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Date : 20130320

Dossier : T‑502‑12

Référence : 2013 CF 291

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2013

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

SOFT‑MOC INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL, REPRÉSENTÉ PAR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985) ch. F‑7 et des paragraphes 231.6(4) et 231.6(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), ch 1 (5e suppl.), (la LITR). La demanderesse sollicite le contrôle d’une décision (la décision) en date du 21 décembre 2011 par laquelle le directeur adjoint du bureau des services fiscaux de Toronto Est de l’Agence du revenu du Canada (le directeur) a adressé à la demanderesse une mise en demeure de produire des renseignements étrangers (la mise en demeure), afin que l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) puisse prendre connaissance de certains renseignements et documents conservés à l’étranger.

CONTEXTE

[2]               La demanderesse est une société résidant au Canada qui vend des articles chaussants; M. Bryan Bardocz en est le président; il est propriétaire de 10 p. 100 des actions ordinaires de la demanderesse. M. Krista est propriétaire, directement ou indirectement, de 90 p. 100 des actions ordinaires de la demanderesse. En 2004, M. Krista a élu domicile aux Bahamas et a constitué en personne morale les quatre autres sociétés en cause dans la présente demande : ITPC Inc. (ITPC), Manser Inc. (Manser), MWF Inc. (MWF) et SoftPOS Inc. (SoftPOS). M. Krista est propriétaire exclusif de ces quatre sociétés.

[3]               Dans le cadre de ses activités, la demanderesse a obtenu des services d’ITPC, de Manser, de MWF et de SoftPOS, dont toutes les activités sont centrées à Nassau, aux Bahamas. En 2005 et 2006, la demanderesse a versé des sommes considérables à ces quatre sociétés pour divers services, notamment des services de commercialisation, des services de consultation en technologie de l’information, des services de développement des entreprises et pour des redevances d’utilisation de logiciels.

[4]               En avril 2009, le ministre a entrepris une vérification de la demanderesse (la vérification du prix de transfert ou VPT). Dans le cadre de cette VPT, le ministre a examiné les paiements faits par la demanderesse à ITPC, Manser, MWF et SoftPOS en contrepartie des services fournis par ces sociétés à la demanderesse. La VPT visait également à déterminer si les services qui auraient été fournis par les quatre sociétés avaient été fournis aux Bahamas ou au Canada et, dans l’hypothèse où ils auraient été fournis aux Bahamas, de quelle façon ils avaient été fournis.

[5]               Le ministre cherchait également à déterminer si la demanderesse avait tiré profit de la contrepartie versée par elle aux quatre sociétés. Cette décision visait à l’aider à déterminer si le prix de transfert payé par la demanderesse était un « prix de transfert de pleine concurrence ».

[6]               Le 6 octobre 2009, la demanderesse a reçu du ministre une demande de renseignements dans le cadre de la vérification. En réponse, la demanderesse lui a fourni un recueil de documents. Le 28 janvier 2010, la demanderesse a reçu dans le cadre de la vérification une seconde demande de renseignements à laquelle elle a répondu le 26 mars 2010. Le 21 décembre 2011, le ministre a adressé à la demanderesse une mise en demeure visant à obtenir en vertu du paragraphe 231.6(2) de la LIR des renseignements étrangers.

[7]               Outre la mise en demeure, la demanderesse a reçu signification d’une demande lui enjoignant de fournir certains renseignements internes le 16 janvier 2012. Le 20 mars 2012, la demanderesse a fourni au ministre, en réponse à cette demande, un autre recueil de documents.

[8]               Le 24 janvier 2012, M. Bardocz a écrit à Me Terry North, l’avocat de M. Krista, de Manser, d’ITPC, de MWF et de SoftPOS, aux Bahamas, pour l’informer de la mise en demeure. Le 5 mars 2012, Me North a répondu à une partie des 74 questions contenues dans la mise en demeure. MWF, ITPC, SoftPOS et Manser ont refusé de fournir certains des renseignements réclamés au motif que ces renseignements n’existaient pas ou encore étaient confidentiels et exclusifs ou que leur communication nuirait à l’avantage concurrentiel de chacune des sociétés en question.

[9]               La demanderesse n’a pas fourni les renseignements suivants en réponse à la mise en demeure :

a.       Registres des procès‑verbaux, organigrammes, renseignements concernant la structure organisationnelle et les états financiers d’ITPC, de Manser, de MWF et de SoftPOS;

b.      Nom des acheteurs indépendants et des agents d’approvisionnement avec lesquels ITPC avait établi des réseaux ainsi que toute correspondance échangée entre eux;

c.       Nom des experts industriels contactés par ITPC en 2005 et 2006;

d.      Nom des spécialistes en technologie de l’information qui ont fourni des services et pièces confirmant les sommes payées à ces spécialistes;

e.       Documents confirmant les paiements effectués par Manser à une compagnie américaine ainsi que la correspondance échangée entre eux;

f.       La réponse à la question de savoir si Manser et SoftPOS avaient fourni des services à d’autres clients avec ou sans lien de dépendance et, dans l’affirmative, le nom de ces clients ainsi qu’une description détaillée des services fournis;

g.      Nom des employés ou des entrepreneurs en informatique externes engagés par Manser ainsi que leurs numéros de téléphone.

[10]           Au nom de la demanderesse, M. Bardocz affirme qu’il ignore la raison pour laquelle les renseignements sont confidentiels ou exclusifs ou la raison pour laquelle ils nuiraient à l’avantage concurrentiel que possèdent les quatre sociétés. Après avoir reçu les réponses fournies par les quatre sociétés, la demanderesse a introduit la présente demande de contrôle judiciaire.

DÉCISION CONRTÔLÉE

[11]           La décision contrôlée dans la présente demande est la mise en demeure adressée par le directeur le 21 décembre 2011. Conformément au paragraphe 231.6(2) de la LIR, le directeur a formulé 74 questions auxquelles les réponses déjà fournies par la demanderesse par suite des demandes de renseignement formulées dans le cadre de la vérification ont été considérées incomplètes ou insuffisamment détaillées.

[12]           Les questions formulées dans la mise en demeure visent à obtenir une foule de renseignements détaillés au sujet des quatre sociétés des Bahamas. Le nom et les numéros de téléphone des employés y sont demandés, de même que des renseignements personnels au sujet des entrepreneurs externes et des spécialistes. Il y a également des questions portant sur les contrats de service, la façon dont les relations d’affaires se sont forgées, des détails au sujet des fabricants, des acheteurs indépendants et des agents d’approvisionnement, des agents de commercialisation, des remises pour commercialisation et publicité, des nouveaux magasins de vente au détail et de leur image, des nouveaux produits et des programmes de vente et de clientèle.

[13]           Le ministre réclame dans la mise en demeure des détails précis au sujet de certains des services fournis par Manser à la demanderesse. Il réclame également des détails au sujet des frais engagés par Manser ainsi que les coûts et les profits attribués à la demanderesse par Manser. Il y a également une foule de questions portant sur les foires commerciales à laquelle ITPC a participé.

QUESTIONS EN LITIGE

[14]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

a)                  La mise en demeure devrait‑elle être entièrement déclarée sans effet au motif qu’elle est déraisonnable compte tenu des éléments suivants :

i.                    elle est d’une portée trop large;

ii.                  elle exige la production de renseignements et de documents qui ne sont pas pertinents pour l’application ou l’exécution de la LIR;

iii.                elle vise à obtenir certains renseignements que la demanderesse ne peut obtenir ou fournir parce qu’ils sont confidentiels et exclusifs, qu’ils n’existent pas ou qu’ils ne peuvent par ailleurs pas être obtenus;

b)                  La mise en demeure devrait‑elle être modifiée de manière à en supprimer toutes les questions se rapportant à des renseignements que la demanderesse ne peut obtenir ou fournir en raison du fait qu’ils sont confidentiels et exclusifs, n’existent pas ou ne peuvent par ailleurs pas être obtenus.

