Date : 20130201
Dossier : IMM-2249-12
Référence : 2013 CF 114
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), 1er février 2013
En présence de monsieur le juge O’Reilly
Entre :
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DIEGO ALEJANDRO GIRON
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. Aperçu
[1] M. Diego Alejandro Giron a quitté la Colombie en 2006 et a demandé l’asile au Canada sur le fondement de sa crainte des FARC, un groupe de guérilleros. Sa demande a été rejetée.
[2]
M. Giron
a contracté par la suite une maladie non diagnostiquée, peut-être un cancer de
l’estomac. En 2010, au moment même où les symptômes commençaient à apparaître,
il a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations
humanitaires (demande CH). Par la suite, il a demandé un examen des risques
avant renvoi (ERAR). Il a pu fournir davantage de renseignements au sujet de son
état de santé dans sa demande d’ERAR parce que celle-ci a été présentée près d’un
an après la demande CH.
[3]
La
demande d’ERAR et la demande CH de M. Giron se sont toutes les deux soldées
par une décision défavorable. L’agent qui a rendu les décisions a conclu que
les renseignements médicaux n’étaient pas pertinents dans le cadre de l’ERAR et
qu’ils n’avaient pas été inclus dans la demande CH. En conséquence, l’état
de santé de M. Giron n’a pas été pris en compte au moment de déterminer s’il
éprouverait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s’il
était renvoyé du Canada.
[4]
M. Giron
soutient que l’agent l’a traité de manière inéquitable. Puisque c’était le même
agent qui statuait sur la demande d’ERAR et la demande CH en même temps, cet agent
était évidemment au courant des questions médicales et de leur pertinence au
regard de la demande CH.
[5]
M. Giron
soutient également que l’agent n’a pas appliqué le bon critère relatif aux
« difficultés » lorsqu’il a statué sur sa demande CH. Il me demande
d’annuler la décision de l’agent et d’ordonner le renvoi de sa demande CH à un
autre agent pour nouvelle décision.
[6]
Je
conviens avec M. Giron que l’agent l’a traité de manière inéquitable, et j’accueillerai
la présente demande de contrôle judiciaire pour ce motif. Il n’est pas
nécessaire d’examiner l’argument subsidiaire de M. Giron.
[7]
Ainsi,
la seule question en litige est celle de savoir si l’agent a traité M. Giron
de manière inéquitable.
II. La décision de l’agent
[8] L’agent a conclu que M. Giron était parvenu à un degré raisonnable d’établissement au Canada. Puisque les enfants de M. Giron vivent en Colombie, leur intérêt supérieur ne serait pas compromis si M. Giron était renvoyé du Canada. M. Giron pourrait retourner dans son pays d’origine et y trouver de l’emploi.
[9]
Pour
ce qui concerne les risques auxquels M. Giron serait exposé en Colombie, l’agent
a renvoyé à sa conclusion dans sa décision d’ERAR selon laquelle M. Giron
ne serait pas exposé personnellement à un risque en Colombie. L’agent n’a pas
voulu examiner plus avant la question du risque parce qu’il l’avait déjà
examinée dans le contexte de l’ERAR.
III. Le cadre juridique
[10]
Plusieurs
décisions ont examiné l’interrelation entre une demande d’ERAR et une demande
CH :
(1) Durrant
c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 329
[11] Dans sa demande CH originale, déposée en 2006, la demanderesse avait évoqué sa crainte de préjudice. Elle avait été invitée à mettre son dossier à jour et elle avait présenté des observations additionnelles en 2009. Cependant, ces observations n’élaboraient pas au sujet de la crainte en question. Entre-temps, en 2007, elle avait communiqué des renseignements additionnels au sujet de sa crainte de son ancien conjoint de fait sous la forme de lettres de sa mère, d’un ami et d’elle‑même. Ces lettres avaient été versées au dossier d’ERAR. La demande d’ERAR a donné lieu à une décision défavorable et, le lendemain, la demande CH de la demanderesse a été rejetée par la même agente. Dans ses motifs de décision statuant sur la demande CH, l’agente mentionnait les lettres de la demanderesse, mais elle n’en a pas tenu compte dans son analyse parce que les renseignements avaient été communiqués avant qu’il soit demandé à la demanderesse de mettre son dossier à jour. Le juge Leonard Mandamin a noté qu’il n’y avait aucune justification au refus de tenir compte des renseignements mis à jour au sujet du risque. Dans tous les cas, la question du risque avait été soulevée dans la première demande CH et l’agente avait l’obligation d’en tenir compte. Elle semblait ne pas avoir tenu compte des observations originales sur ce point.
