lanka, there is no longer a need for group-based protection mechanisms or for a presumption of eligibility for Sri Lankans of Tamil ethnicity originating from the north of the country.
At the time of writing, the security situation in Sri Lanka had significantly stabilized, paving the way for a lasting solution for hundreds of thousands of internally displaced persons (IDPs) in the country's north and east. In response to calls for an independent international investigation into allegations of human rights and international humanitarian law violations by the parties to the conflict, the Government of Sri Lanka has recently announced the establishment of a truth and reconciliation commission mandated to examine the "lessons to be learnt from events" between February 2002 and May 2009. On 22 June, the UN Secretary-General also appointed a Panel of Experts mandated to advise on the issue of accountability with regard to any alleged violations of international human rights and humanitarian law during the final stages of the conflict in Sri Lanka.
At the time of writing, the greatly improved situation in Sri Lanka is still evolving. UNHCR recommends that all claims by asylum-seekers from Sri Lanka need to be considered on the basis of their individual merits in fair and efficient refugee status determination procedures taking into account up-to-date and relevant country of origin information. Particular attention is drawn to the profiles outlined in these Guidelines.
[2] Ce rapport souligne que la situation dans la période post-conflit au Sri Lanka est instable et en voie d’évolution. Il y est fait état de cinq profils de plus grand risque, dont les personnes soupçonnées d’avoir eu des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam Tamoul [TLET] :
In the wake of the conflict, almost 11,000 persons suspected of LTTE links were arrested and detained in high-security camps, while over 500 former child soldiers were transferred into rehabilitation centres. By the end of May 2010, all former LTTE-associated child soldiers had reportedly been released from rehabilitation centres. Some of the adult detainees have also been released after completing rehabilitation programmes or because they were no longer deemed to present a risk, including some persons with physical disabilities. By May 2010, around 9,000 alleged former LTTE cadres reportedly remained in closed camps.
In the immediate post-conflict period, there have been allegations of enforced disappearances of persons suspected of LTTE links. Furthermore, the broad powers of arrest and detention under the Prevention of Terrorism Act (PTA) and the Emergency Regulations, have reportedly generated considerable controversy around issues such as the arrest and detention of persons suspected of LTTE links, in a number of cases allegedly on limited evidence and often for extended periods. Human rights observers have also expressed concerns regarding the broadly defined offences under the Emergency Regulations, which allow, inter alia, detention without charge for up to 18 months, and use of informal places of detention. In May 2010, the Government, however, relaxed the Emergency Regulations by withdrawing several provisions, including those dealing with the imposition of curfews, propaganda activities, printing of documents and distributing them in support of terrorism, as well as those restricting processions and meetings considered detrimental to national security.
Amongst issues relevant to the determination of eligibility for refugee protection are allegations by a number of sources regarding: torture of persons suspected of LTTE links in detention; death of LTTE suspects whilst in custody; as well as poor prison conditions, which include severe overcrowding and lack of adequate sanitation, food, water and medical treatment. According to some reports young Tamil men, particularly those originating from the north and east of the country, may be disproportionately affected by the implementation of security and anti-terrorism measures on account of their suspected affiliation with the LTTE.
In light of the foregoing, persons suspected of having links with the LTTE may be at risk on the ground of membership of a particular social group. Claims by persons suspected of having links with the LTTE may, however, give rise to the need to examine possible exclusion from refugee status.
II. Introduction
[3] Le demandeur, un citoyen sri lankais et d’ethnie tamoule, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés [SPR], qui, le 7 septembre 2012, a rejeté la demande d’asile du demandeur, concluant qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger en vertu de l’article 96 et le paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], respectivement.
[4] Pour les motifs exposés ci-après, l’intervention de la Cour est nécessaire puisque la SPR a erré dans son appréciation de la preuve documentaire et testimoniale et que, par conséquent, la demande de protection présentée par le demandeur doit être examinée de nouveau.
III. Faits
[5] Le demandeur, monsieur Satheeskumar Kulasekaram, est un jeune homme tamoul sri lankais âgé de 24 ans. Au soutien de sa demande d’asile, le demandeur allègue qu’il a été persécuté à cause de son origine ethnique tamoule et de son appartenance au groupe social des jeunes hommes tamouls du nord du Sri Lanka, et que, de ce fait, il risquait la persécution s’il devait retourner dans son pays. En effet, sa demande d’asile faisait état des problèmes qu’il a eus pendant plusieurs années avec l’armée sri lankaise et des groupes paramilitaires impliqués dans la guerre civile.
[6] Le demandeur est né à Vaddakachi, la ville de sa mère, mais il a grandi à Vaddukodai dans la péninsule de Jaffna, situé au nord du Sri Lanka et contrôlé par l’armée sri lankaise durant la période de conflit. Avant de venir au Canada, le demandeur vivait et poursuivait ses études à Jaffna. Le père du demandeur était propriétaire de fermes à Araly, Jaffna et à Vaddakachi, Killinochi et s’y rendait régulièrement pour son travail.
