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Date : 20130104

Dossier : IMM‑2826‑12

Référence : 2013 CF 4

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2013

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

BO JIN SU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu général

 

[1]               M. Bo Jin Su affirme être un pratiquant du Falun Gong qui est recherché par le Bureau de la sécurité publique (BSP) en Chine. Il a demandé l’asile au Canada au motif qu’il est persécuté pour des motifs religieux en Chine.

 

[2]               Une formation de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés a rejeté la demande de M. Su, car elle a estimé qu’il n’était pas un véritable pratiquant du Falun Gong. La Commission a examiné les connaissances que possédait M. Su au sujet du Falun Gong et a conclu qu’elles étaient quelque peu rudimentaires et insuffisantes pour démontrer qu’il était un véritable croyant. Comme elle n’a pas reconnu que M. Su était un pratiquant authentique de ce mouvement, la Commission n’a accordé aucun poids aux documents présentés pour démontrer que le BSP lui avait adressé une assignation à comparaître et avait confisqué une partie de ses biens. Elle n’a également accordé aucun poids à un document montrant qu’il avait été visiter un autre pratiquant du Falun Gong en prison.

 

[3]               M. Su soutient que la décision de la Commission est déraisonnable. Celle‑ci lui a reproché de ne pas connaître certains volets du Falun Gong, alors qu’il a reconnu avoir de la difficulté à les comprendre. Par conséquent, sa non‑maîtrise de certains sujets n’aurait pas dû amener la Commission à mettre en doute la sincérité de ses croyances ou à rejeter des documents montrant les difficultés auxquelles il serait confronté s’il retournait en Chine. M. Su me demande d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner à une autre formation de la Commission d’examiner à nouveau sa demande d’asile.

 

[4]               Je conviens du fait que la décision de la Commission était déraisonnable et je dois, par conséquent, accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[5]               La seule question qui se pose en l’espèce est de savoir si la décision de la Commission était déraisonnable.

 

II. La décision de la Commission

 

[6]               La Commission a constaté que M. Su était capable d’exécuter la plupart des éléments des cinq exercices du Falun Gong. Elle a toutefois conclu que cela n’était pas suffisant pour démontrer que M. Su était un véritable croyant. Le pratiquant doit également comprendre la philosophie sous‑jacente du Falun Gong.

 

[7]               M. Su a expliqué qu’il exécutait chaque semaine les exercices du Falun Gong avec un groupe en Chine depuis deux ans, mais qu’il n’avait rien lu au sujet de la philosophie du Falun Gong avant d’arriver au Canada, où il a commencé à lire Zhuan Falun. Ce livre contient neuf cours qui présentent la philosophie du Falun Gong. La Commission lui a posé des questions au sujet des concepts abordés dans ce livre.

 

[8]               La Commission a demandé à M. Su quel était le cours qui abordait la notion de karma dans Zhuan Falun. M. Su a déclaré erronément que le karma était traité dans le cours 5, alors qu’il l’est dans le cours 4.

 

[9]               La Commission a interrogé M. Su au sujet de la notion d’« œil céleste ». M. Su a hésité dans sa réponse, mais a finalement décrit ses cinq niveaux. Lorsqu’on lui a demandé si son « œil céleste » était ouvert, M. Su a d’abord répondu oui et après une pause à l’audience, il a répondu que non. La Commission a jugé que les connaissances qu’avait M. Su du Falun Gong étaient insuffisantes.

 

[10]           La Commission a conclu que M. Su pouvait exécuter la plupart des exercices du Falun Gong et qu’il comprenait les principes sur lesquels certains d’entre eux reposaient. Toutefois, le maître Li, fondateur du Falun Gong, exige que les exercices soient exécutés avec précision et que le pratiquant comprenne la philosophie sur laquelle ils reposent. Or, M. Su ne possédait pas ce niveau de connaissance.

 

[11]           La Commission a conclu que les connaissances et la compréhension qu’avait M. Su du Falun Gong avaient pu être acquises au Canada pour étayer une demande d’asile frauduleuse. C’est la raison pour laquelle elle n’a accordé aucun poids aux photographies montrant que M. Su pratiquait le Falun Gong à Toronto, ni aux documents provenant de Chine appuyant son affirmation selon laquelle il avait été recherché par le BSP. La Commission a fait remarquer qu’il est facile d’obtenir en Chine des documents frauduleux.

 

[12]           La Commission a par conséquent rejeté la demande de M. Su.

 

III. La décision de la Commission était‑elle déraisonnable?

 

[13]           Le ministre m’a rappelé qu’il y avait lieu de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la Commission et que je ne devais intervenir que si la conclusion de la Commission était soit inintelligible, soit non justifiée par le dossier. Le ministre soutient que la décision de la Commission est raisonnable, étant donné qu’elle est fondée sur le témoignage peu convaincant de M. Su.

 

[14]           Je ne suis pas d’accord. À mon avis, la Commission ne s’est pas contentée de décider si M. Su craignait avec raison d’être persécuté ou maltraité en Chine. En outre, les doutes qu’entretenait la Commission, même s’ils étaient raisonnables, n’auraient pas dû l’amener à n’accorder aucun poids à la preuve documentaire qui étayait la demande de M. Su.