NORME DE CONTRÔLE

[15]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question qui lui est soumise est bien arrêtée par la jurisprudence, la juridiction de révision peut adopter cette norme. C’est seulement lorsque cette recherche s’avère infructueuse que la juridiction de révision se livre à une analyse des quatre facteurs qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

[16]           Dans l’arrêt Saipem Luxembourg S.A. c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 218 [Saipem], la Cour d’appel fédérale a jugé que la norme de contrôle applicable à une mise en demeure formulée en vertu de l’article 231.6 de la LIR était celle de la décision raisonnable. C’est également la conclusion à laquelle la Cour fédérale est arrivée dans le jugement Fidelity Investments Canada Ltd. c Canada (Agence de revenu), 2006 CF 551 [Fidelity], au paragraphe 27.

[17]           La demanderesse souligne que, dans le contexte de l’article 231.6, la mise en demeure peut être jugée déraisonnable même si tous les renseignements demandés sont pertinents pour l’application de la LIR. La Cour d’appel fédérale a effectivement déclaré, au paragraphe 27 de l’arrêt Saipem :

 

L’élément que l’on retrouve à l’article 231.6(1), mais non à l’article 231.2, est la possibilité de contrôle judiciaire à l’encontre de la mise en demeure au motif qu’elle n’est pas raisonnable. Un tel contrôle n’a aucun effet concret si la mise en demeure est raisonnable uniquement parce que les renseignements demandés sont, ou peuvent être, pertinents à l’application et à l’exécution de la Loi. Étant donné que le Parlement a pris la peine de prévoir un contrôle fondé sur le caractère raisonnable, je conclus que l’intention du législateur était qu’une mise en demeure concernant des documents étrangers doit non seulement avoir trait à un document qui est pertinent pour l’application et l’exécution de la Loi, mais qui ne doit également pas être déraisonnable.

 

 

[18]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, son analyse tient « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 , au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[19]           Voici les dispositions de la LIR qui sont applicables en l’espèce :

 

Sens de « renseignement ou document étranger »

 

 (1) Pour l’application du présent article, un renseignement ou document étranger s’entend d’un renseignement accessible, ou d’un document situé, à l’étranger, qui peut être pris en compte pour l’application ou l’exécution de la présente loi, y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi.

 

Obligation de fournir des renseignements ou documents étrangers
 

(2) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne résidant au Canada ou d’une personne n’y résidant pas, mais y exploitant une entreprise de fournir des renseignements ou documents étrangers.

 

[…]

 

Révision par un juge
 
 

4) La personne à qui l’avis est signifié ou envoyé peut, dans les 90 jours suivant la date de signification ou d’envoi, contester, par requête à un juge, la mise en demeure du ministre.

 

Pouvoirs de révision
 

(5) À l’audition de la requête, le juge peut :

 

 

 

a) confirmer la mise en demeure;

 

b) modifier la mise en demeure de la façon qu’il estime indiquée dans les circonstances;

 

c) déclarer sans effet la mise en demeure s’il est convaincu que celle‑ci est déraisonnable.

 

 

Précision
 

(6) Pour l’application de l’alinéa (5)c), le fait que des renseignements ou documents étrangers soient accessibles ou situés chez une personne non‑résidente qui n’est pas contrôlée par la personne à qui l’avis est signifié ou envoyé, ou soient sous la garde de cette personne non‑résidente, ne rend pas déraisonnable la mise en demeure de fournir ces renseignements ou documents, si ces deux personnes sont liées.

 

[…]

 

Conséquences du défaut
 

(8) Si une personne ne fournit pas la totalité, ou presque, des renseignements ou documents étrangers visés par la mise en demeure signifiée conformément au paragraphe (2) et si la mise en demeure n’est pas déclarée sans effet par un juge en application du paragraphe (5), tout tribunal saisi d’une affaire civile portant sur l’application ou l’exécution de la présente loi doit, sur requête du ministre, refuser le dépôt en preuve par cette personne de tout renseignement ou document étranger visé par la mise en demeure.

 

 

Definition of “foreign‑based information or document”

 

 (1) For the purposes of this section, “foreign‑based information or document” means any information or document that is available or located outside Canada and that may be relevant to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person.

 
 
Requirement to provide foreign‑based information
 
 

(2) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, by notice served personally or by registered or certified mail, require that a person resident in Canada or a non‑resident person carrying on business in Canada provide any foreign‑based information or document.

 

 

 

[…]

 

Review of foreign information requirement
 

(4) The person on whom a notice of a requirement is served under subsection 231.6(2) may, within 90 days after the service of the notice, apply to a judge for a review of the requirement.

 

Powers on review
 

(5) On hearing an application under subsection 231.6(4) in respect of a requirement, a judge may

 

(a) confirm the requirement;

 

 

(b) vary the requirement as the judge considers appropriate in the circumstances; or

 

 

(c) set aside the requirement if the judge is satisfied that the requirement is unreasonable.

 

 

Idem
 

(6) For the purposes of paragraph 231.6(5)(c), the requirement to provide the information or document shall not be considered to be unreasonable because the information or document is under the control of or available to a non‑resident person that is not controlled by the person served with the notice of the requirement under subsection 231.6(2) if that person is related to the non‑resident person.

 

[…]

 

Consequence of failure
 

(8) If a person fails to comply substantially with a notice served under subsection 231.6(2) and if the notice is not set aside by a judge pursuant to subsection 231.6(5), any court having jurisdiction in a civil proceeding relating to the administration or enforcement of this Act shall, on motion of the Minister, prohibit the introduction by that person of any foreign‑based information or document covered by that notice.

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La demanderesse

            La mise en demeure est d’une portée trop vaste

[20]           La demanderesse affirme que les renseignements se rapportant à MWF, à ITPC, à SoftPOS et à Manser ont été réclamés par l’ARC pour l’aider à déterminer :

a)                  si les services ont été fournis aux Bahamas ou au Canada et, s’ils ont été fournis aux Bahamas, de quelle manière ils ont été fournis;

b)                  quelle est la méthode d’établissement du prix de transfert qui convient le mieux compte tenu de la contrepartie payée par la demanderesse aux quatre sociétés des Bahamas, et si les services ont été payés pour un « prix de transfert de pleine concurrence ».

La demanderesse affirme que les renseignements réclamés par l’ARC dépassent de loin ce qui est nécessaire pour lui permettre de se prononcer sur les questions susmentionnées.

[21]           La mise en demeure réclamait les renseignements suivants en ce qui concerne les questions 1 à 5, 8, 14, 23, 24, 29, 32 et 52 :

a.             le nom des spécialistes en technologie de l’information qui ont participé aux services fournis par Manser et toute pièce justificative constatant les paiements qui leur ont été faits;

b.            des détails très fouillés au sujet d’une entreprise informatique américaine ayant fourni des services à Manser, notamment des copies de courriels et d’autres lettres, le nom de la personne‑ressource, les dates et les détails des services fournis, le contrat de service applicable et toute pièce justificative constatant les paiements faits en contrepartie des services fournis;

c.             des renseignements au sujet des services fournis par Manser à tout autre client que la demanderesse;

d.            les registres de procès‑verbaux, les états financiers et la liste des administrateurs et des employés des quatre sociétés;

e.             le nom et les numéros de téléphone de toute personne engagée par Manser pour exécuter des services pour la demanderesse;

f.             une ventilation et des détails des coûts et des profits attribués à la demanderesse par Manser;

g.            le nom des acheteurs indépendants et des agents d’approvisionnement avec lesquels ITPC a établi des réseaux ainsi que toute correspondance échangée avec eux;

h.            le nom des experts industriels contactés par ITPC;

i.              le nom des autres acheteurs avec lesquels ITPC a créé des réseaux pour discuter des tendances à venir.

[22]           La demanderesse affirme qu’elle a déjà fourni à l’ARC une quantité importante de renseignements en réponse à la mise en demeure. Plus précisément, elle explique qu’elle a fourni :

a.             des détails au sujet des procédés par lesquels chacune des quatre sociétés a fourni des services à la demanderesse;

b.            des documents de base tels que correspondance, noms et coordonnées confirmant les services fournis par chacune des quatre sociétés à la demanderesse.

[23]           Dans l’arrêt Saipem, précité, la mise en demeure en litige visait à obtenir « [...] des renseignements, et l’ensemble des factures, correspondance, ententes, contrats avec modifications, états financiers, livres comptables, rapports, notes de service, échéanciers, documents de travail, procès‑verbaux, télex, télécopies ou autres documents … » On cherchait dans cette affaire à obtenir ces renseignements afin d’effectuer une vérification générale des affaires de la demanderesse et de déterminer sa dette fiscale canadienne. La Cour d’appel fédérale a décrit de la manière suivante les renseignements réclamés par l’ARC, au paragraphe 32 de l’arrêt Saipem :

Dans les décisions Merko et Bernick, les mises en demeure exigeaient la production de documents relatifs à une transaction donnée pour laquelle le contribuable demandait un bénéfice fiscal. Le lien entre les documents dont la production était demandée et la dette fiscale du contribuable était évident et raisonnable. Dans la présente affaire, la mise en demeure requiert de Saipem qu’elle produise la totalité de ses documents pour deux années financières. Le lien entre les documents à produire et la dette fiscale de Saipem est plus ténu.

 

 

[24]           La demanderesse affirme que la mise en demeure en litige dans la présente affaire vise la production de renseignements dont le lien est encore plus ténu que ceux qui étaient réclamés dans l’affaire Saipem. L’ARC réclame essentiellement la totalité des documents officiels de chacune des quatre sociétés étrangères. Qui plus est, l’objet de la mise en demeure qui avait été envoyée dans l’affaire Saipem était de procéder à une vérification générale. En l’espèce, l’objectif visé par la mise en demeure n’est pas général. Il vise à déterminer à quel endroit ITPC, Manser, MWF et SoftPOS fournissaient des services à la demanderesse, la façon dont ces services ont été fournis et la méthode d’établissement du prix de transfert à appliquer.

[25]           Dans le jugement Maheux c Canada (Procureur général), 1999 CarswellQue 1176 [Maheux], la mise en demeure avait été signifiée dans le but de permettre à l’ARC de confirmer certaines déductions au titre de pertes d’entreprise réclamées par un groupe d’investisseurs dans leurs déclarations de revenus canadiennes. Pour ce faire, il fallait examiner si certains paiements avaient été faits à la compagnie étrangère en échange de services qui auraient été fournis par cette dernière. La mise en demeure en litige dans la présente affaire exigeait la production de renseignements tels que des registres de procès‑verbaux, le grand livre général, les registres des ventes, des relevés bancaires, des états financiers, ainsi que des renseignements se rapportant aux activités exercées par cette société étrangère. Dans le jugement Maheux, la Cour a conclu que la mise en demeure avait une portée trop large et qu’elle aurait dû se limiter aux renseignements concernant les déductions. La Cour a modifié la mise en demeure de manière à contraindre la demanderesse à ne fournir que la confirmation de certaines dépenses à l’origine des déductions réclamées par le groupe d’investisseurs en question.

[26]           La demanderesse affirme qu’en l’espèce, tout comme dans l’affaire Maheux, la mise en demeure visait un objectif précis, en l’occurrence permettre à l’ARC de déterminer le lieu à partir duquel ITPC, Manser, MWF et SoftPOS fournissaient leurs services à la demanderesse, la manière dont ces services étaient fournis et la méthode d’établissement du prix de transfert à appliquer. La demanderesse affirme que la mise en demeure vise à obtenir une foule de renseignements qui n’ont rien à avoir avec cet objectif et qu’elle devrait se limiter aux renseignements qui se rapportent à l’objectif déclaré du ministre.

[27]           La demanderesse affirme que, compte tenu du cadre étroit à l’intérieur duquel le ministre a énoncé l’objectif qu’il visait en l’espèce, la demande de production des registres de procès‑verbaux, des noms des directeurs administratifs, des procès‑verbaux des assemblées du conseil d’administration, des organigrammes, des tableaux organisationnels et des états financiers a une portée trop large et équivaut à une « recherche à l’aveuglette » de la part de l’ARC. De plus, la demande visant à obtenir certains renseignements commerciaux très spécifiques que possèdent Manser et ITPC a une portée trop large, n’est pas nécessaire et/ou n’est pas pertinente. En outre, la demanderesse affirme qu’il est déraisonnable de la part de l’ARC d’exiger d’elle qu’elle fournisse de tels renseignements.

[28]           La demanderesse affirme également qu’elle a déjà fourni à l’ARC des renseignements détaillés et complets qui sont suffisants pour lui permettre de tirer des conclusions au sujet de questions censées correspondre à l’objet de la VPT. Si l’ARC avait tenu dûment compte des renseignements en question, la mise en demeure n’aurait peut‑être pas été nécessaire ou les questions formulées dans la mise en demeure auraient pu être beaucoup plus ciblées et concises.

[29]           Monsieur Nick Yiu, le vérificateur de l’ARC à qui ce dossier a été confié, n’a pas été en mesure de nommer d’autres vérifications d’entreprise de ventes au détail qu’il aurait menées. La demanderesse affirme que cela démontre que M. Yiu n’avait pas l’expérience requise pour procéder à une vérification internationale d’entreprises de vente au détail. Avant la signification de la mise en demeure, M. Yiu n’a pas tenté d’interroger M. Krista, qui, selon M. Yiu, est un actionnaire important de la demanderesse. Il a brièvement interrogé M. Bardocz une seule fois, ainsi que M. Matthew Wall, qui a été pendant une courte période de temps conseiller auprès de la demanderesse.

[30]           Après sa rencontre initiale avec M. Bardocz, M. Yiu n’a pas tenté d’obtenir d’autres rencontres de suivi. M. Yiu a admis, lors de son contre‑interrogatoire, que cette façon de faire était inusitée, s’agissant d’une VPT. Il a également déclaré dans son témoignage qu’à la date de son contre‑interrogatoire, il n’avait pas terminé l’examen des documents internes qu’il avait reçus de la demanderesse. La demanderesse affirme que, si M. Yiu avait interrogé à nouveau M. Bardocz, M. Krista et d’autres employés de haut niveau, et s’il avait terminé l’examen des documents qu’il avait déjà en mains, il aurait considérablement limité la portée de la mise en demeure.

La mise en demeure exige la production de renseignements et de documents qui ne sont pas pertinents pour l’application ou l’exécution de la LIR

[31]           Le critère de la pertinence, s’agissant de documents étrangers, a été énoncé dans le jugement European Marine Contractors Ltd. c Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CF 114 [European Marine], au paragraphe 23 :

Ainsi, le critère applicable n’est pas de savoir si les renseignements demandés seront pertinents dans la détermination de la responsabilité fiscale de la demanderesse à l’égard du Canada, mais plutôt de savoir si les renseignements sont pertinents pour l’application de la Loi.

 

 

[32]           Le défendeur a adopté le point de vue selon lequel les quatre sociétés des Bahamas sont liées à la demanderesse, ce qui ne rend pas en soi la mise en demeure raisonnable. Ainsi que la Cour fédérale l’a déclaré dans le jugement Fidelity, précité, au paragraphe 32 :

[…] Compte tenu du paragraphe 231.6(6), la demanderesse étant liée à FMR Co. et à FIMMI, la mise en demeure de fournir les renseignements et documents n’est pas déraisonnable. Toutefois, à mon avis, le lien à lui seul ne rend pas les mises en demeure « raisonnables ». Il faut également satisfaire au facteur de pertinence. À mon avis, il doit être prouvé que les documents demandés sont pertinents pour l’application de la Loi.

 

 

[33]           Dans l’affaire Fidelity, les seuls documents en litige étaient les états financiers de deux sociétés liées. La demanderesse avait, dans cette affaire, également offert de communiquer les documents sous réserve de certaines restrictions. Dans le cas qui nous occupe, les renseignements réclamés dans la mise en demeure sont beaucoup plus ambitieux et la demanderesse n’a formulé aucune concession explicite ou implicite en ce qui concerne la pertinence de l’un ou l’autre des documents énumérés.

[34]           La demanderesse affirme que, même si tous les renseignements réclamés étaient pertinents pour l’application de la LIR, ils n’en demeurent pas moins déraisonnables. Les renseignements réclamés par l’ARC ne sont pas pertinents lorsqu’il s’agit de se prononcer sur les questions précises mentionnées dans l’affidavit de M. Yiu. Les renseignements détaillés réclamés dans la mise en demeure ne sont pas du tout pertinents pour l’application de la LIR en ce qui concerne la demanderesse et ils ne peuvent aider l’ARC à savoir à partir de quel endroit les services ont été fournis, la façon dont ils ont été fournis ou encore la méthode d’établissement du prix de transfert appropriée.

[35]           La demanderesse fait par ailleurs valoir que l’article 231.6 « ne concerne que les renseignements portant sur un contribuable bien précis ». Dans le jugement eBay Canada Ltd. c Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2007 CF 930, au paragraphe 22, la Cour explique ce qui suit :

Les demanderesses prétendent que, étant donné que l’article 231.6 prévoit explicitement que le ministre peut faire une demande de renseignements auprès de sources étrangères, l’article 231.2 doit être interprété comme ne visant que les renseignements qui se trouvent au Canada. L’avocat du ministre prétend que l’article 231.6 est plus restrictif que l’article 231.2, car l’article 231.6 ne porte que sur des renseignements qui concernent le contribuable en question, alors que l’article 231.2 porte sur « tout renseignement » et sur « [toute] personne » pour autant que les objets soient vraiment ceux qui visés par la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

 

[36]           La demanderesse soutient que les renseignements relatifs à MWF, à ITPC, à SoftPOS et à Manser réclamés dans la mise en demeure ne se rapportent qu’aux sociétés en question et non à la demanderesse. Par conséquent, les documents en question débordent le cadre de l’article 231.6 de la LIR.

La mise en demeure vise à obtenir des renseignements qui ne peuvent être obtenus ou fournis par la demanderesse parce qu’ils sont confidentiels et exclusifs, n’existent pas ou ne peuvent par ailleurs pas être obtenus

[37]           Dans l’affaire Fidelity, la mise en demeure en litige réclamait les états financiers de deux sociétés étrangères liées. La Cour s’est dite convaincue que les états financiers en question étaient essentiellement confidentiels, et a conclu ce qui suit aux paragraphes 42 et 43 :

L’article 231.6 ne mentionne pas la nature confidentielle des renseignements comme fondement de la non‑communication lorsqu’un avis est délivré conformément à cette disposition. Aucun élément de preuve ne donne à entendre que la défenderesse se livre à une recherche à l’aveuglette et qu’elle veut utiliser les états financiers de FIMMI et de FMR Co. à des fins autres que la conduite d’une vérification de la demanderesse. En général, le ministre est tenu d’agir de bonne foi. Cette obligation a été établie par les tribunaux judiciaires à l’égard d’avis délivrés conformément à l’article 231.2 de la Loi; voir M.R.N. c. Sand Exploration Ltd., [1995] 3 C.F. 44 (1re inst.). En principe, je ne puis voir pourquoi la même obligation de bonne foi ne devrait pas exister dans le cas d’avis délivrés conformément à l’article 231.6 de la Loi.

 

Cela étant, je conclus que les préoccupations exprimées par la demanderesse au sujet de la nature confidentielle des états financiers en question n’établissent pas que la demande de production est déraisonnable.

 

 

[38]           La demanderesse soutient que la question de la confidentialité soulevée dans la présente demande peut être distinguée de celle qui était en cause dans l’affaire Fidelity à deux égards. En premier lieu, les renseignements réclamés dans la présente mise en demeure sont beaucoup plus ambitieux que ceux qui étaient réclamés dans l’affaire Fidelity. En l’espèce, la mise en demeure exige la production d’une quantité considérable de renseignements concernant des entreprises ainsi que des détails délicats concernant les pratiques et usages commerciaux des quatre sociétés étrangères.

[39]           En second lieu, la question en litige dans l’affaire Fidelity concernait la divulgation des états financiers à l’ARC. Dans le cas qui nous occupe, le litige porte sur la divulgation de renseignements à la demanderesse. Les quatre sociétés des Bahamas ne souhaitent fournir ces renseignements à personne, y compris la demanderesse. En particulier, Manser et ITPC ne souhaitent pas divulguer les coordonnées des acheteurs et des agents d’approvisionnement, des experts industriels, des spécialistes en technologie de l’information et des autres clients et employés, et la correspondance échangée avec eux.

[40]           La valeur des services exécutés par MWF, ITPC, SoftPOS et Manser repose sur leurs connaissances particulières de l’industrie. Le fait pour les sociétés en question de divulguer les renseignements réclamés, y compris à la demanderesse elle‑même, diminuerait la valeur de ces services. La tentative de l’ARC d’évaluer les services en question ne devrait pas en diminuer la valeur.

[41]           La demanderesse reconnaît que le paragraphe 231.6(6) de la LIR précise que le fait que les renseignements demandés soient sous la garde d’une personne non résidente qui n’est pas contrôlée par la personne à qui la mise en demeure est envoyée ne rend pas déraisonnable la mise en demeure. Toutefois, ainsi que le jugement Fidelity l’a établi, le fait que les parties soient liées ne rend pas la mise en demeure raisonnable. La demanderesse affirme que la portée et la nature des renseignements réclamés par l’ARC font en sorte que la mise en demeure est déraisonnable et que la Cour devrait la déclarer sans effet.

Conséquences du défaut de se conformer

[42]           La Cour d’appel fédérale a expliqué les conséquences éventuelles d’un défaut de se conformer à une mise en demeure au paragraphe 24 de l’arrêt Saipem :

… le destinataire d’une mise en demeure n’est pas libre de choisir les documents demandés qu’il produira, comme le laissent croire les motifs du savant juge. Le paragraphe 231.6(8) prévoit explicitement que si une personne ne fournit pas – la totalité, ou presque, des renseignements demandés –, – la Cour peut refuser le dépôt en preuve par cette personne de tout renseignement étranger visé par la mise en demeure » [Non souligné dans l’original.]. Par conséquent, même si le contribuable se conforme en partie à la mise en demeure, la Cour peut ordonner qu’aucun des documents visés par la mise en demeure ne puisse servir d’élément de preuve, pas même les documents produits. Ainsi, plus la demande est large, plus graves sont les conséquences de la non‑conformité.

 

 

[43]           La demanderesse affirme que le risque auquel l’expose l’éventuelle application du paragraphe 231.6(8) se trouve accru en raison de l’incertitude qui entoure l’application de ce paragraphe, incertitude qui persiste même lors du contrôle judiciaire d’une mise en demeure et qui n’est dissipée que lors d’une future instance civile. Ainsi que la Cour l’a expliqué dans le jugement 1144020 Ontario Ltd. c Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2005 CF 813, au paragraphe 78 :

À mon avis, il ne convient pas que la Cour déclare que la demanderesse s’est conformée pour l’essentiel aux demandes, du moins dans les circonstances de la présente affaire. Bien que la Cour ait à sa disposition les déclarations des témoins de la demanderesse indiquant qu’elle s’est conformée aux demandes de production de renseignements étrangers, il n’y a aucun moyen indépendant de vérifier la justesse de ces déclarations. C’est dans le cadre d’une affaire civile portant sur l’application ou l’exécution de la Loi où la demanderesse tente de déposer en preuve des renseignements ou documents qui, d’après le ministre, sont visés par la demande de production de renseignements étrangers qu’il conviendrait de déterminer s’il y a eu conformité.