[7] Dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP], le demandeur allègue qu’en août 2006, il s’est rendu à Vaddakachi (Vanni) pour aider son père à la ferme. Cependant, ils ont dû retourner à Jaffna à cause de la guerre, laissant leurs fermes derrière eux. Le demandeur allègue qu’en janvier 2007, des paramilitaires du Parti démocratique du peuple de l’Eelam [EPDP] ont approché son père et lui ont demandé une rançon. Lorsque ce dernier a refusé de leur payer les sommes demandées, ils ont informé l’armée sri lankaise que le demandeur avait visité Vanni et l’ont accusé d’avoir des liens avec les TLET. Suite à cette dénonciation, le demandeur a été arrêté par l’armée et détenu pendant deux mois. Le demandeur allègue que pendant sa détention, il fut interrogé et torturé, au point où il a été hospitalisé.
[8] Toujours selon le récit de son FRP, en juillet 2008, le demandeur a été kidnappé par l’EPDP. Cette fois, son père a dû payer une rançon pour le faire libérer. Par la suite, en mai 2009, des membres du groupe Karuna ont menacé de faire arrêter le demandeur par l’armée sous de fausses accusations si le père du demandeur refusait de leur verser une forte somme d’argent. Les parents du demandeur ont alors décidé de l’envoyer à Colombo au mois de juillet 2009.
[9] Le demandeur allègue qu’à son arrivée à Colombo, il a été arrêté de nouveau par les forces de l’armée et transféré, les yeux bandés, dans un lieu inconnu. Plus tard, le demandeur a appris qu’il s’agissait d’un camp militaire à Kany. De nouveau, il a été interrogé et battu. Le demandeur allègue qu’il a aussi subi de la torture et des violences sexuelles. Il est resté en détention pendant neuf mois avec d’autres jeunes hommes tamouls, jusqu’à ce que son père le retrouve et réussisse à payer un pot-de-vin pour obtenir sa remise en liberté en avril 2010.
[10] Après sa libération, le demandeur a décidé de quitter définitivement le Sri Lanka pour venir au Canada, où vit son oncle paternel. En octobre 2010, le demandeur a été intercepté par les autorités américaines alors qu’il était de passage aux États-Unis. Il a alors déposé une demande d’asile, mais après avoir été libéré, il s’est rendu au Canada le 7 décembre 2010, et a immédiatement demandé l’asile.
IV. Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire
[11] La SPR s’est dite satisfaite de l’identité du demandeur sur la base de son certificat de naissance et de son permis de conduire. Cependant, la SPR a rejeté la revendication du demandeur, essentiellement en raison d’un défaut de crédibilité général, mais aussi au motif que, selon le rapport du HCNUR de 2010, le demandeur n’aurait plus une crainte objective de persécution.
[12] Pour résumer, la SPR a conclu qu’il était invraisemblable que le demandeur ait voyagé en 2006 et 2007 dans une zone contrôlée par les TLET alors qu’il risquait d’être recruté par eux. La SPR a d’ailleurs trouvé invraisemblable que l’armée autorise un jeune homme de 18 ans à voyager au nord du pays durant cette période de grande violence, ou que les TLET l’aurait laissé retourner à Jaffna alors qu’ils auraient pu le forcer à les joindre. La SPR a rejeté l’explication du demandeur à l’effet qu’il a voyagé à Vanni accompagné de son père et dans une période de paix relative, en faisant référence à la preuve documentaire faisant état des incidents d’attentat-suicide, attaques et assassinats commis par des TLET à partir d’avril 2006, et la preuve documentaire démontrant que le gouvernement a riposté contre les TLET dans la province de l’Est dès 2007 et en a pris le contrôle en juillet 2007 (Cartable national de documentation, 4 juin 2012, onglet 1.5 : The Europa World Year Book 2011. 2011. « Sri Lanka », p. 4206-4234. Londres: Routledge).
[13] La SPR a aussi noté que le témoignage du demandeur était contradictoire quant à la date de ses voyages à Vanni et la période durant laquelle il y est resté. Alors que selon l’exposé circonstancié contenu dans son FRP, il y est allé en août 2006, il a témoigné d’abord qu’il s’agissait du mois de juin, puis de juillet 2006. La SPR a rejeté la réponse du demandeur à l’effet qu’il a fait plusieurs allers-retours entre Jaffna et Vanni.
[14] De plus, le demandeur a témoigné qu’au total il a passé un mois à Vanni pendant l’année 2006, alors que, selon son FRP, il est parti à Vanni en août 2006 et que son père a été extorqué par des membres du EPDP en janvier 2007; ce qui, selon la SPR, implique que le demandeur est resté à Vanni jusqu’à la fin de l’année 2006 et non seulement un mois.
[15] La SPR a noté que selon sa réponse à la question 11 de son FRP, le demandeur était à Vaddakachi, dans la région de Vanni, de juillet 2006 à septembre 2007, alors qu’en réponse à la question 43, il dit avoir été arrêté par l’armée sri lankaise à Jaffna en 2007. Il faut préciser que selon les notes sténographiques au dossier, le demandeur a témoigné que son dernier voyage à Vanni était en juillet 2006 et qu’il n’y est pas allé en 2007. Par ailleurs, le demandeur n’a pas précisé le mois de sa détention en 2007, ni dans son FRP, ni dans son témoignage devant la SPR.
