[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2012
En présence de monsieur le juge Martineau
ENTRE :
|
SOCIÉTÉ ANONYME DES BAINS DE MER ET DU CERCLE DES ÉTRANGERS À MONACO, SOCIÉTÉ ANONYME
|
|
|
|
|
et
|
|
|
LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE
|
|
|
|
|
|
|
|
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La Société anonyme des bains de mer et du cercle des étrangers à Monaco, Société anonyme, [la demanderesse] interjette appel, en application du paragraphe 56(1) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T‑13 [la Loi], de la décision (2011 COMC 207), en date du 3 novembre 2011, par laquelle la Commission des oppositions des marques de commerce du registraire des marques de commerce [le registraire] a repoussé en partie la demande d’enregistrement no 1216708 qu’elle a présentée pour une marque de commerce canadienne [la demande].
CONTEXTE
[2] La demande, produite par la demanderesse sur la base d’un emploi et d’un enregistrement à l’étranger, visait l’enregistrement au Canada de la marque de commerce MONTE‑CARLO BEACH HOTEL [la marque], notamment en liaison avec les marchandises et services suivants :
savons de toilette, savons antibactériens; parfumerie; huiles essentielles à usage personnel, à application topique, pour le soin de la peau; cosmétiques, nommément : crèmes, laits, gels, lotions, huiles, baumes, masques, exfoliants pour le soin du visage, du corps, des mains et des pieds; lotions pour les cheveux; boissons, nommément eaux minérales ou gazeuses (les marchandises de la demanderesse);
hébergement temporaire, hôtellerie, nommément : hôtel, réservation d’hôtels, motels, location d’appartements meublés pour des séjours de courte, longue ou moyenne durée [les services de la demanderesse).
[3] La demanderesse se définit elle‑même comme une société constituée sous le régime des lois de la Principauté de Monaco [Monaco]. Elle précise que son siège social ou son principal établissement est situé à Monaco. La demanderesse possède ou exploite notamment deux palaces et deux hôtels de luxe : l’Hôtel de Paris (Place du Casino, Monaco), l’Hôtel Hermitage (Square Beaumarchais, Monaco), l’hôtel Monte‑Carlo Beach (avenue Princesse Grace, Roquebrune‑Cap‑Martin, Monaco) et l’hôtel Monte‑Carlo Bay & Resort (avenue Princesse Grace, Monaco).
[4] Monte Carlo Holdings Corp [la défenderesse] s’est opposée à la demande pour plusieurs motifs. Constituée en personne morale sous le régime des lois de l’Ontario, la défenderesse a son siège social ou son principal établissement à Mississauga, en Ontario. Elle exploite une chaîne d’hôtels fonctionnels dans le sud de l’Ontario et est propriétaire des marques de commerce déposées MONTE CARLO INN & dessin (LMC442550) et MONTE CARLO INN & dessin de couronne (LMC442551) [les marques de commerce MONTE CARLO INN].
[5] Les marques de commerce MONTE CARLO INN protègent les dessins‑marques de la défenderesse associés aux marchandises suivantes sur lesquelles elle revendique un usage au Canada remontant au 7 août 1985 :
savons pour les mains, savons de toilette, shampoing, lotion pour le corps, tasses, pantoufles, nécessaires de cirage pour chaussures, bonnets de douche, brosses à dents, peignes, casquettes de golf, chemises polos, coupe‑vents de golf, balles de golf, blousons d’aviateur en cuir, ensembles de matelas et de sommiers à ressorts, oreillers décoratifs, tasses et soucoupes à cappuccino, à café et à expresso, stylos, ensembles d’ouvre‑lettres et de stylos et eau embouteillée [les marchandises de la défenderesse].
La défenderesse revendique également sur les services suivants un usage au Canada remontant au 7 août 1985 pour le premier groupe, et à janvier 1998 pour le second :
services d’hôtel et de motel, nommément installations d’hébergement, salles de réunion et bureaux, et services de stationnement et d’entretien de locaux;
parrainage d’équipes de hockey, d’équipes de soccer et d’événements sportifs, nommément tournois de golf [les services de la défenderesse].
[6] La demanderesse a produit sa demande le 13 mai 2004 et revendiqué la date de priorité du 23 décembre 2003 sur la base d’une demande produite et enregistrée à Monaco (numéro 24352) en liaison avec des marchandises et services semblables. La demanderesse a fait annoncer sa demande dans l’édition du 31 octobre 2007 du Journal des marques de commerce. La défenderesse a quant à elle produit le 26 mars 2008 une déclaration d’opposition, que le registraire a transmise à la demanderesse le 17 avril 2008. La demanderesse a, à son tour, produit le 10 juin 2008 une contre‑déclaration dans laquelle elle niait tous les motifs d’opposition.
[7] La défenderesse a invoqué quelque huit motifs d’opposition fondés sur l’article 30, l’alinéa 12(1)d), les alinéas 16(2)a), b) et c) et l’article 2 de la Loi. Le registraire a expressément rejeté quatre des autres motifs d’opposition (ceux qui étaient tirés de l’article 30 et de l’alinéa 16(2)d)) parce qu’ils avaient été mal plaidés ou parce que la défenderesse n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve à l’appui), mais il n’a pas statué sur les autres motifs d’opposition qui avaient été soulevés – et qui portaient sur le droit à l’enregistrement en vertu des alinéas 16(2)a) et c) de la Loi ainsi que sur le caractère distinctif au sens de l’article 2 de la Loi –, étant donné que la question de la confusion était la question déterminante. Le registraire a repoussé en partie la demande et n’a retenu qu’un seul motif d’opposition : l’enregistrabilité de la marque en vertu de l’alinéa 12(1)d) et le défaut de demanderesse de s’acquitter du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que, lorsqu’elle serait employée en liaison avec ses marchandises et ses services, sa marque ne créerait pas de confusion avec les marques de commerce MONTE CARLO INN.
LE PRÉSENT APPEL
[8] La demanderesse soutient que le registraire a commis des erreurs de fait et de droit et elle a présenté de nouveaux éléments de preuve en appel en vue de faire infirmer la décision contestée. Par son avis de demande, la demanderesse sollicite, conformément à l’article 56 de la Loi, une ordonnance faisant droit à la présente demande, annulant la décision par laquelle le registraire a repoussé en partie la demande et rejetant tous les motifs d’opposition à l’enregistrement de la marque.
