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Date : 20130129

Dossier : IMM‑3223‑12

Référence : 2013 CF 88

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

 

ENTRE :

 

JOSE ARTURO GUERRA DIAZ

ALEJANDRA MACIAS CATILLO

JORGE EMILIANO GUERRA MACIAS

ALMA KARINA GUERRA MACIAS

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision, en date du 29 février 2012, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a refusé aux demandeurs le droit de présenter une demande d’asile au Canada, conformément à l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

 

I.          Contexte

[2]               Les demandeurs, Jose Arturo Guerra Diaz [le demandeur principal], son épouse Alejandra Macias Catillo et leurs deux enfants Jorge Emiliano Guerra Macias (né en 2004) et Alma Karina Guerra Macias (née en 2006) sont des citoyens du Mexique, où le demandeur principal exploitait une boutique de vente de téléphones cellulaires.

 

[3]               En mai 2007, quatre membres d’un cartel du crime organisé appelé Cartel del Gulfo [le cartel du Golfe] se sont rendus à la boutique de téléphones et ont exigé qu’on leur verse chaque mois un montant. Le demandeur principal a remis aux quatre individus en question la moitié du montant exigé et n’a pas signalé cette extorsion à la police.

 

[4]               Une semaine plus tard, les mêmes individus sont revenus à la boutique pour réclamer le reste du montant et pour exiger que le demandeur principal obtienne et active, pour le cartel, deux téléphones cellulaires non localisables. De tels téléphones sont illégaux. Les individus ont vandalisé la boutique après que le demandeur principal leur eut répondu qu’il connaissait mal ces appareils.

 

[5]               Le demandeur principal a réussi à obtenir deux téléphones non localisables pour le cartel du Golfe. Lorsque les individus sont passés à la boutique pour les prendre, ils ont demandé au demandeur principal d’en obtenir quatre de plus. À la fin de juin 2007, ils avaient demandé huit téléphones non localisables de plus.

 

[6]               Lorsque le demandeur principal a informé les individus qu’ils ne pourraient obtenir d’autres téléphones non localisables, ils ont vandalisé sa boutique et lui ont proféré des menaces de mort. Cette fois‑ci, le demandeur principal a appelé la police pour signaler les dommages à sa boutique. La police a informé le demandeur principal qu’aucun rapport ne pouvait être établi étant donné qu’il ne pouvait identifier ses agresseurs.

 

[7]               Après avoir fermé son commerce pour réparer les dommages et se remettre de ses blessures, le demandeur principal a fait l’objet de menaces chez lui par les mêmes membres de gang qui lui ont demandé de lui verser chaque mois un montant et de lui remettre des téléphones non localisables.

 

[8]               À la fin de juillet 2007, les demandeurs ont déménagé. Deux mois plus tard, le demandeur principal a ouvert une nouvelle boutique, mais sous le nom d’une autre personne, Ricardo Zamarripa. Il ne communiquait avec cette personne que par téléphone.

 

[9]               En juillet 2008, le cartel du Golfe a refait surface et a gravement endommagé les locaux du nouveau commerce de téléphones cellulaires parce que les paiements mensuels que le demandeur principal devait leur verser ainsi que les intérêts sur ces sommes étaient en souffrance depuis presque un an. Les membres du cartel ont également exigé que le demandeur principal leur donne sa nouvelle adresse résidentielle et son numéro de téléphone cellulaire personnel et qu’il leur procure dix téléphones non localisables de plus.

 

[10]           En août 2008, les demandeurs ont de nouveau déménagé et le demandeur principal a également changé le nom de son commerce.

 

[11]           En février 2009, les membres du cartel du Golfe ont fait irruption dans la nouvelle boutique du demandeur principal, ont pris de l’argent et de la marchandise pour se faire payer le montant de l’extorsion que le demandeur principal leur devait. Ils ont également appris sa nouvelle adresse résidentielle et ont tenté de renverser le demandeur principal avec une camionnette. Ils ont menacé de le tuer s’il ne réussissait pas à obtenir les téléphones non localisables.

 

[12]           Le 9 mars 2009, des membres du cartel du Golfe ont tiré plusieurs coups de feu en direction du demandeur principal dans une tentative d’assassinat ratée.

 

[13]           Le 18 mars 2009, les demandeurs ont décidé de fuir le Mexique pour aller au Canada, estimant qu’ils avaient reçu peu d’aide de la part des autorités mexicaines.

 

[14]           Le 31 mars 2009, les demandeurs ont demandé l’asile au Canada.

