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Date : 20121207

Dossier : IMM-3837-12

Référence : 2012 CF 1447

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2012

En présence de madame la juge Kane

 

 

ENTRE :

 

ALEXANDRU MORTOCIAN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite, en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la LIPR ou la Loi], le contrôle judiciaire d’une décision en date du 13 janvier 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] a jugé qu’il n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention au sens de l’article 96 de la LIPR ni celle de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

Contexte

 

 

[2]               Le demandeur est un ressortissant roumain d’origine ethnique rom qui demande l’asile au Canada en raison de la discrimination dont il se dit victime en Roumanie. Le demandeur affirme qu’il a été victime de discrimination pendant toute sa vie aux études, au travail, en matière de logement et sur le plan social. Il a insisté sur la discrimination dont il avait été victime au travail et soutient que, s’il retourne en Roumanie, il sera persécuté parce qu’il ne pourra pas travailler dans son domaine de compétence et qu’il sera beaucoup moins bien rémunéré que les autres travailleurs qui ne sont pas des Roms. Le demandeur a travaillé pendant 20 ans comme grutier, mais il a été licencié en 2000 sans doute en raison du fait que de jeunes Roumains étaient disponibles pour faire ce travail. Le demandeur a par la suite travaillé comme travailleur étranger temporaire en Allemagne, en Israël, en Espagne et au Canada et est rentré en Roumanie entre ces emplois pour travailler comme manœuvre.

 

[3]               Le demandeur affirme également avoir fait l’objet de discrimination en matière de logement en expliquant que sa femme, qui est une Roumaine qui n’est pas d’origine ethnique rom, a dû acheter le terrain de sa maison et qu’à la suite du décès de sa femme, il a dû vendre sa maison à bas prix pour payer ses factures médicales à la suite de l’intervention du maire de la ville qui a exigé qu’il vende sa maison à un Roumain. En tant que Rom, il ne pouvait acheter de maison en ville et il a par la suite acheté un petit appartement à l’extérieur de la ville.

 

[4]               Le demandeur a également relaté un incident survenu en 1987 au cours duquel il avait été agressé et poignardé et avait dû passer huit mois à l’hôpital. Le demandeur a expliqué que les procureurs n’avaient rien fait et l’avaient incité à ne pas donner suite à l’affaire.

 

[5]               La Commission a jugé le demandeur crédible, mais a estimé que, même s’il avait été victime de discrimination, celle‑ci n’équivalait pas à de la persécution et qu’il n’avait donc pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. En ce qui concerne l’incident de 1987, la Commission a fait observer que l’agression remontait à plus d’une vingtaine d’années et qu’elle visait d’abord son épouse, qui n’était pas Rom, et que le demandeur avait été blessé lorsqu’il s’était porté à sa défense.

 

[6]               La Commission a reconnu que certains Roms vivent dans des conditions « déplorables » en Roumanie, mais a fait observer que la situation du demandeur semblait meilleure que celle d’autres personnes, selon ce qu’on pouvait constater à la lecture de la documentation sur la situation au pays, comme le démontrait le fait qu’il avait été propriétaire d’une maison avec sa femme, qu’il avait pu obtenir une formation dans un métier et qu’il avait travaillé pendant 20 ans pour le même employeur.

 

[7]               Le demandeur affirme que la Commission a rendu sa décision sans tenir compte de sa situation concrète et à venir et qu’elle n’a pas tenu compte d’éléments cruciaux de sa demande. Plus précisément, le demandeur affirme que la Commission a conclu à tort qu’il n’avait pas été confronté à des difficultés en matière de logement, qu’elle a eu tort de tenir compte de ses perspectives d’emploi à l’extérieur de la Roumanie et de sa capacité de travailler à un salaire inférieur du fait de ses origines ethniques, qu’elle n’a pas tenu compte des répercussions probables du décès de son épouse sur ses perspectives d’avenir et qu’elle n’a pas tenu compte du témoignage de ses enfants, qui sont des « personnes se trouvant dans une situation semblable » et qui n’arrivent pas à se trouver du travail, ce qui constitue une preuve de la situation à laquelle il sera confronté s’il doit retourner en Roumanie.