[9] La défenderesse a déposé un avis de comparution et conteste le présent appel. Elle n’a toutefois conservé que cinq de ses motifs d’opposition. Elle a par ailleurs elle aussi présenté de nouveaux éléments de preuve en appel. À cet égard, la demanderesse fait valoir que la Cour ne devrait pas tenir compte de certains de ces nouveaux éléments, étant donné que la défenderesse ne devrait pas être autorisée à attaquer indirectement la décision contestée en faisant valoir des moyens qui ont été rejetés par le registraire ou que la défenderesse n’avait pas soulevés au départ dans son opposition.
[10] La demanderesse se fonde principalement sur l’alinéa 301e) des Règles des Cours fédérales, DORS/2004‑283, ch 36 [les Règles]. Cette disposition vise habituellement à faire en sorte que les demandeurs articulent dans leur avis de demande un énoncé clair et complet des motifs invoqués au soutien de leur demande (Producteurs Laitiers c Chypre (Commerce et Industrie), 2010 CF 719, au paragraphe 48, [2010] ACF no 853, conf. par 2011 CAF 201 au paragraphe 15). Par exemple, dans l’affaire Conagra, Inc c McCain Foods Ltd, 2001 CFPI 963, 210 FTR 227 [Conagra] – dans laquelle le registraire avait rendu une décision partagée en repoussant en partie la demande d’enregistrement de la défenderesse en application du paragraphe 38(3) de la Loi –, la Cour déclare, au paragraphe 119 : « Toutefois, il importe de noter que mon analyse ne se rapportera qu’aux autres marchandises étant donné que la conclusion que le registraire a tirée au sujet des autres marchandises n’a pas été portée en appel » [non souligné dans l’original].
[11] La demanderesse cite également WR Meadows, Inc et autre c USE Hickson Products Ltd, [1999] ACF no 1440 au paragraphe 7, 2 CPR (4th) 413 :
Je suis également d’avis que les Règles ne prévoient pas de demande reconventionnelle. Dans sa demande reconventionnelle, la défenderesse conclut à la radiation d’une marque de commerce enregistrée au nom d’une des demanderesses. Or, la procédure à suivre pour demander ce genre de réparation consiste, selon moi, à introduire une demande distincte et, le cas échéant, à demander, en vertu de l’article 105 des Règles, la réunion de l’instance des demanderesses et de l’instance distincte introduite par la défenderesse. Les pièces produites par la défenderesse ne justifient pas de faire exception à la procédure habituelle.
[12] Pour sa part, la défenderesse invoque la décision Autodata Ltd c Autodata Solutions Co, 2004 CF 1361, au paragraphe 26, [2004] ACF no 1653 [Autodata], rendue par notre Cour : « [D]ans l’appel, la Cour pourra exercer tout pouvoir discrétionnaire dont est investi le registraire. Par conséquent, il est manifestement loisible à la défenderesse de soulever des points autres que ceux qui sont soulevés par la demanderesse. Et si tel est le cas, comme ce l’est dans la présente affaire, alors il ne s’agit pas de circonstances particulières ni de circonstances qui n’ont pas été envisagées par les rédacteurs des Règles ». La Cour fait d’ailleurs observer : « Dans la mesure où l’exposé des faits et du droit de la défenderesse soulève des arguments inédits qui ne pouvaient pas être raisonnablement anticipés, la demanderesse, faut‑il le rappeler, aura l’occasion de présenter une réponse complète à l’audition de la demande de contrôle judiciaire ».
[13] Quoi qu’il en soit, la demanderesse établit une distinction entre la présente espèce et Autodata, faisant valoir que dans cette dernière affaire la défenderesse avait clairement énoncé ses motifs d’opposition dans son avis de comparution, contrairement à la défenderesse en l’espèce : « [L]a défenderesse a clairement exposé dans son avis de comparution les points qu’elle entend soulever en opposition à l’appel, et les bases de sa position. Ce sont tous des points qui ont été examinés au cours de la procédure d’opposition. Des preuves ont été produites par les deux parties au soutien de leurs positions, sous la forme d’affidavits, et des contre‑interrogatoires sur affidavits ont eu lieu » (Autodata, au paragraphe 27). En conséquence, la demanderesse répète qu’il est trop tard maintenant pour permettre à la défenderesse d’invoquer des motifs d’opposition qui n’ont pas été soulevés ou examinés, ou autrement écartés par le registraire.
[14] Je ne vois pas quel préjudice pourrait subir la demanderesse si l’on permettait à la défenderesse de débattre sur le fond des motifs que le registraire a déjà rejetés. De plus, je ne considère pas comme nécessairement fatale l’omission de la défenderesse d’inclure des motifs d’opposition déjà connus dans son avis de comparution en vue d’en débattre. Pareilles irrégularités procédurales devraient être soulevées par voie de requête et pourraient être corrigées par la partie adverse en se conformant aux directives de la Cour. La situation pourrait toutefois être différente s’il s’agissait de motifs d’opposition n’ayant jamais été soulevés devant le registraire et pour lesquels la défenderesse présenterait de nouveaux éléments de preuve. Je suis porté à me rallier au point de vue de la demanderesse et à estimer qu’il est trop tard à cette étape‑ci pour permettre à défenderesse de remettre en question l’emplacement de l’hôtel Monte‑Carlo Beach. Il semble qu’il se trouve à Roquebrune, en France, et non à Monte‑Carlo, ce qui soulève la question de l’emploi de la marque à Monaco.
[15] On est en droit de s’interroger sur la diligence dont a fait preuve la défenderesse, étant donné que l’intérêt de la justice est toujours un facteur primordial lorsque le tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire. Ainsi, suivant Palmer c La Reine, [1980] 1 RCS 759, à la page 760 :
On doit donner la prépondérance, dans cette disposition, à l’expression « l’intérêt de la justice » et il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de permettre à un témoin, par la seule répudiation ou modification de ses dépositions au procès, de rouvrir des procès à volonté au détriment général de l’administration de la justice. Les demandes de cette nature sont fréquentes et les cours d’appel de diverses provinces se sont prononcées à leur égard. Les principes suivants s’en dégagent : (1) On ne devrait généralement pas admettre une déposition qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produite au procès, à condition de ne pas appliquer ce principe général de manière aussi stricte dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles […] La façon dont on a abordé la question suit donc celle adoptée par cette Cour dans McMartin c. La Reine, [1964] R.C.S. 484.
[16] Toutefois, en dernière analyse, je n’ai pas à trancher cette question dans le présent appel. Même si je tiens pour acquis que la demanderesse subirait un préjudice en raison des irrégularités procédurales que j’ai signalées, il n’en demeure pas moins que tout nouveau motif d’opposition que soulève la défenderesse dans son mémoire n’est pas déterminant. En effet, le présent appel doit quand même être rejeté sur le fondement du motif de la confusion. Dans le cas qui nous occupe, je ne suis pas convaincu que le registraire a commis une erreur de fait ou de droit en concluant que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’employée en liaison avec ses marchandises et services, sa marque ne créerait pas de confusion avec les marques de commerce de la défenderesse.
CHARGE DE LA PREUVE ET NORME DE CONTRÔLE
[17] La Loi impose en tout temps à la demanderesse le fardeau ultime de démontrer que sa demande est enregistrable et distinctive et qu’elle satisfait par ailleurs aux dispositions de la Loi. La demanderesse doit convaincre la Cour qu’il n’existe aucune probabilité raisonnable de confusion avec une marque déjà enregistrée. Néanmoins, au cours d’une procédure d’opposition, le fardeau de preuve initial repose sur l’opposant (qui est en l’espèce devenu la défenderesse), qui a l’obligation de présenter suffisamment d’éléments de preuve admissibles pour permettre au décideur de vérifier l’existence des faits allégués à l’appui de chacun des motifs d’opposition.
[18] Dès lors que l’opposant (ou le défendeur) s’est acquitté de son fardeau initial, le fardeau de preuve est déplacé sur le demandeur, qui doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les motifs d’opposition sur lesquels repose l’opposition ne devraient pas faire obstacle à l’enregistrement de sa marque de commerce (Joseph E Seagram & Sons Ltd et al c Seagram Real Estate Ltd (1984), 3 CPR (3d) 293, [1984] TMOB No 69; John Labatt Ltée c Brasseries Molson Ltée, 36 FTR 70, 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst); Wrangler Apparel Corp c The Timberland Company, 2005 CF 722, 272 FTR 270).
[19] La demanderesse ne conteste pas le fait qu’en l’espèce la défenderesse s’est acquittée de son fardeau initial.
[20] L’article 56 de la Loi dispose :
56. (5) Lors de l’appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi. |
56. (5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar. |
[21] La norme de contrôle applicable dépend de la réponse à la question de savoir si de nouveaux éléments de preuve ont été ou non soumis à la Cour et, le cas échéant, de l’importance de ces nouveaux éléments de preuve. Dans le cadre du présent appel, tant la demanderesse que la défenderesse ont signifié et déposé de nouveaux éléments de preuve sous forme d’affidavits. Aucune des parties n’a contre‑interrogé les auteurs de ces affidavits.
[22] Lorsque la Cour est saisie d’éléments de preuve complémentaires qui auraient influencé sensiblement les conclusions de fait tirées par le registraire ou l’exercice que celui‑ci a fait de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit trancher de nouveau la question après avoir examiné l’ensemble de la preuve dont elle dispose. Pour ce faire, la Cour substitue son opinion à celle du registraire sans qu’il lui soit nécessaire de trouver une erreur dans le raisonnement du registraire. En revanche, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable lorsque, dans le cadre d’un appel interjeté en application de l’article 56 de la Loi, on n’a pas déposé de nouveaux éléments de preuve qui auraient pu avoir une incidence importante sur les conclusions du registraire ou l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (Mattel, Inc c 3894207 Can Inc, 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772 [Mattel]; Prince c Orange Cove‑Sanger Citrus Association, 2007 CF 1229, au paragraphe 9, 322 FTR 2112 [Prince]; Brasseries Molson c John Labatt Ltée, [2000] 3 CF 145, au paragraphe 51, 252 NR 91 (CAF), autorisation d’appel à la CSC refusée, (2000), 261 NR 398n [Brasseries Molson]; Natursource Inc c Nature’s Source Inc, 2012 CF 917, au paragraphe 23, 104 CPR (4th) 1); Glenora Distillers International Ltd c Scotch Whiskey Association, 2009 CAF 16, [2010] 1 RCF 195, autorisation d’appel à la CSC refusée, (2009), 398 NR 399n).
[23] Les nouveaux éléments de preuve déposés par la demanderesse doivent modifier radicalement la situation factuelle pour que la Cour ait le pouvoir discrétionnaire absolu d’annuler la décision du registraire (Mattel, au paragraphe 23). Ainsi que Fox l’écrit dans son ouvrage Fox on Canadian Law of Trade‑marks and Unfair Competition (édition à feuilles mobiles (consulté le 5 décembre 2012), Toronto, Thomson Carswell, 2002), à la page 6‑48 [Fox] : [traduction] « le simple fait que de nouveaux éléments de preuve ont été présentés en appel n’a pas nécessairement pour effet de ramener la norme de contrôle applicable en appel à celle de la décision correcte. Il faut tenir compte de la qualité des nouveaux éléments de preuve. La question qui se pose est celle de savoir jusqu’à quel point les nouveaux éléments de preuve ont une valeur probante supérieure à celle des éléments dont disposait la Commission ». Fox poursuit : [traduction] « Si l’élément apporté a peu de poids et ne consiste qu’en une simple répétition des éléments déjà mis en preuve, sans en accroître la force probante, il s’agira de déterminer si le registraire a rendu une décision manifestement erronée. En pareil cas, la présentation de nouveaux éléments de preuve n’aura pas d’influence sur la norme de contrôle appliquée par la Cour en appel » (idem) (voir également Vivat Holdings c Levi Strauss & Co, 2005 CF 707, au paragraphe 27 : « Le critère en est un de qualité et non de quantité », et la décision Prince, précitée, au paragraphe 9).
[24] Les parties s’entendent sur les principes généraux susmentionnés relatif à la norme de contrôle applicable mais sont en désaccord sur la question de savoir si les éléments de preuve supplémentaires qui ont été présentés dans le cadre du présent appel par la demanderesse auraient eu une incidence importante sur la conclusion du registraire au sujet de la confusion.
[25] Il vaut la peine de mentionner, avant d’entamer l’analyse, que lorsqu’on estime que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable, on doit faire preuve de déférence à l’égard de la décision compte tenu de l’expertise de registraire et on doit évaluer la décision en fonction de « [s]a justification […], [de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que de son] appartenance aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). Indépendamment de la question de savoir si la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est celle de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable, le fait que le registraire a rendu une décision partagée en l’espèce ajoute un degré de complexité à l’analyse du traitement qu’il convient de réserver à la décision frappée d’appel en l’espèce.
ANALYSE ET CONCLUSIONS DE LA COUR
[26] À diverses reprises au cours de l’audience devant la Cour, l’avocat de la demanderesse a avancé l’idée que, si l’on se représentait les marchandises et les services dont la demanderesse sollicite l’enregistrement comme une tarte, le registraire lui en avait accordé la plus grande partie et ne lui en avait refusé qu’une petite portion. La demanderesse est d’avis que le présent appel ne porte que sur ce petit morceau à l’égard duquel le registraire lui a refusé l’enregistrement. Comme la question de la confusion était déterminante, j’axerai mon analyse sur la question de savoir si les nouveaux éléments de preuve qui ont été présentés en appel auraient influencé la décision du registraire essentiellement pour ces motifs.
[27] La défenderesse avance que la marque n’est pas enregistrable aux termes de l’alinéa 12(1)d) de la Loi parce qu’elle crée de la confusion avec les marques de commerce MONTE CARLO INN. Ainsi que le registraire l’explique au paragraphe 18 de la décision contestée, la défenderesse « peut simplement s’appuyer sur ses certificats d’enregistrement sans établir l’existence d’un emploi antérieur des marques de commerce visées par ces enregistrements ». Toutefois, il incombe à la demanderesse de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’emploi de sa marque de commerce en liaison avec ses marchandises et services n’est pas susceptible de créer de la confusion avec les marques de commerce MONTE CARLO INN. Ces principes généraux ne sont pas contestés par les parties.
[28] Le critère permettant de déterminer s’il y a ou non confusion doit être appliqué à la lumière des paragraphes 6(2) et 6(5) de la Loi, qui disposent :
6. (2) L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.
[…]
(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :
a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;
b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;
c) le genre de marchandises, services ou entreprises;
d) la nature du commerce;
e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent. |
6. (2) The use of a trade‑mark causes confusion with another trade‑mark if the use of both trade‑marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade‑marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.
…
(5) In determining whether trade‑marks or trade‑names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including
(a) the inherent distinctiveness of the trade‑marks or trade‑names and the extent to which they have become known;
(b) the length of time the trade‑marks or trade‑names have been in use;
(c) the nature of the wares, services or business;
(d) the nature of the trade; and
(e) the degree of resemblance between the trade‑marks or trade‑names in appearance or sound or in the ideas suggested by them. |
[29] Dans le cadre de cette analyse, le registraire a renvoyé à un jugement récent de la Cour suprême du Canada, Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc et autre, 2011 CSC 27, [2011] 2 RCS 387 [Masterpiece]. La Cour suprême a expliqué qu’on doit accorder plus d’importance au dernier facteur, celui du degré de ressemblance entre les marques, mais qu’il n’était pas nécessaire d’accorder le même poids à chacun des facteurs. Dans le cas qui nous occupe, le registraire a estimé que le degré de ressemblance entre les marques des parties, le genre des marchandises et services et les voies de commercialisation utilisées par les parties étaient les facteurs clés.
[30] La demanderesse admet, dans le présent appel, que l’appréciation de la preuve et la pondération des facteurs applicables relèvent de la compétence spécialisée du registraire, mais soutient que les éléments de preuve complémentaires qu’elle présente auraient eu une incidence importante sur la conclusion du registraire suivant laquelle elle ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer, selon la prépondérance de probabilités, qu’employée en liaison avec ses marchandises et services, sa marque ne créerait pas de confusion avec les marques de commerce de la défenderesse au Canada.
[31] Voici en quoi consistent les éléments de preuve supplémentaires présentés par la demanderesse :
a) l’affidavit de Mabel Hung;
b) l’affidavit de Diana Mateus;
c) l’affidavit de Sylvie Nadaud;
d) l’affidavit d’Isabelle Simon;
e) copies certifiées conformes des dossiers de l’OPIC concernant les demandes 2154597, 2260904 et 2260899;
f) copies certifiées conformes des enregistrements LMC 700469, LMC 631932, LMC 658801, LMC 719591 et LMC 663641.
[32] Pour réfuter les nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse dans le cadre du présent appel, la défenderesse a soumis comme preuve supplémentaire l’affidavit souscrit par Mme Cindy Shattler.
[33] J’ai lu attentivement la décision contestée rendue par le registraire, et en particulier la question de la confusion, à la lumière des éléments de preuve déjà versés au dossier et des éléments de preuve supplémentaires déposés en appel. Je suis arrivé à la conclusion que les éléments de preuve supplémentaires n’auraient pas eu une incidence importante sur la conclusion de confusion tirée par le registraire (décision du registraire, paragraphes 18 à 30). Par souci de commodité, je ne vais pas nécessairement reprendre chacun des éléments de preuve et des arguments formulés par les parties dans l’ordre dans lequel le registraire les a tranchés ni celui dans lequel les parties les ont présentés à la Cour dans leur mémoire ou dans lequel les avocats les ont plaidés à l’audience du présent appel.
Présumé vice dans la chaîne de titres
[34] Le registraire a commencé son analyse en examinant l’argument de la demanderesse portant sur l’existence d’un vice dans la chaîne des titres de propriété des marques de commerce MONTE CARLO INN. La demanderesse soutient, qu’au vu du troisième affidavit de M. Meffe, on ne sait pas exactement quelle entité est propriétaire des marques de commerce MONTE CARLO INN & dessin et quelle entité peut se prévaloir de leur emploi antérieur. Plus précisément, la demanderesse affirme qu’il est évident que les franchisés sont autorisés à employer les marques de commerce mais que le franchiseur ne peut en revendiquer l’emploi antérieur.
[35] Le registraire n’avait pas l’obligation d’aborder cette question pour pouvoir trancher le motif d’opposition connexe, mais il a néanmoins déclaré brièvement que les vices dans la chaîne des titres de propriété n’auraient d’incidence que sur l’examen des deux premiers critères énumérés de l’analyse de la confusion au titre du paragraphe 6(5) de la Loi, ce qui n’aurait pas une très grande importance étant donné que le registraire insisterait finalement sur le degré de ressemblance des marques de commerce des parties et sur la nature de leurs marchandises et de leurs services ainsi que sur les voies de commercialisation qu’elles utilisent.