 

[15]           Le 29 février 2012, la Commission a décidé que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

II.        Questions en litige

[16]           Les demandeurs soulèvent les questions suivantes :

A.                La Commission a‑t‑elle commis une erreur en excluant le demandeur principal du statut de réfugié par application de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut de réfugié, 28 juillet 1951, [1969] RT Can no 6 [la Convention]? Plus précisément, la Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que :

                                            i.            s’ils avaient été commis au Canada, les actes commis par le demandeur principal au Mexique constitueraient des actes criminels aux termes de l’article 467.11 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 [le C. cr.];

                                          ii.            la défense de contrainte ne s’applique pas;

                                        iii.            les infractions reprochées constituent des « crimes graves »?

B.                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur principal n’était pas un témoin crédible?

C.                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur en estimant que les demandeurs pouvaient compter sur la protection de l’État?

 

III.       Norme de contrôle

[17]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada [la CSC] a expliqué qu’il n’y a lieu d’entreprendre une analyse de la norme de contrôle que lorsque la norme de contrôle applicable à la question soumise au tribunal n’est pas déjà bien établie par la jurisprudence.

 

[18]           En ce qui concerne la première question, la jurisprudence est nuancée quant à la norme applicable. En décembre 2012, la Cour d’appel fédérale a jugé que la norme de contrôle applicable à l’interprétation de l’article 98 et à l’alinéa 1Fb) de la Convention était celle de la décision correcte (Feimi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 325 aux paragraphes 14 et 15 [Feimi]; Febles c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CAF 324, aux paragraphes 22 à 25 [Febles]; Pineda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 454, au paragraphe 18 [Pineda])).

 

[19]           Il a toutefois été jugé que la norme applicable à l’application de l’article 98 et de l’alinéa 1Fb) aux faits d’une affaire déterminée est une question mixte de fait et de droit assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1130, aux paragraphes 35 et 36; décision Pineda, précitée, au paragraphe 18; Jawad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 232, au paragraphe 21 [Jawad])).

 

[20]           La norme de contrôle applicable à la défense de contrainte est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Maan, 2007 CF 583, au paragraphe 15 [Maan]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Hussain, 2002 CFPI 209). La norme applicable quant à la gravité d’un crime en ce qui concerne l’alinéa 1Fb) de la Convention est également celle de la décision raisonnable (décision Feimi, précitée, au paragraphe 16).

 

[21]           La décision de la Commission sur la première question devrait donc être contrôlée selon la norme de la décision correcte pour ce qui est de l’interprétation de l’alinéa 1Fb) et selon la norme de la décision raisonnable pour le reste (Jayasekara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 238 [Jayasekara], Murillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 996, décision Jawad, précitée).

 

[22]           La norme de contrôle applicable à la deuxième question, celle de la crédibilité du demandeur principal, est la norme de la décision raisonnable (Gecaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1369 [Gecaj]; Negash c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1164, au paragraphe 15; Hazell c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1501, au paragraphe 27; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF) au paragraphe 4).

 

[23]           La norme de contrôle applicable à la troisième question, celle de l’existence de la protection de l’État, est celle de la décision raisonnable (décision Gecaj, précitée; Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, au paragraphe 36 [Carrillo]; Bibby‑Jacobs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1176, au paragraphe 2).

 

[24]           Comme toujours, lorsqu’elle procède au contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour s’intéresse à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité de la décision et à son appartenance aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

IV.       La décision contestée

[25]           La Commission a estimé qu’en fournissant au cartel du Golfe des téléphones non localisables, le demandeur principal avait commis un crime grave de droit commun et qu’il était exclu par application de l’article 98 de la LIPR, qui dispose :

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

[26]           L’alinéa 1Fb) de la Convention dispose :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

[…]

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 

[27]           La Commission a conclu que les actes accomplis par le demandeur principal au Mexique seraient considérés comme des actes criminels aux termes de l’article 467.11 du C. cr. s’ils avaient été commis au Canada.

 

[28]           La Commission a relevé qu’à l’audience, le demandeur principal avait admis qu’il savait que le cartel du Golfe était impliqué dans des crimes graves au Mexique. La Commission a rejeté l’argument que le demandeur principal avait simplement obtenu les téléphones non localisables par l’intermédiaire d’un tiers.

 

[29]           La Commission a également rejeté l’argument suivant lequel, puisque le Guide du HCR emploie les mots « un meurtre ou une autre infraction que la loi punit d’une peine très grave », le demandeur principal n’était pas exclu du statut de réfugié puisque, dans le cas qui nous occupe, le paragraphe 467.11(1) du C. cr. prévoit une peine maximale de cinq ans.