 

[8]               Le défendeur affirme que la Commission a bel et bien tenu compte de ces questions et que son analyse et sa décision étaient raisonnables.

 

 

Question en litige et norme de contrôle applicable

 

 

[9]               La question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la conclusion de la Commission suivant laquelle la discrimination à laquelle le demandeur était exposé ne pouvait être assimilée à de la persécution et qu’il n’avait en conséquence pas la qualité de réfugié ou celle de personne à protéger était raisonnable.

 

[10]           J’ai donc tenu compte de la justification de la décision ainsi que de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, en plus de l’appartenance de la décision aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59). La Cour n’interviendra que si elle estime que la décision n’est pas raisonnable et qu’elle n’appartient pas aux issues possibles et acceptables.

 

Analyse

 

[11]           À mon avis, la décision de la Commission appartient aux issues possibles et acceptables et la Commission a justifié sa décision en formulant des conclusions claires qui s’appuyaient sur les éléments de preuve dont elle disposait.

 

[12]           En ce qui concerne le logement, contrairement à la prétention du demandeur suivant laquelle la Commission a mal compris les problèmes de logement auxquelles il était confronté, la Commission n’a pas conclu que le demandeur n’était aux prises avec aucun problème, mais plutôt qu’il n’avait pas à faire face aux problèmes extrêmes signalés dans les documents sur la situation au pays, par exemple que les Roms se font « refuser l’accès à des logements convenables » et « expulser de force de leurs habitations ». La Commission a reconnu les conditions particulièrement lamentables avec lesquelles les Roms devaient composer en Roumanie ainsi que le fait que le demandeur était victime de discrimination sociale et économique, mais a conclu que la situation du demandeur ne pouvait être assimilée à de la persécution.

 

[13]           Pour ce qui est de l’argument du demandeur suivant lequel la Commission n’a pas tenu pleinement compte des répercussions du décès de sa femme sur ses perspectives d’avenir et sur ses risques d’être persécuté en Roumanie, bien que le demandeur n’ait pas présenté d’éléments de preuve au sujet des autres risques auxquels il pourrait être exposé et bien que la Commission ne soit pas tenue de conjecturer sur d’éventuels risques à venir, il n’en demeure pas moins que la Commission était au courant du fait que le demandeur comptait sur sa femme pour obtenir un meilleur traitement en Roumanie et que c’est grâce à elle qu’il avait pu acheter un terrain pour leur maison. La Commission n’a pas ignoré les répercussions de la mort regrettable de la femme du demandeur, mais elle a quand même conclu que la discrimination dont le demandeur avait été victime ne pouvait être assimilée à un risque de persécution. Il était loisible à la Commission d’en arriver à cette conclusion.

 

[14]           Comme nous l’avons déjà signalé, le demandeur affirme également que la Commission n’a pas tenu compte des lettres de ses enfants et de son ami qui faisaient état de leurs sombres perspectives d’emploi, ce qui laissait présager ce qui l’attendait à son retour. Il ressort de sa décision que la Commission a bien tenu compte de ces éléments de preuve. De plus, la Commission a mentionné les documents relatifs à la situation au pays qui faisaient état du refus de fournir des logements convenables, ainsi que de nombreux désavantages sociaux, notamment en matière d’emploi. Bien que le demandeur puisse laisser entendre que la Commission n’a pas accordé suffisamment de poids à ces éléments de preuve, il n’appartient pas à la Cour d’évaluer de nouveau les éléments de preuve que la Commission a examinés.

 

[15]           En ce qui concerne la discrimination en matière d’emploi, le demandeur affirme que la Commission s’est essentiellement fondée sur la possibilité de refuge extérieur en laissant entendre qu’il pouvait se trouver du travail ailleurs au sein de l’Union européenne. De plus, le demandeur affirme que la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’il serait forcé d’accepter des emplois subalternes ou d’être moins bien rémunéré en Roumanie, ce qui constitue de la persécution.

 

[16]           En ce qui concerne le concept de possibilité de refuge extérieur, je suis d’accord avec le demandeur pour dire que cette exigence n’existe pas. Le demandeur n’a pas à démontrer qu’il lui est impossible de se rendre dans un pays dans lequel il pourrait avoir le droit de travailler pour démontrer qu’il peut répondre à la définition de réfugié au sens de la Convention. Malgré le fait qu’ils peuvent bénéficier d’une plus grande mobilité au sein de l’Union européenne, les personnes qui travaillent dans d’autres pays ne jouissent pas de tous les privilèges qui sont reconnus aux ressortissants et, s’il leur est permis de travailler, leur période de travail est limitée. L’Union européenne est un regroupement de plusieurs pays distincts; il ne s’agit pas d’un seul et même pays. Que cet argument soit formulé comme une possibilité de refuge intérieur au sein de l’Union européenne ou comme une possibilité de refuge extérieur en dehors du pays d’origine, aucun demandeur n’est tenu d’épuiser toutes les perspectives d’emploi dans d’autres pays.

 

[17]           Je ne crois cependant pas que la Commission a tiré une telle conclusion en l’espèce. Le fait que la Commission mentionne au paragraphe 24 de sa décision que le demandeur a déjà travaillé en Roumanie à un salaire inférieur et qu’il a travaillé à l’étranger se veut simplement un énoncé de fait des options que le demandeur a exercées par le passé et ne change rien à la conclusion de la Commission suivant laquelle la discrimination dont le demandeur a fait l’objet ne saurait être assimilée à de la persécution.

 

[18]           En ce qui concerne la question de savoir si la difficulté actuelle ou éventuelle du demandeur à se trouver du travail constitue de la persécution, j’ai examiné attentivement le jugement Horvath c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1350, 2011 ACF no 1649 [Horvath]. Dans le jugement Horvath, le juge Mandamin avait estimé que la Commission ne s’était pas demandée si l’incapacité du demandeur d’effectuer le travail pour lequel il avait été formé en raison de la discrimination dont il avait faisait l’objet du fait de ses origines ethniques équivalait à de la persécution. Le juge Mandamin a conclu que la Commission avait simplement mentionné la situation sans toutefois analyser le témoignage du demandeur ou la situation qui existait au pays et les répercussions de cette situation sur le gagne-pain du demandeur.

 

[19]           La présente espèce diffère de l’affaire Horvath en ce sens qu’il ressort de ses motifs que la Commission a effectivement tenu compte de la situation qui existe en Roumanie et des perspectives d’emploi limitées. De plus, la Commission a fait remarquer que le demandeur avait pu travailler en Roumanie et à l’étranger. Malgré le fait que le demandeur ne sera peut-être pas capable de reprendre son travail préféré, celui de grutier, il a pu exercer d’autres métiers.

 

[20]           Dans le jugement Horvath, le juge Mandamin a jugé utile de consulter le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés du HCNUR (réédité, Genève, 1992) pour établir une distinction entre la discrimination et la persécution. Le Guide précise ce qui suit : « Ce n’est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaudra à des persécutions. Il en sera ainsi lorsque les mesures discriminatoires auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée, par exemple de sérieuses restrictions du droit d’exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d’avoir accès aux établissements d’enseignement normalement ouverts à tous. »

 

[21]           Ainsi que le défendeur le fait observer, la Commission peut, pour tirer ses conclusions au sujet de la persécution, s’inspirer également des définitions proposées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 (QL). Une persécution qui répond à la définition du réfugié au sens de la Convention s’entend de toute « violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne démontrant l’absence de protection de l’État » (Ward, au paragraphe 63(QL)).

 

[22]           Il ressort de sa décision qu’après avoir tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve se rapportant aux incidents de discrimination dont le demandeur avait été victime, notamment au travail, que la Commission a conclu que la discrimination dont le demandeur avait été victime en matière d’emploi n’équivalait pas à de la persécution. Il s’agissait d’une conclusion qu’il était loisible à la Commission de tirer. Cette conclusion s’appuyait sur la preuve. Elle est articulée dans les motifs de la Commission et elle est compatible avec les définitions susmentionnées.

 

Conclusion

 

[23]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.         REJETTE la demande de contrôle judiciaire. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3837-12

 

INTITULÉ :                                      ALEXANDRU MORTOCIAN c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 27 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 7 décembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bjorn Hasanyi

POUR LE DEMANDEUR

 

Rick Garvin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

STEWART SHARMA HARSANYI

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

WILIAM F. PENTNEY

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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