 

 

[44]           La demanderesse affirme qu’elle a déjà fourni une quantité importante de renseignements à l’ARC en réponse à la mise en demeure et que le risque qu’il soit déclaré qu’elle ne s’est pas conformée à la mise en demeure lui cause un préjudice injuste compte tenu de la portée trop large de la mise en demeure.

Conclusion et réparations demandées

[45]           La demanderesse répète que la mise en demeure est déraisonnable parce qu’elle est d’une portée trop large, qu’elle exige la production de renseignements qui ne sont pas pertinents pour l’application de la LIR et l’objectif déclaré de la mise en demeure et qu’elle exige la production de renseignements confidentiels de tiers qui, s’ils sont divulgués, détruiraient la valeur des services fournis par les tiers en question. De plus, la large portée de la mise en demeure expose la demanderesse au risque de ne plus pouvoir recourir aux renseignements légitimement communiqués en réponse à la mise en demeure. Par conséquent, la demanderesse affirme que la mise en demeure est déraisonnable et que la Cour devrait la déclarer sans effet.

[46]           À titre subsidiaire, la demanderesse affirme que la mise en demeure devrait être modifiée de manière à en supprimer toutes les questions se rapportant à des renseignements qu’elle ne peut obtenir ou fournir en raison du fait qu’ils sont confidentiels et exclusifs, n’existent pas ou ne peuvent par ailleurs pas être obtenus. Plus précisément, la demanderesse demande que les questions suivantes de la mise en demeure soient modifiées ou supprimées : 1 à 5, 8, 14, 15, 23, 24, 29, 32 et 52.

Le défendeur

[47]           Le défendeur souligne que l’article 231.6 de la LIR confère au ministre des pouvoirs importants, vastes et d’une grande portée qui lui permettent d’obtenir des renseignements et des documents étrangers qui « peuvent être pris en compte pour l’application ou l’exécution » de la LIR (Merko c Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1991] 1 CF 239, au paragraphe 24). Le défendeur affirme que la mise en demeure est raisonnable du fait qu’elle vise à obtenir des renseignements et des documents pertinents et nécessaires, qu’elle n’a pas une portée trop large et qu’il est possible d’obtenir les renseignements demandés.

Les renseignements demandés visent un objectif se rapportant à l’application de la LIR

[48]           L’obtention de renseignements et de documents se rapportant à l’obligation fiscale d’un contribuable par le biais de la délivrance d’une mise en demeure constitue un objectif se rapportant à l’application de la LIR. Le paragraphe 231.6(1) dispose qu’un renseignement ou document étranger s’entend de tout renseignement « qui peut être pris en compte pour l’application et l’exécution de la présente Loi » [non souligné dans l’original].

[49]           Le défendeur souligne que la mise en demeure qui est signifiée en vertu de l’article 231.2 de la LIR est valide si les renseignements demandés peuvent être pris en compte pour déterminer l’obligation fiscale d’un contribuable. Il est de jurisprudence constante que le critère préliminaire de la pertinence est peu exigeant (Tower c Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2003 CAF 307, au paragraphe 29; Fraser Milner Casgrain SRL et Gilbert Schmunk c Ministre du Revenu national, 2002 DTC 7310 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 20 à 27). Le critère préliminaire de la pertinence applicable dans le cas d’une mise en demeure délivrée en vertu de l’article 231.6 est également peu exigeant. De plus, le ministre n’a aucune façon de savoir si les renseignements demandés sont pertinents tant qu’il n’a pas eu l’occasion de les examiner (AGT Ltd. c Canada (Procureur général), [1997] 2 CF 878 (CAF), au paragraphe 23).

Les renseignements réclamés sont pertinents et nécessaires

[50]           L’affidavit de M. Yiu explique clairement les raisons pour lesquelles les renseignements en question sont nécessaires et en quoi ils sont pertinents pour l’application et l’exécution de la LIR. M. Yiu affirme que les renseignements sont nécessaires pour déterminer à partir de quel endroit les services des quatre sociétés des Bahamas ont été fournis et pour déterminer la bonne méthodologie d’établissement du prix de transfert. M. Yiu a maintenu, en contre‑interrogatoire, que ces renseignements sont nécessaires pour lui permettre de bien procéder à la VPT.

[51]           Le ministre réclame dans la mise en demeure des renseignements et des documents spécifiques des quatre sociétés en ce qui concerne les services qu’elles fournissent à la demanderesse, la façon dont les services sont fournis, et les personnes qui, au sein de la compagnie, fournissent les services en question. Les renseignements permettront au ministre de procéder à une analyse fonctionnelle et de déterminer à quel endroit et de quelle façon les services ont été fournis. Le ministre réclame également des renseignements sur les sociétés et sur leur situation financière qui l’aideront à sélectionner la bonne méthode d’établissement du prix de transfert à appliquer pour déterminer si le prix de transfert payé par la demanderesse était un prix de transfert de pleine concurrence.

[52]           La demanderesse affirme que les renseignements réclamés ne sont [traduction] « pas du tout pertinents » pour l’application de la LIR dans le cas de la demanderesse. Le défendeur soutient que la demanderesse a tort sur ce point. Lors de son contre‑interrogatoire, M. Yiu a déclaré qu’il interrogeait les dirigeants des compagnies lorsqu’il procédait à des vérifications. Pour procéder aux entrevues en question, l’ARC exige de connaître le nom des directeurs généraux et elle doit avoir accès à l’organigramme et aux tableaux organisationnels.

[53]           En ce qui concerne les autres renseignements, M. Yiu a bien précisé que les renseignements étaient demandés en vue de vérifier les réponses déjà données par la demanderesse. M. Yiu a expliqué qu’il lui fallait vérifier si les services fournis par les quatre sociétés existaient bel et bien et qui les fournissait (voir page 196 du dossier du défendeur). Le défendeur soutient donc que les renseignements demandés sont pertinents.

La mise en demeure n’est pas d’une portée trop large

[54]           Compte tenu du fait que les renseignements réclamés de la demanderesse sont nécessaires et sont pertinents pour la VPT en cours, le défendeur affirme que la mise en demeure n’est pas d’une portée trop large. La demanderesse soutient que l’objectif visé par l’ARC se caractérise par des [traduction] « paramètres étroits » et que la mise en demeure se résume à une « recherche à l’aveuglette ». Le défendeur rétorque que cette qualification est inexacte et qu’elle méconnaît la complexité d’une VPT et le type de renseignements nécessaires pour vérifier que le prix de transfert payé par la demanderesse aux quatre sociétés constitue un prix de transfert de pleine concurrence.

[55]           On trouve des lignes directrices sur la nature ou le type de renseignements et de documents à obtenir dans le cas d’une VPT dans la circulaire d’information 87‑2R de l’ARC ainsi que dans les Principes de 2010 l’Organisation de coopération et de développement économiques applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales (les Principes). Les Principes expliquent la vaste gamme de documents dont on doit tenir compte pour sélectionner la méthode de prix de transfert la plus appropriée (page 44 du dossier du défendeur).

[56]           M. Yiu a expliqué dans son affidavit, ainsi que lors de son contre‑interrogatoire, que la première étape consistait à examiner la fonction exécutée par l’entité étrangère. Par « fonction », on entend les services fournis par le personnel de l’entité étrangère et par la société canadienne. Il est nécessaire de déterminer si les fonctions en question existent avant de sélectionner la méthode appropriée. Pour ce faire, il faut examiner les documents qui confirment que les services ont effectivement été fournis. M. Yiu explique dans son affidavit que, pour le moment, l’ARC ne dispose pas de suffisamment de renseignements pour arrêter son choix sur la méthode de prix de transfert appropriée (page 6 du dossier du défendeur).