 

[30]           La Commission a également conclu qu’il y avait de sérieuses raisons de penser que le demandeur principal avait sciemment contribué à accroître la capacité du cartel du Golfe au Mexique « de faciliter ou de commettre un acte criminel »

 

[31]           La Commission a également estimé que, si les crimes en question avaient été commis au Canada pour une organisation criminelle semblable au cartel du Golfe, le demandeur principal aurait, aux termes du paragraphe 467.11(1) du C. cr., été passible « d’un emprisonnement maximal de cinq ans » pour chacune des infractions, soit un total de 15 ans.

 

[32]           Sur la question de la crédibilité, la Commission a estimé que les contradictions, écarts et invraisemblances relevés dans la preuve présentée par un demandeur d’asile étaient des motifs reconnus pour une conclusion de manque de crédibilité. À ce propos, la Commission a estimé que le demandeur principal n’était pas un témoin crédible et digne de foi en ce qui concerne ses allégations suivant lesquelles il s’était adressé à la police mexicaine pour obtenir de l’aide, étant donné qu’il avait admis, tant dans son témoignage que dans sa preuve écrite, qu’il avait délibérément omis de communiquer à la police mexicaine certains renseignements pertinents, à savoir qu’il avait fourni des téléphones non localisables au cartel du Golfe. La Commission a rejeté son argument suivant lequel il n’avait pas communiqué ces renseignements parce qu’il craignait que cela porte préjudice à lui‑même ou à ses amis. La Commission a plutôt estimé que les enquêtes menées par les autorités mexicaines au sujet de la plainte portée par le demandeur principal seraient sérieusement compromises si elles ne disposaient pas d’une description exacte des auteurs des actes reprochés, des lieux, des dates et des raisons pour lesquelles les incidents s’étaient produits.

 

[33]           S’agissant de l’article 96 de la LIPR, la Commission a ensuite conclu que les demandeurs n’avaient aucun lien les rattachant avec l’un quelconque des motifs prévus par la Convention. Les demandeurs ont fait valoir qu’ils avaient une crainte fondée d’être persécutés en raison de leur « appartenance à un groupe social particulier », mais la Commission a estimé que rien n’étayait la thèse que le refus de participer à des activités criminelles illégales ou de payer au cartel du Golfe les sommes exigées ne mettait pas en jeu l’appareil étatique, gouvernemental ou politique au Mexique, de sorte que les actes du demandeur principal ne constituent pas l’expression d’une opinion politique.

 

[34]           En ce qui concerne l’article 97 de la LIPR, la Commission a finalement conclu que la demande devait être rejetée parce que les demandeurs pouvaient compter sur la protection de l’État.

 

V.        Analyse

A.        La Commission a‑t‑elle commis une erreur en excluant le demandeur principal du statut de réfugié par application de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut de réfugié?

 

i.    La Commission a‑t‑elle erronément conclu que les actes commis par le demandeur principal au Mexique, s’ils avaient été commis au Canada, constitueraient des actes criminels aux termes de l’article 467.11 du C. cr.?

 

[35]           L’article 467.11 du C . cr dispose :

(1)        Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque sciemment, par acte ou omission, participe à une activité d’une organisation criminelle ou y contribue dans le but d’accroître la capacité de l’organisation de faciliter ou de commettre un acte criminel prévu à la présente loi ou à une autre loi fédérale.

 

[36]           Les demandeurs font valoir qu’il n’est pas contesté que le cartel du Golfe est une organisation criminelle. Ce qu’ils contestent, c’est plutôt que le demandeur principal a fourni le téléphone non localisable aux membres du cartel « dans le but d’accroître la capacité » du cartel « de faciliter ou de commettre un acte criminel ».

 

[37]           Les demandeurs affirment que la raison qui a motivé la participation du demandeur principal était sa sécurité et celle de sa famille. Ils ajoutent que le dossier ne contient aucun élément de preuve qui démontre que le demandeur principal a fourni les téléphones en vue d’accroître la capacité du cartel du Golfe de faciliter ou de commettre une infraction grave. Le dossier ne contient également aucun élément de preuve permettant de penser que le cartel a effectivement utilisé les téléphones à des fins criminelles.

 

[38]           Les demandeurs soutiennent que cet argument est renforcé par le paragraphe 467.11(3) du C. cr., qui énumère les facteurs dont le tribunal peut tenir compte pour déterminer si l’accusé a participé ou contribué à une activité d’une organisationnelle criminelle. Le paragraphe 467.11(3) du C. cr. dispose :

(3)  Pour déterminer si l’accusé participe ou contribue à une activité d’une organisation criminelle, le tribunal peut notamment prendre en compte les faits suivants :

a)   l’accusé utilise un nom, un mot, un symbole ou une autre représentation qui identifie l’organisation criminelle ou y est associée;

b)   il fréquente quiconque fait partie de l’organisation criminelle;

c)   il reçoit des avantages de l’organisation criminelle;

d)   il exerce régulièrement des activités selon les instructions d’une personne faisant partie de l’organisation criminelle.

