Date : 20121210
Dossier : T-1240-09
Référence : 2012 CF 1450
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 10 décembre 2012
En présence de monsieur le juge Mosley
ENTRE :
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BODUM USA, INC. ET PI DESIGN AG
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demanderesses |
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et
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MEYER HOUSEWARES CANADA INC.
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défenderesse |
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
APERÇU :
[1] Bodum est bien connue au Canada pour sa gamme de cafetières non électriques. Mais les mots « French Press » qui figurent sur ses emballages et ses documents promotionnels sont-ils une marque de commerce distinctive, comme elle le prétend, ou une expression générique comme « grille-pain » ou « moulin à poivre »?
[2] Le type de cafetière non électrique dont il est question en l’espèce est habituellement composé d’un bécher cylindrique étroit, en verre ou en plastique, muni d’un couvercle et d’un piston au bout duquel est fixé un filtre de broche ou de nylon à mailles fines qui s’insère tout juste dans le cylindre. De l’eau chaude est mélangée à des grains de café dans le cylindre. Lorsque le piston et le filtre y sont enfoncés, ils séparent le marc du breuvage. L’appareil a été conçu et breveté en Europe et à fait plus tard de nombreux adeptes parmi les amateurs de café au Canada.
[3] Les demanderesses et leurs sociétés affiliées, désignées collectivement « Bodum » dans les présents motifs, fabriquent et distribuent des articles ménagers. Pi Design AG, une société ayant son siège social en Suisse, est la propriétaire enregistrée de la marque contestée. Bodum USA, Inc., anciennement Bodum, Inc., une société enregistrée dans l’état du Delaware ayant des bureaux à New York, possède la licence exclusive d’emploi de la marque au Canada. Les activités de Bodum USA, Inc., consistent principalement à importer, vendre et distribuer des articles de cuisine.
[4] L’Office de la propriété intellectuelle du Canada a accepté en 1997 la demande déposée par Bodum en vue de l’enregistrement de « FRENCH PRESS » comme marque de commerce (no d’enregistrement LMC475,721).
[5] La défenderesse, Meyer Housewares Canada Inc., est une société canadienne ayant des bureaux à Ville St-Laurent, au Québec. Elle fait partie d’un groupe de sociétés ayant leurs sièges sociaux aux États‑Unis (ci-après collectivement « Meyer » ou la défenderesse) qui importe, vend et distribue des articles de cuisine. Aux époques pertinentes, soit les sociétés américaines ou la filiale canadienne ont vendu des cafetières non électriques à des distributeurs et des détaillants canadiens. Les emballages et les dépliants d’accompagnement arboraient l’expression « French Press ».
[6] Douze ans après l’enregistrement au Canada, et sans préavis ni autre mesure visant à faire valoir leurs droits, les demanderesses ont intenté contre la défenderesse la présente action en contrefaçon de marque de commerce, commercialisation trompeuse et dépréciation d’achalandage en violation de la Loi sur les marques de commerce (LRC 1985, c T-13).
[7] L’action a été introduite au moyen d’une déclaration datée du 4 décembre 2009 qui énonçait que la défenderesse avait employé la marque de commerce FRENCH PRESS sans autorisation en liaison avec sa gamme de cafetières à piston [coffee presses] Prestige. Les demanderesses one demandé une mesure de redressement déclaratoire, une injonction pour empêcher les violations futures, des dommages-intérêts et la restitution des bénéfices ainsi que les dépens et des intérêts.
[8] Les demanderesses ont déposé une déclaration amendée le 11 janvier 2010 et, avec l’autorisation de la Cour, elles ont déposé une déclaration réamendée le 7 mai 2012, un mois avant le procès, pour ajouter l’allégation selon laquelle la distribution par la défenderesse de sa gamme de produits « BonJour » constituait un emploi contrefaisant de la marque de commerce des demanderesses. Pour justifier cet amendement tardif, les demanderesses ont affirmé qu’elles avaient seulement pris connaissance tardivement de cet autre emploi qu’elles estimaient contrefaisant lors des interrogatoires et de la communication d’éléments de preuve préalables dans la présente instance.
[9] Dans ses différentes défenses, la défenderesse a nié que les demanderesses aient acquis une réputation ou un achalandage importants au Canada en liaison avec la marque ou qu’elles l’aient employée comme marque de commerce. La défenderesse soutient que les demanderesses ont employé l’expression en tant que description du type de marchandises offertes à la vente. La défenderesse a admis avoir vendu des cafetières non électriques au Canada en liaison avec le nom « Prestige » et avoir apposé l’expression « French Press » sur ses emballages. Elle a nié avoir utilisé l’expression comme marque de commerce ou comme nom commercial et elle a affirmé avoir employé l’expression en toute légitimité en tant que description exacte du produit. Elle a nié avoir vendu directement la gamme de produits « BonJour » au Canada, mais elle a admis avoir vendu des cafetières aux emballages arborant l’expression « French Press » à des tiers indépendants qui les avaient importées au Canada. Par voie de demande reconventionnelle, la défenderesse a demandé une déclaration d’invalidité de la marque et la radiation de son enregistrement.
[10] À la demande conjointe des parties, la Cour a ordonné que l’affaire soit instruite uniquement quant au fond de la demande et de la demande reconventionnelle. Si nécessaire, le quantum des dommages-intérêts ou des bénéfices que les demanderesses réclamaient serait déterminé ultérieurement dans le cadre d’un autre procès ou renvoi.
[11] Il ressort clairement des éléments de preuve présentés au procès que Bodum a popularisé ce type de cafetières et qu’elle domine le marché de ces appareils au Canada. Cependant, d’autres fabricants, distributeurs et détaillants ont commercialisé et continuent de commercialiser des cafetières similaires en liaison avec l’expression « French Press », qui est employée de longue date comme expression générique dans l’industrie du café partout en Amérique du Nord pour désigner aussi bien le type de cafetière que la mouture qui lui convient. Pour cette raison, Bodum n’a pas réussi à faire enregistrer l’expression comme marque de commerce aux États‑Unis.
[12] Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que l’enregistrement de marque de commerce n’est pas valide et j’ordonne qu’il soit radié du Registre des marques de commerce. L’action des demanderesses contre la défenderesse est rejetée à tous égards et la demande reconventionnelle de la défenderesse est accueillie.
LE CADRE LÉGISLATIF et JURISPRUDENTIEL :
[13] Les dispositions pertinentes de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13, sont reproduites à l’annexe ci-jointe. Il s’agit notamment : des définitions des termes « distinctive » et « emploi » ou « usage » énoncées à l’article 2; du paragraphe 4(1), qui précise quand une marque est réputée employée; des interdictions énoncées aux articles 7, 10 et 11; du paragraphe 12(1), qui précise dans quels cas une marque de commerce est enregistrable; du paragraphe 18(1), qui précise dans quels cas un enregistrement est invalide; de l’article 19, qui indique quels droits sont conférés par l’enregistrement; du paragraphe 20(1), relatif aux violations; de l’article 22, relatif à la dépréciation de l’achalandage; et du paragraphe 50(1), relatif à l’octroi de licences.
[14] Pour qu’une marque de commerce soit « distinctive » selon la définition énoncée à l’article 2 de la Loi, trois conditions doivent être remplies :
(1) une marque et un produit (ou une marchandise) doivent être associés;
(2) le « propriétaire » doit utiliser cette association entre la marque et son produit et doit fabriquer ou vendre son produit;
(2) cette association doit permettre au propriétaire de la marque de distinguer son produit de ceux d’autres propriétaires.
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[15] Le caractère distinctif est une question de fait. La question à se poser est celle de savoir si l’on a bien indiqué au public que les marchandises auxquelles la marque de commerce est associée et est utilisée sont les marchandises du propriétaire de la marque de commerce et non celles de quelqu’un d’autre : Philip Morris Inc c Imperial Tobacco Ltd, [1985] ACF no 1231 (C.F. 1re inst.) (QL), aux paragraphes 75 à 78, décision confirmée par [1987] ACF no 848 (CAF). Un mot peut être employé couramment dans un sens descriptif et tout de même demeurer distinctif lorsqu’il est employé dans certaines circonstances : Aladdin Industries Inc c Canadian Thermos Products Ltd, [1969] 2 EX CR 80 (QL) [Thermos], au paragraphe 80; appel rejeté pour cause de retard [1974] RCS 845. Il n’est pas nécessaire de faire la preuve d’un emploi exclusif pour prouver le caractère distinctif : Brasseries Molson c John Labatt ltée, [2000] ACF no 159 (QL), au paragraphe 72.
[16] Dans la décision ITV Technologies Inc. c WIC Television Ltd., 2003 CF 1056, au paragraphe 67, décision confirmée par 2005 CAF 96, la Cour a expliqué comme suit dans quels cas une marque donne une « description claire » et n’est donc pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)b) de la Loi :
[…] la marque, pour donner la description claire visée à l'alinéa 12(1)b), doit faire plus que suggérer ou évoquer la nature ou la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée ou à l'égard desquels on projette de l'employer. La description doit s'appliquer à la composition matérielle des marchandises ou services qui forment l'objet de la marque de commerce, ou se rapporter à une de leurs qualités intrinsèques évidentes, par exemple une caractéristique, une particularité ou un trait inhérents au produit [Provenzano c. Registraire des marques de commerce (1977), 37 C.P.R. (2d) 189].
[17] Pour ce qui concerne la confusion, le critère applicable est celui de la première impression du « […] consommateur ordinaire plutôt pressé […] [qui] ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur […] » : Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27 [Masterpiece], au paragraphe 40, citant Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 au paragraphe 20.
[18] La date pertinente lorsqu’il s’agit de déterminer si un enregistrement est valide est la date de cet enregistrement; dans ce cas-ci le 5 mai 1997 : Airos Systems Ltd c Windsurfing International Inc (1983), 75 CPR (2d) 74 (COMC), aux paragraphes 28 et 29 [Windsurfing]. Une marque de commerce qui n’est pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)b) est enregistrable si elle a été employée au Canada de façon à être devenue distinctive à la date du dépôt de la demande (paragraphe 12(2)). En l’espèce, la demande a été déposée le 28 juin 1995.
[19] La date pertinente pour évaluer la validité d’un enregistrement au regard de l’alinéa 18(1)b) [caractère distinctif] de la Loi est la date à laquelle est introduite la procédure qui conteste la validité de l’enregistrement en question : Thermos, précité, au paragraphe 12. En l’espèce, il s’agit de la date du dépôt de la défense et demande reconventionnelle du défendeur, soit le 10 février 2010.
[20] Un enregistrement est présumé valide, et il incombe à la partie qui prétend le contraire d’en faire la preuve sur le fondement du droit à un emploi exclusif prévu à l’article 19 de la Loi : General Motors du Canada c Moteurs Décarie Inc., [2001] 1 CF 665, 9 CPR (4th) 368 (CA), au paragraphe 31. Cependant, la formulation de la présomption est « plutôt faible ». Cela signifie tout simplement qu’une demande de radiation sera accueillie seulement si un examen de tous les éléments de preuve mène à la conclusion que la marque de commerce n’était pas enregistrable à l’époque pertinente : Emall.ca Inc. c Cheaptickets and travel Inc., 2008 CAF 50, au paragraphe 12.
[21] La date pertinente pour évaluer le risque de confusion au regard des articles 19 et 20 de la Loi est normalement la date du procès, sous réserve du pouvoir discrétionnaire du juge du procès de fixer une autre date, par exemple lorsque la contrefaçon a aussi bien commencé que cessé avant le procès : Alticor Inc. c Nutravite Pharmaceuticals Inc., 2005 CAF 269, aux paragraphes 12 et 16.
[22] Étant donné que la défenderesse a présenté les témoignages d’opinion d’experts, il a fallu en évaluer l’admissibilité selon le critère à quatre volets énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Mohan, [1994] 2 RCS 9, au paragraphe 17 : a) la pertinence; b) la nécessité d’aider le juge des faits; c) l’absence de toute règle d’exclusion; d) la qualification suffisante de l’expert. Au moment d’apprécier les témoignages des experts, j’ai aussi tenu compte de la mise en garde formulée par le juge Rothstein dans l’arrêt Masterpiece, précité, aux paragraphes 75 à 101. J’ai reconnu le risque que ces témoignages me distraient, et je me suis fait ma propre opinion au sujet de la preuve : R c Abbey, [1982] 2 RCS 24, le juge Dickson, à la page 42; Fraser River Pile & Dredge Ltd c Empire Tug Boats Ltd. et al. (1995), 37 CPC (3d) 119, 95 FTR 43 (1re inst.), aux paragraphes 12 et 17.
QUESTIONS EN LITIGE :
[23] La principale question qui se pose dans la présente affaire est celle de savoir si l’enregistrement de la marque de commerce « French Press » est valide. Les parties conviennent qu’il s’agit essentiellement d’une affaire de caractère distinctif. La Cour doit déterminer si l’expression « French Press » est distinctive de Bodum ou si elle était devenue générique en février 2010 au moment où la demande reconventionnelle a été déposée.
[24] Dans l’hypothèse où je conclurais qu’il s’agissait d’une marque de commerce valide, il m’était également demandé d’examiner la question de savoir si l’emploi par la défenderesse de l’expression « French Press » sur ses emballages et ses documents promotionnels constituait une contrefaçon, créait de la confusion ou avait causé des dommages à Bodum. Enfin, en supposant que la marque de commerce soit valide, l’emploi que la défenderesse en a fait était-il permis en vertu d’une licence octroyée à son prédécesseur en titre et les demanderesses avaient-elles acquiescé à cet emploi de telle sorte qu’une fin de non-recevoir doive être opposée à leur demande de redressement en equity.
LA PREUVE :
[25] En plus des transcriptions d’interrogatoires préalables et d’admissions versées au dossier du procès, la Cour a entendu les dépositions de six témoins appelés par les demanderesses et de huit témoins appelés par la défenderesse. Au cours des huit jours qu’a duré le procès, les demanderesses ont produit 35 pièces et la défenderesse en a produit 121.
[26] Les témoins des demanderesses sont tous actuellement liés à l’entreprise des demanderesses ou l’ont été dans le passé à titre d’employés, de représentants des ventes ou d’acheteurs en gros ou au détail. J’ai estimé que la majeure partie de leurs témoignages était crédible mais qu’il y avait lieu de leur accorder moins de poids lorsqu’ils étaient contredits par les éléments de preuve présentés par la défenderesse, le dossier documentaire et les pièces matérielles.
[27] Les témoins de la défenderesse comprenaient deux de ses concurrents et plusieurs experts indépendants. L’indépendance et l’objectivité des experts n’ont pas été contestées dans la présente instance. La question a été soulevée de savoir si deux d’entre eux avaient les qualifications requises pour donner une opinion pertinente et admissible, et les demanderesses m’ont exhorté à accorder peu de poids aux opinions des autres. J’exposerai plus loin mes conclusions au sujet de l’admissibilité de ces témoignages.
[28] Les résultats de recherches effectuées dans des bases de données relatives à la propriété intellectuelle administrées par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada et le Patent and Trademark Office des États-Unis ont été mis en preuve par affidavit. Les demanderesses ont contesté la pertinence de ces éléments de preuve, mais la véracité des faits contenus dans les annexes jointes à ces affidavits a été admise.
[29] Pour expliquer la controverse entre les parties et mes conclusions, je crois utile de présenter un résumé des témoignages entendus au procès.
Les témoins des demanderesses;
[30] Le premier témoin des demanderesses était Koen de Winter, un designer industriel puis professeur de design à Montréal. M. de Winter a œuvré dans le domaine des articles ménagers pendant de nombreuses années, et il a collaboré très tôt en Europe avec Jørgen Bodum, fils du fondateur de l’entreprise. M. de Winter a déménagé au Canada pour travailler au service du distributeur exclusif de Bodum au pays, Danesco. Il a quitté Danesco en 1997. Bodum USA a commencé à assumer directement la distribution au Canada en 2005.
[31] M. de Winter a affirmé que Bodum n’avait pas inventé la cafetière à piston – celle-ci a été brevetée en Italie dans les années 1930, puis fabriquée en France par Établissement Martin pour la société Melior. Les produits de Melior ont été importés et vendus au Canada sous ce nom et sous la marque « Chambord ». Lorsque le brevet européen a expiré, Bodum a commencé à fabriquer des cafetières similaires en Europe. Elle a par la suite acheté Melior et ses marques, dont Chambord.
[32] D’après les souvenirs de M. de Winter, il n’y avait que deux types de ce qu’il a appelé des [TRADUCTION] « cafetières à piston » sur le marché au Canada jusqu’au milieu des années 1980; celles de Bodum et celles de Melior. Le marché a ensuite commencé à changer, mais seulement lentement. Au début, il y avait quelques petits importateurs de marques d’autres fabricants, principalement italiens. Ce type de cafetière était communément appelé « cafetière à piston » en français, et le mot « cafetière » a été adopté au Royaume-Uni pour la décrire.
[33] M. de Winter a identifié des documents promotionnels de Danesco destinés aux détaillants et aux consommateurs et datant de la fin des années 1980 jusqu’aux années 1990 qu’il avait conservés en sa possession personnelle. À l’origine, dans les années 1980, Danesco annonçait la [TRADUCTION] « méthode Bodum-Bistro » et le [TRADUCTION] « café de la Bodum à piston ». Dans une brochure qu’il a rédigée en 1987 à l’intention du public, de Winter décrit la méthode comme la méthode [TRADUCTION] « à piston » [« plunger »] et le produit de manière générique comme une [TRADUCTION] « cafetière à piston » [« plunger coffee maker »]. Il a également employé l’expression [TRADUCTION] « cafetière à piston française » [« French coffee press »].
[34] Au milieu des années 1990, selon le témoignage de M. de Winter, Bodum élargissait ses gammes d’articles ménagers, et il a encouragé la société à trouver un moyen de distinguer les catégories de ces articles pour éviter la résistance des consommateurs à une vaste gamme de produits sous une seule marque. Il en a discuté dans des salons professionnels en Europe avec Jørgen Bodum et Carsten Jorgensen, le designer en chef de Bodum. Les dirigeants de Bodum ont décidé d’employer l’expression [TRADUCTION] « cafetière à piston » [« French Press »] en liaison avec leurs cafetières pour les distinguer de leurs autres produits comme une gamme de moulins à poivre en plastique. Bodum a commencé à employer l’expression sur ses emballages et ses documents promotionnels que Danesco a distribués au Canada en 1995.
[35] Selon M. de Winter, l’emploi de l’expression « French Press » en tant que marque présentait comme avantage qu’il s’agissait :
[TRADUCTION] […] d’un nom qui est proche de ce qu’elle fait et proche de ses origines […] Ce n’est pas très loin de quelque chose qui pourrait sonner comme un nom générique. Dans ce cas-ci, nous avions vu et nous avions employé, nous-mêmes, « French Press » comme mot et comme description […] De sorte qu’extraire le café par pression constituait, à mes yeux, une très petite étape créative, mais quelque chose qui, comme marque, aurait une consonance acceptable […] Et le fait que l’un évoque l’action, qui consiste à presser et l’autre non pas à une autre action où à son apparence mais plutôt à l’origine, n’est pas une combinaison si évidente, dire « French Press » évoque d’abord l’origine du fabricant, Établissement Martin, et le deuxième mot évoque l’acte qu’il faut poser pour – ou qui est le plus caractéristique de la cafetière.
(Transcription, vol. 1, p. 100-101).
[36] Lorsque Bodum l’a proposée pour la première fois, M. de Winter dit qu’il a exprimé des réserves quant à l’emploi d’une expression anglaise sur le marché québécois peu après le référendum de 1995. Il a également soulevé la question de savoir si l’expression n’avait pas une consonance [TRADUCTION] « trop générique ». Jorgensen l’a persuadé que, bien que l’expression ait une consonance générique, elle s’apparenterait à « British Airways » ou « Air Canada », qui étaient distinctives en tant que marques reliées à une origine et une fonction.
[37] En contre-interrogatoire, M. de Winter a reconnu de la correspondance entre le président de Danesco, Knud Petersen, et Jørgen Bodum en mars et septembre 1994 dans laquelle l’expression « French Press » était employée de manière générique; dans le premier cas en faisant allusion à des brochures recueillies au salon professionnel de Francfort et dans le second cas en faisant allusion à un article paru dans la revue Consumer Reports dans lequel l’expression était employée dans ce sens. Bodum n’était pas mentionnée dans cet article. M. Petersen a également transmis à M. Bodum en septembre 1997 un article paru dans le San Francisco Chronicle en 1997 dans lequel l’expression était employée de manière générique pour distinguer le produit d’autres types de cafetières.
[38] Lorsque M. de Winter a quitté l’entreprise en 1997, Bodum réalisait entre 85 % et 90 % des ventes canadiennes de ce type de cafetière non électrique. Il y avait d’autres produits sur le marché offerts par des distributeurs comme Trudeau et Fox Run. À un certain moment avant 1997, M. de Winter a su que Fox Run vendait la gamme de cafetières BonJour. M. de Winter a conservé un des emballages de Fox Run dans son bureau. Lorsqu’il a rencontré M. de Winter dans des salons professionnels européennes, Jørgen Bodum lui a dit qu’[TRADUCTION] « ils devaient faire quelque chose » à propos de la concurrence de BonJour. Selon M. de Winter, la direction de Bodum était clairement au courant des ventes de BonJour à cette époque.
[39] M. de Winter a convenu que le nom Bodum apparaissait de manière prédominante dans toutes les publicités de Danesco relatives aux cafetières, suivi du nom du modèle, et que Bodum était la principale marque associée aux cafetières. Bodum demeure le terme le plus couramment employé au Québec, selon M. de Winter, pour désigner ce type de cafetière. L’expression « French Press » est apparue en caractères beaucoup plus petits, à partir de 1995, d’après ses souvenirs. L’expression n’a jamais été employée sans le nom « Bodum ». Dans la seule entente écrite entre Bodum et Danesco, signée en décembre 1990 pour confier sous licence à Danesco les ventes de produits Bodum au Canada, seule la marque de commerce « Bodum » est mentionnée. « French Press » n’apparaît pas non plus dans la liste de produits annexée à l’entente.
[40] Mme Marie Cacciato, une gestionnaire supérieure des relations publiques chez JB Cumberland PR à New York, a affirmé dans son témoignage qu’elle avait pris en charge le compte des relations de Bodum avec les médias pour le marché canadien en 2005. Elle tente de s’assurer que l’expression « French Press » est employée comme marque de commerce dans les documents promotionnels produits pour des publications canadiennes. L’expression apparaît en majuscules, accompagnée du symbole d’enregistrement. Mme Cacciato a reconnu que des décisions éditoriales mènent à l’emploi de l’expression dans un sens générique. En contre‑interrogatoire, Mme Cacciato a été invitée à prendre connaissance de plusieurs articles parus dans des publications canadiennes dans lesquels l’expression « French Press » était employée pour désigner le type de cafetière ou la méthode de préparation du café et non comme marque nominative ou comme marque de commerce.
[41] Mme Fontaine Wong, la propriétaire de Ming Wo Cookware, une chaîne de magasins d’articles ménagers basée à Vancouver, a témoigné d’après sa connaissance des ventes au détail. Elle a décrit les ventes de cafetières Bodum au cours d’une période de 20 à 25 ans, à l’origine par l’intermédiaire de Danesco. Ses boutiques ont tenu des produits similaires d’autres distributeurs dont les produits de marques Cuisinox, BonJour, Trudeau, Thermos, Le Creuset et Oxo. Dans ses publicités imprimées, qu’elle produit elle-même, Mme Wong a eu tendance à employer l’expression « coffee press » pour décrire ces produits, mais elle a également employé, de manière interchangeable, l’expression « French Press ». Elle a cessé d’employer l’expression « coffee press » en 2011 pour décrire les cafetières à piston Bodum après qu’un représentant de Bodum le lui eut demandé. Quelques jours avant de témoigner, elle a modifié la description d’une « Cuisinox French Press » sur son site Web, encore une fois après qu’on le lui eut demandé.
[42] Les magasins de Mme Wong ont vendu les cafetières à piston BonJour [BonJour French Press] pendant deux ans. Mme Wong a reconnu que [TRADUCTION] « beaucoup de compagnies » employaient l’expression « French Press » pour identifier et promouvoir leurs produits [TRADUCTION] « […] afin que les gens puissent comprendre de quoi il s’agit ». BonJour, Oxo et Le Creuset ont employé l’expression « French Press » sur leurs emballages d’après ses souvenirs, tout comme l’avait fait Melior lorsque ses cafetières étaient disponibles au Canada, il y a 30 ou 40 ans.
[43] Le site Web Ming Wo a une fonction de recherche pour « French Press ». Pour Mme Wong, cela signifie une cafetière à piston, probablement un produit Bodum étant donné sa dominance sur le marché. Les moulins proposés sur le site comportent un réglage pour faire du café « French Press ». Mme Wong a convenu que le message communiqué était que « French Press » est une méthode de préparation du café et non le produit d’un fabricant en particulier. Elle a convenu que les expressions « coffee press » et « French Press » décrivent le même produit fonctionnel et sont interchangeables. Dans ses magasins, ils emploient l’expression « French Press » pour décrire le type de cafetière à leurs clients. Leur emploi de l’expression n’est pas limitée aux produits Bodum, mais elle dit que les clients qui connaissent les marques emploient le mot Bodum et l’expression « French Press » de manière interchangeable. Ceux qui ne s’y connaissent pas l’appelleraient une « coffee press ».
[44] La défenderesse a acheté une « Oxo Good Grips French Press TM » dans un des magasins de Mme Wong avant le procès. L’emballage arborait les mots « French Press », tout comme l’étiquette de prix apposée par le magasin et le coupon de caisse.
[45] Les demanderesses ont qualifié Mme Wong de témoin indépendant. Bien que je croie qu’elle a témoigné honnêtement et autant qu’elle se souvienne, je ne considère pas qu’elle est complètement indépendante des demanderesses. Elle entretient une relation commerciale de longue date avec Bodum, et son entreprise repose, à tout le moins en partie, sur les ventes de produits Bodum dans ses magasins. Son témoignage, lorsqu’il était favorable aux demanderesses, était miné par la preuve documentaire de ses pratiques commerciales. J’en ai dégagé l’impression que Mme Wong ne connaissait pas ni ne respectait ni n’employait l’expression « French Press » en tant que marque de commerce exclusive de Bodum ni ne communiquait ce message à ses clients.
[46] Gary Nichols est le copropriétaire de Details Sales Agency, le représentant des ventes de Bodum pour l’ouest du Canada depuis 2005. Il œuvre dans le domaine de la vente en gros d’articles ménagers depuis 30 ans. Bodum et sa gamme de café constituent maintenant environ 95 % de son volume d’affaires. Il assiste à des salons professionnels aux États-Unis et se tient généralement au courant de l’évolution du marché. Bodum domine le marché de la catégorie des cafetières « French Press » et est synonyme de l’expression. BonJour est son principal concurrent. Les autres sont des marques maison importées par des magasins à succursales. M. Nichols a discuté de la concurrence de BonJour avec le gérant des ventes de Bodum, Jeff Malkasian. M. Nichols était au courant de l’emploi de l’expression « French Press » par BonJour et d’autres marques comme Le Creuset et Oxo, et il savait que ses clients comme Ming Wo vendaient des cafetières à piston de différents fabricants et les décrivaient comme des « French Presses ». M. Nichols a reconnu qu’Amazon.ca et d’autres vendeurs en ligne vendaient des cafetières à piston Bodum et autres et que Danesco vendait une tasse à café [TRADUCTION] « avec piston » [« with French Press »]. M. Nichols ne reprend pas ses clients lorsqu’ils appellent d’autres produits des « French Presses ».
[47] Thomas Perez, président-directeur général de Bodum USA Inc., a expliqué la structure corporative et les efforts de commercialisation des demanderesses au Canada. Les ventes se font principalement par l’intermédiaire de grandes chaînes de magasins de détail. Bodum ne vend pas ses produits à des magasins à escompte à succursales multiples. M. Perez a reconnu que « French Press » était un nom courant désignant la cafetière à piston en Amérique du Nord, mais il a soutenu que l’emploi de l’expression sur les emballages de BonJour était source de confusion pour les clients.
[48] M. Perez a été incapable de donner des exemples de confusion réelle sur le marché canadien, mais il a décrit un incident survenu en 2011 dans une boutique américaine où le gérant avait évoqué les cafetières à piston BonJour comme étant des produits Bodum. Lorsqu’il lui avait été demandé lors d’un interrogatoire préalable s’il était au courant d’incidents de confusion, il n’avait pu se souvenir d’aucun incident semblable. Cette réponse n’a pas été mise à jour avant le procès.
[49] Bodum réalise maintenant des ventes en ligne par l’intermédiaire du site Amazon.ca et de son propre site Web ainsi que de sa page Facebook. Elle n’utilise pas la marque de commerce « French Press » sur Facebook, et M. Perez n’était pas certain des autres. Il a convenu que l’expression n’était pas employée dans les exemples de publicités produites conjointement avec des grands détaillants au Canada ni dans sa publicité télévisée plus récente. L’expression « French Press ® » ne figure pas non plus sur ses étalages dans des grands magasins de vente au détail canadiens. L’expression apparaît sur les emballages en caractères beaucoup plus petits que le nom Bodum ou le nom de modèle. M. Perez a décrit les dépenses promotionnelles de Bodum au Canada, mais il n’a pas pu dire quelle proportion de ces dépenses, le cas échéant, pourrait être reliée à la commercialisation de « French Press ». Bodum a poursuivi d’autres sociétés canadiennes pour avoir copié sa présentation, c’est-à-dire la conception et l’apparence du produit, mais non pour avoir employé l’expression « French Press ». Il est au courant de la présence des produits de concurrents employant l’expression « French Press » comme descripteur sur le marché canadien. L’emballage d’un produit Bodum destiné à la vente par Starbucks emploie l’expression « French Press » dans un sens générique contrairement à la politique de Bodum. Celle-ci a commercialisé une cafetière électrique qui emploie l’expression « French Press taste » (« goût de cafetière à piston ») dans un sens descriptif et non comme marque de commerce.
[50] Bodum ne possède aucun document relatif à la création de l’expression « French Press » selon M. Perez. Celui-ci croit que l’expression a été créée par Jørgen Bodum lorsqu’il a acquis Melior et qu’elle a été employée pour la première fois au Canada lorsque Bodum a demandé sa marque de commerce en mai 1995. M. Perez a identifié des enregistrements de dessins industriels canadiens obtenus par Bodum dans lesquels l’appareil est décrit comme une « French Press ». M. Perez a reconnu que l’emploi de l’expression dans ces enregistrements était une description commerciale ordinaire du type d’appareil en question. Son attention a été attirée sur des demandes de brevet canadiens de Bodum, qui énoncent que [TRADUCTION] « les machines à café dites "à piston ’françaises’" ["French Press"] sont connues » dans l’art antérieur et « les appareils pour préparer des boissons de ce type sont généralement appelés des appareils à piston à filtre ou des appareils à piston français [French Press] ». Les catalogues de produits de Bodum diffusés en 2009 et en 2010 n’emploient pas l’expression « French Press » comme marque de commerce mais comme description générique du procédé. Bodum emploie l’expression « The Original French Press » (« La cafetière à piston originale ») en liaison avec son modèle Chambord pour le distinguer des produits d’autres fabricants. La cafetière Chambord était le produit Melior que Bodum a par la suite acquis.
[51] M. Perez a identifié un contrat de licence de 1997 intervenu entre Bodum Inc. et Culinary Parts Unlimited (« Culinary ») en règlement d’un litige en matière de présentation concernant la gamme de produits BonJour. Le contrat a permis à Culinary de vendre la cafetière à piston BonJour [BonJour French Press] partout en Amérique du Nord, y compris au Canada, sous réserve de certaines restrictions précisées. En vertu de ce contrat, les spécifications relatives à l’emballage du produit BonJour et au produit lui-même ont été définies avec précision. Est joint au contrat, à titre de pièce, une reproduction de l’emballage du produit BonJour qui énonce « The French Press coffee maker » (« la cafetière à piston »). Une liste jointe des produits BonJour visés par la licence mentionne plusieurs autres produits décrits comme des « French Presses ». Meyer a par la suite acquis les droits découlant du contrat du successeur en titre de Culinary, BonJour International.
[52] M. Perez a affirmé que Bodum n’avait pas consenti de par ce contrat à l’emploi de la marque de commerce « FRENCH PRESS » au Canada. Il a toutefois reconnu que le contrat et la liste de spécifications détaillées qui y était annexée ne posaient aucune restriction à un tel emploi.
[53] M. Perez a identifié une instance devant un tribunal américain en 2009 dans laquelle Jørgen Bodum avait répondu à des questions de la partie demanderesse qui mentionnaient la [TRADUCTION]« cafetière à piston » [« French Press coffee maker »] d’un tiers offerte à la vente dans l’état de New York aussi tôt qu’en 1965. Dans une déclaration faite dans la même instance et produite en preuve, M. Bodum employait l’expression « French Press coffee makers » comme description de la catégorie générale de produits. Lors du procès dans cette affaire, M. Bodum expliquait comment il avait repris l’entreprise de son père après le décès intempestif de ce dernier en 1967. Il a affirmé qu’il avait [TRADUCTION] « trouvé beaucoup de cafetières à piston [French Press coffee makers] dans le bureau [de son père] […] dont la plupart était de la marque française Radio. » M. Perez a convenu que M. Bodum avait employé l’expression « French Press » dans un sens générique dans cette réponse et dans d’autres réponses données dans cette instance, et il a reconnu que lui-même aussi bien que la société en avaient fait de même dans d’autres contextes. Il a convenu que de nombreux Canadiens employaient également l’expression de manière générique pour décrire l’ensemble de la catégorie de produits.
[54] Le 2 mai 2012, M. Perez a souscrit un affidavit au soutien de la requête des demanderesses aux fins d’amender de nouveau la déclaration dans la présente instance de manière à rajouter l’allégation selon laquelle les produits de la gamme BonJour de Meyer contrefaisaient également la marque de commerce. Au paragraphe 3, il a affirmé :
[TRADUCTION] Ni moi ni les demanderesses n’étions au courant que BonJour incorporated, la défenderesse ou l’une quelconque des sociétés du groupe Meyer vendaient un produit au Canada sous le nom commercial BonJour dont l’emballage arborait la marque de commerce French Press avant de recevoir les documents produits par la défenderesse dans la présente action. Avant de recevoir ces documents, autant que je sache, les demanderesses étaient seulement au courant des produits de la gamme Prestige arborant la marque de commerce French Press qui étaient vendus au Canada.
[55] M. Perez a affirmé dans son témoignage qu’il n’avait pas consulté M. Bodum, avec qui il parle tous les jours, ni M. Nichols avant de faire cette affirmation sous serment. Il s’était fié à sa propre connaissance du marché canadien et peut-être à celle qu’en avait un de ses gestionnaires des ventes.
[56] Selon le témoignage de M. de Winter, Jørgen Bodum et Carsten Jorgensen étaient préoccupés par les ventes de la gamme de produits BonJour au Canada avant son départ de chez Danesco en 1997. Gary Nichols était au courant des ventes de BonJour au Canada en raison de ses rapports avec des détaillants indépendants comme Ming Wo au cours des sept années précédentes, et il en avait discuté avec Jeff Malkasian. Le contrat conclu avec Culinary en 1997 accordait une licence autorisant la vente de produits Bonjour ayant une présentation similaire partout en Amérique du Nord.
[57] M. Perez a été incapable d’expliquer comment il avait pu nier que la société ait eu connaissance des ventes de produits BonJour au Canada dans son affidavit de mai 2012. Sur ce point et sur d’autres, j’ai trouvé que le témoignage de M. Perez était intéressé et qu’il convenait de lui accorder peu de poids. J’infère qu’il avait personnellement connaissance du contrat de 1997 puisqu’il l’avait mentionné dans une déposition aux États-Unis. Au mieux, il n’a pas pris les mesures indiquées pour se remémorer les faits avant de souscrire son affidavit. Cela a eu pour effet, à mon avis, d’induire la Cour en erreur lorsqu’elle a examiné la requête en réamendement de la déclaration. Je n’attribue cela d’aucune façon aux avocats des demanderesses. La présente action a été intentée à l’instigation de M. Perez, suivant les instructions de M. Bodum, et M. Perez aurait dû s’informer des faits pertinents.
[58] Jeffrey Malkasian, vice-président de Bodum USA, a été responsable des ventes partout au Canada entre 2007 et 2011. À ce titre, il a travaillé avec des représentants comme Gary Nichols et a visité des détaillants au Canada. Il employait l’expression « Bodum French Press » (cafetière à piston Bodum) pour encourager les détaillants à vendre leurs produits. Lorsqu’ils sont offerts à la vente aux côtés d’autres produits concurrents, les produits Bodum défient la concurrence. M. Malkasian a vu beaucoup de marques importées directement qui, à son avis, étaient essentiellement des copies de leurs modèles. Cependant, lorsqu’il les comparait, il se concentrait sur le produit plutôt que sur la description qui en était faite sur l’emballage. Il signalait à Bodum les produits qu’il croyait être des copies de produits Bodum. Il savait que les produits BonJour étaient vendus sur le marché canadien, et il en était souvent question dans les réunions des responsables des ventes. Ils cherchaient à repérer tous les détaillants [TRADUCTION] « qui vendent des cafetières à piston [French Presses] qui ne sont pas les nôtres » afin de tenter les convaincre de vendre des produits Bodum.
[59] M. Malkasian a convenu que l’expression « French Press » était employée pour décrire une méthode de préparation. Bodum ne l’a pas développée mais l’a popularisée. L’emploi de l’expression « The Original French Press » (« La cafetière à piston originale ») dans le cadre des activités de commercialisation de Bodum emporte implicitement la reconnaissance du fait qu’il y a d’autres cafetières à piston [French Presses] qui sont commercialisées en tablant sur la reconnaissance de la marque de Bodum M. Malkasian lui-même emploie l’expression de manière générique pour décrire une catégorie des produits de son entreprise.
[60] M. Malkasian s’est souvenu d’avoir vu des publicités dans des revues spécialisées montrant une cafetière à piston BonJour distribuée au Canada par Fox Run. Il savait que les produits BonJour étaient présents sur le marché canadien en 2007, et il a convenu qu’il avait dû en discuter avec M. Perez à cette époque. Il a de la difficulté à distinguer les discussions au sujet des développements survenus sur les marchés dans les deux pays. Il a convenu que l’élément le plus proéminent de l’emballage Bodum, mis à part l’image du produit lui-même, est le nom Bodum suivi du nom du modèle et, en très petits caractères, de l’expression « French Press ® ».
Les témoins de la défenderesse;
[61] Jay Goldberg est un comptable agréé et un vice-président d’Accent Fairchild Group, un distributeur et fabricant d’articles ménagers et de quincaillerie. Accent Fairchild Group fournit des services financiers et des services d’exploitation à Meyer au Canada. M. Goldberg a décrit la structure corporative et les ventes d’articles ménagers de Meyer au Canada. M. Goldberg a identifié des listes de registres des ventes de produits expédiés par Meyer au Canada entre 2006 et 2010 avec ou sans l’expression « French Press » sur l’emballage. Il a identifié des pièces relatives aux ventes de produits de la marque Prestige de Meyer par l’entremise de La Société Canadian Tire Limitée, d’une marque Choix du Président vendu par l’entremise de Loblaws et de la gamme BonJour importée et distribuée par une autre société, Sevy Imports. Sevy est une plus petite société qui cible de plus petits détaillants. Les droits relatifs à la gamme BonJour ont été cédés à la défenderesse par Culinary et BonJour International. Le nom BonJour est une marque de commerce enregistrée au Canada en liaison avec une longue liste de marchandises. Sevy détient les droits exclusifs relatifs à la gamme BonJour au Canada.
[62] Charles Harari travaille pour la société Trudeau à Boucherville, au Québec, comme vice‑président – développement de produits. M. Harari œuvre dans le domaine des articles ménagers depuis le milieu des années 1960, et il s’est joint à Trudeau en 1994. Les demanderesses ont poursuivi Trudeau en contrefaçon en 2007-2008 en rapport avec un des dessins industriels enregistrés de Bodum. Cette action a été instruite quelques semaines avant la présente action, et M. Harari a également témoigné contre Bodum dans cette affaire. Bien que les demanderesses aient évoqué ce fait, elles n’ont pas remis en question la crédibilité de M. Harari dans la présente instance. Je n’ai trouvé aucun motif de douter que M. Harari ait témoigné honnêtement d’après ses souvenirs des faits et des événements, ni aucun motif d’accorder moins de poids à son témoignage.
[63] M. Harari dit qu’il appelle le type de produit dont il est ici question une « French Press » et une « cafetière ». Trudeau en vend sous différentes marques à des grandes chaînes de magasins et des grands détaillants indépendants. Trudeau emploie l’expression « coffee press » [« cafetière à piston »] pour les distinguer d’un produit similaire qu’elle vend pour infuser le thé. Elle emploie également l’expression « filter press coffee maker » [« cafetière à piston à filtre »]. M. Harari a identifié la gamme de produits Stella importée par Adamo Imports qui emploie également les expressions « coffee press » [« cafetière à piston »] et « tea press » [« théière à piston »]. Le produit Tri-leaf que vend Canadian Tire depuis au moins 2010 est appelé une « coffee press » sur son site Web, mais le site décrit le procédé comme « the French Press method » [« la méthode à piston française »]. Paderno Kitchenware vend des « coffee presses » par catalogue et dans ses magasins de vente au détail.
[64] Le site Web de Trudeau montre différentes façons de préparer le café et décrit l’utilisation d’une « French Press » [« cafetière à piston » dans la version française du site] pour décocter le café. Trudeau les vend depuis 1995 ou 1996 et fait concurrence à Bodum et à Meyer. M. Harari a d’abord vu le produit Frieling décrit comme une cafetière à piston [French Press] au salon professionnel de Francfort en 1994-95 puis, à son retour au Canada, dans des petites boutiques spécialisées. La Cafetière vend des cafetières à piston [French Presses] depuis la fin des années 1980. Des produits similaires, fabriqués à Taiwan et en Chine, ont été importés directement par des plus grands détaillants, comme Stokes, et vendu comme des cafetières à piston [French Presses]. Danesco vend une tasse à café « with a French Press » [« munie d’un piston »].
[65] M. Harari a vu l’expression « French Press » employée pour la première fois par la D.H. Lisser Company aussi tôt qu’au début des années 1960 pour décrire la cafetière à piston Melior [Melior French press] que cette société distribuait alors au Canada. M. Harari a du mal a comprendre comment Bodum peut prétendre avoir le droit exclusif d’employer cette expression puisqu’elle décrit la méthode de préparation de ce type de café. Les produits BonJour ont été distribués pour la première fois par Fox Run au Canada à partir des environs de 1995-96. Fox Run a présenté ses articles aux salons de l’Association canadienne de cadeaux et d’accessoires de table (CGTA) à Toronto. Sevy est devenue plus tard la distributrice de BonJour au Canada entre 2005 et 2008.
[66] Harry Davies, un détective privé détenteur d’une licence, a témoigné comme témoin de fait. Il avait été chargé de rechercher l’emploi des mots « French Press » au Canada en association avec des sites Internet et des magasins de vente au détail qui vendent des cafetières à piston [French Press devices]; les ventes de produits reliés au café comme des grains de café et du café moulu et des sites Internet qui emploient les mots « French Press » pour décrire la méthode de préparation du café. Sa recherche excluait les produits BonJour, Prestige et Bodum.
[67] Pour effectuer cette recherche, M. Davies s’est rendu dans différents magasins à Toronto, Mississauga, Etobicoke et Brampton, en Ontario, en mars 2012, et il a acheté des articles qui étaient décrits comme des French Press devices [cafetières à piston] et des articles associés comme du café et des moulins. Il a choisi des magasins qui devraient selon lui avoir des succursales partout au Canada, soit La Baie, Sears, Zellers, Walmart, Home Outfitters et des épiceries dont Loblaws, Sobey’s, Métro et Whole Foods. Il a effectué des recherches sur Internet et il acheté des produits en ligne qu’il avait sélectionnés. En mai, il a fait une visite de suivi dans un magasin La Baie pour photographier des moulins sur des présentoirs et a effectué des recherches additionnelles sur Internet et rempli des bons de commande en ligne.
[68] M. Davies a identifié une série de pages Web imprimées résultant de ses recherches en ligne et des éléments de preuve matérielle achetés dans les magasins dont des cafetières et des grains de café emballés. Il a décrit ses observations d’autres produits qu’il avait vus mais n’avait pas achetés. D’autres produits introduits en preuve lors du témoignage de M. Davies ont été achetés en ligne par l’entremise d’Amazon.ca, d’un site d’achats de Poste Canada, de shopbot.ca et d’autres sites Web basés au Canada. Les produits achetés par l’entremise de ces sites avaient été expédiés par des distributeurs basés au Canada. En outre, M. Davies a commandé des produits d’entreprises basées aux États-Unis qui indiquaient sur leurs sites Web qu’elles assureraient l’expédition au Canada. Certains des produits commandés n’avaient pas encore été reçus à la date du témoignage de M. Davies, et celui-ci a identifié des pages Web imprimées provenant de ces sites.
[69] Les cafetières que M. Davies avait achetées de magasins de vente au détail ou de sites en ligne étaient décrites sur leurs emballages ou dans leurs brochures d’accompagnement comme des cafetières « French Press ». De même, le café emballé qu’il avait acheté mentionnait une mouture « French Press » sur l’emballage, tout comme les réglages des moulins achetés et observés. Aucun de ces articles ne mentionnait de mouture de café ou de réglage pour mouture pour cafetières « coffee press », « plunger-style » [« de type ‘piston’ »] ou « press pot » [« cafetière à piston »].
[70] En contre-interrogatoire, M. Davies a convenu qu’il ne savait pas à quelle époque certains des sites basés aux États-Unis avaient commencé à expédier des marchandises au Canada. Il a reconnu que, dans certains magasins où il s’était rendu, il n’y avait aucune cafetière identifiée au moyen de l’expression « French Press ». Lorsqu’il voyait un produit sur lequel apparaissait l’expression « French Press », il l’achetait. Il n’a pas pu dire si l’un quelconque de ces produits était offert à la vente au Canada ou si les pages Web qu’il avait trouvées en ligne avaient été publiées en 2010 ou plus tôt. Il n’a pas cherché à savoir combien d’internautes canadiens avaient consulté ces sites.
[71] Patrick Russell a été appelé par la défenderesse en qualité d’expert qui, de par sa formation et son emploi, aurait une connaissance de l’industrie canadienne du café et de l’emploi de l’expression « French Press » au sein de cette industrie qui dépasserait l’expérience et les connaissances de la Cour.
[72] Les qualifications de M. Russell pour livrer un témoignage d’opinion quant à la façon dont les mots « FRENCH PRESS » sont perçus ont été contestées. Cependant, Bodum ne s’est pas opposée à ce que M. Russell témoigne comme témoin de fait et aucune objection n’a été soulevée quant à l’audition de son témoignage d’opinion sous réserve d’observations finales au sujet de l’admissibilité de ce témoignage. Compte tenu du rôle de la Cour comme « gardienne » quant à l’admissibilité des témoignages d’opinion, j’ai jugé cela acceptable à la lumière de l’entente intervenue entre les parties avant le procès, avec l’assentiment de la Cour, relativement à la prise de certaines mesures visant à accélérer l’instance.
[73] M. Russell travaille chez Second Cup Limited depuis 1996. Il décrit son rôle actuel au sein de cette société comme celui d’[TRADUCTION]« expert en café ». Il supervise le développement des breuvages et le contrôle de la qualité et la formation pour la société. Il a gagné trois championnats Canadian Cup Tasters, il participe à des compétitions à l’échelle internationale, et il a été agréé comme classificateur de café par l’institut de recherche de la Specialty Coffee Association.
[74] M. Russell a donné un aperçu de l’industrie des cafés de spécialité au Canada, notamment quant à la nature et au volume des ventes de café. Il a décrit la méthodologie « French Press » comme une des cinq façons courantes de préparer le café, en fonction de la nature du type d’équipement utilisé pour produire des cafés. La cafetière à piston [French Press] est un article courant vendu au détail dans les boutiques spécialisées et les magasins de vente au détail au Canada. La méthode de préparation lui a été présentée au début des années 1990 comme la méthode « French Press coffee ».
[75] M. Russell a formé des centaines de nouveaux franchisés et gérants à la façon de préparer du café au moyen d’une cafetière à piston [how to make French Press coffee]. Lorsqu’il parle de cette méthode en classe, on lui demande à l’occasion s’il veut dire Bodum. Il dit à ses élèves que « French Press » est une technologie tandis que Bodum est une marque. Au sein de l’industrie, a-t-il dit, les gens désignent tous les appareils comme des cafetières à piston [French Press brewers] indépendamment de la marque.
[76] M. Russell a identifié un extrait d’un livre intitulé « The Perfect Cup: a Coffee Lover's Guide to Buying, Brewing, And Tasting » par Timothy James Castle publié en 1991 et qui est encore vendu par l’entremise de la Specialty Coffee Association of America. Second Cup a vendu le livre en question dans ses établissements avant que M. Russell soit embauché par cette société. Le chapitre 2 traite des méthodes de préparation, dont la méthode correspondant à la cafetière à piston [French Press]. En outre, M. Russell a identifié des articles de revues généralistes et de revues spécialisées disponibles au Canada et des pages de sites Web qui mentionnaient la méthodologie de la cafetière à piston [French Press methodology].
[77] M. Russell a reconnu que Bodum était de loin le plus gros fabricant de cafetières à piston [French Presses] vendues au Canada. Il connaît d’autres marques dont BonJour, Espro, Prestige, Frieling, Capri, Mountain Equipment Co-op, Hario et Trudeau. Il ne sait pas si elles emploient l’expression « French Press » sur leurs emballages. Second Cup a vendu BonJour et d’autres cafetières à piston [French Presses] dans le passé, mais elle ne vend plus maintenant que Bodum. M. Russell n’était pas au courant de l’emploi de l’expression « coffee press » par d’autres manufacturiers ou distributeurs de café. Il a convenu que certains consommateurs canadiens associaient « French Press » à « Bodum ».
[78] Après avoir entendu le témoignage de M. Russell, je suis convaincu qu’il possède des compétences spécialisées en matière de torréfaction, de mouture, de préparation et de vente de café au Canada et à l’étranger. J’ai trouvé une bonne part de son témoignage de fait utile, mais je n’ai pas jugé nécessaire de me fier à son témoignage d’opinion quant à savoir quel sens le consommateur moyen ayant un souvenir imparfait attribuerait à l’expression « French Press » sur l’emballage des produits dont il est ici question. Il ne s’agissait pas d’un témoignage qui puisait à des connaissances ni à une expérience dépassant celles d’un consommateur ordinaire ni celles du juge des faits. Pour cette raison, pour les besoins de ma décision, j’ai conclu que ce témoignage d’opinion était inadmissible. Je conviens avec les demandeurs que, bien qu’il soit intéressant, une bonne part du rapport de M. Russell est non pertinent, en particulier les parties qui se rapportent à ses compétences spécialisées de goûteur de café. En fin de compte, bien que j’aie admis le témoignage de fait de M. Russell, je n’ai accordé aucun poids à son opinion quant au sens de l’expression « French Press » au moment d’en arriver à ma décision.
[79] Kathryn Wise se décrit comme une consultante en approvisionnement dans l’industrie des articles ménagers. Elle a commencé à travailler dans ce domaine au Royaume-Uni il y a plus de trente ans, et elle a continué de le faire au Canada après 1980. Au cours des années suivantes, elle a collaboré avec plusieurs détaillants et distributeurs dont D.H. Lisser et Fox Run. À l’heure actuelle, elle collabore avec un distributeur du nom de PortStyle. Elle connaît l’expression « French Press » en tant que nom du type de produit depuis de nombreuses années; au moins depuis les années 1980 au Canada. Mme Wise a démarré Fox Run Canada en 1995 et a obtenu la gamme de produits BonJour pour le Canada. Fox Run en a vendu à des magasins à rayons, à des boutiques d’articles ménagers indépendantes et à Second Cup.
[80] Fox Run a annoncé la gamme BonJour dans Homestyle Magazine, la principale revue d’articles ménagers au Canada. Mme Wise a identifié des listes de prix internes de BonJour et de Fox Run, des publicités dans des revues et des catalogues de la gamme de produits BonJour qu’ils avaient distribués à leurs clients consommateurs. La gamme BonJour a également été présentée par Fox Run dans les salons professionnels de l’Association canadienne de cadeaux et d’accessoires de table (CGTA) deux fois par année.
[81] Fox Run distribuait toujours la gamme BonJour lorsque Mme Wise a quitté la société en 2003, mais elle est ensuite passée aux mains de Sevy Imports, qui la distribue encore à ce jour. Sevy a également fait la promotion de la gamme de produits BonJour dans les salons de la CGTA. Portstyle a distribué la marque La Cafetière en 2003-2004, et elle a recommencé à le faire. Elle importe également sa propre cafetière à piston [French Press product] en acier inoxydable ainsi qu’une marque d’Angleterre.
[82] En réponse à une question au sujet de la revendication d’emploi exclusif de l’expression « French Press » par Bodum pour décrire ses produits, Mme Wise a affirmé :
[TRADUCTION] J’estime qu’une cafetière à piston est une cafetière à piston [a French Press is a French Press]. Il s’agit d’une fonction, et la marque serait Bodum ou BonJour. Pour moi, je ne pense pas que c’est bien que Bodum l’ait, c’est ce que le produit fait. Et il s’agit d’une description de l’article et non du choix d’une marque, et je pense qu’une cafetière à piston est une cafetière à piston [French Press is French Press] et je ne vois pas pourquoi Bodum doit en avoir l’exclusivité.
[83] En contre-interrogatoire, Mme Wise a convenu que Bodum était et avait toujours été le chef de file sur le marché et qu’elle était reconnue pour sa gamme de cafetières à piston [French Press line of coffee makers]. Elle a reconnu que certaines marques employaient l’expression « coffee press » pour décrire leurs produits.
[84] Katherine Barber, une lexicographe de formation ayant une vaste expérience de travail, possède des compétences spécialisées dans la recherche du sens des mots, de l’histoire et de l’origine des mots et de l’emploi des mots dans l’usage canadien courant. Ses qualifications pour témoigner en qualité d’expert n’ont pas été contestées, et j’ai trouvé son témoignage à la fois nécessaire et utile.
[85] Mme Barber a collaboré à la rédaction du Dictionnaire canadien bilingue puis, en qualité de rédacteur-en-chef du Canadian Oxford Dictionary Project pendant 17 ans, elle a supervisé la production des première et deuxième éditions du Canadian Oxford Dictionary et la production de dictionnaires spécialisés et autres ouvrages connexes. Elle est l’auteure de livres sur l’histoire des mots et sur l’anglais canadien.
[86] Il été demandé à Mme Barber, en tant qu’observatrice indépendante, de faire une recherche sur l’emploi de l’expression « French Press » au Canada pour déterminer si cette expression est employée en anglais canadien courant, si elle est employée comme expression générique pour désigner un certain type de cafetière à piston, ou si elle est employée uniquement pour désigner les produits d’un fabriquant en particulier. Dans son rapport et son témoignage, elle a décrit les vastes bases de données électroniques et autres sources sur lesquelles elle s’appuyait. La recherche initiale a été menée en janvier 2011, et cette recherche a été actualisée en mars 2012.
[87] La rubrique « French Press » dans l’Oxford English Dictionary (OED) donne une définition relevant du domaine de la musculation ainsi qu’une définition relevant du domaine des cafetières. La première citation reliée à cette dernière définition est tirée d’un numéro du California Tribune d’Oakland de 1976. L’OED définit « plunger pot » et « French Press » [en français, « cafetière à piston » dans l’un et l’autre cas] comme des synonymes. Le témoin a également trouvé des mentions de « French Press » dans le Merriam-Webster's Collegiate Dictionary de 2003, l’Encarta World English Dictionary de 1999, le Microsoft Encarta College Dictionary de 2001 et l’Encarta Webster's Dictionary de 2004, tous disponibles à la bibliothèque publique de Toronto. Le Merriam-Webster Dictionary indique qu’il possède dans ses archives une citation de 1986 dans laquelle figure l’expression « French Press ».
[88] Dans une base de données de quotidiens et d’hebdomadaires canadiens remontant à 1977 dans le cas du Globe and Mail, Mme Barber a trouvé 190 mentions génériques de « French Presses » comme type de cafetière et comme méthode de préparation du café. Le plus vieil élément pertinent était un extrait d’un numéro du Globe and Mail de 1985 qui mentionnait la cafetière à piston Hario [Hario French Press coffee maker].
[89] Mme Barber a estimé que ces preuves d’usage générique sur une période de 25 ans démontraient amplement que l’expression « French Press » faisait partie du langage courant au Canada. Un des facteurs dont elle a tenu compte était le fait que dans bon nombre des 240 articles où l’expression était employée, elle n’était pas mise en évidence ni définie dans la phrase dans laquelle elle figurait. Cela indiquait, selon Mme Barber, que les éditeurs qui avaient choisi ces articles aux fins de publication devaient s’attendre à ce que leurs lecteurs connaissent le sens de l’expression, et cela valait à l’échelle du pays. Des recherches effectuées dans d’autres bases de données de journaux et de revues lui ont permis de relever d’autres occurrences datant de 1995 et 1996.
[90] Le témoin a également consulté des bases de données terminologiques comme celles produites par le Bureau de la traduction du gouvernement fédéral et l’Office québécois de la langue française au Québec. Dans la version fédérale, les trois expressions qui sont prescrites comme correctes pour désigner le type de cafetière en question sont « plunger coffee maker », « plunger pot » et « French Press ». Il est noté qu’[TRADUCTION] « on les appelle également ‘Bodum’ ou ‘Melior’, du nom de deux sociétés qui fabriquent ces cafetières ». L’Office québécois prescrit l’expression « cafetière à piston » en français et donne plusieurs synonymes anglais, dont le premier est « French Press », suivi de « coffee press », « plunger », etc. L’Office déconseille l’emploi des termes « Bodum » et « Melior ».
[91] Des occurrences d’emploi de l’expression « French Press » dans un sens générique par Bodum elle-même ont été relevées dans une publicité parue en 2005 dans la revue Gifts and Tablewares. Le texte parlait de la création par Bodum de la [TRADUCTION] « première cafetière à piston [French Press coffeemaker] à armature en plastique » et de l’acquisition de Melior par Bodum en 1986 qui lui avait permis de produire la [TRADUCTION] « cafetière à piston Chambord originale » [« original Chambord French Press »]. Plus loin dans le corps du texte de la publicité, on peut lire que le modèle Chambord a reçu le prix de la médaille d’or [TRADUCTION] « pour la meilleure cafetière à piston » [« for best French Press »]. Des propos similaires ont été relevés dans un article paru en 1995 dans le New York Times qui citait M. Bodum. Tout cela indiquait au témoin que les demanderesses employaient l’expression dans un sens générique dans leurs publicités.
[92] Une recherche effectuée dans la base de données de la Culinary Arts Collection pour déterminer comment l’expression était employée dans l’industrie de l’alimentation et de la restauration a permis au témoin de repérer 11 articles de 1990 à 1995 qui employaient tous l’expression « French Press » pour désigner un type de cafetière. Une recherche dans la base de données de Google books a permis de repérer cinq occurrences de 1985 à 1990 d’emploi de l’expression « French Press » dans un sens générique pour désigner le type de cafetière. Dix-huit fiches contenues dans la base de données des marques de commerce canadiennes emploient l’expression dans une description de marchandises ou de services. Quatre-vingt-douze occurrences ont été recensées dans trois bases de données commerciales de Lexis-Nexis pour la période de 1970 à 1995.
[93] En somme, Mme Barber a conclu que l’expression « French Press » avait été de loin l’expression la plus souvent employée pour décrire ce type de cafetière à partir du milieu des années 1980 et que ce phénomène s’était encore accentué du début au milieu des années 1990. Il s’agit selon elle de l’expression la plus courante dans la langue canadienne contemporaine pour désigner, de manière générique, ce type d’appareil.
[94] En contre-interrogatoire, Mme Barber n’a pas pu expliquer pourquoi l’expression « French Press » ne figurait pas dans le Canadian Oxford Dictionary ni dans d’autres dictionnaires canadiens. Elle a indiqué que l’espace et d’autres contraintes limitent le nombre de mots et d’expressions qui seront inclus. Elle a reconnu que certains mots et expressions peuvent n’être usités qu’au Canada et que les marques de commerce peuvent prendre un sens générique. Une expression peut avoir une double signification en ce sens qu’elle peut être employée dans le langage courant mais aussi représenter une expression patrimoniale désignant un produit manufacturé. Mme Barber n’avait pas tenu compte du fait que Bodum avait commencé à distribuer ses produits en liaison avec l’expression « French Press » en 1995 et que cela avait pu contribuer à un usage plus répandu de cette expression.
[95] Mme Barber a maintenu sa position selon laquelle l’expression « French Press » avait un sens générique avant qu’elle soit enregistrée comme marque de commerce au Canada. Elle a reconnu que dans certains des exemples qu’elle avait relevés, il était impossible de dire avec certitude si l’expression était employée dans un sens générique ou à titre de marque de commerce. Cependant, elle s’est inscrite en faux contre la prétention selon laquelle « French Press » s’apparentait à des termes qui avaient été des marques patrimoniales à l’origine mais qui étaient ensuite devenues des expressions génériques, comme « iPod », « Thermos » ou « Kleenex ». Ces termes n’existaient pas dans la langue anglaise avant que leurs propriétaires commencent à les employer, tandis que les éléments de preuve qu’elle a recueillis, dont des articles parus dans le Globe and Mail en 1985 et dans le Vancouver Sun en 1987, indiquaient à ses yeux que l’expression « French Press » existait dans la langue anglaise avant qu’elle soit enregistrée comme marque de commerce.
[96] Monsieur George Barnett, professeur de communications à l’Université de la Californie, a été appelé à témoigner en qualité d’expert sur les flux de communications entre le Canada et les États-Unis et leur influence sur la compréhension du langage symbolique et du sens des mots chez les Canadiens anglophones. Son opinion ne s’étendait pas au français, bien que, dans le cadre de recherches qu’il avait effectuées antérieurement au Canada, il avait constaté que l’influence de l’anglais américain sur le français canadien était moins marquée mais tout de même discernable. Tout comme dans le cas de M. Russell, le rapport de M. Barnett a été produit et son témoignage a été entendu sous réserve d’observations finales au sujet de leur admissibilité.
[97] Dans leurs observations finales, les demanderesses se sont opposé à l’admission du rapport de M. Barnett au motif que celui-ci n’était pas pertinent et qu’il était sans rapport avec les questions liées aux emplois des mots « French Press » ou à l’industrie des articles ménagers. Le rapport ne traitait pas directement de la question de savoir si l’expression « French Press » avait la même signification au Canada qu’aux États-Unis. L’opinion de M. Barnett quant aux effets des médias américains sur le marché canadien était donc inadmissible selon les demanderesses.
[98] J’ai été convaincu que M. Barnett possédait les compétences spécialisées nécessaires, compte tenu de sa vaste expérience de travail et de ses vastes recherches au Canada et aux États‑Unis ainsi que des réponses qu’il avait données aux questions qui lui avaient été posées au sujet de ses qualifications. J’ai trouvé son témoignage d’opinion utile à cause de la prétention selon laquelle les Américains et les Canadiens anglophones étaient susceptibles d’attribuer des sens différents à des expressions comme « French Press ».
[99] Du fait des liens étroits, économiques et autres, entre le Canada et les États-Unis et des communications importantes entre les deux pays décrites dans le rapport de M. Barnett, dont l’importance en fait un phénomène unique au monde, nous partageons un environnement informationnel commun. Un environnement informationnel se compose de toutes les sources d’information auxquelles a accès la population d’une collectivité donnée, y compris une collectivité transnationale. Il en résulte que les populations des deux pays attribuent les mêmes sens aux mots, selon M. Barnett. À son avis, c’est ce qui ressort notamment des méthodes de recherche de l’expression « French Press » sur Internet d’après l’outil « Google Insights for Search » disponible en ligne. Depuis le troisième trimestre de 2008, le Canada et les États-Unis ont la même méthode de recherche cyclique pour cette expression, ce qui indique, selon M. Barnett, qu’elle est employée d’une manière similaire dans les deux pays. Autrement dit, les gens dans les deux pays recherchent des « French Presses » sans association à aucune marque en particulier.
[100] M. Barnett a reconnu que certains mots se voient attribuer certains sens uniquement au Canada. Il n’avait pas effectué de recherche visant précisément l’emploi des mots « French Press » dans l’un ou l’autre pays ou la circulation de médias imprimés ou télévisés employant cette expression ou les ventes de produits au moyen de ce descripteur des États-Unis au Canada. Lorsqu’il a été pressé de répondre, il a convenu qu’il ne savait pas si les gens qui effectuaient des recherches sur Internet au moyen des mots clés « French Press » avaient le produit Bodum à l’esprit ou non.
[101] Mme Ruth Corbin est associée directrice chez CorbinPartners Incorporated, un cabinet d’experts-conseils en recherche commerciale, et professeure auxiliaire à la faculté de droit d’Osgoode Hall. Mme Corbin possède un doctorat en psychologie et une maîtrise en droit de la propriété intellectuelle, et elle enseigne dans ce dernier domaine. Elle a témoigné aussi bien en qualité d’expert qu’à titre de témoin de fait. Ses qualifications comme experte sont reliées à la propriété intellectuelle, au marketing, à la contrefaçon de marques de commerce, aux effets de la publicité, à l’analyse statistique et aux recherches par sondages. La qualité d’expert lui a déjà été reconnue dans la Cour ainsi que dans les cours supérieures de l’Ontario, de la Colombie‑Britannique, de l’Alberta et du Québec. Ses qualifications n’ont pas été contestées dans la présente instance, et j’ai été convaincu que son témoignage d’experte était nécessaire et utile pour la Cour.
[102] Mme Corbin a été engagée pour étudier l’emploi de l’expression « French Press » sur le marché canadien et pour recueillir des données empiriques sur la façon dont cette expression est employée. En particulier, il lui a été demandé de déterminer si l’expression est employée de manière générique ou pour distinguer une source particulière de cafetières non électriques d’autres sources de cafetières du même type. À cette fin, Mme Corbin a supervisé une étude en cinq parties : a) un examen de l’emploi de l’expression « French Press » sur les sites Internet accessibles aux consommateurs canadiens; b) des interactions avec les vendeurs dans les magasins de vente au détail qui vendent des cafetières; c) une étude d’emballages de produits dans des épiceries; d) une consultation de livres spécialisés au sujet de la préparation du café; et e) une étude de la façon dont les mots « French Press » sont employés dans les médias et les publicités imprimés.
[103] Mme Corbin a fait les constatations suivantes :
i. Les recherches que seraient susceptibles d’effectuer sur Internet les consommateurs au Canada qui souhaiteraient s’informer au sujet de produits « French Press » ont révélé que dans la vaste majorité des cas (83 %), l’expression était employé comme nom descriptif;
ii. Lorsque l’expression « French Press » apparaissait dans des livres sur la préparation du café, dans la plupart des cas (5/6), elle était employée dans un sens descriptif et non en rapport avec l’appareil d’un fabricant en particulier;
iii. Les recherches effectuées dans les médias imprimés ont révélé que dans la majorité des cas où l’expression « French Press » est employée, elle l’est dans un sens descriptif;
iv. Lors d’une enquête « à l’aveuglette » dans des magasins de vente au détail, les commis n’ont jamais employé spontanément l’expression « French Press » en rapport avec un fabricant en particulier et, dans un tiers des cas, ils ont employé spontanément cette expression pour décrire d’autres cafetières que celles de la marque Bodum;
v. Neuf sacs de cafés de différentes marques ont été achetés dans des épiceries sur lesquels l’expression « French Press » est employée dans un sens descriptif;
vi. Une recherche effectuée dans la base de données de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada a permis de repérer neuf occurrences de l’expression « French Press » employée comme nom descriptif dans des énoncés de marchandises et de services afférents à des marques de commerce enregistrées autres que celles enregistrées au nom de PI Design AG.
[104] Ces constatations ont amené Mme Corbin à conclure que l’expression « French Press » est employée principalement en tant qu’expression générique pour décrire un type particulier de cafetière non électrique plutôt que pour évoquer une source ou un fabricant particulier de pareilles cafetières.
[105] En contre-interrogatoire, Mme Corbin a concédé que si un consommateur ordinaire avait été exposé à l’emballage Bodum arborant la marque de commerce « French Press », il aurait peut-être la marque Bodum à l’esprit lorsqu’il emploierait cette expression dans un sens générique. Mme Corbin n’était pas en mesure de dire si les producteurs des marques de café avaient une Bodum à l’esprit lorsqu’ils désignaient le type de cafetière sur leurs emballages au moyen de l’expression « French Press ». Cependant, le fait que l’expression apparaisse aux côtés de mots comme « percolateur » désignant d’autres types de cafetières indique que, dans ce contexte, l’expression est employée dans un sens descriptif.
[106] Mme Corbin n’était pas d’accord pour dire que Bodum employait l’expression « French Press » sur ses emballages d’une manière qui amènerait les consommateurs à considérer qu’il s’agissait d’une marque de commerce. Elle n’a pas tenu compte du volume des ventes de Bodum pour se faire une opinion à cet égard. Son enquête a évité à dessein les magasins qui vendaient uniquement des produits Bodum parce que son personnel aurait été incapable de déterminer si les vendeurs employaient l’expression en question dans un sens descriptif ou à titre de marque de commerce.
ANALYSE :
[107] La Cour a tranché plusieurs questions d’ordre procédural et questions concernant la preuve au cours du procès. Ainsi, la Cour a notamment statué sur une question relative à la production des documents de travail des experts et à l’admissibilité d’éléments de preuve documentaire qui n’avaient pas été communiqués avant le procès.
Demande de production des documents de travail des experts de la défense.
[108] Les demanderesses ont demandé que soient produits les documents de travail et les projets de rapports des experts de la défense ainsi que la correspondance, y compris les courriels, échangée entre les experts et les avocats et des tiers en rapport avec leur mandat, leur embauche et la production de leurs rapports. La défenderesse s’est opposé à cette demande au motif qu’elle allait au-delà des exigences des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, relatives à la production des rapports d’experts.
[109] Lorsqu’une question similaire s’est posée dans l’affaire Jesionowski c Gorecki, [1992] ACF no 816 (QL), la juge Barbara Reed a choisi de s’inspirer de la décision du juge Finch, tel était alors son titre, dans la décision Vancouver Community College c Phillips (1987), 20 BCLR (2d) 289 aux pages 296-297, [1987] ACB no 3149 (QL), au paragraphe 28. Dans cette affaire, le juge Finch avait statué qu’en présentant un témoignage d’opinion comme digne de foi, la partie qui appelait le témoin concerné renonçait implicitement à tout privilège qui protégeait auparavant contre la production les documents de l’expert qui étaient pertinents au regard de l’élaboration ou de la formulation d’opinions ainsi qu’au regard de leur cohérence et de leur fiabilité et d’autres questions touchant leur crédibilité. Voir aussi Lax Kw’alaams Indian Band c Canada (Attorney General), 2007 BCSC 090, au paragraphe 3.
[110] Les principes exprimés par le juge en chef Finch dans la décision Vancouver Community College ont été incorporés par décret aux règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en matière civile (Supreme Court Civil Rules, BC Reg 168/2009, au paragraphe 13-4(11), décret 191 daté du 26 mai 2011, annexe A, disponible en ligne : http://www.ag.gov.bc.ca/new-rules/pdfs/OIC-2011.pdf).
[TRADUCTION] Article 13-4 — Interrogatoires aux fins d’exécution
Production de documents
(11) Sauf ordonnance contraire de la cour, la personne qui sera interrogée au préalable en vertu du présent article doit produire pour inspection lors de son interrogatoire tous les documents non privilégiés en sa possession ou sous son contrôle et qui sont reliés aux sujets visées au paragraphe (2).
[en. B.C. Reg. 95/2011, Sch. A, s. 6 (b).]
[111] En vertu de l’article 4 des Règles des Cours fédérales, en cas de silence des Règles ou des lois fédérales, la Cour peut déterminer la procédure applicable par renvoi à la pratique de la cour supérieure de la province qui est la plus pertinente en l’espèce.
[112] J’ai choisi de suivre la pratique britanno-colombienne puisque le procès se déroulait en Colombie-Britannique, et j’ai ordonné la production des documents de travail préliminaires et des projets de rapports des experts. J’ai statué que la demanderesse devrait me convaincre qu’il y avait des motifs qui justifiaient la production de toute correspondance entre les avocats et les experts puisque j’estimais que, sauf démonstration du contraire, de telles communications étaient protégées par le privilège relatif au litige et leur admissibilité n’avait pas été établie. Aucune autre demande n’a été faite en vue de leur production.
Objection à la production d’éléments de preuve présentés par M. Davies :
[113] Les demanderesses ont contesté l’admissibilité, lors du témoignage de M. Davies, de deux volumes de documents reliés aux recherches que ce dernier avait effectuées sur Internet, au motif que ces documents n’avaient pas été communiqués avant le procès. Les demanderesses ont soutenu que cela était contraire à l’alinéa 232(1)c) des Règles des Cours fédérales puisque M. Davies était « sous le contrôle » de la défenderesse et les documents n’avaient pas été communiqués avant le procès. Étant donné que la défenderesse n’avait pas communiqué les documents en question avant le procès, il ne s’agissait pas de questions sur lesquelles les demanderesses devaient s’être penchées en prévision du procès. Les demanderesses ont également soutenu que les documents n’avaient pas été présentés aux témoins des demanderesses en contre-interrogatoire en violation de la règle de l’arrêt Browne c Dunn (1893), 6 R 67 (CL).
[114] Après avoir entendu les observations des avocats, j’ai été convaincu qu’il n’y avait eu aucune violation de l’article 232. Il ne s’agissait pas d’un « procès par embuscade » comme l’avaient prétendu les demanderesses. Lors de conférences préalables à l’instruction, les parties avaient convenu d’un procès accéléré et de régler certaines questions par voie de demandes d’admission. Les demandes d’admission de la défenderesse visaient notamment l’emploi de l’expression « French Press » par des tiers. La demande comportait une liste de noms de produits et d’adresses de sites Web. La demande était accompagnée soit du document du site Web ou d’une photo d’un produit en particulier. Tous les produits étaient donc mis en cause à titre de produits offerts à la vente aux Canadiens à partir des sites Web. Peu avant le procès, les demanderesses ont refusé d’admettre ces faits malgré qu’elles aient été clairement avisées que la défenderesse invoquerait ces éléments de preuve au procès. Dans ces circonstances, la défenderesse avait, selon moi, le droit de produire ces éléments de preuve par l’entremise de son témoin.
[115] L’article 232 a pour objet d’empêcher une partie de refuser des documents qu’elle aurait dû communiquer dans son affidavit de documents avant le procès pour éviter une surprise contraire à l’équité. Tel n’était pas le cas en l’espèce puisqu’un avis suffisant avait été donné de la nature des éléments de preuve que la défenderesse présenterait au procès, et ces éléments de preuve étaient tous disponibles et accessibles aux demanderesses. La production de ces éléments de preuve ne violait pas non plus la règle de l’arrêt Browne v Dunn puisque la teneur essentielle des éléments de preuve avait clairement été portée à l’attention des témoins des demanderesses en contre-interrogatoire. La défenderesse n’a pas tenté de contredire les éléments de preuve présentés par les témoins des demanderesses en introduisant, dans le cadre de sa présentation de sa cause, des éléments de preuve dont ces témoins n’avaient pas connaissance et qui n’avaient pas été portés à leur attention.
French Press est-elle une marque de commerce valide?
Caractère distinctif
[116] Pour être valide, une marque de commerce doit être distinctive. Elle doit, comme l’énonce l’article 2 de la Loi sur les marques de commerce, distinguer effectivement les marchandises en liaison avec lesquelles elles sont employées par son propriétaire des marchandises d’autres propriétaires. Comme la Cour suprême du Canada l’affirmait dans l’arrêt Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 au paragraphe 75, « [l]e caractère distinctif d’une marque de commerce est essentiel et constitue une exigence fondamentale ».
[117] Le caractère distinctif est une question de fait. Les trois conditions qui doivent être remplies sont les suivantes : (1) la marque et les marchandises doivent être associées; (2) le propriétaire de la marque doit utiliser cette association dans la fabrication et la vente de ses marchandises; (3) cette association doit permettre au propriétaire de la marque de distinguer ses marchandises de celles d’autres propriétaires : White Consolidated Industries, Inc c Beam of Canada Inc (1991), 39 CPR (3d) 94, aux pages 109-110, 1991 CarswellNat 214, aux paragraphes 59 et 69 (CF).
[118] Il est acquis aux débats en l’espèce que les deux premières conditions sont remplies. Bodum a employé la marque en liaison avec ses marchandises en l’apposant sur ses emballages et en l’employant dans les instructions écrites insérées dans les emballages de ses cafetières non électriques vendues au Canada entre le 5 mai 1997 et le 10 février 2010. La question en litige est celle de savoir si cette association a permis à Bodum de distinguer ses marchandises de celles d’autres propriétaires qui employaient également l’expression en question.
[119] Bodum ne formule aucune revendication d’exclusivité avant 1995. J’admets que, comme Kathryn Barber l’a conclu au terme de ses recherches, la fréquence d’emploi de l’expression « French Press » dans les médias a augmenté considérablement après 1995. J’en infère que cela est attribuable, à tout le moins en partie, à la décision de Bodum d’employer l’expression et de l’inclure sur ses emballages.
[120] La cafetière de type « à piston » [« French Press »] représente une part relativement modeste du marché des cafetières au Canada. Selon M. Russell, les Canadiens utilisent principalement des cafetières à filtre en papier. Dans la mesure où les Canadiens connaissent la cafetière à piston [French Press] et l’utilisent, le nom Bodum est devenu synonyme du produit, en particulier au Québec. Les ventes de Bodum entre 1995 et 2005 ont oscillé entre 30 000 et 90 000 unités. Aucun de ses concurrents, dont BonJour, n’a réalisé des volumes de ventes le moindrement comparables. Cependant, cela n’a pas rendu l’emploi de l’expression par Bodum distinctif de ses produits par opposition à ceux d’autres propriétaires qui employaient la même expression sur le marché.
[121] La marque de commerce la plus distinctive des demanderesses est, en fait, leur dénomination sociale. Ce nom figure de manière proéminente sur tous leurs emballages et documents promotionnels. Sur la plupart de leurs emballages, « Bodum » apparaît en gros caractères par-dessus une image du produit, suivi du nom de modèle du produit et, seulement ensuite, en caractères beaucoup plus petits, « French Press ® ». Mme Corbin a conclu que l’inclusion de cette marque sur les emballages de Bodum avait peu d’incidence.
[122] Partout où « French Press ® » apparaît dans des publicités et sur des emballages, son apparence est peu significative en comparaison de l’image du produit, de la raison sociale et du nom de modèle. Il n’y a aucun élément de preuve qui démontre que les demanderesses n’aient jamais employé « French Press ® » comme marque de commerce autonome. Cela en soi compromet la position des demanderesses : General Motors du Canada c Moteurs Décarie Inc. (2001), [2001] 1 CF 665, au paragraphe 34, 9 CPR (4th) 368 (CAF).
[123] M. Perez a affirmé dans son témoignage que, d’après ce qu’il avait compris, Jørgen Bodum avait inventé l’expression à un certain moment entre 1993 et 1995. Cependant, il n’a aucune connaissance personnelle de cela, et la prépondérance des éléments de preuve indique clairement le contraire. L’expression était déjà employée dans un sens générique au Canada et ailleurs avant que Bodum ait prétendu l’adopter. La défenderesse a présenté de nombreux exemples d’un pareil emploi dont plusieurs étaient attribuables à Jørgen Bodum lui-même.
[124] J’admets le témoignage de Koen de Winter selon lequel Bodum a décidé d’employer l’expression en question pour distinguer cette catégorie de produit des autres types d’articles ménagers que la société offrait sur le marché de détail, comme des salières et des poivrières. Bodum a peut-être eu l’intention d’employer cette expression en tant que marque de commerce. Les éléments de preuve qui démontrent qu’elle a employé l’expression anglaise dans d’autres langues sur ses emballages tend à confirmer cette hypothèse. Cependant, cet emploi n’a pas eu pour effet de distinguer la marque Bodum de cafetières non électriques des autres produits similaires sur le marché. D’autres fabricants et distributeurs avaient déjà employé l’expression « French Press » à la suite de l’introduction des produits sur les marchés canadien et américain. L’emploi de l’expression dans les publicités et sur les emballages de ces fabricants et distributeurs constitue une preuve de l’emploi commercial ordinaire et de bonne foi de l’expression au Canada avant le premier emploi de la marque par les demanderesses. Il s’agissait d’une expression commerciale générique servant à décrire le type d’appareil et la méthode de préparation du café avant que Bodum choisisse de l’employer comme marque au Canada.
[125] Cette conclusion est étayée en particulier par l’examen qu’a fait Katherine Barber de l’histoire de l’emploi de l’expression en question. Des documents démontrant cet emploi ont précédé de près de 20 ans la décision de Bodum d’employer la marque aux États-Unis (publicité parue dans l’Oakland Tribune en date du 21 novembre 1976 citée par l’OED) et de dix ans au Canada (article du Globe and Mail daté du 11 décembre 1985 qui mentionne expressément un produit non Bodum – la cafetière à piston Hario [Hario French Press]). D’autres exemples que j’estime dignes de mention sont un article de février 1987 du Vancouver Sun et un livre de 1991 de Timothy Castle intitulé The Perfect Cup: A Coffee-Lover’s Guide to Buying, Brewing and Tasting.
[126] Ces éléments de preuve sont étayés par la recherche effectuée par Mme Corbin, les témoignages de Mme Wise et de M. Harari, les concessions faites par plusieurs des témoins de la demanderesse en contre-interrogatoire et les preuves de déclarations faites par des dirigeants de Bodum qui ont employé l’expression dans un sens générique.
[127] Les demanderesses reconnaissent que plusieurs de leurs témoins ont convenu que l’expression « French Press » était souvent employée d’une manière générique, notamment par la haute direction de Bodum. Les éléments de preuve comportent quelque vingt-deux exemples d’emplois de l’expression par Bodum dans un sens générique. L’agente de publicité de Bodum, Mme Cacciato, a convenu que ses efforts visant à insister sur la marque de commerce dans les documents communiqués aux journaux et revues aux fins de publication ont été vains puisque les médias ont continué de l’employer dans un sens générique. La défenderesse a produit des preuves de quelque 222 occurrences d’emploi générique de l’expression « French Press » dans des journaux et des revues et 73 occurrences dans 24 sites Web manifestement basés au Canada comme greenbeanery.ca, shopbot.ca et homehardware.ca.
[128] La défenderesse a produit des preuves de 15 produits du café de tiers manufacturiers et distributeurs qui emploient maintenant l’expression « French Press » dans leurs publicités, sur leurs emballages et sur leurs dépliants d’accompagnement. Dix variétés de marques de café employant l’expression « French Press » sur leurs emballages de produits vendus au Canada ont également été identifiées. En outre, l’expression se retrouve maintenant couramment sur au moins trois moulins à café bien connus vendus aux consommateurs au Canada à titre de réglage pour la mouture grosse qui convient le mieux à ce type d’appareil.
[129] Je reconnais que certains de ces produits, comme les cafetières à piston [French Presses] d’Oxo, de Le Creuset et d’Espro, sont entrés sur le marché depuis la date du dépôt de la demande reconventionnelle qui a contesté la validité de la marque en question. Dans le cas d’Espro, sa cafetière à piston est apparue sur le marché canadien en avril 2010, quelques mois après le dépôt initial de la demande reconventionnelle. Bien que je doive considérer avec prudence l’introduction de ces produits après la date pertinente, j’estime que ces éléments de preuve sont tout de même pertinents au regard de la question de l’état du marché avant cette date puisqu’ils s’accordent avec l’emploi largement répandu et maintenu de l’expression.
[130] Bodum a amendé sa déclaration un mois avant le début du procès pour ajouter la gamme de produits BonJour. Il s’est ensuivi le dépôt d’une défense et demande reconventionnelle amendées dans lesquelles la validité de la marque de commerce était de nouveau contestée. Il pourrait être soutenu que la date pertinente pour déterminer le caractère distinctif devrait donc être reportée à la date de dépôt plus tardive. J’estime cependant qu’il n’est pas nécessaire de trancher cette question à la lumière de mes autres conclusions.
[131] La marque a été employée dans un sens commercial ordinaire dans plusieurs demandes de brevets et enregistrements de dessins industriels canadiens. Depuis qu’il a délivré l’enregistrement de marque de commerce de Bodum, l’Office de la propriété intellectuelle du Canada a délivré ou autorisé 14 autres enregistrements à des tiers qui comprennent les mots « French Press » ou « French Presses » dans leur description de marchandises.
[132] Bodum a employé l’expression dans un sens générique dans trois demandes de brevets canadiens sans l’identifier comme une marque de commerce. En outre, elle a employé l’expression à titre de nom courant généralement connu du public et employé par le public dans deux enregistrements de dessins industriels canadiens : Règlement sur les dessins industriels, DORS/99-460, alinéa 9(2)b).
[133] Les demanderesses invoquent les décisions Thermos et Institut National des Appellations d’Origine des Vins et Eaux-de-vie et al c Andres Wines Ltd et al (1987), 16 CPR (3d) 385, décision confirmée par 30 CPR (3d) 279 (CA Ont) (« Champagne ») au soutien de la prétention selon laquelle un mot peut prendre une tournure générique par suite d’un emploi répété au fil du temps, y compris par le propriétaire de la marque de commerce, tout en conservant sa validité comme marque de commerce. Comme la Cour suprême du Canada l’a affirmé dans Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc., précité, au paragraphe 75, une expression courante qui n’a pas été créée par le propriétaire de la marque de commerce bénéficierait normalement d’une protection moins étendue que la marque constituée d’un mot inventé, unique ou non descriptif.
[134] Les demanderesses soutiennent que pour de nombreux consommateurs canadiens, comme l’a indiqué le témoignage de M. de Winter, Bodum est synonyme de ce type de cafetière non électrique. Je note également le témoignage de M. Russell selon lequel des élèves disaient à l’occasion [TRADUCTION] « vous voulez dire Bodum » lorsqu’il parlait de la cafetière à piston [French Press] comme étant un des types de cafetières qu’ils devaient connaître. Les demanderesses invoquent cette affirmation comme preuve de la compréhension des consommateurs ordinaires et moyens. À mon avis, cette anecdote ne démontre pas que, pour les élèves, les mots « French Press » signifient une Bodum mais plutôt qu’ils connaissent bien la marque Bodum de ce type de cafetière. J’admets que Bodum a popularisé la catégorie sur le marché canadien grâce à ses efforts de commercialisation. Elle a établi une réputation pour le nom « Bodum » mais non pour le nom « French Press ».
[135] Le témoignage de Mme Wong, la seule détaillante à avoir témoigné, ne m’a pas persuadé que l’expression « French Press » était synonyme de la marque Bodum. Elle a affirmé dans son témoignage qu’elle avait régulièrement employé l’expression « coffee press » pendant des années dans ses publicités pour décrire les produits Bodum jusqu’à ce qu’on lui demande d’employer la marque de commerce.
[136] Les demanderesses m’ont exhorté à trouver des similitudes entre les éléments de preuve présentés en l’espèce et les faits de l’affaire Thermos. Cependant, « Thermos » était un nom inventé, comme « Kleenex », qui, suite à l’introduction du produit et de son succès sur le marché, est devenu une expression générique désignant le type de produit associé à la marque et a été cité comme exemple par plusieurs des témoins de Bodum. Tel n’est pas le cas ici. Bodum ne tente pas d’empêcher qu’un mot inventé tombe dans le domaine public. La présente affaire s’apparente aux affaires dans lesquelles le revendicateur de la marque de commerce tente de s’arroger l’usage exclusif d’un mot du langage courant : Canadian Shredded Wheat Co. c Kellogg Co. of Canada, [1938] Ex CJ no 9, [1969] 1 DLR 7; Brûlerie Des Monts Inc c 3002462 Canada Inc, (1997), 75 CPR (3d) 445.
