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Date : 20130114

Dossier : T‑116‑10

Référence : 2013 CF 27

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

 

AVOCATS SANS FRONTIÈRES QUÉBEC

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LAWYERS WITHOUT BORDERS, INC.

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEMIEUX

 

I.  Introduction

[1]               Notre Cour a accueilli le 29 novembre 2012 la demande formée le 16 janvier 2010 par la demanderesse, Avocats Sans Frontières Québec (la demanderesse ou ASFQ), sous le régime de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi), en vue d’obtenir la radiation de la marque de commerce « Lawyers Without Borders » (LWOB), inscrite au registre par le registraire des marques de commerce (le registraire) le 27 janvier 2005 sur demande d’enregistrement en date du 15 octobre 2003 produite par Lawyers Without Borders Inc. (la défenderesse ou LWOB Inc), société américaine sise à Hartford (Connecticut), demande d’enregistrement fondée sur l’emploi de cette marque au Canada depuis au moins juillet 2001 en liaison avec des services juridiques. LWOB Inc, constituée par Christina Storm, avait obtenu le 4 novembre 2003 l’enregistrement aux États‑Unis de la marque de commerce LWOB sur le fondement de son emploi dans ce pays en liaison avec des services juridiques depuis le 31 janvier 2000.

 

[2]               Nous exposons ici les motifs pour lesquels la Cour a accueilli la demande de radiation formée par ASFQ, société sans but lucratif constituée le 23 octobre 2002 et membre du mouvement international Avocats Sans Frontières lancé en Belgique en 1992 après les massacres du Rwanda.

 

[3]               L’article 57 de la Loi, en vertu duquel ASFQ a déposé sa demande de radiation, est libellé comme suit :

57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

 

(2) Personne n’a le droit d’intenter, en vertu du présent article, des procédures mettant en question une décision rendue par le registraire, de laquelle cette personne avait reçu un avis formel et dont elle avait le droit d’interjeter appel.

 

57. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark.

 

(2) No person is entitled to institute under this section any proceeding calling into question any decision given by the Registrar of which that person had express notice and from which he had a right to appeal.

 

 

[4]               ASFQ fonde sa demande de radiation sur l’allégation que l’enregistrement de la marque de commerce LWOB est invalide sous le régime de l’article 18 de la Loi, ainsi rédigé :

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

 

a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement [cette date est le 27 janvier 2005];

 

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement [cette date est le 16 janvier 2010];

 

c) la marque de commerce a été abandonnée.

 

Sous réserve de l’article 17, l’enregistrement est invalide si l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit de l’obtenir.

 

(2) Nul enregistrement d’une marque de commerce qui était employée au Canada par l’inscrivant ou son prédécesseur en titre, au point d’être devenue distinctive à la date d’enregistrement, ne peut être considéré comme invalide pour la seule raison que la preuve de ce caractère distinctif n’a pas été soumise à l’autorité ou au tribunal compétent avant l’octroi de cet enregistrement.

 

[Je souligne.]

 

18. (1) The registration of a trade‑mark is invalid if

 

 

(a) the trade‑mark was not registrable at the date of registration, [that date is January 27, 2005]

 

(b) the trade‑mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced [that date is January 16, 2010], or

 

 

(c) the trade‑mark has been abandoned,

 

and subject to section 17, it is invalid if the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration.

 

(2) No registration of a trade‑mark that had been so used in Canada by the registrant or his predecessor in title as to have become distinctive at the date of registration shall be held invalid merely on the ground that evidence of the distinctiveness was not submitted to the competent authority or tribunal before the grant of the registration.

 

 

[Emphasis added]

 

 

En termes plus particuliers, ASFQ avance les moyens suivants :

a)                  À la date de l’enregistrement de la marque de commerce LWOB, soit au 27 janvier 2005, LWOB Inc ne l’avait pas employée de la manière exposée dans sa demande d’enregistrement. Cette allégation de la demanderesse soulève la question de savoir si LWOB Inc a employé la marque « LWOB » au Canada en liaison avec des services juridiques.

b)                  Au 26 janvier 2010, date où la présente demande de radiation a été portée devant notre Cour, la marque de commerce LWOB n’était pas distinctive des activités de son propriétaire, LWOB Inc, mais plutôt de celles d’ASFQ.

c)                  LWOB Inc a abandonné la marque de commerce LWOB.

d)                 À la date où LWOB Inc a produit sa demande d’enregistrement, soit au 25 octobre 2003, ASFQ, plutôt que LWOB, était la personne ayant droit d’en obtenir l’enregistrement au Canada. Cette allégation d’ASFQ soulève les questions de savoir qui, d’elle‑même ou de LWOB, a employé en premier lieu la marque de commerce LWOB au Canada, et de quand date ce premier emploi.

 

[5]               La Cour statue qu’ASFQ a prouvé que l’enregistrement de la marque de commerce LWOB au Canada est invalide pour deux motifs : 1) au moment de la production de la demande de radiation, soit au 26 janvier 2010, la marque de commerce déposée « Lawyers Without Borders » ne distinguait pas véritablement les services en liaison avec lesquels elle était employée par LWOB Inc, ni n’était adaptée à les distinguer ainsi, mais elle était plutôt distinctive des activités exercées par ASFQ depuis 2002.

 

[6]               Notre Cour conclut également que, à la date où LWOB Inc a produit sa demande d’enregistrement de la marque considérée, c’est‑à‑dire au 25 octobre 2003, ASFQ, plutôt que LWOB, était la personne ayant droit d’en obtenir l’enregistrement au Canada.

 

[7]               Par conséquent, notre Cour n’a pas à prononcer sur les deux autres motifs d’invalidité invoqués par ASFQ.

 

II.  Dispositions définitoires essentielles et autres dispositions applicables

[8]               Les dispositions interprétatives de l’article 2 de la Loi définissent les termes et expressions essentiels que sont : 1) « marque de commerce », 2) « emploi », 3) « distinctive » et 4) « créant de la confusion ». Voici le texte de ces définitions :

« marque de commerce » Selon le cas :

 

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres;

 

b) marque de certification;

 

c) signe distinctif;

 

d) marque de commerce projetée.

 

 

« emploi » ou « usage » À l’égard d’une marque de commerce, tout emploi qui, selon l’article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou services.

 

 

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

 

 

« créant de la confusion » Relativement à une marque de commerce ou un nom commercial, s’entend au sens de l’article 6.

 

 

 

 

[Je souligne.]

 

“trade‑mark” means

 

 

(a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others,

 

 

 

(b) a certification mark,

 

(c) a distinguishing guise, or

 

(d) a proposed trade‑mark;

 

 

 

“use”, in relation to a trade‑mark, means any use that by section 4 is deemed to be a use in association with wares or services;

 

 

 

“distinctive”, in relation to a trade‑mark, means a trade‑mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

 

 

 

 

“confusing”, when applied as an adjective to a trade‑mark or trade‑name, means a trade‑mark or trade‑name the use of which would cause confusion in the manner and circumstances described in section 6;

 

[Emphasis added]

 

 

[9]               Diverses autres dispositions de la Loi, énumérées ci‑dessous, peuvent guider l’examen des faits sous‑jacents à la présente affaire :

a)                  Le paragraphe (1) de l’article 4 énonce les conditions auxquelles une marque de commerce est réputée « employée » en liaison avec des « marchandises », et son paragraphe (2), les conditions auxquelles elle est réputée employée en liaison avec des « services », ce dernier terme n’étant pas défini. En résumé, une marque de commerce est réputée employée « si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services ».  

b)                  L’article 5 de la Loi énumère les conditions auxquelles une personne est réputée faire connaître une marque de commerce au Canada. Elle est ainsi réputée seulement si elle l’emploie dans un pays déterminé de l’Union (c’est‑à‑dire un État partie à la Convention d’Union de Paris, intervenue en 1883, en sa version modifiée), et que les services en question sont annoncés en liaison avec cette marque.

c)                  L’article 6 de la Loi porte sur le point de savoir dans quels cas une marque crée de la confusion et sur les facteurs dont il faut tenir compte pour décider cette question. Le concept clé à cet égard est formulé au paragraphe 6(2), qui dispose que « [l’]emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises [...] ou que les services liés à ces marques sont [...]exécutés [...] par la même personne ».

d)                 L’article 12 de la Loi dispose que, sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf si elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée.

e)                  L’article 16 de la Loi définit la personne qui est admise à l’enregistrement d’une marque de commerce. Est ainsi admise la personne qui, entre autres critères, a [employé] ou fait connaître au Canada [cette marque] en liaison avec des marchandises ou services, à moins que, à la date où elle l’a en premier lieu ainsi employée ou révélée, ladite marque n’ait créé de la confusion avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne.

 

[10]           Dans la présente procédure de radiation, ASFQ, société sans but lucratif de droit québécois constituée le 23 octobre 2002, fait valoir l’emploi au Canada de trois marques de commerce, « Avocats Sans Frontières », « Lawyers Without Borders » et « ASF », en liaison avec les mêmes marchandises et services. Les marchandises sont des publications (c’est‑à‑dire des bulletins). Les services sont de natures diverses : 1) organiser et exécuter à l’étranger des missions et des projets de coopération internationale visant à élargir l’accès à la justice et à consolider les droits de la personne dans les pays en développement au moyen de la prestation de services juridiques par des avocats canadiens bénévoles; 2) mener au Canada des campagnes importantes de collecte de fonds en vue de financer les activités d’ASFQ; 3) organiser des conférences et des séances d’information concernant ces mêmes activités; et 4) maintenir des liens avec les facultés de droit canadiennes et leurs étudiants qui, sous la supervision d’ASFQ, contribuent à la réalisation de ces objectifs.

 

[11]           Au printemps 2008, ASFQ a demandé à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (l’OPIC) l’enregistrement des trois marques de commerce susdites en se fondant sur leur emploi au Canada selon les modalités suivantes :

a)                  Avocats Sans Frontières : 1) en liaison avec ses activités depuis au moins novembre 2002 (avec des conférences depuis au moins juin 2003), et avec des marchandises depuis juin 2005.

b)                  Lawyers Without Borders : 1) en liaison avec ses activités depuis au moins novembre 2002 (avec des conférences depuis au moins juin 2003), et avec des marchandises depuis novembre 2006.

c)                  ASF : (1) en liaison avec ses activités depuis novembre 2002 (avec des conférences depuis au moins juin 2003), et avec des marchandises depuis au moins novembre 2006.

 

[12]           ASFQ a réussi à obtenir l’enregistrement de la marque « ASF » en liaison avec les marchandises et services décrits ci‑dessus. Cette marque a été enregistrée le 12 mai 2010.

 

[13]           ASFQ n’a pas réussi à obtenir l’enregistrement des marques « Avocats Sans Frontières » ni « Lawyers Without Borders » en liaison avec l’organisation et l’exécution de projets de coopération internationale, l’organisation et la tenue de conférences, et la production de publications. Le 9 février 2009, un examinateur de l’OPIC a avisé ASFQ que ces deux marques de commerce n’étaient pas enregistrables sous le régime de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, en raison d’une probabilité de confusion avec la marque de commerce « Lawyers Without Borders » enregistrée par LWOB Inc le 27 janvier 2005.

 

[14]           ASFQ n’a pas poursuivi l’affaire parce que ses avocats étaient à l’époque engagés dans une autre procédure devant l’OPIC. Cette procédure consistait en une demande fondée sur l’article 45 de la Loi, tendant à obtenir la radiation de l’enregistrement de la marque « Lawyers Without Borders » de LWOB Inc pour défaut d’emploi et, en termes plus particuliers, parce que l’emploi de cette marque par LWOB Inc n’était pas un emploi en liaison avec des services juridiques.

 

[15]           Dans cette procédure relevant de l’article 45, ASFQ et LWOB Inc ont toutes deux produit des éléments de preuve documentaire concernant l’emploi de la marque par chacune d’elles entre le 30 juin 2005 (date de l’enregistrement de cette marque par LWOB Inc) et le 30 juin 2008 (date de l’avis que prévoit l’article 45 touchant le défaut d’emploi).

 

[16]           Le 18 octobre 2010, le membre de la COMC P. Heidi Sprung a rejeté la demande de radiation formée par la demanderesse sous le régime de l’article 45, ayant conclu que LWOB Inc avait employé sa marque de commerce déposée LWOB en liaison avec des « services juridiques » au Canada; voir la décision 2010 COMC 169. Les services juridiques que LWOB avait spécifiés et auxquels ASFQ contestait cette nature étaient les suivants :

[TRADUCTION]

                Coordonner la prestation de services juridiques à des organismes canadiens, notamment à des organisations non gouvernementales comme Los Pescadores de La Playita, active en 2006 et appuyée par l’intermédiaire d’étudiants en droit de l’Université McGill.

                Fournir des services de consultation à des organismes et/ou à des avocats canadiens pour l’élaboration et la mise en œuvre à l’échelle mondiale de programmes de primauté du droit faisant appel à des avocats canadiens.

                Superviser et diriger les avocats canadiens travaillant dans des programmes de primauté du droit à l’échelle mondiale.

                Effectuer des recherches sur des questions juridiques.

                Offrir aux étudiants en droit, avocats, organismes juridiques, instances subventionnaires et magistrats canadiens des services de consultation relative à la prestation de services juridiques gratuits.

 

[17]           Mme Sprung a conclu qu’aucun des éléments énumérés ci‑dessus n’était assimilable à la prestation de services juridiques sauf le premier, c’est‑à‑dire la coordination de services juridiques.

 

III.       Les prétentions et moyens de la demanderesse

[18]           ASFQ a déposé quatre affidavits au soutien de son action en radiation.

 

a)  L’affidavit de Me Pascal Paradis

[19]           Le principal de ces affidavits est celui de Me Pascal Paradis, avocat, membre fondateur d’ASFQ (en 2002) et son directeur général depuis 2004. Cet affidavit, daté du 10 juin 2010 et rédigé en français, compte 62 paragraphes et est accompagné de 75 pièces qui font au total 713 pages.

 

[20]           L’affidavit de Me Paradis a pour objet d’étayer les allégations avancées par ASFQ dans la présente instance, en particulier l’allégation selon laquelle, depuis au moins 2002, elle emploie ses trois marques de commerce (« Avocats Sans Frontières », « Lawyers Without Borders » et « ASF ») en liaison avec ses marchandises et services, à savoir : l’organisation et l’exécution de projets de coopération internationale, les campagnes de collecte de fonds visant à financer ces projets et missions, ainsi que l’organisation de conférences touchant ses activités.