 

[39]           Le défendeur soutient que la conclusion d’exclusion tirée par la Commission n’était pas déraisonnable. Il ajoute que, contrairement aux arguments formulés par les demandeurs en ce qui concerne l’appréciation que la Commission a faite des actes du demandeur principal au Mexique, la norme de preuve applicable est celle des « raisons sérieuses de penser ». Il est donc clair que la Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que les agissements du demandeur principal pouvaient constituer des actes criminels aux termes de l’article 467.11 du C. cr..

 

[40]           J’estime que le demandeur principal n’a pas commis de crime grave de droit commun et qu’on ne devrait donc pas lui refuser le droit de présenter une demande d’asile au Canada.

 

[41]           Ainsi qu’il est précisé à l’alinéa 1Fb), la norme de preuve applicable pour conclure à l’exclusion est celle des « raisons sérieuses de penser », ce qui équivaut au « motif raisonnable de croire », à savoir qu’il faut plus que de simples doutes mais moins qu’une preuve selon la prépondérance des probabilités (Xie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, au paragraphe 23).

 

[42]           La Cour a, dans de nombreuses affaires, examiné ce qui constitue un crime grave de droit commun au sens de l’alinéa 1Fb). Dans l’arrêt Chan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 CF 390, [2000] ACF no 1180, la Cour d’appel fédérale déclare, au paragraphe 9 :

Je suppose d’abord, dans cette partie de mon analyse, que l’appelant a été déclaré coupable d’un crime grave de droit commun aux États‑Unis au sens de la section Fb) de l’article premier. Bien que cette supposition soit contraire à l’intérêt de l’appelant, elle est compatible avec la position de la Commission, que le juge des requêtes a adoptée. À cet égard, le juge des requêtes a estimé que la Commission n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle avait conclu que l’appelant avait été déclaré coupable d’une infraction relative au trafic de stupéfiants et que cette infraction constituait un crime grave de droit commun, et ce malgré le fait que l’appelant n’avait pas été déclaré coupable de trafic de stupéfiants en tant que tel, mais plutôt d’avoir illégalement utilisé un dispositif de communication, une infraction que ne prévoit pas le droit canadien. En outre, je supposerai que si l’appelant avait mené des activités similaires au Canada, il aurait été déclaré coupable d’une infraction telle le trafic de stupéfiants, à l’égard de laquelle une peine d’emprisonnement maximale égale ou supérieure à dix ans aurait pu lui être infligée. En d’autres termes, je supposerai aux fins de la présente affaire, sans toutefois trancher la question, qu’un crime grave de droit commun est assimilable à un crime qui, s’il avait été commis au Canada, aurait pu entraîner l’imposition d’une peine d’emprisonnement maximale égale ou supérieure à dix ans. Comme il ressortira des présents motifs, ces suppositions m’aideront à démontrer l’incohérence de l’interprétation de la section Fb) que propose le ministre, à la lumière d’autres dispositions pertinentes de la Loi.

 

 

[43]           Dans la décision Farkas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 277, la juge Judith A. Snider écrit, au paragraphe 22 :

La deuxième difficulté que soulève l’argument du demandeur est qu’il ne tient pas compte de la jurisprudence récente. Dans l’arrêt Chan, précité, au paragraphe 9, la Cour d’appel fédérale a admis qu’« un crime grave de droit commun est assimilable à un crime qui, s’il avait été commis au Canada, aurait pu entraîner l’imposition d’une peine d’emprisonnement maximale égale ou supérieure à dix ans ». Le seuil de dix ans a été confirmé par le juge Michael Kelen dans la décision Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 2 R.C.F. 372, au paragraphe 34, conf. par 2004 CAF 250, après une analyse minutieuse. D’autres tribunaux ont souscrit à l’idée de se référer à la peine prévue en droit canadien (voir, par exemple, la décision Medina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 62, [2006] A.C.F. no 86 (C.F.)). Ainsi, compte tenu de la preuve que le crime, s’il était commis au Canada, serait punissable d’une peine d’emprisonnement de dix ans, la Commission était fondée à dire que le crime était« grave » au sens de l’alinéa b) de la section F de l’article premier de la Convention.

