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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20130207

Dossier: IMM-5455-12

Référence : 2013 CF 132

Ottawa (Ontario), le 7 février 2013

En présence de monsieur le juge Simon Noël 

 

ENTRE :

 

LEONEL MENDOZA VELEZ

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 25 avril 2012, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 ch 27 [la LIPR]. La SPR a conclu que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention aux termes de l’article 96 de la LIPR, ni une personne à protéger selon l’article 97 de la LIPR.

 

I.          Faits

[2]               Le demandeur est un citoyen mexicain. Le 12 juin 2005, il a été témoin du meurtre de Cirilo Morales Feliciano, un homme âgé de 16 ans qui était un ami. Lors des événements, le demandeur se trouvait avec un autre ami, Gorgonio Ventura Vasquez ainsi que Jesus Victorio Barrio, connu comme « El Navarro ». Durant la soirée, Jesus Victorio Barrio et Cirilo Morales Feliciano se sont disputés, ce dernier accusant Jesus Victorio Barrio d’être un voleur de chevaux et de bétail. Jesus Victorio Barrio a assailli Cirilo Morales Feliciano de coups de roches à la tête, ce qui l’a tué. Celui-ci a quitté les lieux et prévenu le demandeur ainsi que Gorgonio Ventura Vasquez de ne pas parler du meurtre, sous peine d’être assassinés. Lorsque des personnes se sont approchées pour comprendre qui avait tué Cirilo Morales Feliciano, le demandeur s’est rendu chez lui, de peur que Jesus Victorio Barrio revienne pour le tuer.

 

[3]               Suite à ces événements, le ministère public arrêta Gorgonio Ventura Vasquez ainsi que deux autres hommes qui se sont présentés à la scène du crime. Craignant pour sa vie, Gorgonio Ventura Vasquez a raconté que Cirilo Morales Feliciano a été attaqué par un groupe d’hommes provenant du village San Agustin, Cuilutla. Ainsi, la police procéda à l’arrestation de trois jeunes hommes de ce village.

 

[4]               Lorsque le demandeur apprit que trois hommes innocents avaient été arrêtés, il se présenta le 22 août 2005 au ministère public pour déposer une déclaration détaillée, accusant Jesus Victorio Barrio d’être le seul responsable du meurtre de Cirilo Morales Feliciano. Selon le demandeur, Jesus Victorio Barrio aurait corrompu certaines personnes afin d’éviter d’être arrêté pour le crime qu’il a commis.

 

[5]               Le 9 juillet 2007, le demandeur reçut une assignation à comparaître du ministère public, dans le procès des trois hommes accusés du meurtre de Cirilo Morales Feliciano. Il se sentit dans l’obligation de questionner Gorgonio Ventura Vasquez au sujet de sa fausse déclaration déposée auprès du ministère public. Gorgonio Ventura Vasquez expliqua donc que Jesus Victorio Barrio l’avait menacé de mort si jamais celui-ci disait la vérité.

 

[6]               Quelques mois plus tard, le demandeur apprit que les trois hommes accusés du meurtre de Cirilo Morales Feliciano seraient libérés. Cependant, en décembre 2007, il apprit que Jesus Victorio Barrio était retourné dans la région et qu’il avait proféré des menaces à l’égard de sa personne ainsi que de sa famille. Ainsi, le demandeur a quitté la région avec sa femme et ses deux enfants pour aller vivre à Chicoloapan, dans l’état de Mexico. Il obtint un poste de vendeur de vêtements dans un petit magasin. Il y loua une maison et inscrit ses enfants à l’école.

 

[7]               En mai 2008, le demandeur apprit que son ami Gorgonio Ventura Vasquez, qui avait déménagé à Guadalajara, dans l’État de Jalisco, avait été tué par balle. Suite à sa dénonciation, Gorgonio Ventura Vasquez avait été poursuivi à travers le pays par Jesus Victorio Barrio ou des personnes engagées par lui. Ainsi, le demandeur quitta le Mexique pour le Canada le 3 juillet 2008 et demanda l’asile le jour de son arrivée. 

 

II.        Décision révisée

[8]               La SPR considéra que le demandeur n’est pas un réfugié, étant donné que la raison à la base de sa demande d’asile ne constitue pas un motif valable en vertu de la Convention. En ce qui a trait à la demande formulée en vertu de l’article 97 de la LIPR, la SPR conclut que le demandeur n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur ferait l’objet de traitements cruels et inusités s’il retournait au Mexique.

 

[9]               À l’appui de sa demande, le demandeur a fourni une déclaration datée du 22 août 2005, remise au ministère public de l’État de Guerrero, dans laquelle il explique en détail le déroulement des événements du 12 juin 2005 qui ont mené à la mort de Cirilo Morales Feliciano. Il a aussi fourni une copie de l’assignation à comparaître datée du 9 juillet 2007, dans laquelle on voit qu’un procès criminel avait été intenté au sujet du meurtre de Cirilo Morales Feliciano. La SPR a ainsi jugé que le récit du demandeur est crédible et que Jesus Victorio Barrio a donc assassiné Cirilo Morales Feliciano.

 

[10]           La SPR a considéré qu’il semble curieux que Jesus Victorio Barrio ait été reconnu coupable de meurtre, mais qu’il n’ait pas été en prison et qu’il réside maintenant dans une ville proche de San Agustin, Cuilutla, où la famille du demandeur habite. Elle a aussi constaté que le demandeur ignore si Jesus Victorio Barrio est en liberté, car il a formulé un appel à l’égard du jugement le condamnant.

 

[11]           La SPR a considéré que le demandeur affirme que la mort de Gorgonio Ventura Vasquez ne peut être attribuée qu’à Jesus Victorio Barrio étant donné que celui-ci n’avait pas d’ennemis. Cependant, elle a aussi considéré que le demandeur a habité à Chicoloapan pendant quatre ans et demi, en restant toujours dans la même demeure. De plus, le demandeur a confirmé qu’il a gardé contact avec sa famille au Mexique et qu’ils n’ont pas été menacés.

[12]           La SPR a aussi considéré le fait que Jesus Victorio Barrio ainsi que sa famille travaillent comme éleveurs de bétail et qu’il n’a probablement ni l’intérêt ni la possibilité financière de rechercher le demandeur, d’autant plus qu’il n’a jamais été emprisonné pour le crime qu’il a commis. La SPR a donc conclu que le demandeur pourrait retourner à Chicoloapan, sans être exposé à un risque de traitement cruel et inusité. De plus, la SPR a considéré qu’étant donné que le demandeur a gagné sa vie à Chicoloapan pendant six mois avant de quitter le Mexique pour le Canada, il ne serait pas « objectivement déraisonnable » ou « trop sévère » de s’attendre à ce que le demandeur d’asile déménage à cet endroit.

 

III.       Position du demandeur

[13]           Le demandeur soumet que la décision de la SPR ne tient pas compte de la preuve à l’effet qu’il est possible de corrompre les fonctionnaires au Mexique afin d’obtenir des bases de données contenant de l’information confidentielle sur des tierces parties. Cette preuve aurait dû être examinée dans le cadre de l’analyse de la question de la possibilité de refuge intérieur étant donné que cela démontre que peu importe l’endroit où irait vivre le demandeur, il pourrait être localisé par Jesus Victorio Barrio. Ainsi, la SPR a commis une erreur, car c’était un élément de preuve très important.

 

[14]           De plus, le demandeur affirme que la SPR n’a pas considéré qu’au Mexique, le contexte dans lequel les personnes se trouvant dans la situation du demandeur est bien différent et a plutôt examiné la situation du demandeur d’un point de vue canadien. Le Mexique est une démocratie émergente.

 

[15]           Troisièmement, le demandeur allègue que la SPR a commis une erreur lors de l’évaluation du témoignage du demandeur. En effet, la SPR, dans sa décision, indique ne pas connaître la raison pour laquelle Jesus Victorio Barrio n’a pas purgé de peine d’emprisonnement pour meurtre, suite au verdict de culpabilité. Cependant, le demandeur a expliqué qu’il n’y a, à sa connaissance, qu’un mandat d’arrestation émis contre celui-ci et qu’il n’a pas été condamné par un tribunal mexicain pour le meurtre de Cirilo Morales Feliciano. Ainsi, la décision de la SPR, particulièrement en ce qui a trait à la possibilité de refuge intérieur, est erronée, car la SPR a tiré une inférence négative d’une conclusion de fait erronée. En effet, à la lecture des transcriptions de l’audience, il est clair que le demandeur, lorsque questionné au sujet de Jesus Victorio Barrio, se référait aux procédures impliquant les trois hommes accusés et que lorsqu’il prétend que celui-ci a été trouvé coupable, il se réfère en réalité aux trois hommes libérés suite à sa déposition au sujet de Jesus Victorio Barrio. Ainsi, il est clair que pour le demandeur, il n’y a pas de différence entre l’acquittement des trois hommes et le procès contre Jesus Victorio Barrio.

 

[16]           Quatrièmement, le demandeur soumet que la SPR a commis une erreur similaire à celle qui a été constatée par cette Cour dans Lugo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 170 aux paras 35-39, 364 FTR 188 [Lugo], car elle a rejeté la demande du demandeur sur la base du fait qu’il n’a pas épuisé une possibilité de refuge intérieur avant de demander l’asile au Canada. Elle a ainsi ajouté un critère au test développé par la jurisprudence au sujet de l’évaluation de la possibilité de refuge intérieur.

 

[17]           Toujours en ce qui a trait à la possibilité de refuge intérieur, le demandeur affirme que cette possibilité ne s’offre pas à lui étant donné que Jesus Victorio Barrio a été en mesure d’assassiner Gorgonio Ventura Vasquez, dans l’état de Jalisco et qu’il le soupçonne d’avoir engagé un tueur à gages pour le faire. Ainsi, Jesus Victorio Barrio aurait les moyens financiers de s’en prendre au demandeur. De plus, le demandeur a expliqué que Jesus Victorio Barrio appartient à une classe d’éleveurs supérieure à la sienne. Ainsi, la SPR a tiré une conclusion arbitraire, sans égard à la preuve soumise.

 

[18]           Enfin, étant donné que la SPR a considéré le demandeur comme étant crédible, cela aurait dû avoir un impact sur l’analyse de la question de la possibilité de refuge intérieur.

 

IV.       Position du défendeur

[19]           Le défendeur soumet que la SPR n’a commis aucune erreur en considérant que le demandeur a une possibilité de refuge intérieur à Chicoloapan, où il a trouvé refuge en décembre 2007 avec sa famille. Le test à deux volets établi dans Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 140 NR 138 a été appliqué de façon juste.

 

[20]           En ce qui a trait au premier volet du test, le demandeur n’a pas démontré selon la prépondérance des probabilités qu’il risque d’être persécuté ou qu’il s’expose à une menace à sa vie ou à un risque de traitement ou peines cruels et inusités à Chicoloapan. En effet, le demandeur y a vécu paisiblement depuis 2007 et il allègue que la SPR a valablement conclu que le demandeur n’a pas prouvé que Jesus Victorio Barrio tenterait ou aurait la volonté de tenter de le retrouver.

 

[21]           Pour ce qui est du second volet du test, la SPR a conclu, de façon juste, qu’il n’est pas déraisonnable que le demandeur se prévale de la possibilité de refuge intérieur à Chicoloapan, où il a déjà résidé avec sa famille avant de quitter le Mexique.

 

[22]           En ce qui a trait à l’argument du demandeur au sujet de l’incompréhension de la SPR du témoignage du demandeur au sujet de l’arrestation de Jesus Victorio Barrio, le défendeur affirme que celle-ci est sans incidence sur l’analyse de la SPR au sujet de la possibilité de refuge intérieur du demandeur.

 

V.        Question en litige

[23]           La SPR, a-t-elle erré en concluant que le demandeur a une possibilité de refuge intérieur ?

 

VI.       Norme de contrôle

[24]           La norme de la décision raisonnable est applicable à la décision de la SPR au sujet de la possibilité de refuge intérieur, car il s’agit d’une question de fait (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190).

 

VII.     Analyse

[25]           La SPR a rendu une décision déraisonnable pour les motifs qui suivent.

 

[26]           L’argument du demandeur à l’effet que la SPR a ajouté une condition au test applicable à la question de la possibilité de refuge intérieur est juste. En effet, la SPR a, en l’espèce, commis une erreur lors de l’application du test, laquelle est similaire à celle qui a été constatée par cette Cour dans Lugo, précitée. Elle a appliqué les deux volets de celui-ci et a, en sus, exigé que le demandeur ait déjà épuisé ses possibilités de refuge intérieur avant de faire sa demande d’asile. Une lecture du passage pertinent de la décision démontre que la SPR a conclu que la demande d’asile du demandeur devrait échouer pour le motif qu’il n’a pas épuisé des possibilités de refuge intérieur avant de présenter sa demande d’asile au Canada. Cela constitue une erreur.

 

[27]           En ce qui a trait à l’allégation du demandeur selon laquelle la SPR a fait abstraction de la preuve documentaire à l’effet qu’il est possible au Mexique, d’obtenir, en payant des membres du gouvernement, des informations personnelles, par exemple, l’adresse d’une personne, la SPR n’a pas commis d’erreur. En effet, le demandeur ne peut alléguer que la SPR n’a pas tenu compte de la preuve documentaire portant sur un élément lorsqu’il n’y a rien dans sa situation factuelle qui ne corresponde à celui-ci. La SPR a rendu une décision raisonnable et n’a pas commis une erreur en n’abordant pas cette problématique spécifique puisqu’aucune preuve soumise ne laisse envisager que ce pourrait être le cas du demandeur (Zavala c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 370 aux paras 14-15, 2009 CarswellNat 6562; Alba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1116 aux paras 31-32, 2007 CarswellNat 3608). En effet, la preuve est à l’effet que Jesus Victorio Barrio est un éleveur de bétail et qu’il n’est pas en lien avec une organisation criminelle, ce qui démontre qu’il est peu probable qu’il ait recours à ce moyen pour tenter de retracer le demandeur.

 

[28]           Comme l’affirme le demandeur, il semble qu’il y ait une confusion dans l’interprétation du témoignage du demandeur par la SPR. Celle-ci a compris que Jesus Victorio Barrio avait subi un procès pour meurtre et elle a donc été surprise de constater qu’il n’avait pas purgé de peine d’emprisonnement. De plus, selon celle-ci, étant donné qu’il n’a pas purgé de peine, Jesus Victorio Barrio n’aurait pas de raison de s’en prendre au demandeur. Cependant, le demandeur a donné des réponses qui démontrent qu’il ne faisait pas de distinction entre le procès de Jesus Victorio Barrio et l’acquittement des trois hommes.

 

[29]           Cette constatation de la SPR est erronée et a eu un impact sur l’issue du litige. En effet, la preuve est à l’effet que le demandeur a fait une déposition, qui a conduit à la libération de trois hommes innocents et à l’émission d’un mandat d’arrestation contre Jesus Victorio Barrio. Ainsi, la SPR n’a pas considéré que le demandeur, par ses agissements, a pu contrarier Jesus Victorio Barrio. La situation actuelle est à l’effet que le demandeur pourrait être un témoin clé dans le procès contre Jesus Victorio Barrio, lequel se trouve toujours en liberté. La conclusion de la SPR selon laquelle ce dernier ne s’en prendrait pas au demandeur étant donné qu’il ne purge pas de peine d’emprisonnement, suite à sa condamnation est basée sur une mauvaise interprétation du témoignage du demandeur, ce qui a eu un impact sur, la question de la possibilité de refuge intérieur du demandeur.

 

[30]           Ainsi les deux erreurs commises par la SPR, soit l’ajout d’un critère au test applicable à la question de la possibilité de refuge intérieur et la mauvaise interprétation du témoignage du demandeur entraînant une conclusion erronée rendent la décision déraisonnable dans les circonstances.

 

[31]           Les parties furent invitées à soumettre une question aux fins de certification, mais aucune question ne fut proposée.

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de révision judiciaire est accueillie et aucune question ne sera certifiée.

 

                                                                            « Simon Noël »

                                                                        ______________________________

                                                                                                Juge    

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5455-12

 

INTITULÉ :                                      LEONEL MENDOZA VELEZ c LE MINISTRE DE

                                                            LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 23 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                             LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 7 février 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Alain Joffe

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Bigaouette

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Alain Joffe

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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