 

[15]           La Commission doit évidemment décider si la base sur laquelle repose la demande d’asile du demandeur est crédible. Lorsque la demande repose pour l’essentiel sur une allégation de persécution religieuse, il se pose naturellement la question de savoir si la personne est effectivement membre de la religion mentionnée. Les arguments fondés sur la persécution politique ou sur l’orientation sexuelle soulèvent parfois des questions semblables.

 

[16]           La Commission a manifestement le droit de se demander si le récit du demandeur d’asile est crédible, ce qui peut l’amener à lui poser des questions au sujet des caractéristiques fondamentales de la religion en question (Zhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1066, au paragraphe 17). Le demandeur d’asile dont les connaissances ne correspondent pas à la durée de ses activités religieuses ou à leur intensité aura du mal à être convaincant. Mais le demandeur d’asile dont les connaissances sont imparfaites ou même récentes peut tout de même être sincère et cette personne peut fort bien craindre avec raison d’être persécutée si elle était renvoyée du Canada. Il n’est pas facile de tirer des conclusions sur ces questions. Heureusement, la Cour s’en remet à la Commission pour tirer ces conclusions, et elle fait preuve de retenue à cet égard; elle hésite donc à intervenir sauf lorsque la Commission exige, de façon déraisonnable, plus d’un demandeur donné que ce qu’il peut offrir. Bien souvent, le témoignage du demandeur d’asile au sujet des autres aspects de sa demande aide la Commission à apprécier sa crédibilité ou son appartenance religieuse (Hou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 993, au paragraphe 54).

 

[17]           En l’espèce, le demandeur, M. Su, ne possédait qu’une instruction rudimentaire. Il a déclaré s’être joint à un groupe qui pratiquait le Falun Gong en Chine et que personne ne lui a expliqué la philosophie sous‑jacente de ce mouvement. En raison de leurs activités, M. Su et les personnes qui pratiquent le Falun Gong avec lui ont été recherchés par le BSP. À son arrivée au Canada, M. Su a essayé d’en apprendre davantage sur la philosophie du Falun Gong, mais il a éprouvé de la difficulté à comprendre les cours du maître Li. Il ne les avait étudiés que pendant six mois environ. Cela ne permet pas, à mon avis, de conclure que M. Su n’était pas véritablement intéressé à pratiquer le Falun Gong. La Cour a souvent conseillé à la Commission de faire preuve de prudence dans ce genre de cas parce qu’il est difficile de savoir si les croyances religieuses d’une personne sont authentiques (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 288, aux paragraphes 59 à 61; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 346, au paragraphe 9).

 

[18]           En l’espèce, les questions que la Commission a posées à M. Su n’étaient pas en soi critiquables. Dans le dossier, je ne peux toutefois trouver aucune justification à la conclusion de la Commission selon laquelle M. Su n’était pas un véritable pratiquant du Falun Gong. Il se peut fort bien qu’il soit un adepte imparfait du maître Li, mais ses connaissances étaient assez grandes et la compréhension qu’il avait de la philosophie du Falun Gong était considérable, même si elle n’était peut‑être pas profonde. Il n’y a pas d’autres aspects de son témoignage au sujet desquels la Commission a mis en doute sa crédibilité. Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle M. Su n’était pas un véritable pratiquant du Falun Gong est déraisonnable.

 

[19]           Il s’ensuit que la Commission a commis une erreur en écartant la preuve documentaire à l’appui de la demande d’asile de M. Su. Les documents provenant de Chine montraient qu’il était recherché par le BSP. La Commission n’a pas envisagé la possibilité que, même si elle ne considérait pas que M. Su était un pratiquant du Falun Gong, le BSP le recherche pour la simple raison qu’il pratiquait les exercices. Il est possible que le BSP ne se soit pas inquiété autant que la Commission de savoir si M. Su pouvait faire une différence entre le contenu du cours 5 et celui du cours 4 dans Zhuan Falun. La preuve documentaire aurait pu confirmer le récit des faits de M. Su et était bien évidemment pertinente pour sa demande d’asile.

 

[20]           Je conclus par conséquent que la décision de la Commission était dans l’ensemble déraisonnable, étant donné sa conclusion selon laquelle les croyances de M. Su n’étaient pas authentiques et son refus d’examiner la preuve documentaire appuyant sa demande.

 

IV. Conclusion et dispositif

 

[21]           La Commission a conclu de façon déraisonnable que les lacunes de M. Su en tant qu’étudiant du Falun Gong démontraient qu’il n’était pas un véritable pratiquant. En outre, la conclusion de la Commission l’a amené à écarter, de façon déraisonnable, les éléments de preuve appuyant le témoignage de M. Su selon lequel il craignait que le BSP le recherche, s’il retournait en Chine, en raison de sa participation à un groupe du Falun Gong. J’estime par conséquent que la décision de la Commission est déraisonnable et je dois faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire. Ni l’une ni l’autre des parties n’a demandé la certification d’une question de portée générale, et aucune question ne sera formulée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission pour nouvel examen.

2.                  Aucune question de portée générale n’est formulée.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2826‑12

 

INTITULÉ :                                                  BO JIN SU
c
MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 29 novembre 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 4 janvier 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elyse Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Rafeena Rashid

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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