 

 

[44]           La Cour d’appel fédérale s’est de nouveau penchée sur la question dans l’arrêt Jayasekara, précité, aux paragraphes 44 et 45 :

Je crois que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de la section Fb) de l’article premier de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité (voir S. c. Refugee Status Appeals Authority; S. & Ors c. Secretary of State for the Home Department, [2006] EWCA Civ 1157; Miguel‑Miguel c. Gonzales, 500 F.3d 941 (9th Cir. 2007), 29 août 2007, aux pages 945, 946 et 947). En d’autres termes, peu importe la présomption de gravité qui peut s’appliquer à un crime en droit international ou selon la loi de l’État d’accueil, cette présomption peut être réfutée par le jeu des facteurs précités. On ne met toutefois pas en balance des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous‑jacents à la déclaration de culpabilité comme, par exemple, le risque de persécution dans le pays d’origine (voir Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), au paragraphe 38; Immigration and Naturalization Service c. Aguirre‑Aguirre, à la page 427; T. c. Secretary of State for the Home Department, [1995] 1 W.L.R. 545 (C.A.), aux pages 554 et 555; Dhayakpa c. Minister of Immigration and Ethnic Affairs, au paragraphe 24).

 

Ainsi, une coercition qui ne permet pas d’invoquer le moyen de défense de droit criminel de la contrainte peut constituer une circonstance atténuante pertinente pour évaluer la gravité du crime commis. Le préjudice causé à la victime ou à la société, l’utilisation d’une arme, le fait que le crime a été commis par un groupe criminel organisé, etc. seraient également des facteurs pertinents à considérer.

 

[45]           L’avocat du défendeur soutient qu’il n’y a pas de ligne nette tracée par la Cour pour déterminer dans quels cas un « crime grave de droit commun » justifie une peine maximale de dix ans ou plus. Je suis d’accord avec lui, mais j’estime qu’il faut quand même tenir compte des facteurs énumérés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jayasekara.

 

[46]           Je ne crois pas que la preuve démontre que le demandeur principal a fourni les téléphones non localisables « dans le but d’accroître la capacité d’une organisation criminelle de faciliter ou de commettre un acte criminel ». Comme il ressort des éléments de preuve suivants, le demandeur principal se faisait extorquer par le cartel du Golfe et lui fournissait de l’argent et des téléphones non localisables dans le but d’éviter de se faire tuer et pour protéger sa famille. En tout état de cause, le demandeur principal a fourni les téléphones sous la contrainte comme nous le verrons.

 

ii.   La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la défense de contrainte ne s’appliquait pas?

 

[47]           Les demandeurs contestent l’application que la Commission a faite du critère posé dans l’arrêt R c Ruzic, 2001 CSC 24 [Ruzic]. Premièrement, les demandeurs soutiennent que l’application stricte que la Commission a faite de la norme de l’« immédiateté » était incompatible avec l’approche souple préconisée par la Cour suprême du Canada, qui exige seulement « qu’un un lien temporel étroit doit exister entre les menaces de préjudice et la perpétration de l’infraction ». Deuxièmement, les demandeurs affirment que le critère du « moyen de s’en sortir sans danger » n’exige pas que l’accusé aille s’installer dans une autre région du pays pour éviter de commettre un crime et que la loi ne l’oblige pas non plus à chercher à obtenir la protection de la police dans tous les cas (arrêt Ruzic, précité, au paragraphe 7). Enfin, les demandeurs affirment que le critère de la proportionnalité du préjudice n’a pas été appliqué correctement, étant donné qu’aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet du préjudice causé par le demandeur principal lorsqu’il a fourni les téléphones non localisables au cartel du Golfe, que le préjudice était théorique et hypothétique.

 

[48]           Le défendeur fait valoir que la Commission n’a pas commis d’erreur en estimant que la défense de la contrainte ne s’appliquait pas et ajoute que le raisonnement suivi par la Commission aux paragraphes 27 à 35 de sa décision est clair, solide et complet.

 

[49]           Le défendeur soutient que la présente espèce est différente des affaires Ruzic et Maan, précitées, sur lesquelles les demandeurs se fondent. Les principales différences résident dans le fait que la Commission a conclu que la police aurait été disposée à venir en aide aux demandeurs s’ils avaient signalé les menaces qu’avait proférées le cartel du Golfe et que les demandeurs disposaient d’une possibilité de refuge intérieur au Mexique. Ainsi, à la différence de la situation qui existait dans les affaires Ruzic et Maan, le demandeur principal n’a pas perdu sa capacité d’agir librement et il existait donc une solution autre que celle de contrevenir à la loi.

 

[50]           Enfin, le défendeur affirme également que l’argument des demandeurs suivant lequel rien n’indique que le cartel du Golfe s’est servi de l’équipement illégal à des fins criminelles est dénué de fondement. En effet, le demandeur principal a expliqué que l’équipement qu’il avait obtenu pour le cartel était illégal et que le cartel avait commis des crimes tels que le trafic de stupéfiants, l’extorsion, le kidnapping et le meurtre. La Commission a raisonnablement inféré de ces admissions que les téléphones non localisables allaient servir à des activités illégales.

