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Date : 20130125

Dossiers : IMM‑1574‑11
IMM‑1575‑11

 

Référence : 2013 CF 80

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2013

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

IMM‑1574‑11

JEYAKUMARAN MUNEESWARAKUMAR

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

ET

 

IMM‑1575‑11

JEYAKUMARAN MUNEESWARAKUMAR

 

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur cherche à obtenir l’annulation de la décision fondée sur l’alinéa 115(2)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), dans laquelle une déléguée du ministre a estimé qu’il ne devait pas être présent au Canada en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés. Cette décision entraînerait l’expulsion du demandeur au Sri Lanka, bien qu’il ait obtenu le statut de réfugié au Canada.

 

[2]               Le demandeur sollicite également le contrôle judiciaire du rejet de sa demande de résidence permanente présentée en vertu de l’article 25 de la LIPR sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire (la demande CH).

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, les demandes sont rejetées.

 

Contexte

[4]               Le demandeur est un tamoul ayant la citoyenneté sri‑lankaise. Arrivé au Canada en 1992 avec son père à l’âge de 12 ans, il a obtenu la qualité de réfugié en 1993 et le statut de résident permanent en 1995.

 

[5]               En octobre 2002, le demandeur a été jugé interdit de territoire au Canada du fait de son appartenance à une organisation criminelle aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR. La Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a estimé qu’il était membre d’une organisation connue sous le nom des GilderBoys, elle‑même associée à un autre gang, les VVT. La Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[6]               Le 26 septembre 2006, une déléguée du ministre a émis un avis fondé sur l’article 115 de la LIPR et conclu qu’en vertu de l’alinéa 115(2)b), le demandeur ne devait pas être présent au Canada parce qu’il avait commis des crimes graves et violents dans le cadre d’une organisation criminelle.

 

[7]               Le demandeur devait être renvoyé du Canada le 2 décembre 2008. Sa demande de report a été rejetée. Il a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision et a demandé à la Cour de surseoir à son renvoi. Étant ensuite parvenu à un accord avec Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) et l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), il a abandonné ses demandes devant la Cour fédérale.

 

[8]               Le 29 janvier 2008, le demandeur a demandé que l’avis de la déléguée soit réexaminé parce que la situation dans le pays en cause avait changé et que de nouveaux éléments de preuve attestaient sa réadaptation. Il a également présenté une demande CH de résidence permanente. La déléguée a examiné ces demandes en même temps et les a rejetées toutes les deux. Elle a rendu à l’appui un seul exposé de motifs, en date du 2 février 2011.

 

L’avis fondé sur l’article 115

[9]               La déléguée a noté que l’avis antérieur fondé sur cette disposition avait été émis avant que la Cour d’appel fédérale ne rende l’arrêt Nagalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153. Elle a examiné le droit applicable énoncé dans cet arrêt, faisant observer que la norme de preuve n’était pas exigeante et qu’il suffisait qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait commis les actes en question. Elle a rappelé également que les actes pertinents sont ceux que le demandeur a commis personnellement ou dont il est complice au sens du droit criminel canadien. La complicité consiste notamment à aider ou à encourager et inclut d’autres actes criminels comme le complot.

 

[10]           La déléguée a conclu que les actes du demandeur étaient très graves pour les raisons suivantes :

1)                  En 1999, il a été déclaré coupable d’agression armée, l’arme étant une barre de métal. L’attaque était motivée par les velléités de contrôle territorial du gang. Le demandeur et un coaccusé avaient indiqué que l’altercation concernait une femme. Cependant, la déléguée a accordé plus de poids au rapport de police parce qu’il incluait des éléments de preuve fournis au même moment par un tiers.

2)                  En 2000, il a été déclaré coupable d’entrée par effraction.

3)                  Il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur appartenait aux Gilder Boys et qu’il était associé au gang des VVT. Il y avait également des motifs raisonnables de croire qu’il était proche du chef de ce groupe, un certain Kailesh.

4)                  Le VVT est un gang tamoul ayant des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET). Les sous‑gangs, comme les Gilder Boys, s’occupent moins de politique et davantage d’entreprises criminelles.

5)                  Il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait été complice de la perpétration d’un homicide en 1997, puisqu’il avait transporté des armes sur la scène du crime. Cet incident constituait [traduction] « un effort concerté d’un groupe d’individus en vue d’assassiner, de sang‑froid, un autre groupe d’individus. » Une personne est morte et deux autres ont subi des blessures par balle. Durant les entrevues menées par les enquêteurs de la police, un présumé participant a déclaré que le demandeur avait transporté des armes sur la scène du crime après que Kailesh le lui eut ordonné. Le demandeur a réfuté cette affirmation, mais un test polygraphique a révélé qu’il mentait. L’explication qu’il a offerte à la police contredisait également d’autres éléments de preuve.

6)                  La déléguée était convaincue, sur la foi de motifs raisonnables, que le demandeur avait apporté son aide à la perpétration de l’homicide en livrant des armes aux tireurs.

7)                  Les actes que le demandeur a commis en tant que membre des gangs VVT et Gilder Boys, et en particulier son rôle dans l’homicide, étaient très graves.

 

[11]           Le demandeur a fait valoir que la nouvelle situation au Sri Lanka l’exposait à un risque de persécution de la part du gouvernement de ce pays; il invoque notamment son statut de jeune homme tamoul sans carte d’identité et de criminel expulsé du Canada entretenant des liens présumés avec les TLET. Cependant, la déléguée a conclu, pour les motifs suivants, que le demandeur ne courrait aucun risque en cas de retour au Sri Lanka :

1)                  Le demandeur avait reçu le statut de réfugié car les TLET enrôlaient les enfants tamouls dans la guerre civile. Compte tenu du temps écoulé et des changements survenus dans ce pays, ce risque n’existait plus.

2)                  La preuve documentaire n’indiquait pas que l’absence de carte d’identité ou le fait d’être un Tamoul du Nord constituaient à l’heure actuelle des facteurs de risque.

3)                  D’après la preuve, des liens soupçonnés avec les TLET représentent effectivement un facteur de risque, et le demandeur a cité l’exemple d’hommes tamouls qui prétendent avoir été maltraités par les autorités sri‑lankaises après leur renvoi du Canada. La déléguée a estimé que la situation du demandeur était très différente. Il n’était pas un membre éminent des VVT et son cas n’avait pas attiré l’attention des médias.

4)                  L’argument selon lequel l’ASFC informera les autorités sri‑lankaises des antécédents criminels du demandeur n’est qu’une conjecture. Par ailleurs, il n’existe aucun lien direct entre ce dernier et les TLET. Quand bien même ce serait le cas, la preuve documentaire montre qu’un grand nombre de ceux qui ont été affiliés à cette organisation ont été relâchés, et que les partisans peu influents n’intéressent généralement pas les autorités.

 

La décision CH

[12]           La déléguée a estimé que la nature et la gravité des actes du demandeur l’emportaient sur les considérations d’ordre humanitaire. Elle a justifié le refus de la demande CH du demandeur pour les motifs suivants :

1)                  Le demandeur a vécu au Canada depuis l’âge de 12 ans. Il n’a pas terminé l’école secondaire et a une expérience professionnelle disparate.

2)                  Le demandeur a prétendu qu’il pourvoyait aux besoins de sa famille immédiate et éloignée. Or, aucune preuve ne se rapporte à sa situation professionnelle après 2008, année où il a cessé de travailler comme agent hypothécaire en raison d’accusations de fraude en instance.

3)                  Ses sources de revenus sont suspectes, son salaire annuel étant relativement faible eu égard aux obligations financières qu’il prétend assumer et à son mode de vie. Il n’a fourni aucune déclaration de revenus.

4)                  Même s’il n’a jamais été déclaré coupable de fraude, les accusations criminelles « jettent une ombre » sur la légitimité de ses revenus.

5)                  Le succès de ses entreprises commerciales n’était pas certain.

6)                  Plusieurs facteurs lui étaient favorables : ses activités de bénévolat, le soutien d’un large réseau d’amis et la durée de la période passée au Canada. Le demandeur a de la famille au Canada et l’intérêt de ses deux enfants joue également en sa faveur. La séparation d’avec sa famille provoquera des difficultés et une épreuve émotionnelle.

7)                  Cependant, le demandeur s’est marié après avoir été frappé d’une mesure d’expulsion. De plus, le couple a connu de nombreuses disputes qui ont donné lieu à l’intervention de la police, et même à des allégations de voies de fait et d’infidélité.

8)                  Il aurait à passer par une période d’adaptation au Sri Lanka, mais la situation du pays s’est améliorée.

 

Questions en litige

[13]           L’avis de la déléguée fondé sur l’article 115 et la décision CH sont tous deux soumis à la norme de la raisonnabilité, tandis que les questions d’équité procédurale doivent être examinées suivant la norme de la décision correcte : Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1; Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Nagalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153.

 

Analyse

Équité procédurale

[14]           Le demandeur prétend ne pas avoir été dûment avisé que la déléguée tiendrait compte de la preuve concernant sa participation à l’homicide et à la double fusillade. L’ASFC n’a pas expressément mentionné cette allégation dans les observations qu’elle a soumises au ministre.

 

[15]           Le 19 mars 2009, l’ASFC a communiqué 1 548 pages de documents au demandeur, en l’invitant à présenter une réponse. Les documents se rapportant à l’homicide, notamment les rapports de police, de même que la décision du ministre du 26 septembre 2006, en faisaient partie. L’avis ministériel de 2006 repose entre autres sur la participation du demandeur à l’homicide et à la double fusillade.

 

[16]           Cette communication est conforme aux exigences en matière d’équité procédurale. Il va de soi que toute information sur laquelle le décideur s’appuie doit être transmise au demandeur : Suresh. Cela dit, aucun précédent n’oblige à s’étendre sur la conduite précise que la déléguée a pu juger particulièrement pertinente ou décisive, ou à relever ou souligner les faits essentiels. L’équité procédurale exige de procéder à la communication, mais pas de trier les renseignements divulgués pour identifier les éléments de preuve que le décideur a jugés particulièrement pertinents. Dans les circonstances présentes, j’estime que le demandeur a été dûment informé de la preuve et des arguments invoqués contre lui.

 

Avis fondé sur l’article 115 : principes fondamentaux

[17]           Le paragraphe 115(1) de la LIPR reprend le principe de droit international de non‑refoulement, découlant de l’article 33 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. En termes simples, les réfugiés au sens de la Convention ne peuvent être renvoyés du Canada vers un pays où ils risquent d’être persécutés, soumis à la torture ou à des traitements ou peines cruels et inusités. Les alinéas 115(2)a) et b) prévoient une exception à cette règle générale si les réfugiés sont interdits de territoire au Canada pour grande criminalité organisée et si, de l’avis du ministre, ils ne devraient pas être présents au pays en raison de la nature et de la gravité de leurs actes passés. Ces dispositions sont rédigées comme suit :

115. (2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

 

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

 

 

 

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

115. (2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

 

 

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

 

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

 

 

[18]           Les « actes passés » pertinents au regard d’un avis fondé sur l’article 115 sont ceux que le demandeur a commis personnellement, y compris ceux, commis par des organisations criminelles et autres, dont il est complice. Pour déterminer si un individu était complice de la perpétration d’actes criminels, le décideur doit se rapporter au droit criminel canadien, et plus particulièrement aux dispositions ayant trait à l’aide et à l’encouragement de l’article 21 du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 (Code criminel). Cependant, le critère applicable est celui des motifs raisonnables de croire, moins strict que la norme criminelle de la preuve hors de tout doute raisonnable.

 

[19]           Les éléments prévus à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés font partie intégrante de la formulation d’un avis fondé sur l’article 115. Le ministre est en effet soumis à l’obligation générale d’évaluer, selon la prépondérance des probabilités, si la personne concernée sera exposée à une menace à sa vie, à sa liberté ou à la sécurité de sa personne advenant le refoulement. Le ministre doit pondérer ce risque au regard de la nature et de la gravité des actes : Nagalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153.

 

Preuve autorisée

[20]           L’affirmation du demandeur selon laquelle la déléguée ne pouvait examiner de preuve à l’appui d’allégations criminelles non corroborées est sans fondement. Pour parvenir à sa décision, la déléguée était en droit de tenir compte de tous les éléments de preuve raisonnablement tenus pour fiables et dignes de foi. La Cour a invariablement estimé que la preuve se rapportant à une accusation criminelle non corroborée pouvait motiver un avis fondé sur l’article 115 : Nagalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 176; Alkhalil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 976; Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 687.

 

[21]           La déléguée ne pouvait s’appuyer sur la simple existence d’une accusation criminelle, mais il n’y a pas d’erreur à se fonder sur la preuve qui sous‑tend une accusation. La juge Anne Mactavish a expliqué cette distinction dans Thuraisingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 607, au paragraphe 35 :

À mon avis, il faut établir une distinction entre le fait de se fonder sur le fait qu’une personne a été accusée d’une infraction criminelle et le fait de se fonder sur la preuve qui sous‑tend les accusations en question. Le fait qu’une personne a été accusée d’une infraction ne prouve rien : il s’agit seulement d’une allégation. Par contre, la preuve sous‑tendant l’accusation peut être suffisante pour justifier qu’un avis selon lequel une personne constitue un danger présent ou futur pour autrui au Canada soit émis de bonne foi.

 

[Souligné dans l’original.]

 

 

[22]           Cette explication a été endossée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sittampalam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 326, au paragraphe 50. Le droit sur ce point est donc bien établi. Si la déléguée ne pouvait examiner que les allégations ayant abouti à une déclaration de culpabilité au criminel, la norme de preuve serait hissée au niveau du critère de la preuve hors de tout doute raisonnable. Une preuve insuffisante pour établir la culpabilité du demandeur selon la norme criminelle pourrait cependant satisfaire au critère moins strict des motifs raisonnables de croire.

 

[23]           En l’espèce, la preuve découlant des rapports de police autorisait la déléguée à conclure que le demandeur avait été complice d’un homicide. Plus particulièrement, la déléguée s’est appuyée sur le rapport d’enquête policière sur l’homicide et sur les entrevues des témoins qu’il contenait.

 

[24]           La déléguée pouvait également examiner la preuve polygraphique : Maire c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 1185. D’après elle, cette preuve étayait les autres éléments contenus dans les rapports de police, en particulier les diverses entrevues.

 

[25]           Les résultats de tests polygraphiques ne sont pas recevables dans un procès criminel, non pas, comme l’a soutenu le demandeur, en raison de préoccupations touchant leur fiabilité, mais parce que ce type de preuve va à l’encontre des règles bien établies en matière de témoignage justificatif, de déclarations précédentes contradictoires, de preuve de moralité et de preuve d’expert. Plus important encore, les résultats de tests polygraphiques peuvent empiéter sur le rôle du juge des faits en ce qui a trait à l’évaluation de la crédibilité d’un témoin : R c Béland, [1987] 2 RCS 398.

 

[26]           Ces préoccupations ne concernent pas les procédures de droit administratif. Pour autant que son raisonnement remplissait les critères de transparence, d’intelligibilité et de justification, la déléguée n’était pas assujettie aux règles techniques régissant la preuve. Il est important de noter, dans le contexte précis de la présente affaire, qu’elle ne s’est pas servie de la preuve polygraphique pour déterminer la crédibilité du demandeur, mais plutôt comme d’un élément de preuve additionnel à considérer. Les questions posées dans le cadre du test polygraphique étaient indubitablement pertinentes, puisqu’elles visaient à établir si le demandeur avait transporté des armes sur la scène du crime.

 

Article 21 du Code criminel

[27]           Le demandeur soutient que la déléguée a commis une erreur en appliquant le droit criminel pour établir s’il était partie à un acte criminel de nature à justifier son renvoi ou s’il en avait été complice. La déléguée a conclu que le demandeur était complice d’un meurtre :

[traduction] […] [il] a été complice de la fusillade qui s’est soldée par un homicide orchestré par Kailesh, dans la mesure où il a transporté sur la scène du crime des armes dissimulées dans un haut‑parleur de sa voiture.

 

 

[28]           Le demandeur soutient que cette conclusion est insuffisante. La déléguée devait conclure qu’il existait des motifs raisonnables de croire que les éléments de l’article 21 du Code criminel et que l’infraction d’aide et d’encouragement avaient été établis par la preuve. Le demandeur fait valoir qu’il faut prouver l’intention pour établir l’aide et l’encouragement, et que dans le contexte d’un homicide, il faut pour cela que l’accusé connaisse l’intention de tuer de l’auteur principal. Le fait que les actes aient eu pour effet d’aider la perpétration de l’infraction ne suffit pas. Le but doit être prouvé. La déléguée devait conclure expressément que le demandeur était au courant de l’intention de tuer.

 

[29]           L’article 21 du Code criminel prévoit :

21. (1) Participent à une infraction :

 

 

a) quiconque la commet réellement;

 

b) quiconque accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre;

 

c) quiconque encourage quelqu’un à la commettre.

 

(2) Quand deux ou plusieurs personnes forment ensemble le projet de poursuivre une fin illégale et de s’y entraider et que l’une d’entre elles commet une infraction en réalisant cette fin commune, chacune d’elles qui savait ou devait savoir que la réalisation de l’intention commune aurait pour conséquence probable la perpétration de l’infraction, participe à cette infraction.

21. (1) Every one is a party to an offence who

 

(a) actually commits it;

 

(b) does or omits to do anything for the purpose of aiding any person to commit it; or

 

(c) abets any person in committing it.

 

(2) Where two or more persons form an intention in common to carry out an unlawful purpose and to assist each other therein and any one of them, in carrying out the common purpose, commits an offence, each of them who knew or ought to have known that the commission of the offence would be a probable consequence of carrying out the common purpose is a party to that offence.

 

 

[30]           La Cour d’appel s’est penchée sur l’article 21 dans l’arrêt Nagalingam, aux paragraphes 60 et 61 :

L’alinéa 21(1)a) déclare responsable en tant qu’auteur principal celui qui commet l’infraction en cause.

 

L’alinéa 21(1)b) déclare responsable en tant que participant celui qui accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à commettre une infraction, tandis que l’alinéa 21(1)c) le déclare responsable au même titre s’il a encouragé l’auteur principal à commettre l’infraction en cause.

 

[Souligné dans l’original.]

 

 

[31]           La déléguée a conclu que le demandeur [traduction] « avait été complice d’un homicide ». Il n’y a pas d’infraction de complicité, il s’agit plutôt d’une qualification concernant les parties à une infraction visées à l’article 21. Quelqu’un peut être partie à l’infraction d’homicide s’il a aidé à la commettre aux termes de l’alinéa 21(1)b) (en l’occurrence en transportant des armes sur la scène du crime) ou du paragraphe 21(2), en vertu duquel il suffit qu’il y ait une intention commune de poursuivre une fin illégale et que le demandeur ait su, ou aurait dû savoir, que la perpétration de l’infraction était une conséquence probable de la conduite.

 

[32]           L’infraction d’homicide coupable est définie en ces termes :

221. Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.

 

 

222. […]

(5) Une personne commet un homicide coupable lorsqu’elle cause la mort d’un être humain :

 

a) soit au moyen d’un acte illégal;

 

b) soit par négligence criminelle;

 

c) soit en portant cet être humain, par des menaces ou la crainte de quelque violence, ou par la supercherie, à faire quelque chose qui cause sa mort;

 

d) soit en effrayant volontairement cet être humain, dans le cas d’un enfant ou d’une personne malade.

221. Every one who by criminal negligence causes bodily harm to another person is guilty of an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding ten years.

 

222. …

(5) A person commits culpable homicide when he causes the death of a human being,

 

(a) by means of an unlawful act;

 

(b) by criminal negligence;

 

(c) by causing that human being, by threats or fear of violence or by deception, to do anything that causes his death; or

 

 

(d) by wilfully frightening that human being, in the case of a child or sick person.

 

 

[33]           L’infraction d’homicide concerne une série d’actes illégaux causant la mort, notamment la négligence criminelle causant la mort (article 220); le meurtre (article 229), au premier ou au deuxième degré (article 231); le meurtre réduit à un homicide involontaire coupable (article 232); et l’homicide involontaire coupable (article 236).

 

[34]           Dans le cas d’un meurtre, celui qui aide ou qui encourage une personne à commettre le crime doit avoir l’intention que la mort s’ensuive ou que l’auteur du crime ou lui‑même cause des lésions corporelles de nature à entraîner la mort et qu’il lui soit indifférent que la mort s’ensuive ou non : R c Kirkness, [1990] 3 RCS 74.

 

[35]           La position du demandeur, pour autant qu’il s’agisse d’un meurtre, est fondée : R. c McIntyre, 2012 ONCA 356; R. c Kirkness, [1990] 3 RCS 74. En l’espèce toutefois, la déléguée n’a pas fondé sa conclusion sur la catégorie étroite de l’infraction de meurtre au premier degré. L’acte très grave a été qualifié d’homicide ou catégorisé comme tel, ce qui, comme l’indique la définition, englobe le fait de « causer la mort par un acte illégal ».

 

[36]           Si l’intention de la personne ayant apporté son aide ne suffit pas à la faire déclarer coupable de meurtre, elle peut encore être déclarée coupable d’homicide involontaire si une personne raisonnable aurait compris, en toutes circonstances, que des lésions corporelles étaient une conséquence prévisible de l’acte dangereux intenté : Kirkness; R c Q.V.T.M.L., 2003 BCCA 48, au paragraphe 49.

 

[37]           Exiger de la déléguée qu’elle précise si l’acte illégal était un meurtre ou un homicide involontaire transformerait une audience de droit administratif en une procédure pseudo‑criminelle, qui par définition laisserait à désirer. La déléguée n’a pas de moyens pour établir, par exemple, si Kailesh avait l’intention d’assassiner la victime au moment où le demandeur a fourni les armes, comme elle aurait eu à le faire si l’acte très grave était qualifié de complicité de meurtre au premier degré.

 

[38]           Les conclusions de la déléguée relèvent des éléments nécessaires pour établir, suivant une norme moins stricte, la complicité d’homicide. Le juge Cory déclarait, dans l’arrêt Kirkness, à la page 88 :

Dans le cas d’un accusé qui aide ou encourage une personne à en tuer une autre, l’intention requise que celui‑ci doit avoir pour être déclaré coupable de meurtre doit être la même que celle qui est exigée de la personne qui commet réellement le meurtre. Cela veut dire que celui qui aide ou qui encourage une personne à commettre le crime doit avoir l’intention que la mort s’ensuive ou avoir l’intention que l’auteur du crime ou lui‑même cause des lésions corporelles de nature à causer la mort et qu’il lui soit indifférent que la mort s’ensuive ou non. Si l’intention de la partie qui aide est insuffisante pour justifier une déclaration de culpabilité de meurtre, alors cette partie peut toujours être déclarée coupable d’homicide involontaire coupable si elle savait que l’acte illégal auquel elle a fourni de l’aide ou un encouragement était de nature à causer des blessures, mais non la mort.

 

[39]           Par conséquent, l’intention de tuer et le fait de savoir que l’auteur principal était animé de cette intention ne sont pas exigés par la jurisprudence. L’intention de causer des lésions ou l’indifférence pour les conséquences suffira. Même si la partie qui apporte son aide n’a pas, comme l’accusé, l’intention de commettre un meurtre, il suffit qu’elle sache que des blessures, mais non la mort, sont susceptibles de s’ensuivre.

 

[40]           La déléguée a envisagé la connaissance et l’intention du demandeur. Elle a examiné la preuve de la police, qui montrait que l’homicide avait été orchestré par Kailesh, le chef des VVT. Elle a conclu :

[traduction] Finalement, et c’est le plus important, la preuve contenue dans les motifs de la SI donne des motifs raisonnables de croire que M. M a été complice d’une fusillade qui s’est soldée par un homicide orchestré par Kailesh, puisqu’il avait transporté sur la scène du crime des armes dissimulées dans son véhicule.

 

 

[41]           Après avoir cité les parties pertinentes du rapport de police, notamment le résumé d’une entrevue policière avec un participant qui confirme avoir entendu Kailesh ordonner au demandeur d’apporter les armes, la déléguée a conclu qu’ [traduction] « [il s’agissait] de l’effort concerté d’un groupe d’individus en vue d’assassiner, de sang‑froid, un autre groupe d’individus ».

 

[42]           Cette conclusion et les motifs qui précèdent attestent que pour la déléguée, le demandeur a sciemment participé à l’homicide.

 

[43]           Compte tenu de la preuve, il était raisonnablement loisible à la déléguée de tirer cette conclusion.

 

[44]           L’intention du demandeur de commettre un crime particulier est un élément nécessaire, mais accessoire à la véritable question en litige, qui est de savoir s’il a commis des actes très graves ou s’il en a été complice. En l’occurrence, il s’agit d’un homicide, qui est défini comme le fait de causer la mort par un acte illégal, ce qui peut vouloir dire qu’une partie doit avoir connaissance d’une intention de tuer, mais pas nécessairement. Si cet élément n’est pas établi, l’acte illégal peut être un homicide involontaire coupable. Aux paragraphes 77 et 79 de l’arrêt Nagalingam, la Cour d’appel fédérale a d’ailleurs indiqué qu’un délégué n’est pas tenu de tirer une conclusion précise sur la complicité. Il n’est donc pas nécessaire qu’il analyse l’infraction criminelle sous‑jacente au‑delà de la question de l’homicide.

 

[45]           L’argument du demandeur introduit dans une procédure administrative, à savoir la formulation d’un avis au titre de l’article 115, l’élément constitutif en droit criminel nécessaire pour confirmer une déclaration de culpabilité au criminel précise. La Cour d’appel fédérale a indiqué dans l’arrêt Nagalingam que l’on pouvait recourir au droit criminel pour produire un avis fondé sur l’article 115, tout en rappelant qu’il fallait le faire avec « circonspection et prudence » dans le contexte de l’immigration. Les principes du droit criminel éclairent mais n’orientent pas l’analyse du délégué quant à la question de savoir si la nature et la gravité des « actes passés » justifient l’émission d’un avis.

 

[46]           Même si elle n’établit pas explicitement l’existence d’une intention et ne se sert pas de l’expression « savait ou devait savoir », la déléguée a conclu qu’il s’agissait de [traduction] « l’effort concerté […] en vue d’assassiner » un autre groupe d’individus. C’est là, à mon avis, une conclusion suffisante en ce qui concerne l’intention puisqu’il s’agit de celle du demandeur et d’autres parties à l’infraction, à savoir Kailesh. La définition du dictionnaire du mot « concerté » montre que pour employer ce terme, il faut qu’il y ait connaissance et intention. Le dictionnaire Merriam‑Webster (en ligne) en donne cette définition : [traduction] « arrangé ou convenu mutuellement ». Le Canadian Oxford Dictionary (2e éd. 2004) donne une définition similaire : [traduction] « organisé ensemble; arrangé ou planifié conjointement ».

 

[47]           La déléguée a appliqué les bons critères juridiques pour conclure qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait apporté son aide à la perpétration d’un homicide; elle a raisonnablement estimé que ce geste, et il y en avait d’autres, démontrait qu’il avait commis des actes « très graves ». Aucune erreur susceptible de contrôle n’a été commise.

 

Le risque au Sri Lanka

[48]           Une fois parvenue à cette conclusion, la déléguée devait s’interroger sur le risque auquel le demandeur serait exposé s’il était renvoyé au Sri Lanka.

 

[49]           Le demandeur fait valoir que la déléguée a conclu à tort que la situation au Sri Lanka avait changé au point où seuls les membres influents des TLET étaient actuellement à risque. Il attire l’attention sur la preuve qui indique que toute personne soupçonnée d’entretenir des liens avec cette organisation est en danger. De même, il soutient que la déléguée s’est trompée en concluant qu’il n’était pas un membre important des TLET.

 

[50]           La déléguée a expliqué que même s’il était associé à des organisations ayant des rapports avec les TLET, le demandeur lui‑même n’avait pas de liens directs avec eux. Aucune preuve ne lui a été présentée pour établir qu’il ait jamais levé des fonds pour les TLET ou qu’il leur ait apporté son soutien de quelque autre manière. Ses conclusions reposaient donc sur la preuve. En fait, le demandeur conteste le poids que la déléguée a accordé à divers éléments de preuve : tel n’est pas le but du contrôle judiciaire.

 

[51]           L’argument voulant que la déléguée ait ignoré des éléments de preuve est lui aussi dénué de fondement. Elle s’est expressément référée aux rapports d’experts fournis par le professeur Anthony Good. Elle a également examiné le cas d’autres hommes tamouls renvoyés du Canada et a expliqué pourquoi elle avait jugé que leur situation était très différente : comme la situation dans le pays avait considérablement changé, la preuve datant de 2008 et 2009 était à son avis dépassée.

 

[52]           Enfin, le demandeur soutient que la déléguée ne s’est pas demandé si les changements survenus au Sri Lanka étaient véritables et durables. Ces propriétés du changement ne sont pas essentielles à l’analyse : Yusuf c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 35; Fabian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 851. La question à trancher est de savoir si le demandeur est personnellement exposé à un risque, selon la prépondérance des probabilités et compte tenu de la preuve existante, ce qui requiert notamment une analyse de la nature des changements. En d’autres termes, le caractère véritable et durable fait partie intégrante de l’analyse du risque. Attendre de la déléguée qu’elle prévoie dans quelle mesure les changements persisteront suppose un exercice de divination déplacé et conjectural. Le risque doit être évalué en temps réel, sur la base de faits connus. En l’espèce, la déléguée a examiné la preuve concernant le risque et est parvenue à une conclusion raisonnable quant au danger futur.

 

La décision CH

[53]           Le demandeur sollicite une dispense fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire à l’égard de l’interdiction de territoire pour criminalité dont il est frappé (dispense CH). Pour avoir gain de cause à cet égard, le demandeur doit démontrer que les difficultés découlant de son renvoi seraient inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[54]           Comme le précise l’arrêt Suresh, il n’est pas ici question de revenir sur le droit du demandeur à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. La déléguée avait déjà soigneusement évalué la question du risque dans son avis fondé sur l’article 115. La demande CH lui offrait plutôt l’occasion d’examiner des facteurs additionnels, tels que l’établissement du demandeur au Canada et l’intérêt supérieur de ses enfants.

 

[55]           Le demandeur fait valoir que la déléguée a outrepassé sa compétence en statuant sur sa demande CH, et que ce type de décision doit obéir à un processus en deux étapes. Tout d’abord, un agent de première ligne examine la demande et décide si elle devrait être approuvée en principe. La déléguée peut ensuite décider s’il faut accorder une dispense à l’égard de l’interdiction de territoire prononcée en vertu de l’alinéa 37(1)a).

 

[56]           Le guide de CIC indique que le bureau local doit transmettre le dossier au directeur de l’Examen des cas de l’Administration centrale de CIC s’il existe des facteurs CH susceptibles de justifier une dispense. S’il estime que ces facteurs sont insuffisants, le directeur peut rendre une décision défavorable.

 

[57]           C’est précisément ce qui s’est produit en l’espèce. Le dossier du demandeur a été traité au bureau de CIC de Scarborough (Ontario) avant d’être transmis à l’Administration centrale où la déléguée, qui est également directrice de l’Examen des cas, a estimé qu’une dispense à l’égard de la décision portant interdiction de territoire n’était pas justifiée. Aucune entorse au guide de la politique de CIC n’a été établie. Quoi qu’il en soit, les décisions internes liées au processus administratif de traitement des cas ne soulèvent pas de questions d’équité procédurale en l’absence d’une attente légitime ou d’une opportunité perdue d’être entendu.

 

[58]           La déléguée a expressément tenu compte du fait que le demandeur est arrivé au Canada en tant que réfugié, une situation qui échappait à son contrôle. Elle a estimé que le temps qu’il avait passé au Canada était favorable à l’acceptation de sa demande.

 

[59]           Comme nous l’avons déjà expliqué, la déléguée pouvait examiner les éléments de preuve sous‑tendant des allégations criminelles qui n’ont pas entraîné de déclarations de culpabilité.

 

[60]           Par exemple, la déléguée a pris en considération le simple fait que le demandeur avait fait face à des accusations criminelles de fraude liées à de fausses demandes de prêt hypothécaire. Elle n’a pas examiné la preuve sous‑jacente à cette allégation, mais uniquement l’accusation en soi. C’était une erreur. Cependant, je ne suis pas convaincu que cette erreur ait le moindre impact sur la décision. Les allégations de fraude étaient relativement mineures au regard des autres actes criminels dont il était question.

 

[61]           La déléguée doutait que le revenu déclaré par le demandeur lui permette réellement de mener son train de vie ou d’honorer ses obligations financières. Le demandeur n’a fourni aucune preuve d’emploi depuis 2008, et n’a pas présenté de déclaration de revenus. La déléguée a effectivement tenu compte des allégations de fraude, mais n’a pas moins souligné d’autres éléments de preuve qui mettaient en doute son revenu.