[57]           Dans l’arrêt Saipem, précité, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’il était raisonnable de la part du ministre d’exiger la production de l’ensemble des documents officiels de la société étrangère pour deux exercices. La demanderesse cherche à établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Saipem au motif que l’objectif déclaré du ministre était de procéder à une vérification générale tandis qu’en l’espèce, le ministre tente de procéder à une VPT plus ciblée. Le défendeur affirme que ce n’est tout simplement pas le cas. La vérification générale dont il était question dans l’affaire Saipem avait notamment pour objet de déterminer si la compagnie possédait un établissement permanent au Canada. Pour ce faire, il était nécessaire d’obtenir la production des documents de la société en cause. En l’espèce, le ministre réclame des renseignements pour déterminer si les services ont été exécutés aux Bahamas ou au Canada et, s’ils ont été exécutés aux Bahamas, pour savoir de quelle manière ils ont été fournis, afin de déterminer la méthode de prix de transfert appropriée. Les renseignements réclamés de la demanderesse sont nécessaires pour tirer ces conclusions.

[58]           La demanderesse cite également le jugement Maheux. Dans cette affaire, suivant le témoignage donné par le dirigeant de la société étrangère, la mise en demeure réclamait des renseignements sur des opérations commerciales de la société étrangère qui ne concernaient pas les contribuables canadiens. La Cour a limité la mise en demeure aux renseignements se trouvant en possession de la société étrangère qui se rapportaient aux contribuables canadiens (Maheux, aux paragraphes 34 et 35).

[59]           Le défendeur affirme qu’à la différence de l’affaire Maheux, la mise en demeure n’a pas pour effet, en l’espèce, d’englober par inadvertance les opérations commerciales des quatre autres sociétés. Rien ne permet de penser que ces compagnies ont eu des relations d’affaires avec d’autres personnes que la demanderesse à l’époque en cause. En fait, suivant la preuve, la demanderesse est la seule et unique cliente de MWF, de SoftPOS et d’ITPC.

[60]           La demanderesse propose de circonscrire la portée de la mise en demeure et souhaite que M. Yiu interroge certaines personnes. La Cour d’appel fédérale a bien précisé dans l’arrêt Saipem qu’il n’appartient pas à la demanderesse de dire de quelle manière l’ARC devrait mener sa vérification. La Cour d’appel fédérale a déclaré, au paragraphe 36 de l’arrêt Saipem, que « [c]’est la prérogative de l’Agence de décider si elle va entreprendre une vérification, et la forme que va prendre cette vérification ».

[61]           La demanderesse affirme également que les renseignements et les documents qui ont été fournis jusqu’à maintenant constituent une réponse à la mise en demeure. Suivant le défendeur, la Cour ne dispose d’aucun élément de preuve qui appuie cette proposition.

[62]           Bien que les renseignements réclamés fassent partie des dossiers des quatre sociétés, ils sont quand même pertinents et nécessaires pour établir l’obligation fiscale de la demanderesse et pour déterminer si le prix de transfert payé aux quatre sociétés pour les services fournis constitue un prix de transfert de pleine concurrence. La mise en demeure n’est pas d’une portée trop large et elle ne devrait pas être annulée en tout ou en partie étant donné qu’elle vise à obtenir des renseignements pertinents et nécessaires pour mener comme il se doit la VPT des années d’imposition 2005 et 2006 de la demanderesse.

Les renseignements ne sont ni confidentiels ni exclusifs

[63]           Rien ne permet de penser que les renseignements réclamés sont confidentiels et/ou exclusifs. Le seul élément de preuve dont dispose la Cour est l’affidavit souscrit par M. Bardocz. En contre‑interrogatoire, ce dernier n’a pas pu expliquer pourquoi les documents réclamés étaient confidentiels et/ou exclusifs, et il a reconnu qu’il n’avait jamais demandé d’explication auprès des quatre sociétés. Il a admis en contre‑interrogatoire qu’il n’avait jamais fait de suivi auprès de l’une ou l’autre de ces sociétés pour savoir pourquoi les renseignements en question seraient considérés comme confidentiels ou exclusifs.

[64]           En tout état de cause, le défendeur soutient qu’il n’est pas déraisonnable d’exiger la production des renseignements en question en vertu de l’article 231.6, même s’ils sont confidentiels ou exclusifs. Dans le jugement Fidelity, précité, la Cour a jugé, aux paragraphes 42 et 43, que le caractère confidentiel des renseignements n’était pas une raison suffisante pour refuser de divulguer des renseignements en réponse à une mise en demeure adressée en vertu de l’article 231.6 de la LIR.

[65]           La demanderesse affirme que les quatre sociétés des Bahamas ne souhaitent divulguer les renseignements en question à personne, y compris à la demanderesse, parce que la divulgation des renseignements en question risquerait de « détruire » la valeur même des services fournis par les quatre sociétés. Le défendeur affirme que rien ne permet de penser que la divulgation des renseignements en question aurait quelque incidence que ce soit sur la valeur des services fournis par les quatre sociétés. Comme nous l’avons déjà expliqué, M. Bardocz n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi les renseignements en question étaient confidentiels et/ou exclusifs et rien ne permet de penser que leur divulgation aurait une incidence sur la valeur des services fournis par les quatre sociétés.

[66]           La demanderesse et les quatre sociétés sont des sociétés liées. M. Krista est propriétaire à 90 p. 100 de la demanderesse et à 100 % des compagnies étrangères. C’est M. Krista qui autorise M. Bardocz à diriger la demanderesse au Canada. La demanderesse est la seule cliente de MWF, de SoftPOS et d’ITPC. Le défendeur affirme qu’il est fallacieux de prétendre qu’en tant que propriétaire des quatre sociétés étrangères, M. Krista refuse de divulguer les renseignements à la demanderesse.

[67]           Le défendeur émet également des doutes quant à savoir si la demanderesse pourrait ou voudrait utiliser les renseignements au détriment des quatre sociétés. Compte tenu du fait que la demanderesse est la seule cliente de MWF, de SoftPOS et d’ITPC, la seule façon dont les renseignements pourraient nuire aux services qu’elles fournissent serait que la demanderesse choisisse de modifier leur entente.

[68]           La LIR interdit expressément cette sorte de tentative de refuser de communiquer des renseignements au paragraphe 231.6(6) :

(6) Pour l’application de l’alinéa (5)c), le fait que des renseignements ou documents étrangers soient accessibles ou situés chez une personne non‑résidente qui n’est pas contrôlée par la personne à qui l’avis est signifié ou envoyé, ou soient sous la garde de cette personne non‑résidente, ne rend pas déraisonnable la mise en demeure de fournir ces renseignements ou documents, si ces deux personnes sont liées.

(6) For the purposes of paragraph 231.6(5)(c), the requirement to provide the information or document shall not be considered to be unreasonable because the information or document is under the control of or available to a non‑resident person that is not controlled by the person served with the notice of the requirement under subsection 231.6(2) if that person is related to the non‑resident person.

 

[69]           La défenderesse affirme qu’il n’est pas loisible à la demanderesse de prétendre que la mise en demeure est déraisonnable parce que les renseignements réclamés sont entre les mains des quatre sociétés, lesquelles sont, rappelons‑le, liées à la demanderesse.

[70]           Dans la mesure où la demanderesse a des réserves en ce qui concerne la divulgation des renseignements au ministre, la Cour a fait observer, au paragraphe 42 de la décision Fidelity, que le ministre a l’obligation d’agir de bonne foi. Comme il a été démontré dans cette affaire, les réserves exprimées au sujet de la communication de renseignements à l’ARC ne démontrent pas que la production de ces renseignements est déraisonnable

[71]           Le défendeur affirme que rien ne permet de penser que la communication des renseignements aura une incidence sur la valeur des services fournis par les quatre sociétés. Par conséquent, le caractère confidentiel ou exclusif des renseignements ne justifie pas de restreindre les renseignements réclamés en vertu de la mise en demeure.

Conséquences du défaut de se conformer

[72]           Lorsque les renseignements réclamés par le ministre sont à la fois nécessaires et pertinents pour la tenue de la VPT, le paragraphe 231.6(8) s’applique comme il se doit de manière à empêcher les abus. Le défendeur affirme que si l’on devait laisser les personnes libres de choisir les renseignements à produire et les autoriser dans le cadre d’une instance civile ultérieure à ne se fonder que sur les éléments qu’elles ont choisis de fournir, ces personnes risquent de dresser un portrait de leur situation fiscale qui ne correspond pas du tout à la réalité.

[73]           Le défendeur adopte le point de vue selon lequel, en l’espèce, les renseignements réclamés sont à la fois nécessaires et pertinents pour la tenue de la VPT et que les conséquences éventuelles d’un défaut de les communiquer ne justifient pas de restreindre la portée de la mise en demeure ou de la déclarer sans effet.

ANALYSE

            Portée et pertinence des renseignements réclamés dans la mise en demeure

[74]           La thèse de la demanderesse est que les renseignements et les documents réclamés par l’ARC débordent largement ce dont l’ARC a besoin pour se prononcer sur les questions à trancher dans le cadre de la VPT. Se fondant sur l’arrêt Saipem, précité, la demanderesse affirme que, non seulement les renseignements et les documents réclamés ne sont pas pertinents pour l’application et l’exécution de la LIR, mais qu’ils équivalent à une recherche à l’aveuglette d’une portée excessive.

[75]           En l’espèce, il est vrai que la mise en demeure visait des fins précises :

a.                   permettre à l’ARC de constater ou de déterminer l’endroit à partir duquel ITP, Manser, MWF et SoftPOS fournissaient leurs services à la demanderesse;

b.                  permettre à l’ARC de déterminer la façon dont les services étaient fournis;

c.                   permettre à l’ARC de déterminer la méthode d’établissement du prix de transfert appropriée.

[76]           La demanderesse fait grief du fait que, compte tenu des objectifs en question, la mise en demeure de produire les registres de procès‑verbaux, les organigrammes, les tableaux organisationnels et les états financiers de chacune des quatre sociétés des Bahamas a une portée trop large et que la mise en demeure de produire des renseignements se rapportant à des renseignements commerciaux et officiels très précis des quatre sociétés est trop large, inutile, non pertinent et déraisonnable. Un examen attentif des documents fournis jusqu’ici ou une entrevue avec M. Krista aurait, selon elle, fourni suffisamment de renseignements pour les besoins de l’affaire ou aurait restreint considérablement la portée de la mise en demeure.

[77]           Dans son affidavit et au cours de son contre‑interrogatoire, M. Yiu a expliqué l’analyse exigée pour sélectionner une méthode d’établissement du prix de transfert approprié. Dans le cadre de ce processus, il est nécessaire d’étayer par des éléments de preuve documentaire la question de savoir si les services ont effectivement été effectués à l’époque en cause. Il est également nécessaire de vérifier et de confirmer quelles fonctions ont été exécutées par les quatre sociétés des Bahamas et par la demanderesse. Toutefois, avant que la méthode d’établissement du prix de transfert approprié ne soit sélectionnée, l’ARC doit vérifier si les fonctions de toutes les sociétés en question existaient et ont été exécutées. Ainsi que M. Yiu l’a expliqué dans son affidavit, tous les documents réclamés étaient nécessaires pour vérifier la question du lien de dépendance parce que l’ARC avait besoin de savoir qui fournissait les services à la demanderesse, selon quelles modalités et à quel endroit, compte tenu du fait que M. Khrista possédait et contrôlait la demanderesse en plus des quatre sociétés des Bahamas. Il fallait vérifier les renseignements déjà fournis par la demanderesse. Dans le cadre de ce type de VPT, la qualité des renseignements fournis ne peut être confirmée sans vérification.

[78]           À mon avis, la demanderesse n’a pas contesté de façon convaincante le témoignage de M. Yiu suivant lequel il s’agissait des meilleurs éléments de preuve que pouvait réclamer l’ARC aux fins de la VPT.

[79]           Dans le cas qui nous occupe, l’ARC est en train de procéder à une VPT de la demanderesse. Dans le cadre de cette VPT, le ministre examine les paiements effectués par la demanderesse aux quatre sociétés des Bahamas en contrepartie des services que ces dernières lui ont fournis. Le ministre réclame des renseignements précis en rapport avec les paiements en question pour déterminer si les services ont été effectués aux Bahamas ou au Canada et, s’ils ont été effectués aux Bahamas, de quelle manière ils ont été fournis, et pour déterminer la méthode d’établissement du prix de transfert à appliquer de manière à ce que le ministre puisse vérifier si le prix de transfert payé était un prix de transfert de pleine concurrence. À mon avis, les renseignements réclamés à la demanderesse étaient nécessaires pour trancher ces questions et pour vérifier les renseignements déjà été fournis.

[80]           J’estime également que les liens qui existaient entre les renseignements et documents réclamés et les objectifs de la VPT sont à la fois évidents et raisonnables. Ainsi que la Cour l’a expliqué dans l’arrêt Saipem, au paragraphe 36 :

C’est la prérogative de l’Agence de décider si elle va entreprendre une vérification, et la forme que va prendre cette vérification. Comme les documents en question sont de, par leur nature, tenus en dehors du Canada, l’Agence ne peut, pour les obtenir, que décerner la mise en demeure qu’elle a décernée en l’espèce. S’il en résulte une vérification qui ne satisfait pas aux normes régulières de l’Agence, c’est néanmoins la meilleure vérification que peut entreprendre l’Agence dans les circonstances. Aussi, je conclus que la décision de l’Agence d’entreprendre une vérification justifie la portée de la mise en demeure signifiée à Saipen par le ministre.

 

 

[81]           L’article 231.6 de la LIR précise bien qu’un « renseignement ou document étranger » s’entend d’un renseignement accessible, ou d’un document situé, à l’étranger, qui « peut être pris en compte » pour l’application et l’exécution de la Loi, y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la Loi.

[82]           Les documents réclamés dans la mise en demeure doivent être à la fois pertinents et raisonnables, mais, suivant la jurisprudence, le critère minimal à respecter est peu exigeant et les pouvoirs du ministre sont vastes (Tower, précité, au paragraphe 29). Dans l’arrêt Saipem, précité, la Cour a bien pris soin de préciser qu’il n’appartient pas au demandeur de déterminer ce qui est suffisant (paragraphe 35).

[83]           De plus, ainsi que le défendeur le souligne, à la différence de l’affaire Maheux, la mise en demeure qui a été adressée à la demanderesse en l’espèce n’a pas pour effet d’englober par inadvertance des opérations commerciales non pertinentes des quatre sociétés des Bahamas. Cette situation s’explique par le fait que rien ne permet de penser que les sociétés en question traitent avec d’autres personnes que la demanderesse. La demanderesse est la seule cliente de trois des quatre sociétés en question, ce qui justifie la portée de la demande de renseignements et de documents. M. Krista est propriétaire, directement ou indirectement, de 90 p. 100 des actions ordinaires de la demanderesse. Il a cessé d’exercer des activités au Canada en 2004 et a élu domicile aux Bahamas, à la suite de quoi il a constitué en personne morale les quatre sociétés en question pour qu’elles fournissent des services à la demanderesse. M. Krista est propriétaire de 100 p. 100 des actions ordinaires des compagnies des Bahamas. En 2005 et 2006, la demanderesse a versé des sommes d’argent considérables aux quatre sociétés des Bahamas en contrepartie de divers services à fournir à la demanderesse.

[84]           Compte tenu de ces dispositions, il est évident que les renseignements réclamés par l’ARC peuvent fort bien faire partie des documents réclamés dans la mise en demeure, et notamment des documents officiels des compagnies, et il n’appartient pas à la demanderesse d’affirmer que ces renseignements pourraient être vérifiés d’une autre manière (Saipem, précité, au paragraphe 36). Même une entrevue menée avec M. Krista n’aurait pas permis à l’ARC d’obtenir la confirmation objective dont elle a besoin pour mener à bien la VPT. À mon avis, la mise en demeure n’est pas d’une portée trop large étant donné qu’elle vise à obtenir des renseignements pertinents et nécessaires pour mener à terme la VPT pour les années d’imposition 2005 et 2006, pour déterminer l’obligation fiscale de la demanderesse et pour déterminer si le prix de transfert que la demanderesse a versé aux quatre sociétés des Bahamas en contrepartie des services constituait un prix de transfert de pleine concurrence. Les documents et les renseignements réclamés dans la mise en demeure sont à la fois pertinents et raisonnables.

Les renseignements sont confidentiels et exclusifs, n’existent pas ou ne peuvent par ailleurs être obtenus

[85]           La demanderesse tente d’établir une distinction entre la présente situation et celle dont il était question dans l’affaire Fidelity, précitée, sous divers aspects. Elle affirme que, dans l’affaire Fidelity, la Cour n’était appelée à se prononcer que sur les états financiers soi-disant confidentiels de deux compagnies liées. Dans le cas qui nous occupe, la mise en demeure vise à obtenir la production de documents importants relatifs aux sociétés, ainsi que de détails délicats concernant les pratiques et les usages commerciaux de quatre sociétés des Bahamas.

[86]           La demanderesse n’a guère fourni d’éléments de preuve pour démontrer que les documents relatifs à ces sociétés et les pratiques et usages commerciaux en question constituaient des documents confidentiels ou exclusifs ou des renseignements délicats. Rien ne nous justifie d’établir une distinction entre la présente situation et les directives données en la matière par la Cour dans le jugement Fidelity :

[traduction]

Dans l’affaire Fidelity, la demanderesse soutenait que la mise en demeure en question était déraisonnable en partie parce que les documents réclamés par l’ARC étaient confidentiels du fait qu’il s’agissait d’états financiers de deux sociétés étrangères liées. La Cour s’est dite convaincue que les états financiers en question étaient essentiellement confidentiels, mais a toutefois déclaré ce qui suit :

 

L’article 231.6 ne mentionne pas la nature confidentielle des renseignements comme fondement de la non‑communication lorsqu’un avis est délivré conformément à cette disposition. Aucun élément de preuve ne donne à entendre que la défenderesse se livre à une recherche à l’aveuglette et qu’elle veut utiliser les états financiers de FIMMI et de FMR Co. à des fins autres que la conduite d’une vérification de la demanderesse. En général, le ministre est tenu d’agir de bonne foi. Cette obligation a été établie par les tribunaux judiciaires à l’égard d’avis délivrés conformément à l’article 231.2 de la Loi; voir M.R.N. c. Sand Exploration Ltd., [1995] 3 C.F. 44 (1re inst.). En principe, je ne puis voir pourquoi la même obligation de bonne foi ne devrait pas exister dans le cas d’avis délivrés conformément à l’article 231.6 de la Loi

 

Cela étant, je conclus que les préoccupations exprimées par la demanderesse au sujet de la nature confidentielle des états financiers en question n’établissent pas que la demande de production est déraisonnable.

 

[…]

 

 

[87]           La demanderesse affirme également que, contrairement à la situation qui existait dans l’affaire Fidelity, les quatre sociétés des Bahamas ne refusent pas de divulguer des renseignements à l’ARC; elles refusent de communiquer tout renseignement et tout document à qui que ce soit, y compris à la demanderesse.

[88]           Compte tenu des liens que la demanderesse et les quatre sociétés des Bahamas entretiennent entre elles et du contrôle exercé par M. Krista, cet argument revient à dire que M. Krista refuse de divulguer des renseignements des quatre sociétés qu’il contrôle aussi à la demanderesse – une compagnie qu’il contrôle. En tout état de cause, le fait que les renseignements soient exclusifs ou délicats ne constitue pas une raison justifiant de conclure que la mise en demeure est déraisonnable (Fidelity, précité, au paragraphe 43).

[89]           Le raisonnement proposé par la demanderesse est le suivant : la valeur des services exécutés par MWF, ITPC, SoftPOS et Manser repose sur les connaissances industrielles précises, les coordonnées, ainsi que les autres renseignements commerciaux confidentiels que possèdent ces sociétés. La demanderesse allègue que le fait pour ces compagnies de divulguer ces renseignements à quelque personne physique ou morale que ce soit, y compris la demanderesse, diminuerait la valeur des services auxquels ces renseignements se rapportent.

[90]           La demanderesse soutient que, dans la mesure où l’ARC cherche à déterminer la valeur des services exécutés par MWF, ITPC, SoftPOS et Manser, on irait directement à l’encontre du but recherché et on détruirait la valeur des services en question en forçant indirectement MWF, ITPC, SoftPOS et Manser à divulguer les stratégies et pratiques commerciales mêmes qui leur permettent d’assurer cette valeur à la demanderesse.

[91]           Aucun élément de preuve n’a été présenté pour appuyer ces assertions.

[92]           À mon avis, la pertinence et le caractère raisonnable de la mise en demeure n’ont rien à voir avec la contraignabilité de l’une ou l’autre des quatre sociétés des Bahamas ou de M. Krista. Tout comme dans l’affaire Saipem, compte tenu du fait que la documentation et les renseignements sont conservés à l’extérieur du Canada, pour obtenir l’accès au document, l’ARC n’avait guère d’autre choix que d’envoyer la mise en demeure en question. Le paragraphe 231.6(6) de la Loi dispose :

(6) Pour l’application de l’alinéa (5)c), le fait que des renseignements ou documents étrangers soient accessibles ou situés chez une personne non‑résidente qui n’est pas contrôlée par la personne à qui l’avis est signifié ou envoyé, ou soient sous la garde de cette personne non‑résidente, ne rend pas déraisonnable la mise en demeure de fournir ces renseignements ou documents, si ces deux personnes sont liées.

(6) For the purposes of paragraph 231.6(5)(c), he requirement to provide the information or document shall not be considered to be unreasonable because the information or document is under the control of or available to a non‑resident person that is not controlled by the person served with the notice of the requirement under subsection 231.6(2) if that person is related to the non‑resident person.

 

Je ne dispose d’aucun élément de preuve qui me permette de penser qu’il faudrait déployer des efforts considérables pour fournir les renseignements demandés ou que le fait de les communiquer en détruirait la valeur, comme le prétend la demanderesse.

[93]           L’obligation que la LIR fait au ministre d’agir de bonne foi et la protection qui en découle n’ont pas été contestées devant moi. Rien ne justifie en l’espèce l’annulation de la mise en demeure.

[94]           Enfin, les conséquences d’un refus de communiquer les documents et les renseignements réclamés qui sont énumérées au paragraphe 231.6(8) de la Loi n’ont, à mon avis, rien à voir avec la pertinence ou le caractère raisonnable de la mise en demeure. M. Krista et les quatre sociétés des Bahamas qu’il contrôle ne sont pas contraignables, mais ils doivent être conscients du fait que l’incapacité de la demanderesse de se conformer pour l’essentiel à la mise en demeure à cette étape‑ci pourrait à l’avenir exposer celle‑ci à des conséquences négatives. Voilà essentiellement la raison d’être de toute mise en demeure adressée en vertu de la LIR, et les conséquences envisagées semblent tout à fait appropriées dans le cas qui nous occupe.

 


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                  REJETTE la demande et ADJUGE les dépens au défendeur.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑502‑12

 

INTITULÉ :                                                  SOFT‑MOC INC.

 

                                                                        et

 

                                                                        MINISTRE DU REVENU NATIONAL, REPRÉSENTÉ PAR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 12 février 2013

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 20 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

David W. Chodikoff

Patrick Déziel

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Margaret Nott

Iris Kingston

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Miller Thomson, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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