Cour fédérale |
|
Federal Court |
Date : 20130130
Dossier : IMM-3343-12
Référence : 2013 CF 100
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2013
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
|
YOU FENG YOU
|
|
|
demandeur
|
|
et
|
|
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE IMMIGRATION
|
|
|
|
défendeur
|
|
|
|
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] Le demandeur est âgé de 37 et est un citoyen de la Chine. Il avait eu un différend avec le gouvernement local concernant l’indemnité d’expropriation pour sa maison et son terrain. Les gestes de protestation du demandeur étaient devenus violents, la police s’en était mêlée et des personnes avaient été arrêtées. Le demandeur s’était enfui au Canada, où sa demande d’asile, dans laquelle il prétendait craindre le Bureau de sécurité publique (le BSP) chinois, a été rejetée. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.
II. LES FAITS
[2] En juillet 2009, le demandeur avait reçu un avis, dans lequel il était mentionné que sa maison allait être démolie, en raison de l’élargissement de l’autoroute dans sa ville. On lui avait offert une indemnité, qu’il avait refusée, car il la jugeait insuffisante.
[3] Tous les propriétaires visés par l’expropriation s’étaient rencontrés et avaient désigné le demandeur et son oncle pour entreprendre des démarches auprès des fonctionnaires municipaux, dans le but d’obtenir une meilleure indemnité. Leurs efforts se sont avérés infructueux, et les esprits ont commencé à s’échauffer au cours de la période conduisant à octobre 2009, date à laquelle les gens devaient déménager.
[4] Les propriétaires avaient refusé de déménager à la date fixée, et, quelques jours plus tard, les bulldozers sont arrivés sur les lieux et ont commencé à démolir les résidences. Une manifestation, au cours de laquelle les manifestants ont physiquement tenté de mettre fin à la démolition, a éclaté. L’oncle du demandeur a été blessé dans la mêlée qui s’en est suivie.
[5] Heureusement pour le demandeur, il avait conduit son oncle à l’hôpital et, lors de son retour, le BSP procédait à l’arrestation des manifestants, ce qui lui a permis d’aller se cacher. Le BSP a tenté à de multiples reprises de le trouver et a laissé une assignation à son épouse. Le demandeur affirme que le BSP effectue encore régulièrement des recherches pour le retrouver.
[6] Bien que la plupart des manifestants aient été remis en liberté, leurs dirigeants ont été jugés et condamnés à une peine de quatre ans de prison.
[7] Le demandeur s’est enfui de la Chine avec l’aide d’une passeuse; il est arrivé au Canada en décembre 2009, moment où il a présenté sa demande d’asile.
[8] Le commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le commissaire) a jugé l’affaire en fonction des facteurs clés suivants :
a) Il y avait des omissions dans le FRP; plus particulièrement, le demandeur avait omis de fournir le formulaire d’évaluation de propriété. Le demandeur n’avait pas fourni ce renseignement, car il croyait que ce serait mieux de le mentionner de vive voix au commissaire. Le commissaire a rejeté cette affirmation ainsi que les excuses similaires pour ne pas l’avoir communiqué.
b) Le demandeur avait omis de mentionner dans son FRP que son oncle était mort par suite de l’altercation avec la police. Ce fait aurait expliqué pourquoi son oncle, qui était dans une situation similaire à celle du demandeur, n’était pas poursuivi par la police. Une fois de plus, le demandeur avait motivé cette omission par le fait qu’il croyait que c’était mieux de soulever ce point de vive voix à l’audience.
c) Le commissaire a conclu, après avoir expliqué en détail le système des assignations en Chine, que l’assignation qui avait été soumise n’était pas conforme aux procédures et aux formulaires chinois reconnus, de sorte qu’il ne pouvait pas attribuer beaucoup de poids au document, particulièrement au vu de la facilité avec laquelle on peut obtenir des documents frauduleux en Chine.
d) Il y avait des préoccupations quant à la crédibilité en ce qui concerne son voyage vers le Canada.
e) Le demandeur avait modifié sa preuve, de manière à supprimer une contradiction qu’il y avait au sujet de la prise de photographies.
f) Le demandeur n’était pas crédible au sujet de l’arrestation et de la détention des manifestants, ainsi que de la poursuite dont il faisait l’objet de la part de la police.
g) La carte de visiteur d’un pénitencier qu’il avait présentée était un document frauduleux.
h) Les poursuites contre le demandeur pour entrave à l’expropriation et à la démolition ne constituaient pas de la persécution. L’expropriation gouvernementale n’a aucun lien avec l’un des motifs prévus à la Convention. L’entrave commise par le demandeur n’était pas une protestation politique. Dans la perspective de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, cette situation constituait une violation d’une loi d’application générale.
i) Bien que plus sévères qu’au Canada, les peines en Chine ne contreviennent pas aux normes internationales, et les prisons, malgré le fait que les conditions y soient difficiles et dégradantes, respectent les besoins et les droits fondamentaux.
[9] Les parties soulèvent six questions en litige. La question quant à la raisonnabilité de la décision reposera sur ces points :
(i) L’utilisation des termes « descente » et « maison‑église »;
(ii) La conclusion en matière de crédibilité;
(iii) La conclusion quant à la carte de visiteur d’un pénitencier;
(iv) L’analyse et la conclusion quant à l’assignation;
(v) L’absence de conclusion quant au lien avec la Convention;
(vi) L’analyse relative à l’article 97.
III. ANALYSE
A. La norme de contrôle applicable
[10] Les différentes questions en litige dans le présent contrôle judiciaire ne sont pas toutes susceptibles de contrôle selon la même norme :
• En ce qui concerne la question de savoir s’il y a eu une erreur dans la description de l’affaire, le critère est celui de savoir si cette erreur est déterminante (Kandasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 791, 159 ACWS (3d) 262);
• La conclusion en matière de crédibilité (la conclusion clé et dominante) est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, 167 ACWS (3d) 773);
• Dans la même veine, les conclusions quant à la preuve documentaire sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2011 CF 187, 2011 CarswellNat 351);
• La question du lien avec l’un des motifs prévus à la Convention est une question mixte de droit et de fait, et est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Jacobo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 345, 407 FTR 18);
• L’analyse relative à l’article 97 en l’espèce est une question mixte de droit et de fait, et, par conséquent, elle est, elle aussi, susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923, 2010 CarswellNat 3382).
B. La descente et la maison‑église
[11] Le demandeur conteste le fait que le commissaire ait employé le mot « descente » pour décrire l’intervention de la police dans le contexte de l’entrave à la démolition. Compte tenu de la situation, soit celle d’une manifestation tournant à la violence, l’intervention de la police pouvait, en l’espèce, raisonnablement être qualifiée de descente.
[12] Le fait que le commissaire ait fait mention d’une « maison‑église », alors que les manifestations portaient sur la démolition de résidences, constituait une erreur de fait. Cette erreur n’était cependant pas déterminante, puisque le commissaire a manifestement compris la nature de la démolition et de l’entrave. Rien ne donnait à penser qu’il y avait un aspect religieux dans la présente affaire, et le commissaire a compris cela.
C. La crédibilité
[13] Le demandeur s’oppose à ce qu’il allègue être une analyse [traduction] « microscopique » des omissions dans son FRP. Cependant, la conclusion du commissaire quant à la crédibilité ne reposait pas que sur de simples omissions.
[14] Les préoccupations quant à la crédibilité du FRP découlaient de l’explication du demandeur quant au motif des omissions, soit, qu’il préférait mentionner les objets omis de vive voix au commissaire. Le commissaire avait amplement le droit de se méfier de cette explication, d’autant plus qu’il s’agissait d’objets importants et que le demandeur était représenté par un conseil expérimenté.
[15] Une troisième question en litige, concernant la prise de photographies, a été soulevée. Celle‑ci n’était pas déterminante, puisqu’elle était liée à la nature de la manifestation.
D. La carte de visiteur d’un pénitencier
[16] Le commissaire et la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ont un champ d’expertise, qui comprend la connaissance de certaines des pratiques locales. Le commissaire a examiné une photocopie du document et il avait, à première vue, des préoccupations quant à l’authenticité de la carte. Dans la mesure où les préoccupations quant à la crédibilité du demandeur étaient raisonnables (ce qui était le cas), et compte tenu des conclusions tirées quant aux assignations, il était raisonnable de conclure que la carte était frauduleuse, selon la prépondérance des probabilités.
E. Les assignations
[17] Le demandeur soulève un certain nombre d’arguments pour contester la manière avec dont le commissaire est arrivé à ses conclusions. Le demandeur prétend que la conclusion du commissaire, selon laquelle il y avait des lacunes dans les assignations, était fondée sur son examen des exigences d’un type d’assignation qui était différent de celui présenté en preuve. La cause du demandeur quant à cette question en litige repose sur la question de savoir si les assignations pertinentes étaient faites selon le formulaire 3 (dossier certifié du tribunal (DCT), à la page 83), et non le formulaire examiné par le commissaire, soit le formulaire 2 (DCT, à la page 81).
[18] Le fait d’établir quel formulaire d’assignation est pertinent en l’espèce constitue une question de fait et se rapporte à un champ dans lequel le commissaire possède une expertise. Le demandeur n’a fourni aucune preuve convaincante pour établir que le commissaire était dans l’erreur à cet égard. Par conséquent, les conclusions du commissaire sont confirmées.
F. Le lien avec l’un des motifs prévus à la Convention
[19] Le commissaire a conclu à l’absence de lien avec l’un des motifs prévus à la Convention, parce que la persécution alléguée se rapportait à un différend relatif à une indemnité d’expropriation. Il ne s’agit pas d’un objet visé par la Convention.
[20] Le véritable différend avait trait à une question d’argent, et non à un motif prévu à la Convention. Le demandeur ne pouvait maquiller le différend financier en un différend politique, simplement parce que le différend en question se rapportait à une décision gouvernementale.
[21] Compte tenu de la nature du différend et des activités de protestation, il n’était pas déraisonnable de conclure à l’absence de lien avec l’un des motifs prévus à la Convention.
G. L’analyse relative à l’article 97
[22] Le demandeur prétend que les peines d’emprisonnement sont trop longues, compte tenu de la gravité des infractions. Il prétend aussi que les conditions dans les prisons chinoises sont reconnues comme étant bien pires que celles dans les prisons canadiennes.
[23] Le commissaire était au courant de la durée des peines qui auraient été imposées aux dirigeants de la manifestation. En l’absence de quelque élément de preuve portant que les peines étaient plus sévères que ce qui serait acceptable, le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la conclusion du commissaire était déraisonnable.
[24] Le demandeur a aussi échoué en ce qui concerne les conditions dans les prisons chinoises. Le commissaire avait reconnu que ces conditions étaient « difficiles et dégradantes », mais il avait conclu que les besoins et les droits fondamentaux des prisonniers étaient généralement respectés. Le demandeur n’a pas réussi à démontrer que cette conclusion était déraisonnable.
[25] Le fait que, lorsqu’on compare un autre pays au Canada, les peines y soient plus sévères et que les conditions dans les prisons y soient plus mauvaises n’est pas suffisant en soi pour justifier une demande d’asile fondée sur l’article 97. Si c’était le cas, on pourrait prétendre que la situation dans une grande partie des États‑Unis justifie une telle demande d’asile. La conclusion du commissaire n’était pas déraisonnable.
IV. CONCLUSION
[26] Par conséquent, la décision en cause, qui portait sur un différend relatif à une indemnité d’expropriation, n’est pas déraisonnable lorsqu’on l’examine dans son ensemble. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n’y a pas de question à des fins de certification.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Michael L. Phelan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3343-12
INTITULÉ : YOU FENG YOU
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 19 décembre 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : Le juge Phelan
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 30 janvier 2013
COMPARUTIONS :
Jayson Thomas
|
POUR LE DEMANDEUR
|
Ildiko Erdei |
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
LEVINE ASSOCIATES Avocats Toronto (Ontario)
|
POUR LE DEMANDEUR |
WILLIAM F. PENTNEY Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
|