 

[51]           Le critère de la contrainte a été défini dans l’arrêt Ruzic. Ce critère a trois volets consiste à déterminer si les trois conditions suivantes sont réunies : 1) l’existence d’un danger imminent et évident; 2) l’absence de solution raisonnable et légale autre que celle de contrevenir à la loi; 3) l’existence de proportionnalité entre le mal infligé et le mal évité.

 

[52]           Au paragraphe 56 de l’arrêt Ruzic, la Cour suprême du Canada déclare : « Au Canada, le moyen de défense de common law fondé sur la contrainte échappe désormais aux restrictions d’immédiateté et de présence et paraît donc s’accorder davantage avec les valeurs de la Charte ». D’ailleurs, les tribunaux canadiens ont interprété l’immédiateté d’une manière beaucoup plus souple que certains de leurs homologues internationaux. Dans l’arrêt Ruzic, la Cour a jugé que :

[…] le critère d’immédiateté est interprété comme exigeant la présence d’un lien temporel si étroit entre les menaces et leur mise à exécution que l’accusé devient incapable d’agir librement. Des menaces qui ne satisferaient pas à ces conditions parce que, par exemple, leur auteur les a proférées longtemps auparavant, contribueraient à mettre en doute leur propre gravité et, plus particulièrement, l’argument de l’absence de moyen de s’en sortir sans danger (Ruzic, au paragraphe 65)

 

[53]           Une façon d’aborder la question de la contrainte consiste à se demander si la menace a eu pour effet d’ébranler la volonté de l’accusé au moment où il a commis le crime.

 

[54]           Pour l’application du critère de l’arrêt Ruzic, j’estime que le demandeur principal se trouvait dans une situation où il existait un danger clair et imminent. Bien que je reconnaisse qu’un certain délai s’est écoulé entre les menaces et l’acquisition des téléphones non localisables, j’estime que la volonté du demandeur principal était influencée par les menaces chaque fois qu’il obtenait les téléphones pour le cartel.

 

[55]           Quant au second volet du critère, je conclus que le demandeur principal a raisonnablement tenté d’éviter d’obtenir les téléphones : il a dit aux membres du gang qu’il ne pouvait pas les obtenir, il a fermé son commerce et l’a rouvert sous un nom différent, il a changé d’adresse à deux reprises et, malgré tous ces efforts et l’écoulement du temps, il a continué à être la cible du cartel du Golfe. Qui plus est, même s’il a demandé la protection de la police, cette dernière démarche s’est avérée vaine et ne constituait pas une solution raisonnable ou réaliste.

 

[56]           En ce qui concerne le troisième volet du critère, je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour dire qu’aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet du préjudice que le demandeur principal a causé en fournissant les téléphones non localisables au cartel du Golfe. J’estime que le cartel du Golfe a été en mesure de communiquer sans être localisé par les autorités grâce à ces téléphones, ce qui a pu entraver pendant un certain temps la capacité de la police d’appréhender les membres du cartel. Il n’y a toutefois aucun doute que les menaces que les membres du cartel ont proférées à l’endroit du demandeur principal et des membres de sa famille étaient réelles et que le préjudice qui a été causé au demandeur principal et les attentats à sa vie dont il a été victime étaient beaucoup plus important que les conjectures concernant ce qu’on aurait pu faire avec les téléphones non localisables.

 

[57]           Par conséquent, je conclus en l’espèce que le demandeur principal disposait d’une défense de contrainte valable et que la Commission a commis une erreur à cet égard.

 

iii.  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les infractions reprochées étaient « des crimes graves »?

 

[58]           Les demandeurs affirment que la Commission n’a pas correctement tenu compte des facteurs énumérés dans l’arrêt Jayasekara, précité, de la Cour d’appel fédérale dont il convient de tenir compte pour déterminer si un crime est un « crime grave de droit commun » au sens de l’alinéa 1Fb), à savoir : a) la peine prévue; b) les faits; c) les facteurs atténuants et aggravants sous‑jacents à la déclaration de culpabilité.

 

[59]           Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que, vu les faits de l’espèce, la Commission a tiré une conclusion déraisonnable en estimant que les agissements du demandeur principal équivalaient à une participation à un crime grave.

 

B.        La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur principal n’était pas un témoin crédible?

 

[60]           Même si je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie sur le seul fondement de la seule la première question, j’ai également examiné les deux autres.

 

[61]           Les demandeurs affirment que l’analyse que la Commission a faite de la crédibilité ne satisfait pas aux normes minimales résumées par la juge Eleanor Dawson dans KK c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 873, au paragraphe 4 : « [...] [La SPR] doit préciser les éléments du témoignage qui ne lui apparaissent pas crédibles et exposer clairement les motifs de cette conclusion ». En particulier, les demandeurs ont du mal à discerner les éléments de preuve précis que la Commission a jugé non crédibles, étant donné que les motifs exposés par la Commission à ce propos ne sont pas « exposés clairement ».