[36] En réponse à ces considérations, la demanderesse a présenté de nouveaux éléments de preuve en soumettant un affidavit, celui de Mme Hung, dans lequel celle‑ci expose le profil d’entreprise de la défenderesse et celui d’une autre entité juridique distincte, désignée sous le nom de société ontarienne numéro 1772970 [la nouvelle entité]. La défenderesse a été constituée en personne morale le 23 mars 1992 en tant que société ontarienne no 981026. Elle s’appelait à l’origine « Monte Carlo Hotel‑Motel International Inc. ». Le 1er août 2008, la défenderesse a changé sa dénomination pour celle de Monte Carlo Holdings Corp. La nouvelle entité a été constituée en personne morale le 30 juin 2008 et, le 1er août 2008, elle a changé sa dénomination pour celle de « Monte Carlo Hotel‑Motel International Inc. ».
[37] La raison pour laquelle la demanderesse a produit ces nouveaux éléments de preuve est qu’elle cherche à prouver qu’il y a eu une rupture dans la chaîne de titres en démontrant que la défenderesse et la nouvelle entité – qui sont deux personnes morales distinctes – partageaient la même dénomination, en l’occurrence Monte Carlo Hotel‑Motel International Inc., et que la défenderesse s’est départie de cette dénomination le même jour que celui où la nouvelle entité l’a adoptée. Il s’ensuit, selon la demanderesse, que bien la nouvelle entité soit un franchiseur de la chaîne Monte Carlo Inn depuis des années, elle ne détient pas de licence lui permettant d’employer les marques de commerce de la défenderesse au Canada.
[38] La défenderesse rétorque qu’il n’y a pas eu de rupture dans la chaîne de titres. La défenderesse ne nie pas les changements survenus dans la dénomination et affirme en fait que le seul changement qui est survenu est celui qui a été apporté dans la dénomination de l’entreprise et le fait que Monte Carlo Holdings Corp. a toujours été propriétaire des marques de commerce MONTE CARLO INN sans qu’il y ait transfert de propriété. Pour ce qui est du « titre bon et valable », la défenderesse souligne que, bien que la demanderesse affirme qu’il n’existe pas de licence en bonne et due forme entre la défenderesse et le propriétaire des marques de commerce MONTE CARLO INN, la demanderesse n’en reconnaît pas moins que chacun des « franchisés » (hôtels) de la défenderesse est titulaire d’une licence régulièrement concédée par la défenderesse.
Allégation de concession irrégulière de licence
[39] La demanderesse soutient également que le franchiseur ne détient pas une licence régulière mais que les affidavits de M. Meffe présentés au registraire démontrent encore une fois que toutes les licences ont été régulièrement concédées :
(i) toutes les marques de commerce MONTE CARLO INN appartiennent à la défenderesse et font l’objet de licences concédées par la défenderesse;
(ii) tous les établissements utilisant les marques de commerce MONTE CARLO INN appartiennent à des franchisés qui sont titulaires de licences portant sur les marques de commerce MONTE CARLO INN;
(iii) conformément à l’entente de licence conclue entre la défenderesse et ses licenciés, la défenderesse exerce un contrôle sur la nature et la qualité des marchandises vendues et des services exécutés par ses licenciés et par chacune des propriétés utilisant les marques de commerce MONTE CARLO INN au Canada;
(iv) la défenderesse exerce le contrôle mentionné au paragraphe (iii) depuis 1992.
[40] La défenderesse convient que l’affidavit de Mme Hung démontre effectivement qu’il existe deux personnes morales mais ajoute qu’il n’y a aucun élément de preuve qui appuie l’argument que l’affidavit de Mme Hung démontre de quelque façon que ce soit qu’il n’existe pas d’entente de licence entre la défenderesse et Monte Carlo Hotel‑Motel International Inc. La défenderesse signale également que, si la demanderesse avait souhaité éclaircir un aspect des affidavits de M. Meffe, il lui était loisible de procéder à un contre‑interrogatoire au cours de la procédure d’opposition, ce qu’elle n’a pas fait.
[41] Je dois donner raison à la défenderesse. Je ne vois pas comment les nouveaux éléments de preuve qui ont été présentés par le biais de l’affidavit de Mme Hung ont aidé la demanderesse à s’acquitter du fardeau qui lui incombait de démontrer que sa marque de commerce est enregistrable et qu’elle ne crée aucune confusion avec celle de la défenderesse. Ce nouvel élément de preuve n’a aucune incidence importante sur la décision du registraire, de sorte qu’aucun nouveau procès n’est nécessaire. Qui plus est, la norme de contrôle applicable est donc celle de la décision raisonnable (ainsi que nous l’avons déjà expliqué) et le registraire s’est conformé à cette norme de contrôle dans sa décision (Dunsmuir, au paragraphe 47).
La question du caractère distinctif
[42] Le registraire a ensuite abordé le volet de l’analyse de la confusion relatif à la question du caractère distinctif (alinéa 6(5)a) de la Loi). Mais avant d’aborder ce facteur clé de sa décision, le registraire a formulé quelques observations au sujet de la faiblesse des marques de commerce des parties. Le registraire a toutefois fait observer que la marque de commerce MONTE CARLO INN & dessin de couronne faisait toutefois exception à cette faiblesse en raison de la grande place qu’occupait de façon visible le dessin en forme de couronne. Le registraire signale en outre la très petite taille des lettres à l’intérieur du dessin.
[43] La demanderesse a soumis de nouveaux éléments de preuve à cet égard par le biais de l’affidavit de Mme Nadaud, dont elle se sert pour tenter de démontrer que MONTE CARLO est un élément commun d’une foule de marques de commerce et de dénominations sociales.
[44] Certes, MONTE CARLO est un élément courant, mais, dans le présent contexte, j’estime que les éléments de preuve que constituent l’affidavit de Mme Nadaud ne sont pas assez importants pour représenter une différence suffisamment significative pour influencer la façon dont le registraire aurait pu juger la première procédure d’opposition. Ainsi, en appliquant la norme de la décision raisonnable à cette partie de la décision, je conclus que le registraire a suffisamment examiné cette question et bien motivé sa décision à cet égard, de sorte qu’il a respecté la norme de contrôle applicable.
Mesure dans laquelle les marques de commerce sont connues
[45] Les arguments fondés sur la mesure dans laquelle les marques de commerce sont connues recoupent ceux que j’ai déjà abordés au sujet des titres et de la chaîne de titres.
[46] La demanderesse affirme que le registraire a commis une erreur en examinant la mesure dans laquelle la marque était connue. Elle a soumis l’affidavit de Mme Simon à l’appui de cet argument. Dans son affidavit, Mme Simon explique que de nombreux consommateurs canadiens sont demeurés fidèles à l’établissement de la demanderesse depuis 2008 et que, plus important encore, il est possible de visiter de façon virtuelle l’établissement de la demanderesse depuis 2001. Les sites Internet illustrant l’établissement de la demanderesse ont été visités par plus de 31 000 personnes du Canada. Je ne suis pas certain que les visites effectuées sur un site Internet génèrent nécessairement une preuve solide en ce qui concerne la mesure dans laquelle une marque est connue, surtout si seulement une portion (Monte Carlo Beach) de la marque apparaît de façon claire sur les sites visités.
[47] La demanderesse met cette situation en contraste avec l’emploi que la défenderesse fait de sa marque de commerce à six endroits dans le sud de l’Ontario depuis 1995 et formule une objection au sujet d’un tel emploi d’une marque de commerce en signalant le changement de dénomination survenu en 2008 (déjà mentionné) relativement à la question de l’octroi d’une licence valable. La défenderesse a déjà clairement abordé cette question et la demanderesse n’a pas réussi à s’acquitter de son fardeau de la preuve à cet égard.
[48] Il vaut également la peine de mentionner qu’indépendamment du changement de dénomination sociale de la défenderesse, celle‑ci contient toujours les mots MONTE CARLO. Pour le consommateur ordinaire plutôt pressé, il n’y aurait probablement pas une différence notable (Veuve Cliquot Ponsardin c Boutiques Cliquot, 2006 CSC 23, [2006] 1 RCS 824 [Veuve Cliquot]).
[49] Là encore, je ne crois pas que la décision du registraire aurait été sensiblement différente s’il avait eu en mains les affidavits de Mme Simon et de Mme Hung.
Période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage
[50] En appel, la demanderesse a soumis l’affidavit de Mme Simon pour démontrer que la marque est employée depuis 1980 et pour confirmer la période depuis laquelle elle a été en usage, ajoutant que la renommée du Monte‑Carlo Resort remonte au XIXe siècle. Contrairement à la demanderesse qui s’en est tenue à des affirmations générales, la défenderesse a présenté des éléments de preuve assez précis au sujet du véritable emploi des marques au Canada. La défenderesse fait également état de l’argument de la demanderesse au sujet du présumé vice dans la chaîne de titres de la défenderesse et s’en sert plutôt pour confirmer que les marques de commerce MONTE CARLO sont utilisées depuis août 1985 (et depuis le changement de dénomination sociale de la défenderesse en 2008) et met ce fait en contraste avec l’incapacité de la demanderesse de démontrer concrètement que sa marque était devenue connue de quelque façon que ce soit au Canada avant le 23 décembre 2003.
[51] Là encore, je ne vois pas en quoi ces nouveaux éléments auraient pu avoir une incidence importante sur la décision du registraire.
Genre de marchandises et services de la demanderesse et leurs voies de commercialisation
[52] L’élément clé de la décision de registraire porte sur le genre de marchandises et services et sur leurs voies de commercialisation ainsi que sur le degré de ressemblance entre les marques de commerce des parties. La demanderesse soutenait que les services hôteliers de la défenderesse étaient fournis surtout dans le sud de l’Ontario tandis que ceux de la demanderesse étaient offerts à Monaco. Le registraire a fait observer que les certificats d’enregistrement obtenus par la défenderesse lui conféraient le droit d’employer ses marques de commerce partout au Canada. Le registraire a signalé qu’il n’existait par contre aucun élément de preuve comparable permettant de conclure que la demanderesse possédait un droit semblable. À l’époque, la demanderesse affirmait que l’adresse indiquée dans la demande se trouvait à Monaco, ce qui devait fournir au registraire la preuve que les services hôteliers de la demanderesse étaient offerts à Monaco. Le registraire a raisonnablement refusé de tirer une telle inférence et a fait observer que, si la demanderesse obtenait l’enregistrement de sa marque, elle aurait le droit d’utiliser sa marque partout au Canada au même titre que la défenderesse.
[53] Le registraire a également abordé l’argument de la demanderesse suivant lequel il y avait de toute évidence une différence dans la clientèle des parties étant donné qu’une « inn » [auberge] coûterait moins cher qu’un « motel » [motel] ou un « hotel » [hôtel]. Le registraire a, là encore, refusé d’accepter cet argument et a fait observer qu’il existait clairement un chevauchement en ce qui concerne les services suivants :
hébergement temporaire, hôtellerie, nommément : hôtel, réservation d’hôtels, motels, location d’appartements meublés pour des séjours de courte, longue ou moyenne durée
Le registraire a également estimé qu’il existait un chevauchement lorsqu’on examinait l’enregistrement des marchandises suivantes :
savons de toilette, savons antibactériens; parfumerie; huiles essentielles à usage personnel, à application topique, pour le soin de la peau; cosmétiques, nommément : crèmes, laits, gels, lotions, huiles, baumes, masques, exfoliants pour le soin du visage, du corps, des mains et des pieds; lotions pour les cheveux; boissons, nommément eaux minérales ou gazeuses
[54] La demanderesse a présenté de nouveaux éléments de preuve en soumettant l’affidavit de Mme Simon pour démontrer le caractère luxueux de ces établissements et le fait que ceux‑ci existent depuis longtemps. En tant qu’actionnaire important dans la Principauté de Monaco « elle‑même », la demanderesse affirme que ses établissements [traduction] « sont une référence dans le tourisme de luxe partout dans le monde ». Le Monte‑Carlo Beach, en particulier, est décrit comme [traduction] « un joyau de la couronne du lieu de villégiature Monte‑Carlo », ajoutant que des touristes provenant de partout dans le monde – y compris des Canadiens – perpétuent son enviable réputation dans leurs rêves. Par contraste, la demanderesse compare ses propres établissements aux hôtels moins sophistiqués de la défenderesse et rappelle leurs [traduction] « humbles débuts comme motel ». La demanderesse insiste particulièrement sur le fait que la défenderesse ne cherche nullement à se dépeindre comme un établissement de luxe. L’idée derrière de ce raisonnement est que la différence importante qui existe dans le genre de marchandises et services et des voies de commercialisation réduit de façon importante les risques de confusion. À l’audience qui s’est tenue devant la Cour, l’avocat de la demanderesse a insisté sur la place que sa cliente occupe parmi les établissements les plus luxueux, mettant en contraste ce fait avec ce qu’il a appelé la catégorie « budget » occupée par les établissements de la défenderesse.
[55] La défenderesse a également introduit à titre de nouveaux éléments de preuve au sujet du genre de services et des voies de commercialisation l’affidavit souscrit par Mme Cindy Shattler. La défenderesse estime qu’il n’y a pas de différence de clientèle lorsqu’on emploie le mot « hôtel » plutôt que le mot « motel », d’autant plus qu’en fait, la nature des produits et des services offerts aux clients sont les mêmes : logement, restauration, services et commodités. La défenderesse signale que le mot « inn » [auberge] pourrait attirer le voyageur davantage soucieux de son budget, tandis que le mot « hotel » [hôtel] pourrait s’adresser à celui qui est moins préoccupé par le prix. À l’audience, la demanderesse n’avait rien à dire au sujet de cette question de terminologie et la défenderesse a décidé de ne rien rajouter à ce sujet.
[56] La défenderesse a formulé ce que j’estime être un argument déterminant en l’espèce : si la demanderesse devait obtenir l’enregistrement de la marque de commerce qu’elle sollicite, elle pourrait alors utiliser sa marque de commerce comme elle le souhaite, et ce, peu importe qu’elle vise ou non une clientèle davantage « soucieuse de son budget »; rien ne l’empêcherait d’agir de la sorte à l’avenir. Bien sûr, la demanderesse insiste avec force sur la place bien ancrée qu’elle occupe dans la fourchette supérieure du marché des hôtels de luxe, mais le passé n’est en rien garant de l’avenir.
[57] Dans l’arrêt Masterpiece, la Cour suprême discute de la même question, au paragraphe 107 :
Rien dans cet enregistrement ne limite Alavida au « marché haut de gamme ». En effet, cet enregistrement autorisait Alavida à employer sa marque de commerce dans le même marché que celui desservi par Masterpiece Inc. Pour les besoins de l’analyse relative à la confusion, les services fournis par les parties sont essentiellement les mêmes […]. Rien ne justifie de faire une distinction entre le « marché haut de gamme » et le « marché intermédiaire ». […] [L’]examen du genre de services en cause augmente la probabilité de confusion chez le consommateur ordinaire.
[58] La défenderesse affirme également – avec de nouveaux éléments de preuve à l’appui – qu’il existe en Amérique du Nord une tendance chez les propriétaires d’hôtels hauts de gamme à ouvrir des hôtels d’échelle modérée à prix abordable. À titre d’exemple, la défenderesse mentionne le cas de chaînes d’hôtels prisés comme HILTON GARDEN INNS et COURTYARD BY MARIOTT de la chaîne Mariott. La défenderesse cherche ainsi à démontrer que sa marque d’« inns » [auberges] de catégorie intermédiaire pourrait aisément être confondue avec la version du MONTE‑CARLO BEACH HOTEL d’échelle modérée, ce qui pourrait se traduire par une perte de caractère distinctif.
[59] À mon avis, il existe une distinction entre, d’une part, un hôtel de luxe qui exploite également des hôtels plus modestes qui ne comportent pas d’élément distinctif dans son nom et, d’autre part, un hôtel de luxe qui possède une autre marque d’hôtels de catégorie intermédiaire qui ne comporte pas d’élément distinctif dans son nom. Ainsi, la chaîne COURTYARD BY MARIOTT de Mariott arbore de toute évidence un nom différent de la chaîne MARIOTT, ce qui indique clairement au client qu’il s’agit de deux chaînes différentes. La situation est différente de l’éventuel MONTE‑CARLO BEACH HOTEL de catégorie intermédiaire qui exploiterait également des hôtels de catégorie plus modeste sans aucune modification de nom. La possibilité que la demanderesse empiète sur le marché intermédiaire sans modifier sa dénomination sociale est à mon avis mince, voire nulle, étant donné que la demanderesse se retrouverait ainsi à diluer sa propre marque.
Degré de ressemblance entre les marques de commerce
[60] Sur le plan phonétique, la marque de commerce MONTE CARLO INN et dessin de la défenderesse et la marque de la demanderesse ne présentent aucune ressemblance. Le registraire a par ailleurs signalé la similitude des « idées » que les deux marques suggèrent. Comme je l’ai déjà mentionné, le registraire s’est dit d’avis que MONTE CARLO était une composante faible des marques de commerce, mais il a tout de même admis qu’il s’agissait d’un élément important des marques de commerce en question ainsi que le premier élément de chacune d’entre elles. Le registraire a ensuite fait observer que le caractère descriptif des mots BEACH, MOTEL, HOTEL et INN. En ajoutant que les mots MOTEL, HOTEL et INN avaient un sens similaire, en ce sens qu’ils désignaient un endroit où l’on peut s’attendre à trouver un hébergement temporaire. Pour ce qui est du mot BEACH se trouvant à la fin de la marque, le registraire a décidé que l’ajout de ce mot ne créait pas une marque qui, dans l’ensemble, pouvait être distinguée de la marque de commerce Monte Carlo et Inn de la défenderesse. Le registraire a également expliqué que la caractéristique graphique de la marque de la demanderesse n’en constituait pas une caractéristique dominante.
[61] À l’audience, la demanderesse s’est concentrée sur l’utilisation du mot BEACH, affirmant qu’il s’agissait d’un facteur distinctif important permettant de la distinguer de la marque MONTE CARLO INN de la défenderesse. Or, selon la jurisprudence, « le premier mot ou la première syllabe d’une marque de commerce est celui ou celle qui sert le plus à établir son caractère distinctif » (Conde Nast Publications inc c Union des éditions modernes, [1979] ACF no 801, 46 CPR (2d) 183, à la page 188 (CF 1re inst) (voir également Sum‑Spec Canada Ltd c Imasco Retail Inc/Société de Détail Imasco Inc, [1990] ACF no 241, 35 FTR 44). Il convient de rappeler que les mots communs aux hôtels en question figurent au début de leurs marques respectives.
[62] Le paragraphe 6(2) de la Loi parle de l’emploi de marques de commerce concurrentes dans la même région en liaison avec des marchandises ou des services comparables. À l’audience, l’avocat de la défenderesse a évoqué le scénario hypothétique d’une confusion à la lumière de la ressemblance entre les marques de commerce. Après avoir examiné l’ensemble de l’affaire, j’estime que cet argument est valable. Il y aurait effectivement un risque de confusion dans une situation dans laquelle la marque d’hôtels de la défenderesse et celle de la demanderesse viseraient des établissements construits et exploités sur le bord du lac Ontario. Dans ce scénario, il ne serait pas difficile que le consommateur ordinaire pressé qui se fie à sa première impression confonde les deux hôtels soit en consultant un site Internet, soit en passant devant les hôtels (Veuve Cliquot, au paragraphe 20; Brasseries Molson, au paragraphe 84). Une analyse de la confusion dans l’hypothèse d’une proximité géographique a été examinée par la Cour suprême dans l’arrêt Masterpiece, aux paragraphes 29 à 33, et le risque de confusion est accepté sans qu’il soit nécessaire de soumettre une preuve documentée (voir également Mattel, au paragraphe 89 et Christian Dior, SA c Dion Neckwear, 2002 CAF 29, au paragraphe 19, [2002] ACF no 95).
[63] La demanderesse conteste également la décision du registraire en ce qui concerne le son, l’apparence et les idées suggérés par les marques de commerce. En ce qui concerne le son, la demanderesse affirme que son nom a [traduction] « un certain rythme poétique » qu’on ne retrouve pas dans celui de la défenderesse. Pour ce qui est de l’apparence, la demanderesse soutient que la symétrie visuelle de sa marque en constitue un aspect déterminant qui permet de la distinguer de toute autre marque. Elle invoque également les idées suggérées par la marque en ce qui concerne la distinction relative au mot BEACH. L’affidavit de Mme Mateus (combiné à celui de Mme Simon) sont invoqués en tant que nouveaux éléments de preuve en appel par la demanderesse pour expliquer pourquoi toute description du Monte‑Carlo Beach Hotel comporte nécessairement une description expliquant que chaque chambre du Monte‑Carlo Beach Hotel a une vue sur la mer et que la nature du décor de l’hôtel évoque son emplacement au bord de la mer. La demanderesse soutient essentiellement que le mot BEACH constitue un élément essentiel de l’identité de la marque et de l’hôtel Monte‑Carlo Beach et qu’il n’est pas simplement descriptif.
[64] Le registraire a également abordé l’argument de la demanderesse suivant lequel celle‑ci possédait essentiellement le droit d’obtenir l’enregistrement de sa marque en raison du fait que la marque dominante de cette marque était le terme MONTE CARLO, étant donné qu’elle avait déjà obtenu la marque MONTE‑CARLO SPA & dessin (certificat d’enregistrement LMC719591). J’estime raisonnable de conclure qu’il n’existe pas de droit d’obtenir l’enregistrement pour une autre marque de commerce indépendamment de la similitude qui existe entre une nouvelle marque de commerce et la marque de commerce qui a déjà été enregistrée (voir, p. ex., Coronet‑Werke Heinrich Sclerf GmbH c Produits Ménagers Coronet Inc (1984), 4 CPR (3d) 108 (COMC)).
[65] Après examen de tous les facteurs énumérés à l’article 6 de la Loi, le registraire a finalement conclu que le degré de ressemblance entre les marques de commerce était un facteur qui militait en faveur de la défenderesse. Je suis d’avis qu’aucun des nouveaux éléments de preuve présentés par l’une ou l’autre partie n’aurait eu une incidence importante sur la décision du registraire. La norme de contrôle applicable est donc celle de la décision raisonnable en ce qui concerne toutes les questions abordées dans la décision. Sur ce point, je relève que la demanderesse n’a pas attaqué sérieusement le caractère raisonnable de la décision contestée et je dois donc m’en remettre à l’opinion experte du registraire, qui s’est fondé sur les éléments de preuve dont il disposait.
[66] Indépendamment de la sagesse de la décision de la demanderesse de présenter d’autres éléments de preuve, il n’en demeure pas moins que la demanderesse souhaite enregistrer sa marque de commerce au Canada, où il existe un risque de confusion avec une marque de commerce qui a déjà été enregistrée et qui est bien connue. Je me réfère de nouveau à l’arrêt Masterpiece. La demanderesse invoque essentiellement des différences dans la nature des marchandises, des services et des voies de commercialisation, mais tous ces aspects – indépendamment de la question de savoir s’ils sont effectivement distincts ou non – ne signifient pas qu’une fois enregistrés, les marchandises et services de la demanderesse ne chevaucheraient pas aisément ceux de la défenderesse.
CONCLUSION
[67] Après avoir examiné attentivement les nouveaux éléments de preuve soumis par les parties et analysé les observations présentées par les avocats, je conclus que les nouveaux éléments de preuve soumis par la demanderesse n’auraient pas modifié sensiblement la décision du registraire de refuser la demande. Par conséquent, la décision du registraire donne lieu à l’application de la norme de la décision raisonnable et relève de la compétence spécialisée du registraire. Je conclus que le registraire a tenu compte des arguments pertinents et a rédigé une décision bien motivée et transparente en réponse aux questions soulevées par les parties.
[68] Cela étant, bien que j’estime que la demanderesse n’a pas produit de nouveaux éléments de preuve qui auraient eu une incidence importante sur la décision du registraire, et même si les éléments de preuve en question auraient finalement influé sur la décision du registraire, je suis d’avis que les nouveaux éléments de preuve présentés par la défenderesse réfuteraient ceux présentés par la demanderesse. Aucune des parties n’a présenté d’éléments de preuve vraiment nouveaux, mais comme les éléments de preuve qu’elles ont toutes les deux présentés ont à peu près le même degré d’importance, chacun aurait essentiellement eu pour effet d’annuler l’autre même s’ils avaient été soumis au registraire.
[69] Par conséquent, rien ne justifie d’intervenir dans la décision du registraire et le présent appel doit être rejeté. Les dépens seront adjugés à la défenderesse compte tenu du résultat de l’appel, lequel est rejeté par la Cour.
JUGEMENT
LA COUR REJETTE l’appel et ADJUGE les dépens à la défenderesse.
Traduction certifiée conforme
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑3‑12
INTITULÉ : SOCIÉTÉ
ANONYME DES BAINS DE MER ET DU CERCLE DES ÉTRANGERS À MONACO, SOCIÉTÉ ANONYME c
MONTE CARLO HOLDINGS CORP, et REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 10 décembre 2012
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE MARTINEAU
DATE DES MOTIFS : Le 20 décembre 2012
COMPARUTIONS :
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Michael Adams
|
POUR LES DÉFENDEURS
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Riches, McKenzie & Herbert LLP Toronto (Ontario)
|
POUR LES DÉFENDEURS
|