 

[21]           Me Paradis ajoute que, en plus de remplir ces tâches, ASFQ (l’organisation constituée en société) est reconnue comme un acteur important dans le domaine de la coopération internationale en matière judiciaire, étant subventionnée à ce titre par le ministère canadien des Affaires étrangères et du Commerce international (le MAECI) aussi bien que par l’Agence canadienne de développement international (l’ACDI). Il ajoute qu’ASFQ est aussi subventionnée par l’État provincial et des administrations municipales, à hauteur totale de plus de 600 000 $ à la date de l’affidavit.

 

[22]           Me Paradis déclare qu’ASFQ dirige depuis mai 2002 un organisme sans but lucratif dont la mission est de défendre les droits humains des personnes et groupes vulnérables dans les États fragiles en élargissant l’accès à la justice et à la représentation par avocat; dans ce contexte, précise‑t‑il, ASFQ a participé à au moins 70 missions humanitaires au Canada et dans 12 autres pays, principalement en Colombie, en Haïti et au Guatemala, où elle est présente depuis 2003, 2006 et 2009 respectivement.

 

[23]           ASFQ exerce aussi au Canada, en liaison avec ses trois marques de commerce, d’importantes activités de collecte de fonds qui lui ont jusqu’à maintenant rapporté plus de 685 000 $ en dons du public.

 

[24]           ASFQ dispose, à la date de l’affidavit de Me Paradis, d’un personnel de huit agents à plein temps et d’un conseil d’administration de sept membres dirigé par l’ancienne juge de la Cour suprême du Canada Claire L’Heureux‑Dubé. Soutenue en outre par de nombreux sympathisants d’un océan à l’autre, l’organisation peut actuellement faire état d’un budget annuel de plus de 2,6 millions de dollars.

 

[25]           Me Paradis ajoute que, afin de recruter des avocats et autres gens de loi pour ses missions, ASFQ organise depuis juin 2002 des rencontres et des campagnes ou séances de recrutement au Canada, toujours en liaison avec ses trois marques de commerce ou une partie d’entre elles. Il joint à son affidavit un appel à services juridiques bénévoles qu’il affirme avoir été diffusé sur les sites Web, locaux aussi bien que provinciaux, du Barreau du Québec.

 

[26]           Il déclare aussi que, depuis juin 2002, ASFQ a employé ses marques de commerce à de nombreuses reprises d’un océan à l’autre, en français et en anglais, aux fins de la promotion de ses services. ASFQ dispose d’un site Web depuis 2004, publie sur Internet un bulletin en liaison avec ces marques depuis 2005, et tient depuis novembre 2006 un blogue à l’intention des milieux juridiques canadiens pour les tenir constamment au courant de ses activités.

 

[27]           On lit également dans le même affidavit qu’ASFQ compte de nombreux membres à travers le pays, 200 en règle actuellement, 500 personnes y ayant adhéré à un moment où l’autre. Les membres pris individuellement fournissent des services juridiques bénévoles en collaboration avec leurs homologues étrangers.

 

[28]           Me Paradis précise qu’ASFQ bénéficie de l’appui de l’Association du Barreau canadien, ainsi que de multiples cabinets d’avocats, grandes entreprises et facultés de droit à l’échelle du pays.

 

[29]           L’affidavit de Me Paradis montre, preuve à l’appui, qu’ASFQ et ses trois marques de commerce ont été citées depuis le 15 juin 2002 au moins 150 fois par d’importants journaux canadiens de diffusion nationale, dans des articles destinés au grand public aussi bien qu’aux milieux juridiques, ainsi qu’à la radio et à la télévision, par exemple à Radio‑Canada et à la CBC (voir aussi la pièce 14 annexée à l’affidavit). L’examen de la liste de ces organes médiatiques permet d’y retrouver les plus importants du pays, en français comme en anglais.

 

[30]           Me Paradis déclare en outre, pièces à l’appui, qu’ASFQ promeut elle‑même ses activités en liaison avec ses marques de commerce, faisant état de 30 communiqués de presse diffusés depuis le 10 février 2003.

 

[31]           Il précise que les activités et les missions humanitaires d’ASFQ ont exigé depuis mai 2002 l’organisation de plus de 100 réunions en liaison avec ses marques de commerce, et que cette société a organisé plus de 100 conférences et séances publiques d’information en liaison avec les mêmes marques.

 

[32]           Du paragraphe 23 au paragraphe 55 de son affidavit, Me Paradis expose de manière très détaillée, pièces à l’appui encore une fois, l’emploi qu’a fait ASFQ de ses trois marques de commerce (Avocats Sans Frontières, Lawyers Without Borders et ASF) en liaison avec ses multiples activités, soit : la publication de bulletins depuis juin 2005, la gestion d’un site Internet de janvier 2004 à mai 2010 (6 855 visites en moyenne mensuelle, 8 172 consultations de 27 pages et 2 527 téléchargements), la tenue d’un blogue depuis novembre 2006, à quoi il faut ajouter l’emploi lié à l’organisation des missions à l’étranger, à des conférences et à d’importantes activités de collecte de fonds.

 

[33]           Me Paradis traite aussi de la défenderesse LWOB Inc. Il affirme que, à la date de la signature de son affidavit, soit au 10 juin 2010, il n’avait connaissance d’aucune activité de LWOB Inc au Canada. Il déclare également qu’il a rencontré dans un cocktail le 25 mars 2009 un dénommé Jerry Kovacs, qui lui a dit que Christina Storm, la fondatrice de LWOB Inc, l’avait chargé d’établir une section de cette organisation au Canada, d’où il faut conclure que LWOB Inc n’avait pas à cette date de section canadienne.

 

b) L’affidavit de Catherine McKenna

[34]           Madame Catherine McKenna, directrice administrative de l’organisme Avocats canadiens à l’étranger (ACE) depuis janvier 2005, déclare dans son affidavit que, en septembre 2004 ou à peu près, Yasmin Shaker et elle‑même sont entrées en discussion avec Christina Storm, qui a fondé LWOB Inc en 2000, afin d’étudier la possibilité de créer une section canadienne de celle‑ci. Cette initiative n’a pas porté fruit. Mme McKenna n’a pas été contre‑interrogée.

 

c) L’affidavit de Gail Davidson

[35]           Madame Gail Davidson, directrice administrative de Lawyer Rights Watch Canada (LRWC) depuis sa constitution en 2002, déclare connaître les milieux juridiques qui œuvrent à la défense des droits de la personne et de la primauté du droit à l’échelle internationale en protégeant ceux qui les défendent. Elle explique que, dans l’exécution du mandat de LRWC, elle travaille couramment avec des ONG de défense des droits de la personne à travers le monde, notamment avec ASFQ. Elle ne fait pas mention de LWOB Inc. Gail Davidson n’a pas été contre‑interrogée. On peut lire ce qui suit aux paragraphes 5 à 9 de son affidavit :

[TRADUCTION]

 

J’ai lu l’affidavit de Christina Storm, signé le 13 août 2010, ainsi que les pages 27 et 28 de la version abrégée de la transcription du contre‑interrogatoire qu’elle a subi le 9 novembre 2010. Le présent affidavit est une réponse à ces déclarations.

 

À la fin de l’été ou au début de l’automne 2003, j’ai été contactée en ma qualité de directrice administrative de LRWC par une dénommée Christina Storm, qui s’est présentée comme étant en train de mettre sur pied un organisme du type « avocats sans frontières » (lawyers without borders) aux États‑Unis. Mme Storm et moi avons tous deux exprimé l’intérêt que présentait pour nous la perspective d’une éventuelle collaboration.