 

[62]           Les demandeurs font également valoir qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de qualifier le demandeur principal de criminel peu digne de foi alors qu’il n’a fait que fournir des téléphones non localisables au cartel du Golfe, et ce, sous la contrainte.

 

[63]           Le défendeur soutient que la Commission n’a pas commis d’erreur en tirant des conclusions négatives de la preuve des demandeurs et que cet argument ne permet pas de faire droit à une demande d’autorisation ou de contrôle judiciaire.

 

[64]           Le défendeur affirme que la décision de la Commission est claire : elle indique que la Commission a reproché au demandeur principal, premièrement, le temps qu’il avait laissé s’écouler avant de dénoncer les agissements du cartel du Golfe et, deuxièmement, l’absence de certains renseignements importants dans son Formulaire de renseignements personnels [FRP]. La Commission a également signalé le défaut du demandeur principal de déclarer aux autorités qu’il avait remis des téléphones non localisables aux membres du cartel du Golfe. En fin de compte, le défendeur soutient que, même si la Commission a commis l’erreur qu’on lui reproche, cette erreur ne tire pas à conséquence, vu la conclusion de la Commission au sujet de la protection de l’État.

 

[65]           Ainsi que le juge Ronald J. Rennie l’affirme dans Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 415, au paragraphe 16, la jurisprudence est claire en ce qui concerne la question de la crédibilité : « [...] Puisque la commissaire a eu l’avantage d’entendre le témoignage du demandeur et d’observer son comportement, la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de ses conclusions sur la crédibilité du demandeur, dans la mesure où il lui était loisible de tirer telles conclusions ».

 

[66]           J’estime qu’il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que le témoignage du demandeur principal n’était pas crédible. Qui plus est, la partie de sa décision dans laquelle la Commission remet en question la crédibilité du demandeur principal est transparente, intelligible et justifiée. La Commission a précisé sa pensée sur différentes incohérences, y compris les omissions qu’elle avait relevées dans le premier FPR, le temps que le demandeur principal avait laissé s’écouler avant de faire une dénonciation à la police et le fait qu’il n’avait pas signalé les téléphones non localisables aux autorités. Cela dit, la question de la crédibilité du demandeur principal ne devrait pas sceller le sort de la présente demande.

 

C.        La Commission a‑t‑elle commis une erreur en estimant que les demandeurs pouvaient compter sur la protection de l’État?

 

[67]           Les demandeurs s’opposent au fait que la Commission a admis, au paragraphe 55 de sa décision, que la preuve documentaire démontrait effectivement que la corruption constituait toujours un problème au Mexique et qu’elle a pourtant conclu que la situation s’était améliorée au point où les victimes de crime pouvaient compter sur une protection suffisante de l’État.

 

[68]           Les demandeurs affirment que la preuve n’appuie pas cette conclusion et qu’au contraire, des éléments de preuve documentaire que la Commission n’a pas cités indiquent que la corruption demeure un problème. Les demandeurs font valoir que l’omission de la Commission de citer ne serait‑ce qu’un seul de ces documents constitue une erreur susceptible de révision.

 

[69]           Les demandeurs reprochent également à la Commission d’avoir omis d’aborder deux aspects importants du propre témoignage du demandeur principal en ce qui concerne les tentatives qu’il a faites pour obtenir la protection de l’État. La première omission consiste dans le fait que le demandeur principal a été prévenu par les membres du cartel du Golfe de ne pas communiquer avec la police. La seconde omission porte sur le fait que les membres du gang se sont présentés à son domicile après qu’il eut signalé à la police le vandalisme dont son commerce avait fait l’objet, ce qui, suivant les demandeurs, donne à penser que les membres du cartel avaient pu obtenir son adresse résidentielle de la police.

 

[70]           Les demandeurs précisent que, contrairement à ce que prétend le défendeur, ils ne demandent pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve, mais ils invitent plutôt à la Cour de se demander s’il était raisonnable de la part de la Commission de n’examiner qu’une partie de la preuve documentaire et de minimiser les éléments de preuve qui contredisent ses conclusions au sujet de la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État, comme c’était le cas dans Huerta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 586 et Rodriguez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 262.

 

[71]           Le défendeur rappelle à la Cour qu’il incombe aux demandeurs de « produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante » (arrêt Carrillo, précité, au paragraphe 30). Le défendeur appuie la conclusion de la Commission que le Mexique est un pays démocratique dans lequel le gouvernement a le contrôle réel de son territoire et possède des autorités militaires et civiles et une force policière bien établies.

 

[72]           Le défendeur affirme également que la Commission n’a pas ignoré les éléments de preuve soumis par le demandeur principal au sujet de la corruption. Plus précisément, le défendeur invoque Clifford c Ontario Municipal Employees Retirement System, 2009 ONCA 670, au paragraphe 40, où l’on lit ce qui suit :

[traduction] Comme je l’ai dit, chaque élément de preuve n’a pas à être mentionné pour que les motifs soient suffisants; on doit simplement expliquer adéquatement dans ceux‑ci quel était le fondement de la décision.

 

[73]           Au paragraphe 50 de Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, la Cour suprême du Canada a expliqué qu’à moins d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’État est en mesure d’assurer la protection de ses citoyens. Elle a également expliqué qu’il incombe au demandeur de réfuter cette présomption en prouvant de « façon claire et convaincante » que l’État est incapable de protéger ses citoyens.

 

[74]           Le demandeur a également l’obligation de s’adresser aux autorités pour obtenir la protection de l’État. Les demandeurs sont en fait tenus de déployer des « efforts soutenus » pour obtenir la protection de l’État et il se peut qu’ils aient à faire des « efforts additionnels » pour réfuter la présomption (arrêt Carrillo, précité, au paragraphe 34).

 

[75]           La Cour peut intervenir si elle conclut que les demandeurs ont été en mesure de démontrer que les conclusions tirées par le tribunal au sujet de la protection de l’État ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve documentaire ou des témoignages versés au dossier (Castaneda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 393), ce qui ne veut toutefois pas dire que la décision sera infirmée uniquement parce que la Commission n’a pas tenu compte d’un document déterminé. Toutefois, ainsi que la Cour le déclare au paragraphe 88 de Rios c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 276 [Rios], les commissions ont l’obligation d’examiner les éléments de preuve importants dont elles sont saisies (voir Michel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 159, au paragraphe 40). Ainsi qu’il a été déclaré dans la décision souvent citée Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35, au paragraphe 17 :

[…] plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » […]

 

[76]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a omis d’examiner certains éléments de preuve documentaire qui allaient à l’encontre de la présomption de la protection de l’État. Dans la décision Rios, précitée, un argument semblable avait été formulé, à savoir que la Commission n’avait mentionné qu’une seule fois que « des lacunes dans le système de justice pénale mexicain » sans analyser davantage les importants éléments de preuve qui contredisaient sa conclusion que « des progrès continuent d’être réalisés pour ce qui est des efforts déployés par le gouvernement pour assurer une protection adéquate à ses citoyens ». Dans la décision Rios, le juge John A. O’Keefe a conclu que la Commission avait tiré une conclusion de fait erronée sur la question de la protection de l’État, et ce, sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

 

[77]           Dans le cas qui nous occupe, la Commission a reconnu, au paragraphe 57 de sa décision, que, « dans le passé, le Mexique a eu certaines difficultés à contrer la criminalité et la corruption qui existent au sein des forces de sécurité au Mexique », mais a conclu que les demandeurs n’avaient pas soumis des éléments de preuve clairs et convaincants démontrant que la protection de l’État au Mexique était inadéquate. Les demandeurs reprochent à la Commission de ne pas avoir accordé d’importance aux éléments de preuve qu’ils ont présentés et au témoignage du demandeur principal.

 

[78]           J’estime que, même s’il était loisible à la Commission de ne pas mentionner chaque élément de preuve qui lui avait été soumis par les parties, elle aurait néanmoins dû fournir une analyse plus poussée des éléments de preuve importants qui contredisaient ses conclusions selon lesquelles « dans l’ensemble, le Mexique s’occupe des problèmes de corruption et des faiblesses du système au sein des services de police ».

 

[79]           Compte tenu du témoignage du demandeur principal suivant lequel il a été agressé à son domicile pour la première fois après qu’il eut signalé à la police les dommages causés à sa boutique et le fait que la corruption semblait évidente en l’espèce, la Commission a tiré une conclusion de fait erronée sur la question de la protection de l’État dans le cas des demandeurs.

 

[80]           Les parties conviennent qu’à moins que je décide d’examiner la question de savoir si un crime grave commande une peine maximale de dix ans d’emprisonnement, il n’est pas nécessaire de certifier une question en l’espèce. Je n’ai donc certifié aucune question.

 

 


JUGEMENT

LA COUR :

1)                  ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire des demandeurs et RENVOIE l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision;

2)                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3223‑12

 

 

INTITULÉ :                                                  DIAZ et autres c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 24 janvier 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 29 janvier 2013

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ian Richler

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Gregory George

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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