Date : 20130402
Dossier : IMM-2499-12
Référence : 2013 CF 324
[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]
Ottawa (Ontario), le 2 avril 2013
En présence de monsieur le juge de Montigny
ENTRE :
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ASHRAF ARIA MARIAM ARIA ARASH ARIA ARIAN ARIA NILOFAR ARIA MORSAL ARIA
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Cour est saisie d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), par laquelle les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision datée du 10 février 2012, rendue par une commissaire (la commissaire) de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) qui a conclu que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi.
[2] Pour les motifs énoncés ci‑dessous, je conclurai que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, vu que les conclusions de la commissaire quant à la crédibilité des demandeurs, et à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) sont déraisonnables.
Faits
[3] Le demandeur principal, Ashraf Aria, son épouse, Mariam et leurs quatre enfants : Arash, Arian, Nilofar et Morsal (collectivement, les demandeurs) sont des citoyens afghans. Les problèmes des demandeurs ont commencé en décembre 2009, lorsqu’un groupe de chefs de guerre pachtounes a abordé le demandeur principal et que l’un des chefs de guerre lui a demandé la main de sa fille Morsal, âgée de 13 ans. Le demandeur principal a refusé d’accéder à leur demande, mais le groupe est revenu environ trois semaines plus tard. Cette fois, un membre du groupe a dit au demandeur principal qu’ils prendraient sa fille de gré ou de force.
[4] De peur que les chefs de guerre ne mettent leurs menaces à exécution, les demandeurs ont quitté leur maison de Kaboul et ont déménagé à Khair Khana, à 30 km au nord de Kaboul, et ils séjourné chez l’oncle du demandeur principal. Les demandeurs ont appris de leurs anciens voisins de Kaboul que les chefs de guerre étaient toujours à leur recherche. Les chefs de guerre ont dit aux voisins qu’ils trouveraient les demandeurs quel que soit l’endroit où ils étaient. Un mois après avoir déménagé à Khair Khana, le demandeur principal a vu le même groupe d’hommes dans un véhicule rôdant dans les environs.
[5] Immédiatement après avoir vu le groupe d’hommes, les demandeurs ont décidé de quitter l’Afghanistan, mais ils ont d’abord déménagé à Macroryan, où ils ont séjourné chez un membre de leur famille. À Macroryan, le demandeur principal a une fois de plus vu le même groupe d’hommes rôder dans les environs. Les demandeurs ont ensuite déménagé à Shar‑e‑Now, et après à Bagh‑e‑Rayes. Le 8 juin 2010, ils sont partis pour le Pakistan et sont arrivés au Canada le 15 juin 2010; ils ont alors immédiatement demandé l’asile.
Décision contestée
[6] Le 10 février 2012, la commissaire a rejeté la demande des demandeurs. La commissaire a conclu que le demandeur principal manquait de crédibilité, et subsidiairement, elle a décidé que les demandeurs disposaient d’une PRI viable à Herat.
[7] La commissaire a tiré six conclusions défavorables quant à la crédibilité. Premièrement, la commissaire n’a pas cru que le demandeur principal ne puisse pas se souvenir de la date précise de la première visite du groupe. Deuxièmement, la commissaire a conclu que la description du véhicule du groupe comme un [traduction] « camion inhabituel » faite par le demandeur principal dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) était incompatible avec la description qu’il avait donnée à l’audience, selon laquelle il s’agissait d’une [traduction] « camionnette ». Troisièmement, la commissaire a estimé qu’il y avait une différence entre le FRP du demandeur principal, dans lequel il avait déclaré avoir été abordé par un [traduction] « groupe » d’hommes, et le témoignage du demandeur principal, au cours duquel après avoir été invité à préciser le nombre de personnes dans le groupe, le demandeur principal avait déclaré qu’il y en avait quatre. Selon la commissaire, le demandeur principal a été vague à bien des égards dans son FRP de façon à « pouvoir facilement se souvenir de ses allégations ». Quatrièmement, la commissaire a conclu qu’il était invraisemblable que le groupe d’hommes n’ait pas suivi les demandeurs à Khair Khana pendant qu’ils étaient en train de déménager. Cinquièmement, la commissaire a conclu qu’il était invraisemblable que les chefs de guerre n’aient pas trouvé les demandeurs après qu’ils eurent quitté Kaboul. Enfin, la commissaire a conclu qu’il était invraisemblable que les chefs de guerre attendent jusqu’à la troisième visite pour enlever la fille du demandeur principal.
[8] En ce qui a trait à la conclusion relative à PRI, les motifs de la commissaire sont suffisamment brefs pour que je puisse les citer ici dans leur intégralité :
13. Même si je croyais le demandeur d’asile, ce qui n’est pas le cas, j’estime qu’il dispose d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Herat. Lorsque cet élément a été porté à l’attention du demandeur d’asile, ce dernier a indiqué que les chefs de guerre en question ne les retrouveraient peut-être pas, mais qu’assurément, d’autres chefs de guerre exigeraient la main de sa fille. Le tribunal n’a pas à accepter l’hypothèse du demandeur d’asile. Herat est une grande ville métropolitaine. Il n’est pas crédible que toutes les jeunes femmes y fassent l’objet de mariages forcés qui n’ont pas été arrangés par leurs propres familles. Si tel était le cas, la preuve objective en ferait mention. Étant donné que ce n’est pas le cas, j’estime que le demandeur d’asile et sa famille disposent d’une PRI crédible. Le demandeur d’asile était un chauffeur de taxi et il serait capable de trouver du travail à Herat. Il n’est pas nécessaire que le demandeur d’asile connaisse quelqu’un dans la ville où il aurait une PRI et rien n’empêche les gens tels que le demandeur d’asile et sa famille de s’y rendre. Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, j’estime que le demandeur d’asile et sa famille disposent d’une PRI à Herat.
Questions en litige
[9] La présente demande soulève les questions suivantes :
a) La commissaire a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur principal n’était pas crédible, parce qu’elle n’a pas pris en considération ou qu’elle a mal interprété les éléments de preuve pertinents?
b) La commissaire a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il existait une PRI à Herat?
Analyse
[10] Il est bien établi en droit que la norme de contrôle tant des conclusions relatives à la crédibilité, que des conclusions relatives à l’existence d’une PRI est la décision raisonnable : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF no 732 (CAF); et Khokhar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, 166 ACWS (3d) 1123.
a) La commissaire a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur principal n’était pas crédible, parce qu’elle n’a pas pris en considération ou qu’elle a mal interprété les éléments de preuve pertinents?
[11] Il est assez révélateur que le défendeur ait choisi de ne pas présenter d’observations relativement aux conclusions tirées par la commissaire quant à la crédibilité. À l’audience, l’avocate du défendeur a explicitement déclaré qu’elle n’admettait pas l’existence des erreurs alléguées par le demandeur principal, mais encore une fois, elle s’est abstenue de présenter quelque observation que ce soit à cet égard.
[12] Je conviens avec les demandeurs que les conclusions relatives à la crédibilité ne sont pas raisonnables parce que, soit elles ne sont pas étayées par la preuve, soit elles reposent sur un examen microscopique de la preuve. Par exemple, en ce qui a trait à la date de la première visite, le demandeur principal a expliqué qu’il ne se souvenait pas de la date exacte, mais qu’il se souvenait que c’était un mercredi. Il a ensuite expliqué qu’il était si horrifié qu’il avait oublié beaucoup de choses, et qu’il n’était pas commun que les Afghans se réfèrent aux dates. La commissaire a rejeté ces explications premièrement, parce que le demandeur principal avait été en mesure d’indiquer les dates de naissance exactes de ses enfants dans les formulaires, et deuxièmement, parce qu’il n’avait fourni aucun élément de preuve objectif établissant que le fait de ne pas se référer aux dates était une habitude culturelle. Une telle conclusion est manifestement déraisonnable. Le demandeur principal n’a jamais été invité à dire qui avait inscrit les dates de naissance de ses enfants dans les formulaires et comment ces renseignements avaient été obtenus; il n’a jamais non plus été appelé à fournir d’explication relativement à quelque incohérence perçue que ce soit. En outre, la commissaire ne disposait pas d’éléments de preuve contraires donnant à penser que le témoignage du demandeur principal relativement à la coutume afghane de se référer aux jours de la semaine plutôt qu’aux dates n’était pas crédible, et il faut faire preuve de la plus grande prudence lorsqu’il s’agit d’apprécier les normes et les pratiques de différentes cultures (Shaikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 74, 136 ACWS (3d) 928).
[13] La conclusion de la commissaire selon laquelle la description du véhicule du groupe comme un [traduction] « camion inhabituel » faite par le demandeur principal dans son FRP était incompatible avec sa description du véhicule à l’audience comme une [traduction] « camionnette » est un exemple flagrant de ce que la commissaire n’a pas pris en considération et a mal interprété les éléments de preuve présentés par le demandeur principal. La commissaire a reproché au demandeur principal d’avoir dit que le véhicule inhabituel était un type de véhicule qui n’était pas utilisé par la police, alors que dans les faits, il a dit exactement le contraire. En outre, la commissaire a reproché au demandeur principal d’avoir dit qu’il avait indiqué dans son FRP que le véhicule était une camionnette, alors que dans les faits, il a été clairement indiqué à l’audience que le demandeur principal ne se référait pas à son FRP, mais plutôt au rapport sur le processus accéléré.
[14] En ce qui a trait au fait que le demandeur principal s’est référé à un [traduction] « groupe » dans son FRP, et qu’il a omis de mentionner qu’il y avait quatre personnes dans ce groupe, je dois avouer que je n’arrive pas à comprendre la pertinence d’un tel détail. Il me semble qu’il s’agit là d’un exemple flagrant de ce à quoi à la Cour d’appel fédérale faisait référence lorsqu’elle a mis en garde contre le fait de procéder à un examen microscopique de la preuve dans l’arrêt Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1999), 99 NR 168, [1989] ACF no 444 (QL). Le nombre précis d’hommes dans le groupe est indubitablement un détail accessoire qui a été révélé à la suite d’un interrogatoire très poussé mené par la commissaire. À l’audience, le demandeur principal a expliqué de façon satisfaisante que pour lui quatre hommes constituaient un groupe d’hommes de la même façon que cinq ou dix hommes constitueraient un groupe d’hommes. Il n’y a rien d’accablant dans une telle explication, et il n’y a certainement aucune incohérence entre le témoignage du demandeur principal et son FRP. Il est bien établi que la Commission ne devrait pas tirer d’inférence défavorable quant à la crédibilité à partir de l’omission d’un détail accessoire dans le FRP d’un demandeur d’asile (Feradov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 101, [2007] ACF no 135 (QL), au paragraphe 18. Dans les motifs de la commissaire, il n’y a pas d’analyse sur la raison pour laquelle l’omission qu’elle a perçue, en ce qui a trait au nombre d’hommes, était importante. Ce qui semble être le fait important est que le demandeur principal a été abordé par un groupe d’hommes qui cherchaient à enlever sa fille; le nombre d’hommes dans ce groupe est accessoire.
[15] La commissaire a aussi conclu qu’il était invraisemblable que le demandeur principal ait pris un mois pour enlever des biens de valeur de la maison dans laquelle sa fille avait été menacée. Lorsqu’on lit la transcription, il appert toutefois que la commissaire n’a pas tenu compte de la preuve non contredite sur cet aspect. Le demandeur principal a déclaré que sa famille et lui avaient déménagé dans la maison de son oncle le lendemain de la deuxième visite, et qu’il est seulement retourné dans leur maison pour rassembler certains biens de valeur qu’ils avaient laissés derrière eux.
[16] La commissaire a aussi mal interprété les faits, lorsqu’elle a déclaré ce qui suit au paragraphe 11 de ses motifs :
Le demandeur d’asile a mentionné que sa famille et lui avaient déménagé à trois reprises afin d’assurer leur sécurité. Le demandeur d’asile affirme avoir aperçu à deux endroits différents le groupe d’hommes rôder dans les environs; cependant, ceux‑ci ne l’ont pas remarqué. Le demandeur d’asile affirme que ce groupe d’hommes était composé de puissants chefs de guerre. Ils ont retrouvé sa famille et lui à deux reprises, mais se sont contentés de rôder dans les environs. Ce scénario manque complètement de crédibilité. Si ces puissants chefs de guerre pouvaient suivre la famille dans deux autres villes, il n’est pas crédible qu’ils n’aient pas été en mesure de trouver le demandeur d’asile et sa famille. Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le demandeur d’asile n’est pas un témoin crédible ni digne de foi.
[17] Premièrement, ce que la commissaire avait exactement l’intention de dire n’est pas clair. Elle a dit que les hommes n’ont « pas remarqué » le demandeur principal et qu’ils « ont retrouvé sa famille et lui à deux reprises », ce qui semble incohérent. Ensuite, elle a poursuivit en disant que les hommes n’ont pas trouvé les demandeurs, ce qui est certainement incompatible avec la déclaration précédente. De façon encore plus importante, la conclusion selon laquelle le groupe a « retrouvé sa famille et lui [le demandeur principal] à deux reprises » semble reposer, encore une fois, sur une mauvaise interprétation de la preuve. Le demandeur principal n’a jamais dit que le groupe avait retrouvé sa famille et lui à deux reprises, et il n’y a pas de preuve que les chefs de guerre suivaient les demandeurs. Il ressort de la preuve que le demandeur principal a vu les chefs de guerre deux fois après avoir quitté Kaboul, mais que les chefs de guerre ne l’ont jamais vu. Le fait que le groupe rôdait dans les environs des deux premières villes dans lesquelles les demandeurs avaient déménagé ne signifie pas que le groupe les avait suivis, et on ne peut pas inférer que le groupe aurait trouvé les demandeurs dans le troisième lieu où ils avaient déménagé par la suite.
[18] Enfin, la commissaire a conclu que l’explication du demandeur principal quant à la raison pour laquelle le groupe n’avait pas enlevé sa fille à la deuxième visite, plutôt que d’attendre jusqu’à la troisième visite, manquait de crédibilité. Il était déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur principal sache pourquoi les agents de persécution avaient agi de la façon dont ils avaient agi, et de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur la base de conjectures du demandeur principal quant aux actions d’un tiers (Kong c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 23 Imm LR (2d) 179, 73 FTR 204 (1re inst.)).
[19] En résumé, les conclusions relatives à la crédibilité tirées par la commissaire comportent de graves lacunes parce qu’elles reposent sur une mauvaise interprétation de la preuve, des inférences déraisonnables, et des conclusions d’invraisemblance douteuses. Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, l’avocate du défendeur n’a pas estimé utile de présenter des observations écrites ou orales à l’appui des conclusions de la commissaire sur la crédibilité. Dans de telles circonstances, je me sens obligé de conclure que la décision de la commissaire quant aux questions de crédibilité n’appartient pas aux issues raisonnables.
b) La commissaire a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il existait une PRI à Herat?
[20] Lorsqu’elle a conclu à l’existence d’une PRI, la commissaire devait être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs ne risquaient pas sérieusement d’être persécutés à Herat et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles leur étant particulières, la situation à Herat était telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour les demandeurs d’y chercher refuge : Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, 140 NR 138 (CA) et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, [1993] ACF no 1172 (CA).
[21] La commissaire disposait de nombreux documents relatifs à la situation du pays qui faisaient référence au caractère généralisé des enlèvements et des viols de jeunes filles par des groupes armés en Afghanistan, ainsi qu’aux mariages forcés de jeunes filles. Il y avait aussi des éléments de preuve indiquant que les Afghans vivent une grave crise de chômage, que seules les personnes qui peuvent obtenir le soutien de la famille étendue ont une PRI en Afghanistan, et que la réinstallation dans une région dans laquelle un groupe ethnique ou religieux différent prédomine peut ne pas être possible en raison de l’existence de tensions latentes ou ouvertes entre les groupes ethniques ou religieux. La preuve faisait aussi état des liens entre les milices et l’administration locale et centrale dans tout le pays, et de leur influence à l’échelle nationale.
[22] Le demandeur principal avait indiqué dans son témoignage qu’il n’avait pas de famille ou d’amis vivant à Herat, qu’il n’était jamais allé dans cette ville auparavant, et qu’il croyait que des groupes tels que le groupe de personnes qui cherchaient à lui nuire ainsi qu’à sa famille avaient des liens partout. Il n’était par ailleurs pas sûr de pouvoir trouver un emploi à Herat.
[23] Comme l’a fait valoir l’avocate du défendeur, il se pourrait que les éléments de preuve puissent être écartés. En particulier, l’avocate a fait valoir que les éléments de preuve renvoient à des cas où des personnes armées ou des chefs de guerre ont enlevé et violé des jeunes filles, mais pas à des cas de jeunes filles obligées de se marier avec des chefs de guerre, sans le consentement de leur famille. L’avocate a aussi avancé que la preuve documentaire établit qu’une famille nucléaire peut vivre dans des zones urbaines et semi‑urbaines comme Herat, sans le soutien de sa famille élargie ou de sa communauté.
[24] Cela pourrait très bien être le cas, mais en formulant de telles observations, l’avocate du défendeur tente d’étayer le raisonnement faible et insuffisant de la commissaire avec des motifs qui lui sont propres. Il est de droit constant qu’une partie ne peut pas, à l’étape du contrôle judiciaire, compléter les motifs donnés par le décideur (Xiao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 195, au paragraphe 35, [2009] 4 RCF 510). C’est le raisonnement de la commissaire qui doit être contrôlé par la Cour, et non pas les motifs fournis par l’avocate du défendeur.
[25] Le raisonnement de la commissaire soulève un autre problème. Avant de passer au deuxième volet du critère (et même si on suppose que la situation à Herat était telle qu’il ne serait pas déraisonnable que les demandeurs y cherchent refuge), la commissaire devait décider si les éléments de preuve établissaient qu’il y avait, selon la prépondérance des probabilités, une possibilité sérieuse de persécution dans la PRI. La commissaire semble avoir mal compris ce premier volet du critère quand elle a déclaré qu’il « n’est pas crédible que toutes les jeunes femmes y fassent l’objet de mariages forcés qui n’ont pas été arrangés par leurs propres familles ». Une « possibilité sérieuse » de persécution ne signifie pas que « toutes les jeunes femmes » seraient soumises à des mariages forcés avec des chefs de guerre.
[26] Non seulement la commissaire a mal compris le critère, mais elle l’a aussi mal appliqué. Le demandeur principal n’a jamais admis que les chefs de guerre ne les suivraient pas à Herat, et la commissaire n’a jamais examiné cette possibilité ni l’hypothèse du demandeur principal selon laquelle d’autres chefs de guerre voudraient la main de sa fille. La seule analyse de la commissaire est qu’elle n’a pas à accepter l’hypothèse du demandeur principal. Ce n’est pas ce qui est exigé, en particulier au vu de la preuve documentaire dont la commissaire disposait.
[27] Je reconnais qu’une cour de révision doit tenir compte de l’ensemble du dossier lorsqu’elle décide si une décision est raisonnable : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, aux paragraphes 12 et 15. Je pense cependant qu’en l’espèce, la mauvaise qualification du premier volet du critère par la commissaire rend l’ensemble de l’analyse sur la PRI déraisonnable.
[28] Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, je suis d’avis que la décision de la commissaire doit être annulée, que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, et que la demande doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et que la demande est renvoyée à un tribunal différemment constitué.
« Yves de Montigny »
Juge
Traduction certifiée conforme
Laurence Endale
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2499-12
INTITULÉ :
ASHRAF ARIA ET AL
c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 13 décembre 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : Le juge de Montigny
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 2 avril 2013
COMPARUTIONS :
Carole Dahan
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POUR LES DEMANDEURS
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Bridget O’Leary |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bureau du droit des réfugiés Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS |
William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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