[12] Compte tenu de la trame factuelle, la décision Durrant n’étaye pas la proposition selon laquelle un agent CH doit tenir compte d’éléments de preuve produits dans le cadre d’une demande d’ERAR, même si c’est le même agent qui statue sur les deux demandes. Cependant, il est clair que l’agent aurait tenu compte de ces éléments de preuve dans le cadre de la demande CH s’ils avaient été communiqués à la suite de la demande de mise à jour.
(2) Cobe
c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile),
le 13 septembre 2012, IMM-975-12 (CF)
[13] Les auteurs de demandes CH doivent présenter tous leurs éléments de preuve et leurs arguments à l’agent qui rend la décision, même s’ils ont également présenté une demande d’ERAR. La juge Mary Gleason a statué qu’il serait « totalement aberrant que l’obligation des demandeurs de faire valoir leurs arguments dans les demandes CH varie selon qu’ils présentent ou non une demande d’ERAR et, dans l’affirmative, selon que les demandes sont examinées ou non par le même agent ».
(3) Sosi c
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1300
[14] Lorsqu’un agent est appelé à rendre à la fois une décision relative à l’ERAR et une décision CH, « l’ensemble de la preuve offerte par le demandeur quant aux deux questions est pertinente quant aux deux décisions ». Le juge Douglas Campbell a expliqué que l’agent qui rend les décisions « doit posséder une connaissance complète de l’ensemble de la preuve soumise quant aux deux questions et les conclusions de fait, dans les deux demandes, doivent être fondées sur une connaissance de l’ensemble du dossier » (au paragraphe 12). Les demandeurs n’ont pas à « soumettre les mêmes documents pour chacune des demandes lorsque celles‑ci sont inextricablement liées. En effet, comme l’agent des visas devait rendre les deux décisions, cela est tout à fait inutile. » (Au paragraphe 15.) Dans l’affaire Sosi, les deux demandes étaient inextricablement liées parce que l’analyse du risque dans la décision CH était directement tirée de la décision d’ERAR.
IV. Analyse
et décision
[15] De toute évidence, le précédent judiciaire le plus pertinent au regard de la question dont je suis saisi est la décision Sosi. La question qui se pose est celle de savoir si la demande CH et la demande d’ERAR étaient « inextricablement liées » dans le cas de M. Giron. En particulier, l’analyse du risque dans la décision CH était-elle directement tirée de la décision d’ERAR? Dans la décision CH, l’agent a mentionné le risque allégué dans la demande d’ERAR, mais non les éléments de preuve produits récemment au sujet de préoccupations d’ordre médical. Cela semble indiquer, tout naturellement, que l’agent a considéré que les questions soulevées par l’une et l’autre demande étaient interreliées.
[16] À mon avis, dans des circonstances où l’agent qui statue sur la demande CH a également procédé à l’ERAR, et lorsque cet agent s’appuie sur l’analyse faite dans le cadre de l’ERAR pour trancher la question des difficultés dans la décision CH, l’équité commande que l’agent tienne compte de toutes les observations présentées dans le cadre de la demande d’ERAR.
[17]
C’est
essentiellement l’agent, et non le demandeur, qui établit un lien entre l’appréciation
du risque dans le cadre de l’ERAR et l’analyse des difficultés dans le cadre de
la demande CH. Le demandeur a droit à une évaluation complète de sa
demande CH. Si l’agent choisit d’importer dans sa décision CH l’analyse
qu’il a faite dans le cadre de l’ERAR, le demandeur est en droit de s’attendre
à ce que toutes les observations pertinentes présentées dans la demande d’ERAR
soient également prises en compte. En échange d’une analyse complète des
difficultés dans le cadre de sa demande CH, le demandeur devrait
raisonnablement pouvoir s’attendre à ce que les éléments de preuve pertinents
présentés au soutien de sa demande d’ERAR soient également pris en compte dans
la décision statuant sur sa demande CH.
[18]
Par
conséquent, je conclus que M. Giron a été traité de manière inéquitable. En
somme, l’agent a importé dans sa décision CH l’analyse qu’il avait faite dans
sa décision d’ERAR, mais ce, en laissant de côté certains éléments de preuve
pertinents. Pour ce motif, j’accueillerai la présente demande de contrôle
judiciaire et j’ordonnerai que la demande CH de M. Giron soit
renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision. Ni l’une ni l’autre des
parties ne m’a proposé de question de portée générale à certifier, et aucune n’est
énoncée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que :
1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un agent différent pour nouvelle décision.
2. Aucune question de portée générale n’est énoncée.
« James W. O’Reilly »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2249-12
INTITULÉ : DIEGO ALEJANDRO GIRON
c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 21 novembre 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE O’REILLY
DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT : Le 1er février 2013
COMPARUTIONS :
Sarah Boyd Meghan Wilson
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POUR LE DEMANDEUR
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Stephen Jarvis |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Jackman and Associates Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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William F. Pentney Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |