Cour fédérale |
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Federal Court |
Date : 20130122
Dossier: IMM-3277-12
Référence : 2013 CF 54
Ottawa (Ontario), ce 22e jour de janvier 2013
En présence de madame la juge Gleason
ENTRE :
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IMED ABDERRAHMAN KAWECH
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Demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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Défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [la Loi ou la LIPR] d’une décision rendue le 23 mars 2012 par un agent de Citoyenneté et Immigration Canada [CIC]. Dans sa décision, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente soumise par le demandeur, Imed Abderrahman Kawech, en vertu des dispositions de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada puisqu’elle a conclu que la relation entre le demandeur et sa garante n’était pas de bonne foi et que le demandeur était coupable de fausses déclarations sur un fait important qui aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Dans sa lettre communiquant la décision au demandeur, l’agent l’a avisé qu’elle transférerait son dossier à l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] afin d’opérer au renvoi du demandeur du Canada.
[2] Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur soumet que la décision de l’agent devrait être annulée puisqu’elle est déraisonnable et entachée de partialité ou d’une apparence de partialité. Il soutient en outre que l’agent a commis une erreur donnant ouverture à révision en renvoyant le dossier à l’ASFC puisque sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire demeure pendante.
[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision est raisonnable, que l’agent n’a pas fait preuve de partialité ni d’une apparence de partialité et, qu’au regard des faits, rien n’obligeait l’agent à tenir compte de la demande pendante fondée sur des considérations d’ordre humanitaire du demandeur, ce dernier ayant plutôt choisi de présenter une demande de parrainage dans la catégorie des époux ou des conjoints de fait. La présente demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.
Contexte factuel
[4] Puisque les arguments du demandeur reposent sur l’historique complexe de son dossier, il est nécessaire de retracer en détail la trame factuelle de l’espèce.
[5] Le demandeur, un citoyen tunisien, est arrivé au Canada le 10 août 2000. Il a revendiqué le statut de réfugié au Canada le 7 août 2001, invoquant sa crainte d’être persécuté en Tunisie à cause de ses activités étudiantes de nature politique qui auraient attiré l’attention de la police. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la SPR] a rejeté cette demande le 14 mai 2002.
[6] Le 7 décembre 2003, le demandeur a épousé Myriane Cholette, une citoyenne canadienne, qui est beaucoup plus âgée que le demandeur et incapable d’enfanter. À peine quinze jours après leur mariage, le demandeur et Mme Cholette se sont séparés puisque Mme Cholette avait l’impression que son époux « allait ailleurs ». Cette rupture a duré jusqu’en septembre 2004. Lors de cette séparation, le demandeur a commencé à fréquenter Mme Elda Dani et, par la suite, a eu trois enfants avec cette dernière, qu’il considère comme sa « maîtresse ».
[7] Le 2 décembre 2004, le demandeur a déposé auprès de CIC une demande de dispense du visa de résident permanent invoquant des considérations d’ordre humanitaire [demande CH].
[8] Le 18 février 2005, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a adopté la Politique d’intérêt public établie en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR pour faciliter le traitement selon les règles de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada [la Politique] dans le but d’assouplir les exigences de l’alinéa 124b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], aux termes duquel les demandes de ce type devaient être présentées à partir de l’étranger. La Politique, qui dispense les demandeurs de cette exigence, permet ainsi aux époux et conjoints de faits étrangers n’ayant pas de statut au Canada et se trouvant au pays d’obtenir l’autorisation de présenter leur demande de résidence permanente à partir du Canada sans avoir à se fonder sur une demande CH, ce qui était jusque-là le seul moyen par lequel ils pouvaient obtenir cette autorisation. La Politique, qui vise à faciliter la réunification familiale, représente un avantage substantiel pour les époux et conjoints de fait étrangers qui désirent se voir accorder le droit de demeurer au Canada avec leur conjoint.