[16] La SPR a également questionné l’authenticité du certificat de naissance du demandeur au motif qu’il portait un tampon indiquant district de Jaffna, division de Vattakachchi. Or, la SPR a noté que le district où se trouve Vattakachchi est le Killinochi et qu’il n’y a pas de Vattakachchi à Jaffna. La SPR a aussi noté que l’un des tampons qui apparaissent sur le document indique Killinochi comme étant le district où le certificat a été obtenu. La SPR a fait référence à une preuve documentaire qui indique que la contrefaçon des pièces d’identité et passeports est une pratique courante au Sri Lanka et que des fausses cartes d’identité nationales sri lankaises sont facilement disponibles (Cartable national de documentation, 4 juin 2012, onglet 3.2 : LKA103785.EF. 22 juillet 2011. Information sur la fréquence de la fraude en matière de cartes d'identité nationales). De plus, la SPR a noté que la date d’obtention du passeport du demandeur était le 19 février 2010, alors qu’il était détenu de juillet 2009 à avril 2010. Le demandeur a expliqué qu’il avait obtenu son passeport à l’aide d’un agent intermédiaire, mais la SPR a rejeté cette explication au motif qu’il aurait été très risqué pour le demandeur si les autorités apprenaient qu’il était détenu par l’armée dans un camp.
[17] La SPR a conclu que les allégations du demandeur par rapport à ses arrestations n’étaient pas crédibles, d’autant plus qu’il n’avait pas produit de document afin de corroborer son témoignage. Plus loin dans ses motifs, la SPR a trouvé crédible le témoignage du demandeur à l’effet que ses parents n’ont pas dénoncé son arrestation à la Commission des droits de la personne du Sri Lanka, puisqu’ils avaient peur que ses ravisseurs le tuent. Cependant, il a rejeté cette explication au motif qu’il existait d’autres problèmes de crédibilité dans la preuve du demandeur.
[18] Enfin, la SPR a mentionné que dans sa demande d’asile aux États-Unis, le demandeur a parlé de sa crainte de l’armée sri lankaise sans faire mention de l’EPDP ou du groupe Karuna; ce qui constitue l’origine de sa crainte selon la demande d’asile qu’il a présentée au Canada.
[19] Pour conclure, la SPR a mentionné qu’elle n’était pas satisfaite, selon la balance des probabilités, que les allégations du demandeur étaient véridiques, et que, par conséquent, le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger. L’allégation du demandeur qu’il risquerait la persécution en tant que jeune homme d’origine tamoule a été rejetée sur la base des lignes directrices de 2010 du HCNUR et au motif qu’il a réussi à quitter le Sri Lanka avec son propre passeport.
V. Points en litige
[20] (1) La SPR a-t-elle commis une erreur dans l’appréciation de la crédibilité du demandeur?
(2) La SPR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve en concluant que les jeunes hommes tamouls n’avaient plus besoin de protection internationale depuis la fin de la guerre?
(3) La SPR a-t-elle commis une erreur en n’appliquant pas la bonne norme de preuve à l’analyse de la crainte fondée de persécution?
VI. Analyse
Norme de contrôle
[21] Il est bien établi que les conclusions de la SPR sur la crédibilité et l’invraisemblance sont des conclusions de fait à l’égard desquelles la Cour doit faire preuve d’une grande retenue. La norme de contrôle qui s’applique à ces conclusions est celle de la décision raisonnable, ce qui témoigne de la retenue dont elles doivent faire l’objet (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (QL/Lexis) (CAF)). Ceci est le cas, de manière générale, en ce qui concerne les conclusions de la Commission se rapportant à l’appréciation de la preuve (LS c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 168 au para 7).
[22] Les critères auxquels la décision de la SPR doit satisfaire selon la norme de raisonnabilité, tels qu’énoncés dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 SCC 9, [2008] 1 RCS 190, sont cependant clairs : le caractère raisonnable d’une décision est déterminé par « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », ainsi que par « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (au para 47).
(1) La SPR a-t-elle commis une erreur dans l’appréciation de la crédibilité du demandeur?
[23] Le demandeur prétend que la SPR ne pouvait raisonnablement exiger de lui des documents corroborant son allégation par rapport à ses deux détentions, alors même qu’il a trouvé crédible et plausible l’explication du demandeur pour ne pas avoir de tels documents en sa possession. Le demandeur soumet qu’une telle preuve ne devait pas être requise selon les paragraphes 196 et 197 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCNUR, HCR/1P/4/FRE/REV.1 [Guide sur le statut de réfugié], qui se lisent comme suit :
196. C'est un principe général de droit que la charge de la preuve incombe au demandeur. Cependant, il arrive souvent qu'un demandeur ne soit pas en mesure d'étayer ses déclarations par des preuves documentaires ou autres, et les cas où le demandeur peut fournir des preuves à l'appui de toutes ses déclarations sont l'exception bien plus que la règle. Dans la plupart des cas, une personne qui fuit la persécution arrive dans le plus grand dénuement et très souvent elle n'a même pas de papiers personnels. Aussi, bien que la charge de la preuve incombe en principe au demandeur, la tâche d'établir et d'évaluer tous les faits pertinents sera-t-elle menée conjointement par le demandeur et l'examinateur. Dans certains cas, il appartiendra même à l'examinateur d'utiliser tous les moyens dont il dispose pour réunir les preuves nécessaires à l'appui de la demande. Cependant, même cette recherche indépendante peut n'être pas toujours couronnée de succès et il peut également y avoir des déclarations dont la preuve est impossible à administrer. En pareil cas, si le récit du demandeur paraît crédible, il faut lui accorder le bénéfice du doute, à moins que de bonnes raisons ne s'y opposent.
197. Ainsi, les exigences de la preuve ne doivent pas être interprétées trop strictement, et cela compte tenu des difficultés de la situation dans laquelle se trouve le demandeur du statut de réfugié. Cependant, cette tolérance ne doit pas aller jusqu'à faire admettre comme vraies les déclarations qui ne cadrent pas avec l'exposé général des faits présenté par le demandeur. [La Cour souligne].
[24] De plus, aux paragraphes 201 à 204 du Guide sur le statut de réfugié, il est prévu :
201. Très souvent, le processus d'établissement des faits ne sera achevé que lorsque la lumière aura été faite sur tout un ensemble de circonstances. Le fait de considérer certains incidents isolément hors de leur contexte peut conduire à des erreurs d'appréciation. Il conviendra de prendre en considération l'effet cumulatif des expériences passées du demandeur. Lorsqu'aucun incident ne ressort de façon particulièrement marquante, ce peut être un incident mineur qui «a fait déborder le vase»; même si aucun incident ne peut être considéré comme décisif, il se peut que le demandeur le craigne «avec raison» à cause d'un enchaînement de faits, considérés dans leur ensemble. […]
202. Étant donné que ses conclusions au sujet des circonstances de l'affaire et que l'impression personnelle que lui aura faite le demandeur conduiront l'examinateur à prendre une décision qui peut être vitale pour des êtres humains, celui-ci doit appliquer les critères dans un esprit de justice et de compréhension. […]
203. […] Il est donc souvent nécessaire de donner au demandeur le bénéfice du doute.
204. Néanmoins, le bénéfice du doute ne doit être donné que lorsque tous les éléments de preuve disponibles ont été réunis et vérifiés et lorsque l'examinateur est convaincu de manière générale de la crédibilité du demandeur. Les déclarations du demandeur doivent être cohérentes et plausibles, et ne pas être en contradiction avec des faits notoires.
[25] La question de savoir s’il est raisonnable pour la SPR de tirer une inférence défavorable au sujet de la crédibilité du demandeur en l’absence de documents appuyant ses allégations a été récemment abordée dans Khazaei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 13. Tel que la Cour a précisé dans cette décision, s’appuyant sur Morka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 315 :
[47] [...] « selon le Guide sur le statut de réfugié, il n'est pas nécessairement obligatoire pour un demandeur d'asile de fournir des documents à l'appui s'il provient d'un pays où ceux-ci sont difficiles à obtenir; toutefois, si le témoignage du demandeur est dénué de crédibilité ou de vraisemblance, il doit l'étayer de documents corroborants. Dans la mesure où les réfugiés peuvent avoir de la difficulté à rassembler l'information à l'appui de leurs déclarations (comme il est observé dans le Guide sur le statut de réfugié), la SPR peut exiger de façon tout à fait raisonnable qu'un demandeur dont le témoignage n'apparaît pas crédible et vraisemblable, et qui est donc dénué de logique inhérente, produise des attestations de tierces parties au lieu des autres documents. [Souligné dans l’original].
Encore faut-il, toutefois, que l’obtention de tels documents ne constitue pas une exigence excessive compte tenu des circonstances.
[26] C’est d’ailleurs pour cette raison que selon la jurisprudence de cette Cour, la SPR peut raisonnablement vérifier des informations qui sont importantes à la revendication du statut de réfugié s’il a la possibilité de le faire (Sitoo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1513; Florez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1230). À défaut, bien que l’absence de preuve documentaire pour corroborer une histoire peut miner la crédibilité d’un évènement en particulier, le tribunal doit se référer au reste de la preuve pour déterminer la crédibilité du demandeur d’asile, tout en ayant à l’esprit le principe fondamental établi dans l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, selon lequel le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile est présumé véridique à moins qu’il n’existe de bonnes raisons d’en douter.
[27] La Cour note que selon Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, « lorsqu[e la] preuve n’est pas disponible sous forme documentaire, le demandeur peut néanmoins établir que sa crainte est objectivement fondée en faisant état, dans son témoignage, de personnes qui se trouvent dans une situation analogue à la sienne » (para 137).
[28] Pour revenir à la présente cause, le demandeur prétend que la SPR a erré en interprétant les exigences de la preuve trop strictement, sans tenir compte des circonstances du demandeur, et en imposant au demandeur un fardeau de preuve plus élevé que celui de la prépondérance des probabilités. Le demandeur conteste également les conclusions de la SPR par rapport à l’authenticité de ses pièces d’identité alors même qu’en début de ses motifs, la SPR s’est dite satisfaite de l’identité du demandeur sur la base des mêmes documents.