[137] Parmi les facteurs qui peuvent être pris en compte pour évaluer le caractère distinctif figurent les efforts que le propriétaire de la marque de commerce a déployés pour faire respecter ses droits : Thermos, précité, aux pages 260-261. Bodum n’a rien fait pour faire respecter sa marque de commerce au Canada depuis la date de son adoption jusqu’à ce qu’elle intente la présente action en 2009 sans préavis. Durant ces années, l’emploi de l’expression dans un sens générique s’est répandu considérablement. Bodum elle-même a contribué à cette tendance en diffusant des documents éditoriaux positifs dans lesquels l’expression « French Press » est employée dans un sens générique.
L’effet du marché américain et de la décision du Trademarks Appeal Board américain
[138] Les demanderesses reconnaissent que la présence de produits américains sur le marché canadien dont les emballages arborent les mots « French Press » constitue une considération pertinente au regard de la question du caractère distinctif. Elles soutiennent toutefois que les éléments de preuve relatifs à la mesure dans laquelle la publicité américaine et la réputation des mots dans le contexte américain ont pénétré le marché canadien devraient être exclus pour les motifs exposés par le juge Rouleau dans la décision Philip Morris Inc c Imperial Tobacco Ltd (1985), 7 CPR (3d) 254, aux paragraphes 90 à 92, décision confirmée par la Cour d’appel dans (1987), 17 CPR (3d) 289, 1987 CarswellNat 701, autorisation de pourvoi refusée [1988] CSCR no 61 (QL). Le juge Rouleau a statué que la circulation de publications américaines au Canada n’était pas suffisante pour établir que la marque de commerce en question avait perdu son caractère distinctif; la conclusion contraire, d’ajouter la Cour d’appel, reviendrait à assujettir les inscrits canadiens à une force majeure indépendante de leur volonté (1987 CarswellNat 701 au paragraphe 24).
[139] Le principe a été réitéré par le juge de Montigny dans la décision Philip Morris Products SA c Marlboro Canada Ltd [2010] ACF no 1385 (QL); 2010 CF 1099, au paragraphe 300; décision modifiée en partie mais non sur ce point [2012] ACF no 878 (QL); 2012 CAF 201. Voir aussi Chalet Bar B Q (Canada) Inc c Foodcorp Ltd (1982), 66 CPR (2d) 56, 1982 CarswellNat 472 (CAF) au paragraphe 39.
[140] Les demanderesses soutiennent que la Cour devrait écarter la preuve de l’effet de débordement de l’usage américain dans les médias et dans des sites Web de commercialisation sur Internet ainsi que les éléments de preuve présentés par M. Barnett au sujet du flux de communication entre les deux pays. Cependant, nous n’avons pas affaire ici à une situation où les droits d’un cessionnaire canadien sont touchés par l’effet de la publicité du propriétaire de la marque américaine, comme c’était le cas dans l’affaire Marlboro tranchée par le juge de Montigny. Il ne s’agit pas d’une affaire de caractère distinctif peut-être perdu mais plutôt d’un cas où les demanderesses revendiquent le droit de s’approprier, à leur usage exclusif, une expression qui était déjà en usage au sein de l’industrie nord-américaine au moins dix ans plus tôt.
[141] À mon avis, les éléments de preuve présentés par M. Barnett démontraient essentiellement une évidence; à savoir que le flux d’information traversant notre frontière à partir des États-Unis a une influence sur la perception canadienne du sens de l’information. Il n’était pas nécessaire de s’appuyer sur l’opinion de M. Barnett pour tirer cette conclusion. À mon avis, la Cour peut prendre connaissance d’office du mouvement d’information traversant la frontière canado-américaine.
[142] Cela n’est pas à dire que les marques de commerce canadiennes doivent succomber à la force majeure du marché américain, mais il faut reconnaître la réalité pratique des communications transfrontalières. Les revues et les livres publiés aux États-Unis sont habituellement disponibles au Canada. Nous regardons énormément d’émissions de télé produites aux États-Unis et accessibles au Canada soit en clair (par antenne) ou grâce à des services de télévision par câble ou par satellite. Internet est un médium sans frontières. Nous faisons régulièrement des achats auprès de détaillants américains par l’entremise de leurs pages Web en ligne, à partir desquels nous commandons des marchandises qui nous sont expédiées au Canada. Les demanderesses tirent profit de la réalité du marché transfrontalier. Par exemple, Bodum ne fait plus affaire avec un distributeur basé au Canada et gère plutôt ses activités de vente au Canada à partir des États-Unis. Elle ne fréquente plus les salons professionnels d’articles ménagers canadiens et s’en remet principalement à du personnel basé aux États-Unis qui vient au Canada de temps à autre. Bodum emploie les mêmes emballages et les mêmes publicités pour distribuer et promouvoir ses produits dans les deux pays. Elle est mal venue de prétendre maintenant que la Cour devrait conclure qu’une muraille sépare le Canada et les États‑Unis lorsqu’il est question de l’influence de l’information et des ventes transfrontalières.
[143] Compte tenu de l’intégration des marchés américain et canadien, j’ai trouvé instructive une décision de 1999 de la US Trademark Trial and Appeal Board : In re PI-Design AG, US TTAB 1999, en ligne; http://des.uspto.gov/Foia/ReterivePdf?flNm=74580176-07-29-1999&system=TTABIS. Dans cette décision, l’Appeal Board a rejeté un appel de la décision d’un examinateur qui avait refusé l’enregistrement de la marque « French Press » des demanderesses en vertu du sous-alinéa 2(e)(1) de la Trademark Act, 15 USC 1052 (e)(1) au motif que cette marque était purement descriptive. En appliquant le critère américain du « caractère générique », l’Appeal Board a conclu que le public acheteur comprendrait que l’expression « French Press » désignait la catégorie pertinente de biens. Subsidiairement, l’Appeal Board a refusé d’approuver l’enregistrement en vertu de l’alinéa 2(f) de la Trademark Act parce qu’il a estimé qu’il ne disposait pas de preuves suffisantes de caractère distinctif acquis. Aucun appel n’a été interjeté de cette décision auprès de la U.S. District Court ou de la Court of Appeal for the Federal Circuit et la demanderesse s’est désistée de sa demande d’enregistrement de la marque.
[144] Pour ce qui concerne le recours à de la jurisprudence étrangère, la Cour peut se tourner vers des décisions étrangères faisant autorité dans la mesure où elle le fait avec prudence : Thomas & Betts, Ltd c Panduit Corp, [2000] 3 CF 3 (CAF) au paragraphe 28. Voir aussi Canadian Shredded Wheat Co. c Kellogg Co. of Canada, [1939] 1 DLR 7, au paragraphe 7; Cie générale des établissements Michelin - Michelin & Cie c National Automobile, Aerospace, Transportation et General Workers Union of Canada (CAW - Canada), [1996] ACF no 1685 (QL), au paragraphe 66; et Compo Co Ltd c Blue Crest Music et autres, [1980] 1 RCS 357, aux pages 366 et 367.
[145] Les éléments de preuve sur lesquels l’Appeal Board américain a fondé sa décision de 1999 sont similaires à ceux dont dispose la Cour en l’espèce, et la décision de l’Appeal Board américain concorde avec mes propres conclusions dans la présente affaire. Les avocats m’ont avisé qu’autant qu’ils sachent, la décision de l’Appeal Board ne comportait aucun élément attribuable à une particularité du droit américain sans équivalent en droit canadien des marques de commerce.
[146] Je suis convaincu que je pouvais tenir compte de la décision américaine pour en arriver à ma décision dans la présente affaire. Cependant, je n’ai accordé aucun poids appréciable aux éléments de preuve favorables à la position de la défenderesse. Je n’ai pas non plus considéré comme pertinent aux fins de trancher les questions dont j’étais saisi l’emploi trompeur allégué, selon la défenderesse, du symbole d’enregistrement de marque de commerce sur les emballages Bodum aux États-Unis.
Conclusion au sujet du caractère distinctif :
[147] En dernière analyse, pour évaluer le caractère distinctif, la cour doit appliquer son propre sens commun aux éléments de preuve : Thorkelson c PharmaWest Pharmacy Limited, 2008 CAF 100, au paragraphe 15. En l’espèce, à mon avis, les éléments de preuve démontrent amplement que l’expression « French Press » faisait déjà l’objet d’un emploi largement répandu en Amérique du Nord lorsque Bodum a tenté de s’en arroger l’usage exclusif, et cette expression n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement.
[148] Aux fins de la présente action, il suffit que je conclue que la marque n’était pas distinctive au moment où sa validité a été contestée, et j’en conclus ainsi. Mais je suis également convaincu que la marque n’était pas distinctive au moment où elle a été enregistrée au Canada, et j’estime que la demande n’aurait pas dû être approuvée. Bodum n’a pas démontré qu’il avait été clairement communiqué au public que les marchandises auxquelles la marque de commerce était associée et en liaison avec lesquelles elle était employée étaient les marchandises du propriétaire de la marque de commerce et non celles d’un autre propriétaire.
[149] Compte tenu des éléments de preuve présentés, la présomption de validité, décrite dans la décision Cheaptickets, précitée, n’est d’aucun secours aux demanderesses. Je conviens avec la défenderesse que l’expression « French Press » est, comme elle l’a été à toutes époques pertinentes, un nom commun qui désigne le type de cafetière non électrique dont il est ici question et la façon de préparer le café au moyen de ce type de cafetière. L’expression n’était pas distinctive au moment où la demande d’enregistrement a été déposée ni au moment où elle a été rédigée ni au moment où la procédure contestant la validité de l’enregistrement en question a été introduite. L’enregistrement est invalide parce que l’expression a été employée dans un sens générique, comme elle continue de l’être, dans l’usage ordinaire et l’usage commercial de bonne foi.
Autres motifs d’invalidité :
[150] L’alinéa 12(1)b) dispose qu’une marque de commerce n’est pas enregistrable lorsqu’elle donne une description claire de la nature des marchandises en liaison avec lesquelles elle est employée. Pour « donner une description claire », l’expression doit être reliée à la composition des biens ou des produits ou à une qualité intrinsèque évidente des marchandises, comme un trait, une particularité ou une caractéristique du produit lui-même qui créerait l’impression immédiate et première dans l’esprit de l’usager ordinaire : Provenzano c Registrar of Trade‑marks (1977), 37 CPR (2d) 189 (CF), au paragraphe 2 : ITV Technologies, Inc cv WIC Television Ltd, 2003 CF 1056, au paragraphe 67; décision confirmée par 2005 CAF 96.
[151] J’infère des éléments de preuve que les mots « French » et « press » ont été associés à ce type de cafetière à cause du lieu de fabrication des produits de marque Chambord de Melior qui ont été importés au Canada et aux États-Unis dans les années 1970 et 1980. Ces mots ont par la suite été reliés aux produits d’autres fabricants comme la cafetière à piston [French Press] Hario, également vendue au Canada dans les années 1980. « Press » décrit la méthode qui permet de séparer le breuvage des grains de café. J’estime que les deux mots pris ensemble donnent une description claire du type de produit lui-même. La marque de commerce est donc invalide pour cause de caractère descriptif.
[152] L’alinéa 12(1)c) dispose qu’une marque de commerce n’est pas enregistrable lorsqu’elle est constituée du nom, dans une langue, des marchandises ou services à l’égard desquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer. Compte tenu des éléments de preuve, je conclus que « French Press » était un des noms couramment employés en anglais au Canada, au moment où la demande a été déposée, pour décrire le type d’appareil dont il est ici question. Elle n’aurait donc pas dû être enregistrée comme marque de commerce.
[153] Bodum prétend qu’en vertu du paragraphe 17(2) de la Loi, l’enregistrement ne peut pas être radié, modifié ou jugé invalide du fait d’une utilisation antérieure par une personne autre que Bodum, à moins qu’il ne soit établi que Bodum a adopté la marque de commerce au Canada alors qu’elle était au courant de cette utilisation antérieure. Bodum soutient donc que les emplois, par exemple, de l’expression « French Press » par Hario en 1985, et par BonJour au début des années 1990 ne peuvent pas avoir pour effet d’invalider l’enregistrement. J’infère des éléments de preuve que la haute direction de Bodum, et plus précisément Jørgen Bodum et Carsten Jorgensen, étaient au courant de l’utilisation antérieure de l’expression lorsqu’ils l’ont adoptée comme marque de commerce, en raison de leur connaissance du marché et des préoccupations exprimées par Koen de Winter au sujet de la concurrence de BonJour. Pour cette raison, j’impute la connaissance requise à Bodum et j’ordonnerai la radiation de la marque de commerce.
Autres conclusions
[154] Pour le cas où mes conclusions au sujet de la validité de la marque de commerce seraient jugées erronées, j’exposerai brièvement mes conclusions au sujet des autres questions soulevées par les parties.
[155] Les éléments de preuve n’établissent pas que la défenderesse a employé « French Press » comme marque de commerce en liaison avec les ventes de ses produits au Canada. Elle a plutôt employé l’expression dans un sens descriptif pour identifier son produit comme un type particulier de cafetière et pour distinguer cette catégorie de produit de ses autres marchandises. En outre, Bodum n’a rien fait pour exercer ses droits dans la marque de commerce malgré sa connaissance depuis au moins le début des années 1990 des produits Prestige et BonJour sur le marché canadien. À mon avis, en toute équité, elle ne saurait se plaindre maintenant de l’emploi descriptif de l’expression par la défenderesse sur ses produits. Je suis également convaincu, compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, qu’au moment où la présente instance a été introduite, l’emploi par d’autres fabricants était devenu répandu au point de rendre vide de sens toute revendication de caractère distinctif : Unitel Communications Inc c Bell Canada (1995), 61 CPR (3d) 12 (CF 1re inst.).
[156] Il n’y a aucun élément de preuve qui démontre que l’emploi de l’expression par d’autres a créé de la confusion sur le marché canadien entre les produits des demanderesses, qui se distinguent principalement par la marque enregistrée BODUM, et les produits Meyer de la défenderesse. Les produits de la gamme Prestige ont été vendus principalement à des vendeurs à rabais avec qui Bodum ne faisait pas affaire. Ces ventes ne préoccupaient pas Danesco selon M. de Winter. De même, les ventes de la gamme de produits BonJour, importée par des tiers, n’ont jamais été importantes sauf pendant une brève période où ces produits ont été commercialisés par un grand détaillant. La plupart de ces produits ont été rappelés et ont été réacheminés à l’étranger à cause de préoccupations concernant la composition du plastique.
[157] M. Perez a reconnu ces faits dans son témoignage. Il est parvenu à se rappeler tout au plus d’un cas de confusion possible aux États-Unis. Puisqu’il n’y a aucune preuve de confusion au Canada, il ne peut pas y avoir de commercialisation trompeuse. Il n’y a pas non plus de preuve de dégradation de l’achalandage de Bodum alors que les produits supposément contrefaisants étaient sur le marché. Bodum a dominé le marché tout au long de la période pertinente par un facteur d’au moins dix.
[158] En conséquence, aucuns dommages-intérêts n’auraient été accordés si j’avais conclu que la marque de commerce était valide et que son emploi par la défenderesse constituait de la contrefaçon. Je n’accorderais pas une mesure de redressement en equity comme la restitution des bénéfices ou une injonction. La preuve démontre que la part du marché de Bodum a été maintenue et que celle de Meyer, toujours nettement plus modeste, est en déclin.
[159] Bodum était au courant de l’emploi de l’expression « French Press » par le prédécesseur en titre de la défenderesse depuis au moins 1997, comme l’a démontré la transaction qui a mis fin aux litiges touchant la présentation et d’autres questions entre Bodum et Culinary et plusieurs individus. Je reconnais que la transaction ne confère pas expressément une licence autorisant l’emploi de la marque de commerce au Canada et qu’il n’y a aucune preuve d’une intention expresse de renoncer aux droits canadiens de Bodum. D’ailleurs, la transaction stipule à l’article 14 que les conventions relatives aux droits de propriété intellectuelle s’appliquent uniquement aux États-Unis et qu’elles n’auront aucune incidence sur les droits de l’une quelconque des parties dans aucun autre pays sous réserve de l’engagement de Bodum à ne prendre aucune mesure pour empêcher Culinary de vendre ses produits BonJour de l’époque [TRADUCTION] « dans tout pays en Amérique du Nord ». La transaction incorpore expressément la licence relative aux droits en matière de présentation reliés au produit BonJour de Culinary au Canada. Au paragraphe 13, Bodum s’engageait à ne pas demander [TRADUCTION] « de dommages-intérêts de [Culinary] ni une injonction contre celle-ci au titre de la vente des produits BonJour actuellement vendus en Amérique du Nord et non énumérés à la page 5 de la pièce B, le contrat de licence ». La page 5 de l’annexe B énumère 15 cafetières à piston [French Presses] BonJour.
[160] Lorsqu’elle a négocié cette transaction, il est clair que Bodum se souciait davantage des détails de la présentation des produits BonJour que de faire valoir ses droits dans sa marque de commerce. Néanmoins, bien que Bodum n’ait pas accordé de licence autorisant l’emploi de la marque au Canada, l’expression « French Press » est employée 18 fois dans la transaction et les pièces qui y sont jointes en rapport avec des ventes permises partout en Amérique du Nord. BonJour, et Meyer, en qualité d’ayant droit, ont agi sur la foi de cette transaction. Je conviens avec la défenderesse qu’il serait injuste de permettre maintenant à Bodum de se laver les mains des implications plus générales de cette transaction uniquement parce que ses avocats et sa direction ne s’en souciaient pas au moment de la signature de cette transaction. À tout le moins, cela démontre que Bodum n’a pas pris de mesures actives pour protéger sa marque revendiquée et que, par cette transaction, elle a miné ses prétentions quant au caractère distinctif de sa marque.
DÉPENS :
[161] Puisque la défense et la demande reconventionnelle de la défenderesse ont été accueillies, la défenderesse aura droit à ses dépens. Les parties ont demandé la possibilité de présenter des observations écrites au sujet des dépens. Elles auront d’abord la possibilité de déterminer si elles sont capables de régler la question entre elles. Si elles n’y parviennent pas, la défenderesse produira un mémoire de dépens dans les 60 jours de la date du présent jugement avec ses observations écrites. Les demanderesses auront ensuite 30 jours pour présenter leurs observations écrites au sujet des dépens. Les défenderesses auront ensuite 15 jour pour produire une réponse. La Cour adjugera par la suite les dépens par écrit sans audition.
JUGEMENT
LA COUR STATUE :
1. l’action des demanderesses demandant une mesure de redressement déclaratoire, des dommages-intérêts et une injonction est rejetée;
2. la demande reconventionnelle des défenderesses demandant à ce que l’enregistrement de marque de commerce no LMC475,721 soit déclarée invalide est accueillie;
3. l’enregistrement de marque de commerce no LMC475,721 sera radié du Registre des marques de commerce;
4. Les dépens sont adjugés à la défenderesse, demanderesse par voie de demande reconventionnelle, dans la présente action comprenant la demande reconventionnelle et la demande dans le dossier de la Cour no T-738-11.
« Richard G. Mosley »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
ANNEXE A
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
Loi sur les marques de commerce |
Trade-marks Act
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LRC (1985), c T-13 |
RSC, 1985, c T-13
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Définitions |
Definitions |
2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi. |
2. In this Act, |
« distinctive » relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.
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“distinctive”, in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them; |
Quand une marque de commerce est réputée employée
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When deemed to be used |
4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.
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4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.
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Interdictions
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Prohibitions
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7. Nul ne peut :
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7. No person shall
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a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent;
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(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, wares or services of a competitor; |
b) appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;
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(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another; |
c) faire passer d’autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;
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c) pass off other wares or services as and for those ordered or requested; |
d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde :
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(d) make use, in association with wares or services, of any description that is false in a material respect and likely to mislead the public as to |
(i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,
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(i) the character, quality, quantity or composition,
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(ii) soit leur origine géographique,
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(ii) the geographical origin, or
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(iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d’exécution;
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(iii) the mode of the manufacture, production or performance of the wares or services; or
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e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d’affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada.
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(e) do any other act or adopt any other business practice contrary to honest industrial or commercial usage in Canada. |
Autres interdictions
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Further prohibitions
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10. Si une marque, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, devient reconnue au Canada comme désignant le genre, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d’origine ou la date de production de marchandises ou services, nul ne peut l’adopter comme marque de commerce en liaison avec ces marchandises ou services ou autres de la même catégorie générale, ou l’employer d’une manière susceptible d’induire en erreur, et nul ne peut ainsi adopter ou employer une marque dont la ressemblance avec la marque en question est telle qu’on pourrait vraisemblablement les confondre.
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10. Where any mark has by ordinary and bona fide commercial usage become recognized in Canada as designating the kind, quality, quantity, destination, value, place of origin or date of production of any wares or services, no person shall adopt it as a trade-mark in association with such wares or services or others of the same general class or use it in a way likely to mislead, nor shall any person so adopt or so use any mark so nearly resembling that mark as to be likely to be mistaken therefor.
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Autres interdictions
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Further prohibitions
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11. Nul ne peut employer relativement à une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque adoptée contrairement à l’article 9 ou 10 de la présente loi ou contrairement à l’article 13 ou 14 de la Loi sur la concurrence déloyale, chapitre 274 des Statuts revisés du Canada de 1952.
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11. No person shall use in connection with a business, as a trade-mark or otherwise, any mark adopted contrary to section 9 or 10 of this Act or section 13 or 14 of the Unfair Competition Act, chapter 274 of the Revised Statutes of Canada, 1952.
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Marque de commerce enregistrable
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When trade-mark registrable
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12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :
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12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not
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a) elle est constituée d’un mot n’étant principalement que le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;
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(a) a word that is primarily merely the name or the surname of an individual who is living or has died within the preceding thirty years; |
b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;
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(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin; |
c) elle est constituée du nom, dans une langue, de l’une des marchandises ou de l’un des services à l’égard desquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer;
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(c) the name in any language of any of the wares or services in connection with which it is used or proposed to be used; |
d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;
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(d) confusing with a registered trade-mark; |
e) elle est une marque dont l’article 9 ou 10 interdit l’adoption;
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(e) a mark of which the adoption is prohibited by section 9 or 10; |
f) elle est une dénomination dont l’article 10.1 interdit l’adoption;
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(f) a denomination the adoption of which is prohibited by section 10.1; |
g) elle est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un vin dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication;
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(g) in whole or in part a protected geographical indication, where the trade-mark is to be registered in association with a wine not originating in a territory indicated by the geographical indication; |
h) elle est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un spiritueux dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication; |
(h) in whole or in part a protected geographical indication, where the trade-mark is to be registered in association with a spirit not originating in a territory indicated by the geographical indication; and
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i) elle est une marque dont l’adoption est interdite par le paragraphe 3(1) de la Loi sur les marques olympiques et paralympiques, sous réserve du paragraphe 3(3) et de l’alinéa 3(4)a) de cette loi.
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(i) subject to subsection 3(3) and paragraph 3(4)(a) of the Olympic and Paralympic Marks Act, a mark the adoption of which is prohibited by subsection 3(1) of that Act. |
Idem
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Idem
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(2) Une marque de commerce qui n’est pas enregistrable en raison de l’alinéa (1)a) ou b) peut être enregistrée si elle a été employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d’une demande d’enregistrement la concernant.
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(2) A trade-mark that is not registrable by reason of paragraph (1)(a) or (b) is registrable if it has been so used in Canada by the applicant or his predecessor in title as to have become distinctive at the date of filing an application for its registration. |
Effet de l’enregistrement relativement à l’emploi antérieur, etc.
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Effect of registration in relation to previous use, etc.
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17. (1) Aucune demande d’enregistrement d’une marque de commerce qui a été annoncée selon l’article 37 ne peut être refusée, et aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut être radié, modifié ou tenu pour invalide, du fait qu’une personne autre que l’auteur de la demande d’enregistrement ou son prédécesseur en titre a antérieurement employé ou révélé une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion, sauf à la demande de cette autre personne ou de son successeur en titre, et il incombe à cette autre personne ou à son successeur d’établir qu’il n’avait pas abandonné cette marque de commerce ou ce nom commercial créant de la confusion, à la date de l’annonce de la demande du requérant.
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17. (1) No application for registration of a trade-mark that has been advertised in accordance with section 37 shall be refused and no registration of a trade-mark shall be expunged or amended or held invalid on the ground of any previous use or making known of a confusing trade-mark or trade-name by a person other than the applicant for that registration or his predecessor in title, except at the instance of that other person or his successor in title, and the burden lies on that other person or his successor to establish that he had not abandoned the confusing trade-mark or trade-name at the date of advertisement of the applicant’s application.
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Quand l’enregistrement est incontestable
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When registration incontestable
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(2) Dans des procédures ouvertes après l’expiration de cinq ans à compter de la date d’enregistrement d’une marque de commerce ou à compter du 1er juillet 1954, en prenant la date qui est postérieure à l’autre, aucun enregistrement ne peut être radié, modifié ou jugé invalide du fait de l’utilisation ou révélation antérieure mentionnée au paragraphe (1), à moins qu’il ne soit établi que la personne qui a adopté au Canada la marque de commerce déposée l’a fait alors qu’elle était au courant de cette utilisation ou révélation antérieure.
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(2) In proceedings commenced after the expiration of five years from the date of registration of a trade-mark or from July 1, 1954, whichever is the later, no registration shall be expunged or amended or held invalid on the ground of the previous use or making known referred to in subsection (1), unless it is established that the person who adopted the registered trade-mark in Canada did so with knowledge of that previous use or making known. |
Quand l’enregistrement est invalide
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When registration invalid
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18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :
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18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if
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a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistre-ment;
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(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration,
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b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistre-ment;
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(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, or
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c) la marque de commerce a été abandonnée. Sous réserve de l’article 17, l’enregistrement est invalide si l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit de l’obtenir.
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(c) the trade-mark has been abandoned, and subject to section 17, it is invalid if the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration.
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Droits conférés par l’enregistrement
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Rights conferred by registration |
19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle-ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.
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19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade-mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade-mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade-mark in respect of those wares or services.
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Violation
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Infringement
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20. (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut empêcher une personne :
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20. (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name, but no registration of a trade-mark prevents a person from making
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a) d’utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;
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(a) any bona fide use of his personal name as a trade-name, or |
b) d’employer de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de commerce :
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(b) any bona fide use, other than as a trade-mark,
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(i) soit le nom géographique de son siège d’affaires, |
(i) of the geographical name of his place of business, or
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(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services, d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce.
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(ii) of any accurate description of the character or quality of his wares or services, in such a manner as is not likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching to the trade-mark.
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Dépréciation de l’achalandage
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Depreciation of goodwill
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22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.
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22. (1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.
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Action à cet égard
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Action in respect thereof
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(2) Dans toute action concernant un emploi contraire au paragraphe (1), le tribunal peut refuser d’ordonner le recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, et permettre au défendeur de continuer à vendre toutes marchandises revêtues de cette marque de commerce qui étaient en sa possession ou sous son contrôle lorsque avis lui a été donné que le propriétaire de la marque de commerce déposée se plaignait de cet emploi.
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(2) In any action in respect of a use of a trade-mark contrary to subsection (1), the court may decline to order the recovery of damages or profits and may permit the defendant to continue to sell wares marked with the trade-mark that were in his possession or under his control at the time notice was given to him that the owner of the registered trade-mark complained of the use of the trade-mark.
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Licence d’emploi d’une marque de commerce
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Licence to use trade-mark
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50. (1) Pour l’application de la présente loi, si une licence d’emploi d’une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services, l’emploi, la publicité ou l’exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial — ou partie de ceux-ci — ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s’il s’agissait de ceux du propriétaire.
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50. (1) For the purposes of this Act, if an entity is licensed by or with the authority of the owner of a trade-mark to use the trade-mark in a country and the owner has, under the licence, direct or indirect control of the character or quality of the wares or services, then the use, advertisement or display of the trade-mark in that country as or in a trade-mark, trade-name or otherwise by that entity has, and is deemed always to have had, the same effect as such a use, advertisement or display of the trade-mark in that country by the owner.
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Règles sur les brevets DORS/96-423 |
Patent Rules SOR/96-423 |
76. Toute marque de commerce mentionnée dans la demande est désignée comme telle |
76. Any trade-mark mentioned in the application shall be identified as such. |
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1240-09
INTITULÉ : BODUM USA, INC.
ET PI DESIGN AG
ET
MEYER HOUSEWARES CANADA INC.
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : Du 13 au 15 juin 2012
et du 18 au 22 juin 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE MOSLEY
DATE DES MOTIFS : Le 10 décembre 2012
COMPARUTIONS :
Christopher Wilson Kwan Loh
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POUR LES DEMANDERESSES
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Mark E. Davis Charlene Lipchen |
POUR LA DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
CHRISTOPHER WILSON KWAN LOH, Bull Houser & Tupper LLP Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LES DEMANDERESSES
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MARK E. DAVIS CHARLENE LIPCHEN Heenan Blaikie LLP Toronto (Ontario) |
POUR LA DÉFENDERESSE
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