 

[62]           La déléguée a estimé que l’unité familiale et l’intérêt supérieur des enfants du demandeur militaient en faveur d’une dispense CH. Elle a considéré que la distance entre le Canada et le Sri Lanka créerait des difficultés. Elle pouvait aussi légitimement conclure qu’un ménage de deux parents est désirable, mais non essentiel, et que les méthodes modernes de communication permettraient au demandeur de rester en contact avec ses enfants. La déléguée a attentivement examiné l’intérêt supérieur de ces derniers. Ses conclusions sont raisonnables et étayées par la preuve.

 

[63]           Par ailleurs, les conflits familiaux sont une considération pertinente. Le fait que la police ait été appelée au domicile du demandeur en raison de ses disputes conjugales n’a pas été contesté. Ce n’était pas une erreur que d’en tenir compte. La déléguée ne l’a pas envisagé comme une preuve de criminalité, mais comme un élément utile pour soupeser l’affirmation du demandeur selon laquelle son renvoi causerait des difficultés inhabituelles à son épouse et à ses enfants.

 

[64]           En somme, compte tenu du large pouvoir discrétionnaire accordé au décideur dans le cadre des demandes CH et de la preuve présentée, il était raisonnablement loisible à la déléguée de statuer comme elle l’a fait. La méthode employée, le choix des critères pertinents ou l’évaluation de la preuve n’ont donné lieu à aucune erreur susceptible de contrôle.

 

Les questions certifiées

[65]           Le demandeur propose trois questions aux fins de certification.

[traduction]

1)                  La déléguée du ministre a‑t‑elle contrevenu aux principes d’équité procédurale ou de justice naturelle en s’appuyant dans sa décision sur des éléments de preuve qui n’ont pas été mis de l’avant par l’ASFC au même titre que les arguments invoqués contre le demandeur, sans d’abord les signaler à ce dernier?

2)                  La déléguée du ministre a‑t‑elle commis une erreur de droit en s’appuyant sur une preuve de conduite criminelle n’ayant pas abouti à une déclaration de culpabilité pour établir qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait commis une infraction criminelle ou en avait été complice?

3)                  Au moment d’appliquer l’article 21 du Code criminel pour déterminer s’il existe des motifs raisonnables de croire à une complicité de meurtre, la déléguée du ministre doit‑elle établir tous les éléments constitutifs de l’infraction, notamment l’intention?

 

[66]           Je note que ces questions se rapportent au contrôle judiciaire de l’avis fondé sur l’article 115 uniquement, et non de la demande CH.

 

[67]           Ne peuvent être certifiées que les questions graves de portée générale qui permettraient de régler un appel : Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, au paragraphe 11. Les trois questions proposées ne remplissent pas ce critère.

 

[68]           La première ne transcende pas l’intérêt des parties à la présente affaire. La question de savoir si un demandeur a obtenu une divulgation adéquate dépend grandement des faits en présence. Comme l’expliquait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kunkel c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 347, au paragraphe 11, « [c]e qui est équitable et raisonnable dans un cas pourrait ne pas l’être dans un autre cas. » Quoi qu’il en soit, compte tenu de la preuve et des faits établis, les documents ont été communiqués.

 

[69]           La deuxième question proposée n’est pas une question grave de portée générale puisque le droit est établi en cette matière. Le problème de savoir si la preuve qui sous‑tend une accusation criminelle, plutôt que l’accusation elle‑même, peut être considérée dans les circonstances ne fait pas vraiment débat : Thuraisingam.

 

[70]           Quant à la troisième question, l’arrêt Nagalingam nous apprend qu’au moment d’appliquer l’alinéa 115(2)b), il doit y avoir des motifs raisonnables de croire que la personne a commis personnellement l’acte ou qu’elle a été complice de sa perpétration, devenant ainsi une partie à l’infraction. L’une des exigences de l’article 21 du Code criminel est l’intention, quoique l’objet de la mens rea varie selon le crime. Comme nous l’avons noté, l’infraction d’homicide va de l’intention expresse et délibérée de tuer à l’exigence réduite de mens rea en cas d’homicide involontaire coupable. Les faits ne soulèvent en l’espèce aucune question véritable puisque la déléguée a établi les éléments factuels requis, notamment l’intention, pour conclure que le demandeur avait été complice d’un homicide au sens de l’article 21.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que les demandes de contrôle judiciaire sont rejetées. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1574‑11

 

INTITULÉ :                                                  JEYAKUMARAN MUNEESWARAKUMAR c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1575‑11

 

INTITULÉ :                                                  JEYAKUMARAN MUNEESWARAKUMAR c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION et
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 5 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 25 janvier 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Maria Burgos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ronald Poulton

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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