[29] Bien qu’il ne s’agisse pas d’un point essentiel débattu par les parties, les conclusions de la SPR par rapport à la crédibilité du demandeur, notamment en ce qui concerne la vraisemblance des éléments centraux de sa revendication, et l’authenticité de ses pièces d’identité rendent cette décision plutôt fragile.
[30] En se penchant exclusivement sur des incohérences mineures dans le témoignage du demandeur, la SPR a négligé de prendre en compte des points pertinents, tels que la situation actuelle au Sri Lanka et le risque véritable du demandeur, et a erronément évalué les éléments de preuve présentés. Aucune des conclusions et inférences négatives de la SPR n’est liée au témoignage du demandeur par rapport aux circonstances de ses arrestations; ce qui était pourtant au cœur de sa revendication. Les explications que le demandeur a fournies pour ces contradictions ou invraisemblances étaient généralement raisonnables. Le demandeur a continuellement mentionné qu’il a fait plusieurs allers-retours entre Jaffna et Vanni pour aider son père à la ferme. Le fait qu’il ne se souvenait pas précisément de la date exacte de ses voyages, ou qu’en réponse à l’une des questions de son FRP il avait indiqué Vanni comme son lieu de résidence de juillet 2006 à septembre 2007, ne contredit pas cette allégation.
[31] De plus, la SPR ne pouvait spéculer que le père du demandeur n’aurait pas pu l’avoir autorisé à voyager dans une zone contrôlée par les TLET, même s’il s’agissait de la période du début des affrontements entre l’armée sri lankaise et les TLET. La preuve documentaire citée par la SPR fait état d’incidents isolés qui ne contredisent pas le témoignage du demandeur à l’effet qu’il considérait la situation suffisamment stable pour voyager. La SPR aurait dû aussi prendre en compte que le but des voyages du demandeur était le travail et qu’il ne s’agissait donc pas d’un choix fondé en tous points.
[32] De même, contrairement à ce que la SPR a conclu, la demande d’asile que le demandeur a faite aux États-Unis corrobore les allégations principales de sa demande d’asile au Canada, à l’effet qu’il a été persécuté par l’armée sri lankaise puisqu’on le soupçonnait d’avoir eu des liens avec les TLET, et qu’il risque de l’être de nouveau. Le fait que le demandeur n’avait pas mentionné les groupes paramilitaires, EPDP et Kanura, qui l’avaient dénoncé et étaient à l’origine de son arrestation, était parfaitement compréhensible compte tenu des circonstances dans lesquelles le demandeur a soumis sa demande d’asile aux États-Unis. Aucune contradiction véritable n’existait entre les deux demandes.
[33] En ce qui concerne la valeur probante des pièces d’identité du demandeur, les conclusions de la SPR sont contradictoires. La SPR ne pouvait raisonnablement se dire satisfaite de l’identité du demandeur sur la base des mêmes pièces, pour ensuite conclure qu’elles ne seraient pas authentiques. La preuve documentaire à laquelle réfère la SPR concerne essentiellement les cartes d’identité nationales et les passeports, même si on y fait également état de la contrefaçon des certificats de naissance sri lankais.
[34] En ce qui concerne son passeport, le demandeur a mentionné que ses parents l’ont obtenu avec l’aide d’un intermédiaire en février 2009, alors qu’il était en détention, et que, avant cette seconde arrestation le passeur s’était occupé des démarches pour obtenir un passeport. Lors de son témoignage, le demandeur a mentionné que le passeur lui avait demandé seulement une copie de sa carte d’identité nationale.
[35] Le défendeur soumet que, tel que souligné lors de l’audience par l’agent de la protection des réfugiés, la preuve documentaire indique qu’un citoyen sri lankais doit être présent en personne pour obtenir un passeport (Cartable national de documentation, 4 juin 2012, onglet 3.4 : LKA100501.EF. 12 décembre 2005. Information sur la procédure de délivrance des passeports; information indiquant si un mineur peut obtenir un passeport à son nom; description du passeport (2003-2005)). La Cour a pris connaissance de cet argument bien qu’elle ne ressort pas des motifs de la SPR.
[36] Cependant, compte tenu de diverses erreurs d’appréciation, la Cour n’est pas convaincue que la SPR pouvait rejeter la demande simplement sur la base d’une conclusion générale d’absence de crédibilité. La SPR ne pouvait non plus raisonnablement exiger, comme elle l’a fait, une preuve corroborante des arrestations du demandeur, étant donné notamment qu’elle a jugé l’explication du demandeur plausible et crédible, ce qui signifie que son récit n’était pas dénué de logique inhérente de façon à exiger une preuve documentaire.
[37] Quoi qu’il en soit, même si la conclusion d’absence de crédibilité était raisonnable, elle serait insuffisante pour sauver la décision contestée. L’analyse de la preuve documentaire pour déterminer la base objective des risques et craintes allégués par le demandeur était donc au cœur de la tâche de la SPR. Tel que la juge Anne Mactavish a mentionné dans Sivalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 773 :
[5] Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que la Commission est légalement tenue, par les articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, d'examiner les risques auxquels pourrait être exposé un jeune homme tamoul originaire du Nord du Sri Lanka s'il retournait dans ce pays, et ce, indépendamment de tout doute quant à sa crédibilité: voir, par exemple, Balasubramaniam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1438, au paragraphe 10, Satkunarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 28, au paragraphe 5, et Mylvaganam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1195, au paragraphe 10.
[38] Ce principe a été rappelé plus récemment par le juge James O’Reilly dans Joseph c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 548, dans les termes suivants :
[11] Le Tribunal doit se garder de rejeter une demande d'asile parce qu'il ne croit pas certaines parties du témoignage du demandeur ou des éléments de preuve qui ne touchent pas l'essentiel de la demande. Parfois, le demandeur peut embellir son récit ou oublier certains détails secondaires. Il est déraisonnable pour le Tribunal de rejeter une demande seulement parce qu'il estime que des preuves en marge de l'affaire ne sont pas crédibles ou fiables. Même si le Tribunal conclut que certains éléments de preuve ne sont pas crédibles, il doit poursuivre son analyse pour déterminer s'il subsiste des éléments de preuve crédibles étayant le bien-fondé d'une crainte de persécution. (Voir, par exemple, Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 167 FTR 130, 88 ACW (3d) 650 (1ère inst.); Mylvaganam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 98 ACWS (3d) 1089, [2000] ACF no 1195 (C.F. 1ère inst.) (QL); Kanesaratnasingham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 48).
[39] Il est aussi intéressant de se rappeler les remarques du juge James Hugessen de la Cour d'appel fédérale dans l’arrêt de principe Attakora c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] ACF no 444 (QL/Lexis) (CAF) :
[...] la décision de la Commission semble porter entièrement sur des questions de crédibilité, et donc échapper à la révision qu'effectue cette Cour dans le cadre de la procédure prévue à l'article 28. En particulier, la Commission a identifié trois aspects du récit fait par le requérant de son arrestation, des sévices qu'il a subies et de sa fuite de son Ghana natal dont elle a dit qu'ils [TRADUCTION] « manquaient de crédibilité ». Il ressort toutefois à l'analyse que, dans le zèle qu'elle a manifesté à conclure que le requérant n'était pas digne de foi, la Commission a elle-même glissé dans l'erreur.
[…]
J'ai parlé du zèle mis par la Commission à déceler des contradictions dans le témoignage du requérant. Bien que la Commission ait une tâche difficile, elle ne devrait pas manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe les dépositions de personnes qui, comme le présent requérant, témoignent par l'intermédiaire d'un interprète et rapportent des horreurs dont il existe des raisons de croire qu'elles ont une réalité objective.
[…]
[...] Que le requérant soit ou non un témoin digne de foi - et j'ai déjà indiqué que les motifs de la Commission de conclure qu'il ne l'était pas se fondaient sur des erreurs - cela ne l'empêche pas d'être un réfugié à la condition que ses opinions et ses activités politiques soient susceptibles de conduire à son arrestation et à sa punition. Dans ces circonstances, la seule conclusion offerte à la Commission était que le requérant constituait effectivement un réfugié au sens de la Convention.
[40] La Cour passe maintenant à la question de savoir si la SPR a adéquatement analysé les éléments de preuve documentaire étayant le bien-fondé d’une crainte objective de persécution chez le demandeur avant de rejeter sa demande.
(2) La SPR a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve en concluant que les jeunes hommes tamouls n’avaient plus besoin de protection internationale depuis la fin de la guerre?
[41] Il est bien établi que la SPR n’est pas tenue de faire référence à chaque élément de preuve, mais plus la preuve est importante, plus l’obligation d’expliquer pourquoi elle est rejetée est grande (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 au para 17; Tursunbayev c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 504, 409 FTR 176 au para 73; Sivapathasuntharam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 486, 408 FTR 200 au para 24). Le défaut d’expliquer pourquoi une preuve contradictoire importante est rejetée compromet gravement le caractère raisonnable de la décision.
[42] Par ailleurs, la jurisprudence a établi que le tribunal a l’obligation d’examiner les plus récentes sources d’information dans son évaluation de la preuve documentaire, et ce, même lorsque les rapports à jour sur le pays ne sont pas produits par le demandeur (Hassaballa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 489 aux para 33-35; Jessamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 20, 342 FTR 250 au para 81).
[43] Dans les circonstances de la présente cause, il n’était pas justifié que la SPR accorde la préférence à des conclusions, à la fois controversées et mitigées, du rapport du HCNUR qui date d’il y a trois ans, en dépit d’un grand nombre d’autres informations et documents plus récents qui figurent dans le Cartable et qui fait état de la persécution constante subie par les jeunes hommes tamouls depuis la fin des conflits (voir notamment : Cartable national de documentation, onglet 13.1 : LKA103663.EF. 21 février 2011. Information sur le traitement réservé aux membres ou partisans présumés des Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (TLET), y compris sur le nombre d'entre eux qui sont en détention; information indiquant si le gouvernement continue de soumettre les Tamouls à un contrôle afin de repérer ceux qui sont soupçonnés d'avoir des liens avec les TLET (janvier 2010-21 janvier 2011); onglet 13.2 : LKA103782.EF. 12 juillet 2011. Information indiquant s'il y a eu augmentation de la surveillance et du nombre d'arrestations et de détentions des Tamouls depuis février 2011; information sur l'enregistrement forcé des citoyens tamouls dans le Nord et l'Est du Sri Lanka, onglet 14.1 : LKA103651.EF. 22 février 2011. Information sur la situation dans le nord du Sri Lanka, y compris sur les personnes déplacées à l'intérieur du territoire, le règlement sur les mesures d'urgence, la liberté de circulation, les contrôles de sécurité et le traitement réservé aux femmes (décembre 2009-janvier 2011); onglet 14.5 : LKA103815.EF. 22 août 2011. Information sur le traitement réservé aux Tamouls qui retournent au Sri Lanka, y compris les demandeurs d’asile déboutés; les conséquences, au retour, de ne pas avoir obtenu l’autorisation nécessaire du gouvernement, comme un passeport, pour quitter le pays).
[44] Au regard de cette preuve et sans qu’il y ait besoin d’en reproduire les extraits pertinents, la Cour est d’avis qu’une abondante preuve documentaire objective faisait état de la situation de la population tamoule dans le contexte politique actuel du Sri Lanka a été soit entièrement négligée, soit mal interprétée par la SPR. Le demandeur avait aussi produit en preuve devant la SPR, le US Country Reports on Human Rights Practices, 2011, publié le 24 mai 2012, et le récent rapport du Human Rights Watch intitulé « UK : Suspended Deportations of Tamils of Sri Lanka Further Reports of Torture of Returnees Highlights Extent of Problems », 29 mai 2012, qui contredisent clairement la conclusion à laquelle la SPR est arrivée hâtivement sur la base du rapport du HCNUR. Même si après avoir pris connaissance de l’ensemble de la preuve, la SPR trouvait le rapport du HCNUR plus convaincant que les autres – ce dont la Cour doute fortement – la SPR aurait dû considérer qu’en tant que jeune homme tamoul de 24 ans, célibataire, originaire du nord du pays, et éventuellement déjà ciblé par les forces militaires et paramilitaires, le profil du demandeur correspond à l’un de ceux qui sont reconnus, dans le même rapport, comme étant au plus grand risque. Ce seul fait exigeait un examen plus attentif de la preuve.
[45] Compte tenu du fait que la SPR n’a fait mention d’aucun de ces documents, ni a-t-elle reconnu que d’autres sources plus récentes ont rapporté des informations qui seraient moins pertinentes, en l’occurrence, la Cour n’est pas convaincue que la SPR a véritablement procédé à une analyse des risques prospectifs du demandeur comme elle avait la tâche de le faire. Même si la crédibilité du demandeur dans cette cause n’avait pas été remise en question par la SPR, la Cour souscrit entièrement aux conclusions du juge Luc Martineau dans Sivapathasuntharam, ci-dessus, où il a mentionné :
[17] La Cour conclut que les éléments de preuve documentaire examinés par la SPR dont il est question dans la décision contestée ont été choisis et qu'ils ont été analysés très rapidement. La conclusion selon laquelle la situation existant au Sri Lanka traduit un changement durable est déraisonnable vu la preuve produite en l'espèce. Cela est d'autant plus évident que le demandeur a été accusé d'avoir des liens avec les TLET, qu'il a été arrêté pour cette raison à deux reprises en 2009 et que le membre de la SPR ne met pas en doute la crédibilité de son récit ou le fait qu'il a été l'objet de persécution personnelle.
[...]
[19] En l'espèce, un examen de la preuve documentaire révèle que différentes sources d'information sont moins unanimes sur la question de la durabilité des changements survenus depuis la fin de la guerre sri-lankaise que ce que la décision de la SPR semble laisser croire. [...]
[46] Le défendeur se réfère à des décisions de cette Cour où il a été jugé qu’il était raisonnable pour la SPR de conclure qu’un demandeur d’asile tamoul ne serait pas persécuté au Sri Lanka du seul fait de ses origines ethniques. Les causes citées par le défendeur se distinguent nettement de la présente, en ce que dans ces décisions la SPR avait effectué une analyse de la preuve documentaire et avait adéquatement soupesé les circonstances du demandeur et les différents éléments de preuve objective à propos de la situation actuelle au Sri Lanka. Dans Iyer c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1435, aux paragraphes 27-28, la Cour s’est dite convaincue que le tribunal n’avait pas omis de tenir compte des éléments de preuve qui s’opposaient directement à ses conclusions. Dans cette décision, le demandeur alléguait qu’il avait été harcelé et avait fait l’objet d’extorsion par des hommes masqués qui l’accusait de travailler pour les TLET, parce que son oncle était soupçonné d’être un membre des TLET. En s’interrogeant sur le risque du demandeur, la SPR avait reconnu que les problèmes persistent au Sri Lanka malgré la défaite des TLET en mai 2009, mais elle avait souligné que puisque le critère était prospectif, il n’existait aucun rapport établissant que les groupes de TLET subsistaient dans le nord du pays après la guerre (para 16-17). Ce n’est pas la démarche qui a été adoptée par la SPR en l’espèce.
[47] Par conséquent, la Cour conclut que la décision de la SPR ne saurait être maintenue au regard des exigences de la raisonnabilité telles qu’exprimées dans Dunsmuir, ci-dessus. La SPR avait donc un devoir de considérer l’ensemble de la preuve objective sur la situation au Sri Lanka et l’intégralité du rapport du HCNUR, et pas seulement les passages qui lui convenaient.
(3) La SPR a-t-elle commis une erreur en n’appliquant pas la bonne norme de preuve à l’analyse de la crainte fondée de persécution?
[48] Le demandeur soumet comme dernier argument que la SPR lui a imposé un fardeau inapproprié en droit quant à la preuve de son risque de persécution et n’a pas appliqué la bonne norme de preuve dans l’analyse de sa demande d’asile, tel qu’énoncé dans l’arrêt Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680, à savoir la possibilité raisonnable ou sérieuse, moins exigeante que la prépondérance des probabilités :
[8] Les expressions telles que « [craint] avec raison » et « possibilité raisonnable » signifient d'une part qu'il n'y a pas à y avoir une possibilité supérieure à 50 % (c'est-à-dire une probabilité), et d'autre part, qu'il doit exister davantage qu'une possibilité minime. Nous croyons qu'on pourrait aussi parler de possibilité « raisonnable » ou même de "possibilité sérieuse", par opposition à une simple possibilité.
[49] La norme applicable à la crainte de persécution d’un demandeur d’asile a été expliquée dans Adan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 655, 391 FTR 33 :
[35] Un demandeur d'asile peut toutefois « craindre avec raison » d'être persécuté, même s'il n'a pu démontrer le risque de persécution en fonction de la norme de la prépondérance de la preuve. Comme l'a expliqué la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 1, on ne doit pas confondre cette norme de preuve et le critère objectif d'établissement de la demande d'asile. En l'espèce, le critère objectif est de savoir s'il existe une « possibilité raisonnable », pouvant être inférieure à 50 p. 100, de persécution:
para10. Toutefois, il ne faut pas confondre norme de preuve et critère objectif. La distinction a été faite dans l'arrêt Adjei c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1989] 2 C.F. 680, dans le contexte d'une revendication du statut de réfugié au sens de la Convention.
[...]
para11. À la page 682 de la décision Adjei, le juge McGuigan a dit :
Il n'est pas contesté que le critère objectif ne va pas jusqu'à exiger qu'il y ait probabilité de persécution. En d'autres termes, bien que le requérant soit tenu d'établir ses prétentions selon la prépondérance des probabilités, il n'a tout de même pas à prouver qu'il serait plus probable qu'il soit persécuté que le contraire. [Non souligné dans l'original.]
para12. Le juge McGuigan a adopté le critère de la « possibilité raisonnable d'être persécuté » comme étant le critère à respecter dans une demande de statut de réfugié au sens de la Convention, c'est-à-dire, il n'est pas nécessaire qu'il y ait une possibilité supérieure à 50 p. 100, mais il faut davantage qu'une possibilité minime. [La Cour souligne].
[50] Selon la jurisprudence, bien que la norme de preuve pour les conclusions de fait, y compris les allégations de risques du demandeur, est celle de la prépondérance des probabilités, le critère juridique de la base objective du fondement d’une crainte de persécution équivaut à savoir s’il y a une « possibilité raisonnable » ou s’il existe « davantage qu’une possibilité minime » que le demandeur subisse la persécution à l’avenir (voir Ospina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 681, 391 FTR 681 aux para 21-24).
[51] En l’espèce, le demandeur prétend que la SPR a exigé de lui qu’il démontre un risque ou une possibilité supérieure à 50% de persécution pour établir qu’il avait une crainte fondée d’être persécuté. Cependant, tous les extraits de la décision de la SPR auxquels le demandeur fait référence ont trait à la crédibilité des allégations du demandeur, lesquelles devaient effectivement être établies selon la prépondérance des probabilités (Décision aux para 11, 18 et 31).
[52] Pour ce qui est du critère appliqué à la base objective de la crainte du demandeur, la question de savoir quel critère la SPR pourrait avoir appliqué dans son examen de la preuve documentaire est sans pertinence, puisque la Cour a jugé que l’analyse de la SPR de la preuve documentaire était défectueuse, injustifiée et déraisonnable (Adan, ci-dessus, aux para 38-39).
[53] Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit accueillie et l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour être évaluée de nouveau. Aucune question grave de portée générale à certifier.
« Michel M.J. Shore »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-9763-12
INTITULÉ : SATHEESKUMAR KULASEKARAM
c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : le 16 avril 2013
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE SHORE
DATE DES MOTIFS : le 17 avril 2013
COMPARUTIONS :
Myriam Harbec
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Anne-Renée Touchette |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Myriam Harbec Montréal (Québec)
|
POUR LE DEMANDEUR
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Montréal (Québec) |
POUR LE DÉFENDEUR |