 

Madame Storm m’a informée qu’elle avait pour priorité d’assurer un financement solide à l’organisme envisagé avant d’entreprendre des travaux importants, mais que son groupe pourrait peut‑être fournir de l’aide en matière de recherche.

 

En octobre 2003 ou à peu près, j’ai répondu à Mme Storm en m’enquérant auprès d’elle de la possibilité que son groupe fournisse à LRWC des services de recherche pour l’exécution d’un projet relatif au droit d’être représenté par un avocat de son choix. Autant que je me souvienne, Mme Storm ne nous a pas apporté l’aide que nous demandions.

 

LRWC n’a jamais travaillé avec l’organisme de Mme Storm. En termes plus particuliers :

 

         a)      autant que je me souvienne, Mme Storm n’a jamais mis LRWC en rapport avec des bénévoles ni des organisations étudiantes;

 

         b)      ni Mme Storm ni son organisme n’ont à un quelconque moment fourni de services juridiques à LRWC, ni ne lui ont fourni ou offert de services de gestion, de surveillance ou de contrôle de la qualité.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

d) L’affidavit de Mme Denise Pope

[36]           Madame Denise Pope est assistante juridique au cabinet d’avocats qui représente ASFQ devant moi. Elle n’a pas été contre‑interrogée. Elle rend compte des résultats de ses recherches documentaires. Elle a consulté le 16 juin 2010 le site Internet de LWOB Inc et les dossiers de l’Agence du revenu du Canada sur les organismes de bienfaisance travaillant au Canada. Elle a pu trouver un affidavit déposé par Mme Storm dans la procédure relevant de l’article 45 que, comme on l’a vu plus haut, ASFQ avait introduite. On peut lire ce qui suit au paragraphe 3 de cet affidavit, daté du 30 décembre 2008 : 

[TRADUCTION]

 

[La marque de commerce LWOB] est enregistrée [au Canada] en liaison avec des « services juridiques », et LWOB a fourni des services juridiques au Canada sans interruption depuis au moins le 15 octobre 2003. Je peux confirmer, pour plus de certitude, que LWOB fournissait des services juridiques au Canada en liaison avec la marque de commerce LAWYERS WITHOUT BORDERS dans la période de juin 2005 à juin 2008 inclusivement et continue de le faire. Ces services juridiques que LWOB a offerts et fournis au Canada, et continue d’y offrir, en liaison avec la marque de commerce LAWYERS WITHOUT BORDERS revêtent les formes suivantes :

 

a.   coordonner la prestation de services juridiques à des organismes canadiens, notamment à des organisations non gouvernementales comme Los Pescadores de La Playita, active en 2006 et appuyée par l’intermédiaire d’étudiants en droit de l’Université McGill;

b.   fournir des services de consultation à des organismes et/ou à des avocats canadiens pour l’élaboration et la mise en œuvre à l’échelle mondiale de programmes de primauté du droit faisant appel à des avocats canadiens;

c.   superviser et diriger les avocats canadiens travaillant dans des programmes de primauté du droit à l’échelle mondiale;

c.   (sic) effectuer des recherches sur des questions juridiques;

d.   offrir aux étudiants en droit, avocats, organismes juridiques, instances subventionnaires et magistrats canadiens des services de consultation relative à la prestation de services juridiques gratuits

[Non souligné dans l’original.]

 

[37]           Mme Storm ajoute, dans son affidavit de décembre 2008, que LWOB Inc dispose depuis au moins 2003 d’un représentant permanent à Toronto en la personne de Marion Williams. Mme Storm décrit dans les termes suivants les activités de Mme Williams :

[TRADUCTION] Mme Williams dirige le travail de bénévoles canadiens, les relations diplomatiques et d’autres formes de participation canadienne au travail de LWOB à partir de ses bureaux torontois. Parmi les activités relatives à la prestation de services juridiques par LWOB en liaison avec la marque de commerce LAWYERS WITHOUT BORDERS qu’elle a dirigées au Canada entre juin 2005 et juin 2008, citons : l’établissement et la rédaction de demandes de subventions, le financement de programmes de réseautage, la participation à une séance d’information diplomatique sous forme de déjeuner de travail au Canada, la tenue de documentation et l’aide aux personnes qui viennent au Canada de pays où il peut leur être interdit de transporter certains documents.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[38]           Mme Pope a aussi déposé un autre document qu’elle a extrait du site Web de LWOB Inc, à savoir un formulaire d’accueil pour ONG ayant besoin de services juridiques bénévoles. On trouve l’avis suivant au bas de ce document :

[TRADUCTION] NOTA : Il ne sera pas créé de relation avocat‑client entre votre organisation et LWOB ou tout cabinet d’avocats destinataire de votre demande avant la signature par les deux parties d’un mandat de représentation en bonne et due forme. LWOB ne représente pas les ONG ni les personnes physiques.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

IV.  Les prétentions et moyens de la défenderesse

[39]           LWOB Inc a déposé l’affidavit de Christina Storm à l’appui de son opposition à la demande de radiation formée par ASFQ. Cet affidavit a été souscrit le 13 août 2010. Mme Storm a été contre‑interrogée. Elle est directrice administrative et présidente de LWOB Inc depuis qu’elle l’a fondée au début des années 2000. Elle est salariée de cette société depuis 2006. LWOB Inc comptait en tout cinq salariés et faisait appel à un consultant externe à la date de son affidavit.

 

[40]           Mme Storm précise, pour ce qui concerne le Canada, que LWOB Inc y exerçait ses activités dès 2001 et que [TRADUCTION] « depuis lors, nous avons promu activement et sans interruption LWOB, ses objectifs et sa vision auprès des milieux juridiques canadiens ». Elle définit les objectifs de LWOB Inc de la manière suivante dans cet affidavit en date d’août 2010 :

[TRADUCTION]

a)   fournir aux milieux juridiques canadiens, notamment aux avocats, ainsi qu’aux facultés, étudiants et professeurs de droit, des ressources pour entrer en rapport avec la communauté internationale des gens de loi bénévoles;

b)   offrir aux bénévoles résidant au Canada la possibilité de participer à des programmes de primauté du droit, de mentorat, de sensibilisation des collectivités et d’éducation juridique dans les pays en développement;

c)   mettre en rapport les ONG canadiennes avec des bénévoles en vue de projets centrés sur le droit destinés au Canada ou à l’étranger;

d)   offrir aux étudiants en droit canadiens la possibilité de participer à des projets de recherche juridique au Canada;

e)   promouvoir LWOB et ses projets dans les milieux juridiques canadiens, notamment auprès des étudiants et professeurs de droit, des avocats, des cabinets d’avocats et des juges.

 

 

[41]           Je récapitule ci‑dessous les principaux éléments de l’affidavit de Mme Storm.

 

[42]           Aux paragraphes 6 et 7, elle parle d’une avocate canadienne, Mme Marion Williams, qui [TRADUCTION] « travaille sous la direction de LWOB depuis sa fondation et en est la représentante au Canada depuis 2001 ou à peu près ». Elle ajoute : « Mme Williams a participé à la création du modèle de bénévolat que LWOB applique aujourd’hui. Par exemple, elle a aidé LWOB à démontrer que les avocats de partout dans le monde peuvent, et à montrer comment ils peuvent, contribuer au moyen de leurs compétences diverses à l’exécution de programmes de primauté du droit dans un pays en développement. Mme Williams a aussi participé à la définition des compétences génériques des avocats à l’échelle mondiale, en particulier au Canada, ainsi que de la manière dont ces compétences devraient être mises en œuvre pour répondre aux besoins juridiques des pays en développement. » Mme Storm annexe à son affidavit, sous la cote A, une copie d’un rapport établi par Mme Marion Williams.

 

[43]           Mme Storm déclare au paragraphe 7 du même affidavit que, dans le cadre de son travail à LWOB, Mme Williams a joué un rôle moteur dans le projet de cette organisation axé sur les enfants africains en rédigeant des propositions à l’intention des services subventionnaires de l’État canadien, et qu’elle a dirigé une équipe de bénévoles canadiens désireux d’engager LWOB dans des projets de primauté du droit en Afrique. Mme Storm conclut dans les termes suivants :

[TRADUCTION] [Mme Williams] s’est révélée être une personne‑ressource essentielle pour LWOB dans ses relations avec les bénévoles et l’État au Canada. Le plus souvent, les demandes de renseignements venant du Canada étaient dirigées vers elle ou entraînaient sa participation. Elle a systématiquement été une vigoureuse promotrice et représentante de LWOB depuis que celle‑ci a commencé officiellement ses activités au Canada en 2001.

 

 

[44]           Au paragraphe 8 de son affidavit, Mme Storm explique que les représentants de LWOB font de la publicité pour celle‑ci et ses services juridiques chaque fois qu’ils sont [TRADUCTION] « invités à participer à des conférences, à des séminaires, à des salons de carrières, ou à des rencontres organisées par des universités ou des cabinets d’avocats », précisant que [TRADUCTION] « ces activités de promotion comprennent la production de bulletins et la gestion du site Web de LWOB, sur lesquels figure bien en vue sa marque de commerce “Lawyers Without Borders” ». Elle ajoute qu’elle a participé en 2001, en Nouvelle‑Écosse, à un programme d’éducation relatif au maintien de la paix, qu’elle y a fait de la publicité pour LWOB au moyen d’un matériel promotionnel où apparaît la marque de commerce LWOB en liaison avec les services juridiques que LWOB Inc offre au Canada et à l’étranger, et qu’elle y est [TRADUCTION] « entrée en rapport avec de nombreuses personnes, avocats aussi bien que non‑avocats, dont certaines sont devenues des partenaires de notre travail ». Elle précise avoir fait alors la connaissance d’un formateur du Centre Pearson pour le maintien de la paix nommé Peter Bach, qui a contribué au numéro d’avril 2002 du bulletin de LWOB Inc, annexé à son affidavit sous la cote B.

 

[45]           Mme Storm déclare au paragraphe 9 de son affidavit :

[TRADUCTION] Vers 2003, des représentants de LWOB au Canada (soit Mme Marion Williams et M. Hamid Mojtahedi) ont participé à au moins une conférence de carrières, tenue à l’Université McGill, afin d’y promouvoir le travail qu’accomplissait LWOB au Canada et à l’étranger. Leur but était de sensibiliser les participants à LWOB, d’établir des liens avec les étudiants et les professeurs de droit, et de leur présenter les possibilités de bénévolat que LWOB avait à leur offrir. On trouvera ci‑annexée, sous la cote W, une photographie prise pendant cette conférence. Les participants à celle‑ci ont été dirigés vers le site Web de LWOB, qui a toujours affiché la marque de commerce LAWYERS WITHOUT BORDERS.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[46]           Elle déclare ensuite que M. Hamid Mojtahedi est allé en Iran deux fois pour le compte de LWOB afin d’y observer un ou plusieurs procès, et qu’il s’est récemment porté volontaire pour s’y rendre une troisième fois au nom du même organisme dans le but d’observer tout procès auquel pourraient être soumis trois citoyens américains arrêtés pour espionnage. Elle précise également que, à l’été 2010, elle s’est entretenue avec un juge canadien au sujet de la possibilité de créer un programme de formation en français sur les différences entre les procès de common law et les procès de droit civil, en vue d’un projet en Afrique de l’Ouest francophone.

 

[47]           Mme Storm expose au paragraphe 12 de son affidavit [TRADUCTION] « les efforts déployés à diverses périodes » par des tiers pour établir un centre d’opérations de LWOB au Canada. Elle explique que dans les deux cas les discussions ont échoué parce que [TRADUCTION] « les tiers en question voulaient employer la marque de commerce LWOB, mais sans faire état dans leur publicité d’aucun lien avec le siège mondial de LWOB ni voir siéger à leur conseil aucun membre de LWOB domicilié aux États‑Unis ». Elle ajoute que [TRADUCTION] « l’un des groupes qui ont fait scission d’avec les bénévoles de LWOB a fondé par la suite une ONG connue sous le nom de "Canadian Lawyers Abroad /Avocats canadiens à l’étranger" ».

 

[48]           Elle déclare au paragraphe 13 de son affidavit que LWOB Inc met en rapport les ONG canadiennes en quête de services juridiques au Canada avec des organisations étudiantes et/ou des avocats de notre pays. Elle ajoute ce qui suit à ce sujet :

[TRADUCTION] LWOB assure à divers degrés, selon les prestataires en cause, la gestion, la supervision et le contrôle de la qualité des services juridiques fournis, que ce soit par ses représentants ou par d’autres. Par exemple, vers 2003, nous avons mis en rapport Lawyers Rights Watch Canada avec des bénévoles, ainsi qu’avec un groupe d’étudiants de l’Université d’Ottawa. À peu près à la même époque, nous avons déployé (quoique en vain) des efforts considérables pour trouver un avocat bénévole à l’ONG canadienne RESPECT (Programme de parrainage pour l’éducation sur les réfugiés : Améliorons les communautés ensemble), qui avait présenté sur notre site Web, où était employée la marque de commerce LAWYERS WITHOUT BORDERS, une demande d’aide bénévole.

 

 

[49]           Au paragraphe suivant de son affidavit, Mme Storm fait valoir que LWOB Inc a assuré en 2006 au profit de MBA’s Without Borders, ONG ayant son siège à Ottawa, la prestation et le contrôle de la qualité des services d’avocats bénévoles ci‑dessous :

a)                  l’examen et la mise à jour des modèles de contrats existants;

b)                  l’élaboration de nouveaux contrats et de nouvelles politiques;

c)                  la prestation au conseil d’administration de recommandations sur la gouvernance de l’organisation et le contrôle préalable;

d)                 la prestation de conseils fiscaux et de conseils généraux en matière d’organisation;

e)                  l’enregistrement aux fins d’exonération fiscale des bureaux régionaux étrangers.

 

[50]           Elle joint à son affidavit sous la cote V un document de MBA’s Without Borders intitulé [TRADUCTION] « Demande d’aide juridique bénévole ».

 

[51]           Mme Storm déclare au paragraphe 15 de son affidavit que LWOB Inc propose depuis 2002 sur Internet un [TRADUCTION] « tableau d’offres » à l’intention des demandeurs d’emploi – stagiaires, étudiants et avocats – souhaitant participer, au Canada ou ailleurs, à des projets internationaux de primauté du droit, et que la marque de commerce LWOB apparaît bien en vue sur ce tableau. Elle ne mentionne cependant comme abonné que l’Université McGill, qui a payé [TRADUCTION] « pendant plusieurs années » les droits donnant accès audit tableau d’offres. Mme Storm ajoute que LWOB a créé en 2004 un tableau d’offres d’emploi accessible au grand public.

 

[52]           Mme Storm explique dans les termes suivants au paragraphe 16 de son affidavit que LWOB a employé, ou accueilli comme bénévoles, des stagiaires et des avocats à plein temps venant du Canada et/ou d’universités canadiennes :

[TRADUCTION]

 

a)   Nous avons engagé en 2008 un étudiant de l’Université McGill, M. Firas Ayoub, comme stagiaire d’été. M. Ayoub avait appris l’existence de LWOB sur Internet et grâce au site Web qui promeut nos services juridiques en liaison avec notre marque de commerce, LAWYERS WITHOUT BORDERS.

 

b)   C’est un citoyen canadien et diplômé d’une faculté de droit canadienne qui a supervisé les opérations de LWOB au Royaume‑Uni en 2009‑2010.

 

c)   Un diplômé de l’Université McGill a géré un important projet latino‑américain (ALC) en 2008‑2009.

 

d)   Des personnes travaillant au Canada ont appuyé les services juridiques fournis par LWOB dans le cadre de ce projet ALC.

 

 

[53]           Mme Storm décrit aux paragraphes 17 à 23 de son affidavit le travail accompli par LWOB Inc en collaboration avec les universités canadiennes. [TRADUCTION] « Les étudiants canadiens font depuis longtemps partie intégrante du réseau de bénévoles de LWOB Inc », explique‑t‑elle. C’est en 2001, poursuit Mme Storm, que LWOB Inc [TRADUCTION] « a lancé, en collaboration avec l’Université d’Ottawa, son premier projet officiel de recherche au Canada »; elle ajoute que [TRADUCTION] « la marque de commerce LWOB figurait sur la plus grande partie, si ce n’est la totalité, de la correspondance que nous avons échangée avec l’Université d’Ottawa et ses bénévoles ». Elle précise que LWOB Inc a effectué de concert avec des étudiants et un professeur de droit de cette université des recherches juridiques sur divers sujets relatifs à la primauté du droit, et elle joint à son affidavit, sous la cote C, un rapport décrivant les travaux ainsi réalisés à ladite université. Elle souligne encore une fois que LWOB Inc a distribué du matériel promotionnel aux étudiants bénévoles qui participaient à ce projet. Elle conclut dans les termes suivants :

[TRADUCTION] Ce premier projet devait servir de modèle à nos collaborations ultérieures avec diverses organisations étudiantes canadiennes; par exemple, c’est à partir de ce modèle que nous avons créé le programme CLEARS (Creating Legal Accessibility and Resources with Students – Créer des possibilités d’accès à la justice et des ressources juridiques avec les étudiants). Nous avons mis ce programme sur pied afin de nous permettre d’exécuter des projets de recherche juridique en collaboration avec des universités. Le modèle ainsi élaboré par LWOB me semble être la base d’une activité essentielle de l’ONG canadienne Canadian Lawyers Abroad / Avocats canadiens à l’étranger, créée par d’anciens bénévoles de LWOB.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[54]           Elle affirme au paragraphe suivant que ce modèle est appliqué aux ONG de partout dans le monde qui ont des besoins juridiques. Elle ajoute ce qui suit :

[TRADUCTION] Nous avons eu recours aux étudiants bénévoles pour effectuer ou aider à effectuer des recherches juridiques qui ont souvent étayé des actions intentées ou envisagées devant des tribunaux internationaux. Selon notre modèle, il fallait toujours qu’au moins un professeur de droit travaillant au Canada supervise le travail des étudiants canadiens. Par la suite, nous avons utilisé le modèle créé et mis à l’essai avec tant de succès au Canada comme exemple dans les facultés de droit d’autres pays, notamment le Royaume‑Uni et les États‑Unis. Il y a eu, après le premier lancé en 2001, d’autres projets de recherche exécutés par des étudiants en droit canadiens, par exemple ceux de l’Université de Toronto et de l’Université McGill.

 

 

[55]           Mme Storm cite, parmi les activités de promotion de LWOB Inc auprès des universités, avocats et cabinets d’avocats canadiens, la publication d’un [TRADUCTION] « prospectus de recrutement visant à présenter aux étudiants de droit et aux avocats le concept de travail bénévole et les projets de LWOB Inc, document où figure bien en vue la marque de commerce LWOB ». Elle annexe à son affidavit, sous la cote E, une lettre d’accompagnement de ce prospectus et d’autres documents de promotion envoyée en 2002 à l’Université de Toronto.

 

[56]           Elle déclare au paragraphe 21 de son affidavit que, de 2004 à 2009 environ, deux représentants de LWOB Inc, étudiants à l’Université de Toronto, ont travaillé avec divers groupes de celle‑ci à l’exécution de multiples projets de recherche juridique, soulignant que l’un de ces représentants a participé à la préparation de la visite Nord‑Sud d’un éminent avocat iranien.

 

[57]           Les paragraphes 22 et 23 de l’affidavit de Mme Storm sont ainsi rédigés :

[TRADUCTION]

 

De temps à autre, LWOB est invitée à présenter à des étudiants de droit canadiens le concept de travail juridique bénévole dans les domaines du droit international et de la primauté du droit, et la marque de commerce LAWYERS WITHOUT BORDERS figure bien en vue dans les exposés que nous faisons à ces occasions. On trouvera ci‑annexé sous la cote G un exposé donné aux étudiants de l’Osgoode Hall Law School en 2004.

 

En 2006, un groupe d’étudiants en droit de l’Université McGill a présenté, par le truchement de notre mécanisme de demande d’aide juridique bénévole en ligne, une demande d’aide pour une collectivité de pêcheurs panaméens qu’on voulait déplacer afin de faciliter l’exécution d’un projet de développement. LWOB a pu trouver des avocats disposés à participer à cette action et à fournir les services juridiques nécessaires, mais pour découvrir que les étudiants en question avaient entre‑temps décidé de mettre fin à leur soutien au groupe panaméen.

 

 

[58]           Mme Storm parle dans les paragraphes suivants des représentants et bénévoles canadiens de LWOB, avocats et non‑avocats, qui participent à toutes sortes d’activités de cette organisation au Canada aussi bien qu’à l’étranger. [TRADUCTION] « [N]ous avons plus de 200 bénévoles inscrits comme résidant au Canada, précise‑t‑elle, ce qui représente une proportion importante de notre réseau mondial. » Elle ajoute ce qui suit :

[TRADUCTION]

 

Nous restons en contact avec nos bénévoles au moyen d’une base de données en ligne que nous avons créée il y a plusieurs années (pour remplacer notre liste de diffusion LISTSERV, qui comprenait aussi des personnes physiques et des organisations résidant au Canada) et que nous avons tenue à jour jusqu’à maintenant. Depuis 2001, nous envoyons périodiquement aux personnes physiques et organisations inscrites, selon le cas, sur notre liste de diffusion ou dans notre base de données, des courriels où, sous la marque de commerce LAWYERS WITHOUT BORDERS, nous promouvons les services juridiques et offrons de l’information sur les projets qu’exécute et les activités qu’exerce LWOB à travers le monde.

 

LWOB a collaboré à de nombreuses reprises avec des avocats canadiens dans l’évaluation et l’observation des systèmes juridiques et judiciaires de pays en développement, notamment la Namibie, la Cisjordanie, l’Iran et le Libéria. Citons par exemple Stephanie Case, l’une de nos bénévoles, qui, sous la direction et la supervision de LWOB, a travaillé pendant ses études de droit et ensuite comme avocate dans divers pays en développement, sur toutes sortes de programmes de primauté du droit, concernant notamment les questions internationales de droits de la personne.

 

En 2007‑2008, Mme Case a travaillé avec nous dans le cadre de la mission d’observation de procès C40 en Éthiopie, établissant des contacts dans les milieux juridiques locaux, effectuant des recherches juridiques et jouant un rôle moteur dans nos efforts d’accès aux détenus inculpés de crimes graves.

 

En 2006‑2000 [sic], Mme Case a été chargée de fournir des services juridiques et autres services de soutien à une ONG rwandaise qui s’appelait alors Sœurs du Rwanda, dont LWOB assurait le parrainage fiscal.

 

En 2007, Mme Case s’est rendue au Libéria pour y effectuer une évaluation rétrospective de l’exécution d’un de nos projets. Avec un autre bénévole, venu d’Irlande, elle y a observé des procès et exercé diverses activités de promotion auprès de la collectivité.

 

 

[59]           La pièce H annexée à l’affidavit de Mme Storm est un rapport où Mme Case rend un compte détaillé de son observation d’audiences tenues devant la Cour suprême du Libéria, au Temple de la Justice. Mme Storm ajoute ce qui suit :

[TRADUCTION] Tout récemment, Mme Case s’est rendue en Cisjordanie pour effectuer un contrôle préalable et rechercher des partenaires éventuels. Ses tâches consistaient notamment à recenser les organisations locales avec lesquelles nous pourrions travailler, à se mettre en rapport avec les universités cisjordaniennes et à tenir des réunions avec le propre avocat de LWOB Inc dans la région.

 

 

[60]           Mme Storm écrit au paragraphe 26 de son affidavit : [TRADUCTION] « Au cours des quelques dernières années, pour ne parler que d’elles, nous avons confié à un bon nombre d’avocats canadiens des tâches d’évaluation de l’état de droit, des missions d’observation de procès et d’autres projets à travers le monde. » Elle précise que [TRADUCTION] « des avocats canadiens ont été envoyés au Kenya, en Ouganda et en Namibie pour notre compte ». Elle cite comme exemple le cas de Me Michael Wickhum, avocat pénaliste canadien qui s’est porté volontaire pour étudier les besoins juridiques ruraux en Ouganda, dans le cadre de la demande faite par l’ONU à LWOB de suggérer des mécanismes à l’intention des résidents des régions rurales de ce pays. Mme Storm annexe à son affidavit le rapport d’évaluation de Me Wickum, daté de 2008. En outre, écrit‑elle, [TRADUCTION] [n]ous avons chargé un avocat canadien, diplômé d’une faculté canadienne, de gérer nos opérations britanniques à Londres ».

 

[61]           La section suivante de l’affidavit de Mme Storm s’intitule [TRADUCTION] « Les activités de promotion de LWOB ». On y trouve les éléments d’information ci‑dessous :

a)      Depuis sa fondation en 2002, LWOB diffuse un bulletin électronique au Canada sur son site Web. Ce bulletin, [TRADUCTION] « où nous promouvons et offrons les services juridiques de LWOB, a toujours affiché la marque de commerce LWOB, et depuis avril 2002, LWOB Inc diffuse un bulletin imprimé auprès des ONG, des avocats et des cabinets d’avocats canadiens, ainsi qu’à l’occasion de conférences, de séminaires de droit et de discours, au Canada et ailleurs ». [TRADUCTION] « [N]ous distribuons chaque année des centaines d’exemplaires de ce bulletin afin de mieux faire connaître LWOB », précise‑t‑elle, ledit bulletin étant la version papier de celui que l’organisme publie sur son site Web.

b)      Mme Storm déclare que, entre 2006 et 2008, elle a été invitée à une émission‑débat de la radio canadienne qui portait sur Lawyers Without Borders.

c)      Elle ajoute que le site Web actuel date de 2001 environ, mais que la création d’un site différent a accompagné la fondation de LWOB en février 2000.

 

[62]           Elle cite dans les paragraphes suivants des statistiques sur les visites canadiennes, qui restent parmi les plus fréquentes, du site Web actuel de LWOB : 1 300 en juillet 2010 seulement, et un total de 6 800 au cours de l’année dernière. Me Storm conclut ainsi cette section :

[TRADUCTION] Ces chiffres montrent que les Canadiens, y compris les ONG canadiennes, visitent le site Web de LWOB à la recherche des services juridiques annoncés et fournis par LWOB au Canada, et qu’ils s’abonnent à la version numérique de notre bulletin. On trouvera sous la cote N une copie d’écran distincte montrant les statistiques de visites par page du site Web de LWOB pour 2009 et 2010. Or, ce site Web a toujours affiché la marque de commerce LAWYERS WITHOUT BORDERS.

 

 

[63]           La dernière section de l’affidavit de Mme Storm (paragraphes 36 à 46) porte sur la [TRADUCTION] « stratégie mondiale d’ASF ». Elle y écrit ce qui suit :

[TRADUCTION] De temps à autre, LWOB a eu connaissance d’articles de revues, de journaux et d’autres publications imprimées où il était question d’avocats liés à Advocats Sans Frontière [sic] Québec (ASF). Ces articles disaient habituellement que l’organisme « lawyers without borders » avait été fondé en Amérique du Nord en 2002. Quand ces articles ont été portés à notre attention, nous avons écrit aux organes qui les avaient publiés pour faire en sorte qu’ils comprennent bien que LWOB n’était pas liée à ASF, malgré l’emploi non autorisé que faisait cette dernière de notre marque de commerce. Nous avons aussi rectifié l’erreur de fait, précisant que la fondation de Lawyers Without Borders en Amérique du Nord remontait à février 2000.

 

 

[64]           Mme Storm cite comme exemple une lettre qu’elle a envoyée au LA Times en juin 2002, touchant un article où ASF était désignée « Lawyers Without Borders ». [TRADUCTION] « Nous les avons informés qu’ASF n’avait aucun lien avec LWOB », écrit‑elle.

 

[65]           De même, poursuit Mme Storm, le 5 mai 2004, [TRADUCTION] « nous avons écrit au Canadian Lawyer Magazine pour l’informer qu’ASF n’avait aucun rapport avec LWOB ».

 

[66]           [TRADUCTION] « [T]out récemment, ajoute‑t‑elle, soit le 15 avril 2009, nous avons écrit au National Post pour l’informer qu’il avait erronément employé la marque de commerce LWOB en liaison avec un groupe qui n’avait aucun rapport avec LWOB. »

 

V.        Les questions en litige

a)   Les questions soulevées par la demanderesse (ASFQ)

[67]           La question qu’ASFQ soulève est celle de savoir si elle a produit une preuve probante suffisante pour s’acquitter du fardeau qui lui incombait d’établir que la marque de commerce LWOB, enregistrée le 27 janvier 2005, est invalide à l’égard de l’un ou de plusieurs des quatre motifs qu’elle invoque sous le régime des articles 18 et 57 de la Loi.

 

[68]           En termes plus particuliers, ASFQ soutient que la Cour ne devrait accorder que peu de poids à l’unique affidavit produit par LWOB à l’appui de sa thèse, soit celui de Mme Christina Storm, au motif que les déclarations de cette dernière sont entachées d’importantes contradictions touchant la question du premier emploi de la marque de commerce LWOB au Canada et celle de savoir quand la représentante canadienne de LWOB, Mme Marion Williams, est entrée à son service dans notre pays, ainsi qu’au motif de l’absence de preuve corroborante, Mme Storm ayant énuméré des éléments qui tendaient à en faire fonction, mais sans les produire.

 

b)   Les questions soulevées par la défenderesse (LWOB Inc)

[69]           Le propriétaire de la marque de commerce LWOB soulève les questions suivantes :

a)      ASFQ ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait – conformément au principe voulant que toute marque déposée bénéficie d’une présomption de validité – de prouver au moins l’un des motifs d’invalidité qu’elle invoque.

b)      ASFQ a essayé de violer la règle formulée dans Browne c Dunn (1893), 6 R 67 (HL), en déposant les affidavits de Mmes Davidson et McKenna seulement après que Me Storm eut été contre‑interrogée sur son propre affidavit. LWOB soutient que la Cour ne devrait accorder aucun poids aux deux affidavits susdits, pour autant qu’on s’appuie sur eux pour contester ou mettre en question la crédibilité de Me Storm.

c)      LWOB Inc examine ensuite l’emploi par ASFQ de sa marque Avocats Sans Frontières et de la marque LWOB, faisant remarquer qu’ASFQ est une organisation d’abord francophone et qu’elle n’a cherché que récemment à enlever le nom LWOB à LWOB Inc. On peut lire ce qui suit au paragraphe 30 du mémoire de celle‑ci :

[TRADUCTION] Les déclarations de Me Paradis montrent que si ASF Québec a employé une ou plusieurs marques quelconques avant l’enregistrement, c’étaient AVOCATS SANS FRONTIÈRES QUÉBEC, ASFQ, ASF QUÉBEC et AVOCATS SANS FRONTIÈRES. Et tout emploi de marques par elle, même de celles que nous venons d’énumérer, s’est fait principalement au Québec.

 

d)     LWOB Inc ajoute, au paragraphe 69 :

[TRADUCTION] Dans les cas où ASFQ a employé l’expression « LWOB » conjointement avec d’autres de ses marques, la présence du nom « Québec » dans celles‑ci change la nature de la marque LWOB, de sorte que la marque ainsi produite ne créerait pas de confusion avec la marque de LWOB Inc, et que tout emploi de l’expression « LWOB » par ASFQ ne suffit pas à annuler le caractère distinctif de ladite marque LWOB à l’égard des services de LWOB Inc.

 

 

[70]           LWOB Inc conclut à ce propos que l’emploi par ASFQ de la marque LWOB est étroit et non systématique.

 

VI.  Analyse et dispositif

[71]           Je tire les conclusions suivantes de l’analyse exposée ci‑dessous et de mon examen des nombreux éléments de preuve produits par les parties.

 

[72]           Premièrement, il n’y a pas eu violation de la règle énoncée dans Browne c Dunn. Selon le paragraphe 84(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), une partie ne peut contre‑interroger l’auteur d’un affidavit déposé par la partie adverse avant d’avoir signifié et déposé ses propres affidavits. Cependant, cet ordre des opérations peut être modifié avec l’autorisation de la Cour. En outre, l’alinéa 312a) des Règles dispose qu’une partie peut déposer des affidavits complémentaires avec l’autorisation de la Cour. C’est ce qui est arrivé en l’occurrence, sur consentement de LWOB Inc, avec le dépôt des affidavits de Mmes Davidson et McKenna par ordonnance du protonotaire Morneau.

 

[73]           Deuxièmement, l’examen des réponses données par Mme Storm en contre‑interrogatoire révèle qu’on ne peut accorder que peu de poids à son affidavit sur des questions fondamentales telles que la date de premier emploi au Canada de la marque LWOB. Elle a formulé dans deux affidavits des déclarations entachées de contradictions importantes à propos de la date de premier emploi et de la fonction de représentante canadienne de LWOB Inc remplie par Mme Marion Williams. Les affidavits de Mmes Davidson et McKenna contestent certains passages de l’affidavit de Mme Storm. Qui plus est, il est souvent arrivé que cette dernière ne réponde pas de manière détaillée aux questions, s’appuyant sur des documents qu’elle avait passés en revue mais n’avait pas produits.

 

[74]           Troisièmement, Me Paradis a maintenu en contre‑interrogatoire l’allégation formulée dans son affidavit et, chose plus importante, il a étayé ses déclarations par un grand nombre de documents qui attestent un emploi considérable de la marque LWOB par ASFQ, alors que Mme Storm n’a annexé que 19 pièces à son affidavit.

 

[75]           Quatrièmement, pour ce qui concerne l’absence de caractère distinctif de la marque LWOB, LWOB Inc admet que la marque qu’elle a fait enregistrer ne possède pas de caractère distinctif inhérent, de sorte que la question se pose de savoir si la marque déposée, LWOB, a acquis par l’effet d’un emploi continu un caractère distinctif tel qu’elle désignerait LWOB Inc comme fournisseur des services y afférents. Je n’ai pas à trancher cette question comme telle, puisque le droit dit clairement que l’emploi par ASFQ de la marque déposée LWOB peut avoir pour effet de la dépouiller de son caractère distinctif. La question à décider est plutôt de savoir si, à la date à laquelle la procédure de radiation a été engagée, c’est‑à‑dire en 2010, l’emploi par ASFQ de la marque LWOB était suffisamment bien connu pour annuler le caractère distinctif que LWOB Inc pourrait revendiquer en se fondant sur son propre emploi de cette marque. Il ressort clairement de la jurisprudence que l’appréciation du caractère distinctif est une question de fait.

 

[76]           À mon sens, la preuve produite par ASFQ établit de manière on ne peut plus convaincante que son emploi de la marque LWOB d’un bout à l’autre du Canada laisse supposer qu’elle est associée dans les esprits à ASFQ et non à LWOB Inc, dont la preuve relative à l’emploi de cette marque au Canada est extrêmement mince. Bref, la réputation qu’ASFQ a acquise en liaison avec la marque LWOB par son emploi se révèle importante et même fondamentale.

 

[77]           Cinquièmement, la preuve produite devant moi me convainc que LWOB Inc n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement de la marque LWOB, au motif qu’elle n’était pas la première à l’employer ou à la faire connaître au Canada. Ici encore, il ressort à l’évidence de l’affidavit de Me Paradis qu’ASFQ a commencé à employer la marque de commerce Avocats Sans Frontières en 2002, tandis que, du fait des contradictions qui entachent la preuve qu’elle a produite sur ce point, LWOB Inc n’a pas établi la date de son premier emploi de la marque enregistrée par elle.

 

[78]           Sixièmement, la question de la possibilité de confusion du point de vue de la personne bilingue moyenne s’est posée au cours des débats, « Avocats Sans Frontières » formant l’exact équivalent de « Lawyers Without Borders ». Étant donné les conclusions de la Cour dont l’exposé précède, je n’ai pas à trancher cette question.

 

[79]           Pour tous ces motifs, la présente demande est accueillie. L’enregistrement de la marque LWOB est invalide et doit être radié du registre. À la demande des parties, la Cour n’adjuge pas de dépens.

 

« François Lemieux »

Juge

 

Ottawa (Ontario),

le 14 janvier 2013

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑116‑10

 

INTITULÉ :                                                  AVOCATS SANS FRONTIÈRES QUÉBEC c
LAWYERS WITHOUT BORDERS, INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Montréal (Québec)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                      Les 2 et 3 avril 2012

 

DATE DU JUGEMENT :                           Le 29 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 14 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joanne Chriqui
Xavier Beauchamp‑Tremblay

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Michael D. Crinson

Vincent Man

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ogilvy Renault, s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Dimock Stratton, s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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