[9] Le 5 juillet 2005, CIC a envoyé une lettre au demandeur pour l’informer de la possibilité de se prévaloir de la Politique. Pour ce faire, il suffisait que son épouse présente une demande de parrainage. Dans sa lettre, CIC a également indiqué au demandeur que si aucune demande de parrainage n’était présentée, sa demande CH existante continuerait d’être traitée telle quelle. Le 22 juillet 2005, l’épouse du demandeur, Mme Cholette, a présenté une demande de parrainage à CIC pour parrainer le demandeur. Elle a ainsi fait une demande d’engagement conformément à l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et l’admission temporaire des aubains (1991) [l’Accord Canada-Québec] et la Loi sur l’immigration au Québec, LRQ c 1-0.2.
[10] Toutefois, le ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec [MICCQ] devait approuver l’engagement en vertu de l’Accord Canada-Québec avant que CIC puisse procéder au traitement de la demande de résidence permanente. Le MICCQ a refusé son approbation et CIC a alors continué l’examen de la demande CH du demandeur et l’a rejetée le 11 octobre 2005.
[11] Le 15 juin 2006, après son premier refus, le MICCQ a approuvé l’engagement du demandeur et lui a délivré un certificat de sélection. Néanmoins, le 21 juin 2006, l’ASFC a convoqué le demandeur pour son renvoi du Canada le 21 juillet 2006. Le 19 juillet 2006, cette Cour a ordonné le sursis de ce renvoi étant donné l’acceptation de l’engagement du demandeur par le MICCQ et le droit du demandeur de faire évaluer sa demande de parrainage, conformément à la Politique (Kawech c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 899).
[12] Le 31 août 2006, Mme Dani, la maîtresse du demandeur, a donné naissance à leur premier fils.
[13] Le 27 décembre 2006, vu le consentement des parties, la Cour fédérale a annulé la décision du 11 octobre 2005 rejetant la demande CH et a retourné le dossier à CIC pour réexamen.
[14] Le 3 avril 2007, dans le cadre de la demande de parrainage, un agent de CIC a interrogé le demandeur et son épouse, Mme Cholette, pour établir la bonne foi de leur relation. L’agent a demandé séparément aux époux si le demandeur avait de la famille au Canada. Les deux ont répondu par la négative. Le demandeur a aussi déclaré que Mme Cholette ne pouvait pas avoir d’enfant, mais que le couple envisageait d’autres alternatives, telle l’adoption. L’agent a jugé que la relation semblait de bonne foi malgré les quelques contradictions qu’elle avait relevées et le fait que Mme Cholette semblait peu renseignée quant à l’historique d’immigration du demandeur. Par lettre datée du 5 avril 2007, le CIC a avisé le demandeur qu’il rencontrait les critères préliminaires d’admissibilité.
[15] Le 11 septembre 2008, Mme Dani donne naissance au deuxième enfant du demandeur et le 6 décembre 2011, elle accouche de leur troisième enfant. À la fin de décembre 2011, CIC aurait appris par hasard que le demandeur avait eu trois enfants avec Mme Dani.
[16] Compte tenu du délai de traitement de la demande de parrainage, le demandeur a demandé à la Cour fédérale d’ordonner qu’une décision soit rendue dans le cadre d’une requête pour une ordonnance de mandamus. Le 24 février 2012, cette Cour, suite au consentement des parties, a ordonné à CIC de s’exécuter dans les 60 jours suivant l’expiration du délai imparti au demandeur. Le demandeur a fourni à CIC toutes les informations et nouveaux documents exigés en prévision d’une telle décision. Dans le formulaire de « Renseignements additionnels sur la famille », soit dans la section « tous vos fils et toutes vos filles », le demandeur a inscrit ses trois enfants nés de sa relation avec Mme Dani.
[17] Le 16 mars 2012, le demandeur ainsi que son épouse ont été convoqués à une entrevue aux bureaux de CIC à Montréal. Lors de cette entrevue, le demandeur a expliqué que son épouse ne pouvait pas avoir d’enfants et que l’adoption était trop coûteuse. Il a donc trouvé Mme Dani, une femme qui souhaitait avoir des enfants, mais sans vouloir un homme dans sa vie quotidienne. Pour ces raisons, il explique avoir fait trois enfants avec Mme Dani, tout en continuant sa vie avec son épouse. Il a déclaré que son épouse était au courant et comprenait la situation, après une réaction initiale de colère et de jalousie.
[18] A la fin de l’entrevue, l’agent a déclaré que sa décision serait quelque peu retardée étant donné qu’elle avait un rendez-vous dans une clinique pour femmes ayant des problèmes de fertilité. Le 23 mars 2012, l’agent a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur.
[19] Dans la décision contestée, l’agent a déterminé que même si le demandeur habite toujours avec son épouse et même si cette dernière est au courant de l’existence des enfants, il n’en demeure pas moins que leur relation ne peut plus être considérée comme une relation conjugale de bonne foi puisqu’elle n’est pas exclusive. L’agent appuie sa conclusion sur la section 5.25 du Guide OP2 - Traitement des demandes présentées par des membres de la catégorie du regroupement familial, qui traite des caractéristiques des relations conjugales, et selon laquelle, l’exclusivité, à un certain degré, est une caractéristique commune à toute relation conjugale.
[20] L’agent a également conclu à deux fausses déclarations par omission, soit celle de ne pas révéler l’existence de son fils dans son formulaire de demande de résidence permanente du 17 février 2007 ainsi que lors de l’entrevue du 3 avril 2007. Confronté à la première omission, le demandeur a expliqué qu’il croyait que « membre de sa famille au Canada » voulait dire son père, sa mère ainsi que ses frères et sœurs soit des membres de sa famille tunisienne au Canada. L’agent n’a pas été satisfaite de cette explication puisque, étant donné le désir profond du demandeur d’avoir des enfants, il serait « très improbable […] qu’il ne considère pas son fils comme étant un membre de sa famille ». Après avoir exprimé cette opinion au demandeur, ce dernier a changé sa réponse pour préciser qu’il n’avait pas déclaré son fils car il considérait que son fils n’était pas concerné par sa demande de parrainage.
[21] Quant à la seconde omission, le demandeur soumet que la question ne lui avait pas été posée. L’agent note que le demandeur et son épouse ont toutefois fait mention de leur projet d’adoption. Dans un tel contexte, l’agent a conclu que le demandeur avait l’obligation de dévoiler l’existence de son fils. Il devait fournir à l’agent toutes les informations pertinentes afin de lui permettre d’effectuer une évaluation valable. Elle conclut que ces fausses déclarations ont possiblement mené à une erreur dans l’interprétation de la Loi en 2007.
[22] L’agent n’a pas abordé la demande CH dans sa décision puisque le demandeur n’y a lui-même fait aucune référence après juillet 2005, moment auquel il a choisi de se prévaloir des conditions plus généreuses de la Politique et a de fait converti sa demande CH en une demande à titre de conjoint qui se trouve déjà au Canada.
Analyse
[23] Je suis d’avis que les questions en litige s’énoncent comme suit :
1. – Y a-t-il une crainte raisonnable de partialité en l’espèce?
2. – La décision de l’agent d’immigration quant au refus de la demande de parrainage est-elle raisonnable?
3. – La demande CH du demandeur est-elle demeurée pendante, de sorte que l’agent aurait commis une erreur en renvoyant le dossier du demandeur à l’ASFC suivant le rejet de la demande de parrainage dans la catégorie des époux ou conjoints de fait?
[24] La première question traite d’un principe d’équité procédurale à laquelle ne s’applique aucune norme de contrôle puisqu’il incombe à la Cour de déterminer si l’agent a respecté les principes de justice naturelle (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 au para 43; Ramirez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 809 au para 4). Ainsi, il n’y a pas lieu de faire preuve de déférence envers l’agent à cet égard (Malik c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1283 au para 23). Dans un même ordre d’idées, aucune déférence ne sera accordée à l’agent eu égard à la troisième question en litige puisque le demandeur allègue essentiellement que l’agent a omis d’exercer sa compétence pour prendre une décision à l’égard de la demande pendante qui était soumise à son appréciation (Novell Canada Ltd c Canada (ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [2000] ACF no 951 au para 3, 257 NR 179 (CA); Bajwa c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 864 au para 36).
[25] Quant aux conclusions de l’agent en ce qui a trait au mariage du demandeur ainsi qu’aux fausses déclarations, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. (Pour les questions ayant trait au mariage, voir Yadav c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 140 au para 50, repris dans Akinmayowa c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 171 au para 18; Corona c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 174 au para 13. Pour les questions concernant de fausses déclarations voir, entre autres, Sinnachamy v Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 FC 1092 au para 5; Jiang c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 942 au para 19 citant Bellido c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452 au para 27 et Bodine c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848 au para 17). Je dois donc déterminer si ces conclusions sont justifiées, transparentes, intelligibles et si elles appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47).
Y a-t-il une crainte raisonnable de partialité en l’espèce?
[26] Le demandeur soumet que la décision en l’espèce est entachée de partialité ou d’une apparence de partialité puisque l’agent est infertile et était donc probablement mal disposée envers le demandeur, qui lui a expliqué que la stérilité de son épouse l’avait mené à avoir des enfants avec une autre femme. De plus, le demandeur souligne que la décision de l’agent se situe dans un contexte où le demandeur a certainement contrarié CIC par son historique et fait référence à trois éléments, soit l’obtention d’un sursis de son renvoi du Canada le 19 juillet 2006, l’annulation du rejet de sa demande CH le 27 décembre 2006 et l’obtention d’une ordonnance de mandamus pour délais inexplicables du CIC le 24 février 2012. Le demandeur fait valoir que l’agent a forcément fait preuve de partialité à son endroit, compte tenu de son historique. Il soumet aussi que la décision de l’agent de ne pas rencontrer Mme Cholette en entrevue soulève en l’occurrence une crainte raisonnable de partialité.
[27] Pour sa part, le défendeur soumet que rien en l’espèce ne permettrait de conclure à l’existence de partialité ou d’une crainte de partialité : il n’y a absolument aucune preuve que l’agent aurait fait preuve de partialité, ni le moindre fondement d’une crainte raisonnable à cet égard. Le défendeur soutient à ce propos qu’aucune preuve n’étaye l’idée que CIC entretenait la moindre malveillance envers le demandeur, pas plus que l’agent. En outre, le défendeur soutient que l’idée que l’agent ait pu faire preuve de partialité à l’égard du demandeur simplement parce qu’elle devait se rendre à une clinique de fertilité est non seulement dénuée de fondement mais, de surcroît, injurieuse. Il soutient que le demandeur fait preuve de sexisme en suggérant que l’agent était infertile et qu’elle avait dès lors un biais défavorable à son égard; il est tout autant possible que ce soit son partenaire qui ne puisse pas concevoir, ou encore qu’elle souhaite recourir à la fécondation in vitro pour concevoir un enfant sans partenaire ou avec un partenaire de même sexe. Le défendeur soutient en outre que s’il fallait conclure à la partialité de l’agent, il y aurait lieu de craindre la partialité de tout décideur appelé à juger d’une espèce dont les faits seraient assimilables à une expérience qu’il aurait lui-même vécue. Il s’agit d’une proposition intenable : à titre d’exemple, on ne remet pas en cause l’objectivité d’un juge appelé à entendre une cause de divorce simplement parce qu’il est lui-même divorcé.
[28] Je donne raison au défendeur. Rien ne permet en l’espèce de conclure que l’agent a fait preuve de partialité, ni d’en craindre la possibilité, et les allégations du demandeur quant aux conclusions qu’on pourrait tirer du fait que l’agent devait se rendre dans une clinique de fertilité sont injurieuses.
[29] Le test applicable pour déceler toute crainte de partialité suivant l’affaire Committee for Justice and Liberty et al. c Office national de l’énergie et al., [1978] 1 RCS 369 [Committee for Justice and Liberty], confirmé dans R c S (RD), [1997] 3 RCS 484 [S (RD)] aux para 11, 31 et 111, est à savoir si une personne raisonnable et bien renseignée, qui serait au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes et étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclurait que le comportement ou les déclarations de l’agent entraînent une crainte raisonnable de partialité. Les tribunaux font preuve d’une grande réticence lorsqu’il s’agit de donner foi à des arguments fondés sur la partialité. La crainte de partialité doit reposer sur des motifs sérieux et non sur des motifs que soulèverait une personne « scrupuleuse et tatillonne » (Bande indienne Wewaykum c Canada, 2003 CSC 45, [2003] 2 RCS 259, au para 76 citant Committee for Justice and Liberty à la page 395). Dans un même ordre d’idées, les tribunaux ne prêtent pas foi aux soupçons, aux insinuations, aux conjectures ni aux impressions dénuées d’un fondement objectif démontrant un comportement dérogatoire à la norme (Arthur c Canada (PG), 2001 CAF 223 au para 8) et exigent une preuve convaincante, sérieuse et substantielle (S (RD) au para 117; Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, [1999] 3 RCS 851 au para 2; Es-Sayyid c Canada (ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CAF 59 au para 39).
[30] En l’espèce, je ne crois pas qu’une personne raisonnable et bien renseignée, au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes et qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclurait que le comportement ou les déclarations de l’agent entraînent une crainte raisonnable de partialité. Bien que l’agent ait mentionné qu’elle devait se rendre dans une clinique de fertilité en fin d’entrevue, rien dans sa décision ne justifie une crainte raisonnable de partialité ni ne constitue un comportement dérogatoire, d’autant plus qu’aucune preuve n’a été produite pour corroborer cette allégation. Comme le soutient le défendeur, le fait de présumer que l’agent, en l’espèce, était incapable de faire preuve d’objectivité pour rendre une décision juste du simple fait qu’elle avait rendez-vous dans une clinique de fertilité relève d’un sexisme outrancier.
[31] De plus, il m’est impossible de déceler en l’espèce la moindre frustration de l’agent envers « le système » qui serait assimilable aux faits de l’affaire Baker c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 48, sur laquelle se fonde le demandeur, et qui l’empêcherait d’évaluer avec impartialité la présente demande. En l’espèce, les deux décisions de la Cour fédérale ont été rendues par un jugement sur consentement. Rien non plus dans les motifs ou le comportement de l’agent ne permet de déceler la moindre preuve d’animosité envers le demandeur, ni d’éléments suggérant la présence de partialité institutionnelle.
[32] Le fait que l’agent ait décidé d’interroger seulement le demandeur n’est pas suffisant pour amener à une crainte de partialité ou à un manquement à l’équité procédurale. Cela indique simplement qu’elle possédait suffisamment de preuves pour fonder sa décision après sa rencontre avec le demandeur. Aucune règle n’oblige un agent à rencontrer les deux époux ou conjoints de fait dans le cadre d’une demande de parrainage de cette catégorie. Les tribunaux administratifs sont considérés comme « maîtres chez eux » en ce sens qu’ils peuvent fixer leur propre procédure en autant que sont respectés les principes d’équité procédurale et de justice naturelle (Prassad c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560 au para 16). Du moment où l’agent a considéré qu’elle avait assez de preuves et qu’elle considérait avoir fait une analyse complète du dossier, « elle peut adopter le processus d’audience qu’elle juge indiqué » à moins qu’il n’existe une règle particulière à cet effet (Zhong c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 279 au para 20). Il n’en existe aucune en l’espèce.
[33] Pour ces motifs, je considère que les arguments du demandeur quant à la partialité sont dénués de fondement.
La décision de l’agent d’immigration quant au refus de la demande de parrainage est-elle raisonnable?
[34] En ce qui concerne la deuxième question, le demandeur allègue que les conclusions de l’agent quant au manque de bonne foi de son mariage sont déraisonnables, puisque l’agent aurait fondé cette conclusion sur la relation du demandeur avec Mme Dani. Il soutient que l’existence d’une relation extra-conjugale ne devrait avoir aucune incidence sur la validité d’une relation conjugale ou d’un mariage.
[35] Le demandeur allègue aussi que les conclusions de l’agent quant aux fausses déclarations sont déraisonnables puisqu’il a simplement omis de mentionner certains faits et que, selon les circonstances, ces omissions n’étaient pas déraisonnables. Il allègue que lors de l’entrevue du 3 avril 2007, il a omis de révéler l’existence de ses enfants à la question de savoir s’il avait de la famille au Canada ainsi qu’au moment où l’agent d’immigration a questionné son épouse sur la question des enfants, soumettant qu’il était normal qu’il pense que « famille au Canada » voulait dire des membres de sa famille tunisienne, puisque la question, dans sa formulation, n’indiquait pas clairement que la réponse devait inclure les enfants citoyens canadiens. Quant aux discussions entourant le processus d’adoption par le couple, le demandeur précise que la mention de son fils n’aurait été pertinente que dans la mesure où la mère de ce dernier aurait consenti à une telle adoption de son fils mais que rien n’indiquait dans le dossier que c’était le cas. Il soutient également que le fait d’avoir identifié ses trois enfants de son plein gré dans les nouveaux formulaires qu’il a dû remplir en 2012 et le fait qu’il ait consenti à ce que son nom figure sur leurs certificats de naissance sont incompatibles avec l’idée qu’il ait pu chercher à présenter sa situation sous un faux jour, puisqu’il est évident qu’il révélait ainsi l’existence de ses trois enfants issus d’une relation extra-conjugale.
[36] Le demandeur plaide que sa situation se compare à celle dans Chen c Canada (ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 584 [Chen] et celle dans Osisanwo c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1126 [Osisanwo]. Dans Chen aux para 14-15, le juge Sean Harrington a conclu que le demandeur n’avait pas à dévoiler des rumeurs et que « [m]ême si elles avaient été vraies, cela ne signifiait pas que le mariage était nécessairement terminé. La Loi sur le divorce envisage expressément la possibilité de conciliation […]. L’obligation de franchise ne forçait pas M. Chen à faire part de ses préoccupations à un agent d’immigration ». Dans Osisanwo, le demandeur avait omis de déclarer que l’un des deux enfants du couple avait été conçu par un homme autre que le mari. Le juge Roger Hugues écrit :
[14] […] L’histoire regorge de cas d’enfants nés de couples mariés et élevés par eux, croyant en être les parents. Une demanderesse qui veut être admise au Canada doit-elle révéler toute aventure extra-conjugale survenue à une époque où un enfant aurait pu être engendré par un homme autre que son mari? Je doute que notre société en soit rendue là.
[37] Pour sa part, le défendeur soumet que la décision de l’agent est raisonnable puisqu’elle avait un fondement solide pour ses conclusions. Le procureur du défendeur note que le demandeur prétend que son mariage est un vrai mariage et allègue qu’il a fréquenté Mme Dani seulement pour avoir une famille, qui est, pour lui, un besoin primordial. Selon ce dernier, s’il est vrai que le demandeur avait un tel besoin, il est inconcevable qu’il aurait épousé Mme Cholette, alors qu’il avait 28 ans et elle 50 ans et incapable d’enfanter. La conclusion beaucoup plus raisonnable est celle que tire l’agent, soit que le mariage était contracté seulement pour fins d’obtention du statut de résident permanent au Canada. D’autant plus que la mère des enfants n’a aucun statut au Canada. Le demandeur a donc tout intérêt à continuer d’habiter avec sa garante pour des fins d’immigration. Le défendeur note également que le guide OP2, à la section 5.25, spécifie clairement qu’une relation conjugale de bonne foi implique l’exclusivité de la relation, soit un engagement envers une exclusivité à la fois sexuelle et relationnelle, et que les tribunaux ont également reconnu que les relations sexuelles exclusives sont un des facteurs qui peuvent être pris en compte afin de déterminer si deux personnes entretiennent réellement une relation conjugale (citant M c H, [1999] 2 RCS 3 et Bustamante c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1198). Quant aux fausses déclarations, le défendeur plaide que les omissions pertinentes peuvent donner lieu à une fausse déclaration et qu’en l’espèce l’omission d’avoir mentionné le fait qu’il a eu une relation avec une autre femme – et a eu un enfant avec elle – est très pertinent. En cachant l’existence d’un enfant à l’entrevue de 2007 jusqu’au mois de mars 2012, le demandeur a empêché à l’agent d’immigration d’évaluer tous les éléments relatifs à la bonne foi de la relation en 2007.
[38] La conclusion du tribunal selon laquelle les omissions en l’espèce s’avèrent de fausses déclarations est raisonnable. Le paragraphe 40(1) de la Loi est formulé de façon très large et englobe plusieurs circonstances, notamment l’omission de déclarer un fait important comme l’existence d’un enfant. En l’espèce, le premier fils du demandeur est né le 31 août 2006. Au moment de l’entrevue du 3 avril 2007, celui-ci était âgé de sept mois. Malgré ce fait, à la question de l’agent à savoir si les époux avaient des plans concernant les enfants, le demandeur a simplement répondu qu’ils pensaient à l’adoption. La naissance d’un enfant dans les circonstances en l’espèce est un fait important qui aurait dû être révélé. En outre, les réponses fournies par le demandeur à l’égard des plans du couple en matière d’adoption sont encore plus trompeuses que l’omission de mentionner son fils, puisqu’elles sont diamétralement opposées aux faits. Il était ainsi tout à fait loisible à l’agent de conclure que le demandeur avait fait de fausses déclarations, en contravention de l’article 40 de la LIPR.
[39] Il était tout aussi loisible à l’agent de conclure que le mariage n’était pas authentique. À cet égard, je partage l’avis du demandeur à savoir que le fait d’avoir eu un enfant avec une personne autre que son époux n’indique pas nécessairement qu’un mariage soit terminé et que c’est plutôt toujours une question contextuelle. Toutefois, les circonstances en l’espèce justifient la conclusion que le mariage n’est pas authentique et elles se distinguent nettement de l’affaire Osisanwo. Dans cette affaire, les époux ont eu une relation de 42 années de mariage marquées d’une brève séparation. Durant cette séparation, l’épouse aurait eu une relation avec un autre homme pour ensuite retourner avec son époux. Bien que l’époux ait été au courant de cette relation extra-conjugale, les deux époux croyaient sincèrement être les parents de l’enfant né subséquemment. Ce n’est que par l’entremise d’un test d’ADN fait par CIC qu’ils ont appris que l’époux n’était pas le père.
[40] En l’espèce, le demandeur entretient une relation durable avec une autre femme sans statut au Canada qu’il considère comme étant sa « maîtresse » et avec laquelle il a eu trois enfants. Au même moment, il est marié à une dame d’une vingtaine d’années son aînée; le tout, pouvant influencer grandement le caractère « authentique » de la relation. Selon l’affaire Mai c Canada (ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 101 au para 16 :
[…] Les faits importants ne se limitent pas aux faits qui mènent directement à des motifs d’interdiction de territoire, ils ont une portée plus large. Lorsque l’information a une incidence sur le processus amorcé ou sur la décision finale, elle devient importante (Koo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 931, au para 19). Le fait pour le demandeur de ne pas mentionner son épouse et son enfant a empêché les agents d’immigration de faire enquête sur eux et sur leur relation avec le demandeur. La fausse déclaration a donc eu une incidence sur le processus amorcé.
[41] Dans cette même cause, au paragraphe 18, le juge Luc Martineau poursuit en disant :
En ce qui concerne l’enfant du demandeur, le Tribunal a jugé que cela empêchait également l’agent d’immigration de faire enquête sur l’enfant. Cela empêcherait le demandeur de parrainer son épouse et son enfant à l’avenir au titre de la catégorie du regroupement familial. Il convient de rappeler que l’alinéa 40(1)a) de la Loi fait notamment référence à la « [réticence] sur un fait important quant à un objet pertinent, [...] ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l'application de la [Loi] ». (Non souligné dans l’original)
[42] Ainsi, pour ces motifs, les conclusions de l’agent que le mariage n’était pas valide et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou de privilèges en vertu de la Loi et que le demandeur avait fait de fausses déclarations en contravention de l’article 40 de cette même Loi, sont raisonnables.
La demande CH du demandeur est-elle demeurée pendante, de sorte que l’agent aurait commis une erreur en renvoyant le dossier du demandeur à l’ASFC suivant le rejet de la demande de parrainage dans la catégorie des époux ou conjoints de fait?
[43] En dernière analyse, les faits sont incompatibles avec l’allégation que l’agent a commis une erreur en omettant d’évaluer la demande CH du demandeur, puisqu’il n’y avait plus de demande CH à évaluer. En présentant une demande de parrainage dans la catégorie des époux ou conjoints de fait (et en ne faisant aucune mention ultérieure de cette demande CH) le demandeur a de fait transformé sa demande CH en une demande de parrainage. S’il souhaite maintenant se prévaloir de ce mécanisme, le demandeur devra présenter une nouvelle demande CH. Le libellé de la Politique est clair à ce sujet :
Toutefois, si, après l’annulation au titre de L25 [soit l’annulation de l’obligation pour le demandeur d’avoir un statut valide au Canada], ces demandeurs sont refusés pour non-conformité aux exigences de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, ils n’ont pas le droit à une réévaluation en fonction de considérations humanitaires, mais peuvent présenter une nouvelle demande CH (en italique dans l’original - Appendice H - Politique d’intérêt public établie en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR pour faciliter le traitement selon les règles de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, à la p 58).
[44] S’il avait voulu invoquer des considérations d’ordre humanitaire, le demandeur aurait dû le faire expressément par l’entremise d’une demande écrite, conformément à l’article 66 du Règlement (Uddin c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1260 au para 13). Il ne pouvait s’attendre à ce que l’agent en tienne compte de sa propre initiative, les motifs humanitaires n’étant pas intégrés dans toutes les dispositions du Règlement (voir par analogie de Guzman c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436 au para 105 et Varga c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 394 au para 13).
[45] En outre, en l’absence de preuve à cet égard, l’agent n’était pas tenue de procéder à une analyse complète d’une question que le demandeur n’a pas pris la peine d’invoquer, bien que c’est à lui qu’incombait le fardeau d’établir l’existence de motifs humanitaires justifiant qu’il soit soustrait à l’une des obligations que lui impose la Loi (Owusu c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 au para 5).
[46] Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[47] Cette affaire ne soulève aucune question grave de portée générale en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La présente demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 23 mars 2012 par un agent de Citoyenneté et Immigration Canada est rejetée.
2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.
3. Le tout sans frais.
« Mary J.L. Gleason »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3277-12
INTITULÉ : IMED ABDERRAHMAN KAWECH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 20 novembre 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : La juge Gleason
DATE DES MOTIFS : Le 22 janvier 2013
COMPARUTIONS :
Me Pierre Langlois POUR LE DEMANDEUR
Me Ian Demers
Me Guillaume Bigaouette POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Pierre Langlois POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
William F. Pentney POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada