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Date : 20121126

Dossier : IMM-1977-12

Référence : 2012 CF 1362

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

JIAN BING LIU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), de la décision du 3 février 2012 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande du demandeur visant à ce que lui soit reconnue la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Chine âgé de 28 ans. Craignant le Bureau de la sécurité publique (BSP) de Chine, il demande protection au Canada. Le demandeur a exposé le récit qui suit dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) joint à sa demande d’asile.

Récit mentionné dans le FRP

[3]               Le demandeur est né et a grandi dans le village de Sunjiazhuang, de la ville de Shijiazhuang, dans la province du Hebei en Chine. Ses parents exploitaient un verger créé sur un terrain loué auprès du village. En février 2007, les parents du demandeur ont renouvelé le bail consenti par le village pour une période additionnelle de vingt ans. Grâce à ses études universitaires, le demandeur a pu aider ses parents à mettre leurs fruits en marché et à agrandir leur entreprise.

[4]               Au début de janvier 2009, les autorités du village ont avisé les parents du demandeur qu’elles projetaient d’exproprier, pour y construire une usine, le terrain où était situé leur verger. Elles leur enjoignaient d’enlever tous leurs poiriers avant le 16 février 2009, faute de quoi des bouledozers allaient niveler le terrain. L’indemnisation offerte par le village aux parents du demandeur ne correspondait même pas à ce qu’ils avaient investi dans leur entreprise cette année‑là, sans rien dire de leurs coûts de main-d’œuvre. Le demandeur a estimé qu’en tant que fils aîné de la famille, il lui revenait de résoudre le problème.

[5]               À la mi-janvier, le demandeur est allé discuter de l’expropriation avec l’administration du village. Après avoir parlé quelques fois avec des représentants de l’administration, le demandeur a finalement rencontré un de ses dirigeants à la fin de janvier 2009. Ce dernier a fait remplir un formulaire de plainte au demandeur et il lui a dit qu’on le tiendrait informé du résultat. Croyant que cela ne mènerait à rien, le demandeur a décidé de communiquer directement avec l’échelon supérieur à celui de l’administration de la ville, c’est-à-dire l’administration municipale.

[6]               À la fin de janvier 2009, le demandeur s’est ainsi présenté devant l’administration municipale. On lui a demandé de remplir un autre formulaire de plainte, et dit d’attendre qu’un fonctionnaire de l’administration ait le temps de le rencontrer. Le demandeur a attendu une semaine, puis on lui a dit qu’il devrait rentrer chez lui et que l’affaire serait examinée. Le demandeur s’est rendu à nouveau à l’immeuble de l’administration municipale, où un greffier l’a informé que l’affaire était du ressort de l’administration de la ville et que sa propre administration n’allait pas changer la décision de la ville.

[7]               Le demandeur s’est de nouveau rendu auprès de l’administration de la ville le 13 février 2009, et il a essayé de négocier avec le maire. Celui‑ci n’était pas disposé à changer la décision prise. Exaspéré et très en colère, le demandeur a crié : [traduction] « Savez-vous que vous détruisez le mode de vie d’une famille? Nous sommes des humains et pas des animaux. Vous êtes des représentants des gens ordinaires, et votre responsabilité est de prendre soin de nous et non pas de détruire notre vie. » Le maire a alors crié [traduction] « Sortez de mon bureau! », puis trois agents de sécurité ont escorté le demandeur hors des lieux. Le demandeur a ensuite crié dans le hall d’entrée de l’immeuble : [traduction] « Ne faites pas confiance au gouvernement; il se joue des gens comme s’ils ne comptaient pour rien. Le gouvernement est corrompu! Les fonctionnaires sont corrompus! » Après qu’un fonctionnaire lui a demandé d’arrêter de crier, le demandeur s’est mis à hurler : [traduction] « Vous autres fonctionnaires du Parti communiste, vous êtes corrompus, vous êtes les valets du gouvernement et vous traitez les gens comme si c’était des rebuts. » Le fonctionnaire a commencé à parler à son voisin, et le demandeur a surpris ces mots prononcés par quelqu’un dans le hall d’entrée : [traduction] « Vous allez voir de gros ennuis, c’est le chef du BSP. » Se rendant compte de la gravité de la situation, le demandeur s’est enfui de l’immeuble gouvernemental et il est allé se cacher dans la maison de son oncle.

[8]               Plus tard le même jour, le demandeur a reçu un appel de son épouse, qui lui a dit que des agents du BSP étaient venus à sa recherche à la maison. Ceux‑ci ont prétendu que le demandeur avait miné leur autorité, perturbé le bon fonctionnement du gouvernement et l’ordre social, insulté des fonctionnaires et répandu des rumeurs antigouvernementales. L’épouse a dit que les agents semblaient en colère et agressifs et avaient demandé que le demandeur se présente devant eux sans délai.

[9]               Le demandeur est demeuré caché, mais il restait en communication avec sa famille. Son épouse lui a dit que tous les arbres du verger avaient été coupés et qu’on avait dépouillé la famille de son terrain. Des agents du BSP venaient toujours à la maison et chez d’autres membres de la famille à la recherche du demandeur. Ces agents ont menacé de punir l’épouse et les parents du demandeur, à sa place, si ce dernier restait caché. Le demandeur a appris qu’un voisin aussi propriétaire d’un verger, M. Gao, s’était opposé à la dépossession de son terrain par le gouvernement et avait été arrêté.

[10]           Après avoir entendu parler de M. Gao, le demandeur a estimé qu’il était désormais impossible pour lui de demeurer en Chine en toute sécurité. Il a donc engagé un passeur de clandestins pour qu’il organise son entrée au Canada. Le demandeur est arrivé au Canada et y a fait sa demande d’asile le 21 juillet 2009. Depuis l’entrée du demandeur au Canada, des agents du BSP continuent de venir à sa recherche tous les trois ou quatre mois. Monsieur Gao, par ailleurs, est toujours détenu.

[11]           La SPR a instruit la demande d’asile du demandeur les 29 et 30 juin 2011, et elle l’a rejetée le 1er février 2012. Le 3 février 2012, elle a avisé le demandeur de sa décision.

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[12]           La SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible, et pour ce motif elle a rejeté sa demande d’asile. La SPR était préoccupée du fait que le demandeur n’avait produit aucun document lié à ses études ou à son travail, ni quelque autre document que ce soit, comme un permis de conduire, qui aurait démontré sa présence en Chine après 2006. Le demandeur a expliqué qu’il n’avait jamais travaillé en Chine et que le passeur lui avait subtilisé ses attestations d’études à Toronto. La SPR n’a pas prêté foi à cette explication; cela n’avait aucun sens que le demandeur ait permis au passeur de prendre ces documents alors qu’il était en sécurité au Canada et qu’il allait en avoir besoin pour se trouver du travail.

[13]           La SPR n’a pas non plus jugé crédible la description faite par le demandeur dans son témoignage de son interaction avec les autorités chinoises. La SPR a fait remarquer à cet égard que, selon ce que la Cour d’appel fédérale a établi dans l’arrêt Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA), le témoignage du demandeur était présumé véridique sauf s’il existait des raisons de douter de sa véracité. La SPR s’est également appuyée sur l’arrêt Dan-Ash c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1988) 93 NR 33 (CAF) pour déclarer ce qui suit : « L’existence de contradictions dans la preuve pourrait constituer un fondement valide justifiant une conclusion de manque de crédibilité. Toutefois, même si la preuve n’est pas contredite, elle peut aller à l’encontre des conditions connues dans le pays en question. » La SPR a déclaré qu’il lui était loisible d’évaluer la crédibilité en fonction de la rationalité et du bon sens, et de comparer le témoignage du demandeur à ce que, selon la prépondérance des probabilités, une personne raisonnable se serait attendue à voir se produire dans les circonstances.

[14]            La SPR a estimé que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve crédibles démontrant que ses parents avaient bien exploité un verger sur un terrain loué du gouvernement. Le demandeur a produit une copie du bail conclu pour une période de vingt ans en 2007. Le demandeur a déclaré dans son témoignage que le loyer annuel de ses parents était de 20 000 yuan, mais il n’a soumis aucun reçu de loyers que ces derniers auraient payés à la ville. Le demandeur a affirmé dans son FRP que ses parents avaient renouvelé leur bail du verger, mais la copie du bail produite en preuve ne faisait aucune mention d’un bail antérieur. Le demandeur n’a non plus jamais mentionné que ses parents avaient le terrain en cause avant 2007. En substance, le demandeur n’a présenté aucune preuve démontrant l’exploitation d’un verger par ses parents avant 2007.

[15]           Dans son témoignage, le demandeur a déclaré que ses parents avaient investi 80 000 yuan dans le verger, mais les seuls documents produits à cet égard étaient deux reçus pour de l’engrais. Le demandeur a affirmé que ses parents ne pouvaient pas trouver d’autres reçus, mais la SPR a jugé invraisemblable que ceux‑ci n’en aient conservé aucun s’ils exploitaient bien une entreprise. Le demandeur a dit dans son témoignage qu’après avoir terminé ses études universitaires, il avait aidé ses parents dans l’exploitation de leur entreprise en faisant de la publicité auprès de grossistes, et en les conseillant sur des modes de plantation d’arbres fruitiers et d’emballage de fruits. La SPR a déclaré qu’il aurait ainsi été raisonnable de s’attendre à ce que le demandeur ait aussi aidé ses parents à tenir une comptabilité, étant donné qu’il avait dit dans son témoignage qu’il n’avait aucun autre emploi.

[16]           La SPR n’a pas non plus jugé le demandeur crédible quant à l’avis d’expropriation que le village aurait donné à son père. Le demandeur n’a produit aucune copie de l’avis d’expropriation, prétendant que ses parents lui avaient envoyé cet avis mais qu’il avait été égaré dans le courrier. Quand on lui a demandé pourquoi ce document avait été envoyé séparément de tous les autres, le demandeur a répondu que ses parents ayant eu du mal à le trouver, ils lui avaient d’abord fait parvenir les autres documents en premier, puis celui‑là de manière distincte. Il n’était pas crédible, selon la SPR, que les parents du demandeur aient égaré un document aussi important, compte tenu du fait particulièrement qu’ils devaient en comprendre l’importance pour étayer la demande d’asile de leur fils. Le demandeur a déposé sa demande en juillet 2009, avec l’aide d’un conseil. On peut présumer qu’il a alors fait savoir à ses parents de quels documents il avait besoin.

[17]           Le demandeur a également dit que ses parents avaient emprunté de son oncle et de quelques amis de l’argent qu’ils avaient investi dans le verger, et que lorsqu’ils avaient reçu l’indemnité de 20 000 yuan, ils avaient utilisé cette somme pour rembourser une partie de ces prêts. Or, le demandeur ayant déclaré dans son témoignage qu’aucun document ne corroborait ces prêts, la SPR n’a pas jugé crédible l’absence de tout document.

[18]           Le demandeur a bien produit un avis d’indemnisation adressé à son père et mentionnant que des usines allaient être construites dans le village et qu’une somme de 20 000 yuan lui serait versée pour l’indemniser de la perte du terrain. Le document ne comptait toutefois que quatre lignes et son aspect n’était guère professionnel par comparaison avec celui du bail. La SPR a fait observer que l’adresse du père du demandeur ne figurait pas dans ce document, non plus que l’emplacement ou la description du terrain du verger. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le document n’était pas authentique.

[19]           La SPR a jugé non crédible le témoignage du demandeur concernant l’indemnisation de 20 000 yuan. Le demandeur a affirmé qu’il ne disposait d’aucun document attestant la réception de cette somme par ses parents parce que l’indemnité leur avait été versée en espèces. La SPR a souligné que le bail du village était de nature complexe et que, selon le témoignage du demandeur, le village avait donné avis par écrit de l’indemnisation. Il était donc raisonnable de penser que les parents auraient dû au moins recevoir un reçu lors du paiement de l’indemnité.

[20]           On précise en outre dans l’avis d’indemnisation produit par le demandeur que l’indemnité commencerait à être versée après la remise du bail par le locataire. Le demandeur a confirmé que l’indemnité de 20 000 yuan devait être payée une fois que ses parents auraient remis le bail du terrain. Pour expliquer pourquoi ses parents avaient toujours le bail même si on leur avait versé l’indemnité, le demandeur a dit que, comme ses parents désapprouvaient la situation, des fonctionnaires du village étaient venus chez eux, leur avaient payé la somme en espèces et avaient déclaré que c’était là tout l’argent qu’ils recevraient, qu’ils leur remettent le bail ou non. La SPR n’a pas jugé cette explication valable : il était illogique que des fonctionnaires aient donné de l’argent comptant aux parents s’ils n’étaient pas tenus de le faire. Quant à l’avis d’indemnisation, la SPR a conclu comme suit : « Comme il est facile d’obtenir toutes sortes de documents frauduleux en Chine, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que ce simple document ne peut être considéré comme authentique. »

[21]           À l’audience, le demandeur a soumis à la SPR deux photographies du prétendu verger, où l’on pouvait voir un champ d’arbres, dont certains avaient les branches coupées. Le demandeur a affirmé dans son témoignage qu’un ami de son père avait pris ces photographies en février 2009. La SPR a conclu que ces photographies ne démontraient pas qu’il s’agissait bien du verger exploité par les parents du demandeur, ni qu’on préparait le terrain photographié en vue d’en enlever les arbres.

[22]           La SPR a aussi constaté la présence d’incohérences entre le témoignage livré de vive voix par le demandeur et son FRP quant au moment où il serait entré en contact avec des fonctionnaires. Le demandeur a prétendu dans son FRP qu’il s’était rendu aux bureaux municipaux à la fin janvier, alors qu’il a déclaré dans son témoignage qu’il était aller voir les autorités de la ville du 12 au 14 janvier et les autorités municipales du 15 au 17 janvier. L’incident ayant conduit le demandeur à se cacher se serait produit deux semaines après qu’il s’était présenté devant les autorités municipales; selon le FRP, sa visite avait eu lieu le 13 février 2009, mais d’après son témoignage elle aurait plutôt eu lieu à la fin de janvier ou au début de février. La SPR a conclu qu’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur se rappelle la date de cet événement, vu qu’il avait changé radicalement sa vie, et elle a tiré une conclusion défavorable du défaut du demandeur d’expliquer cette incohérence.

[23]           S’agissant de l’incident survenu au bureau du maire qui a conduit le demandeur à se cacher, la SPR lui a demandé pourquoi on ne l’avait pas arrêté tout de suite après qu’il eut causé un aussi important tumulte. Le demandeur a répondu qu’il ne le savait pas. Le demandeur a aussi affirmé dans son témoignage que le BSP continuait de venir chez lui, à sa recherche, toutes les deux semaines. Lorsqu’on lui a demandé de confirmer ce fait, le demandeur a dit que cela se produisait bien toutes les deux ou trois semaines. Dans son FRP, toutefois, il a dit que les agents du BSP venaient à sa recherche non pas à toutes les trois semaines, mais plutôt à tous les trois mois.

[24]           La SPR n’a pas non plus jugé vraisemblable que le BSP soit toujours à la recherche du demandeur, de manière aussi diligente et depuis aussi longtemps, alors que ce dernier, tout simplement et une seule fois, avait crié contre des fonctionnaires et les avait insultés. Lorsque l’incident est survenu, le demandeur n’avait que 24 ans et il n’était pas partie au contrat qui n’aurait pas été exécuté. La SPR a indiqué que « les ressources déployées par le PSB pour rechercher le demandeur semblent hors de proportion par rapport au "crime" que ce dernier aurait commis ».

[25]           Lors de son témoignage, le demandeur a aussi déclaré que les agents du BSP n’avaient pas laissé de citation à comparaître lorsqu’ils étaient venus chez lui à sa recherche. LA SPR a indiqué que selon ce que la preuve documentaire laissait entendre, les citations étaient presque toujours signifiées aux intéressés plutôt qu’aux membres du ménage ou de la famille. Il est toutefois courant en Chine qu’une citation à comparaître soit laissée entre les mains d’un membre de la famille, à qui on enjoint de le transmettre à la personne visée. Ce n’est pas la procédure établie, mais on y recourt fréquemment lorsque l’intéressé n’est pas facile à localiser. La SPR a conclu que vu la prétention du demandeur selon laquelle le BSP a été à sa recherche pendant deux années et demie et l’est en fait toujours, il est vraisemblable que des agents du BSP auraient laissé chez lui à un moment donné un type quelconque de citation. La SPR a tiré une conclusion défavorable de l’absence de citation à comparaître ou de tout autre document démontrant que le BSP était toujours à la recherche du demandeur.

[26]           À l’audience, on a demandé au demandeur comment ses parents avaient été touchés par les événements survenus. Le demandeur a répondu que le BSP avait menacé de punir ses parents s’ils ne révélaient pas où il se trouvait. Le demandeur a toutefois aussi dit que le village avait embauché ses parents pour accomplir des tâches d’assainissement et qu’il leur versait une rémunération. La SPR a conclu du fait que les parents du demandeur avaient obtenu un tel emploi, même de deuxième ordre, que le BSP n’était pas intéressé à les punir pour l’absence de leur fils.

[27]           Le demandeur a en outre déclaré dans son témoignage qu’on avait également exproprié le verger de M. Gao, un voisin. Le demandeur a affirmé que M. Gao avait déjà été exproprié au moment où il a eu connaissance de l’indemnisation, et que lorsqu’il avait porté plainte, l’administration de la ville l’avait fait arrêter pour atteinte à l’ordre social. Lorsqu’on lui a demandé ce que M. Gao avait fait pour mériter pareil traitement, le demandeur a répondu que, peut-être, il avait crié contre un fonctionnaire, pour ensuite ajouter que ses parents avaient appris d’autres villageois que M. Gao avait bien vociféré. La SPR a conclu que le demandeur ne pouvait prendre M. Gao en exemple à titre de personne dans une situation semblable à la sienne, puisqu’il ne savait pas vraiment pourquoi on l’avait arrêté, et que sa famille n’avait entendu que des rumeurs et non pas obtenu directement des renseignements de la famille de M. Gao.

[28]           Compte tenu de l’ensemble de ces conclusions défavorables quant à la crédibilité, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas recherché par le BSP en Chine. Le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de démontrer qu’il serait exposé, de la part de quelque autorité que ce soit en Chine, à une menace à sa vie ou au risque de torture, ou de traitements ou peines cruels et inusités. La SPR a par conséquent rejeté la demande d’asile du demandeur.

QUESTIONS EN LITIGE

[29]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

a.                   La SPR a-t-elle commis une erreur en tirant sa conclusion générale quant à la crédibilité?

b.                  La SPR a-t-elle commis une erreur en tirant, de l’absence de citation à comparaître ou de mandat d’arrêt, une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur?

 

NORME DE CONTRÔLE

[30]           La Cour suprême du Canada, dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, a statué qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à l’analyse de la norme de contrôle. Au contraire, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent d’établir la norme de contrôle applicable.

[31]           Dans l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF n° 732 (CAF), la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle applicable à une conclusion quant à la crédibilité était la raisonnabilité. Dans Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 773, en outre, le juge Max Teitelbaum a statué (au paragraphe 21) que les conclusions tirées par la SPR en matière de crédibilité étaient au cœur de son rôle de juge des faits, de sorte qu’elles étaient assujetties à la norme de la raisonnabilité. Enfin, dans la décision Aguilar Zacarias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1155, la juge Mary Gleason a statué (au paragraphe 9) que la norme de contrôle applicable aux conclusions concernant la crédibilité était celle de la raisonnabilité. La norme de contrôle applicable à la première question en litige est la raisonnabilité.

[32]           Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, l’analyse s’attache « à justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[33]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent dans la présente instance :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

[…]

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

[…]

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards,

 

 

[…]

 

ARGUMENTS DES PARTIES

Le demandeur

[34]           Le demandeur soutient que la SPR s’est livrée à un examen trop minutieux de la preuve qu’il avait présentée, et que ses attentes concernant les documents qu’il aurait dû produire étaient déraisonnables. Selon le demandeur, les conclusions tirées par la SPR quant aux documents qui auraient dû se rapporter au terrain de ses parents ne s’appuyaient sur rien.

[35]           La SPR a jugé douteux le fait qu’on ne mentionne pas le bail original dans le bail reconduit présenté par le demandeur. Cette conclusion était déraisonnable. Le demandeur a fourni une preuve suffisante pour démontrer que ses parents étaient les propriétaires du terrain en cause pendant la période pertinente, et il n’était pas raisonnable pour la SPR de s’attendre à quoi que ce soit de plus. La SPR n’a pas de connaissances spécialisées concernant la forme des baux en Chine, et rien ne permet de supposer qu’un bail reconduit ferait mention du bail précédent.

[36]           La SPR s’attendait aussi à ce que le demandeur produise des reçus des sommes versées à ses parents, mais aucune preuve ne démontre que toutes les transactions financières donnent lieu à la délivrance de reçus en Chine. Le demandeur ajoute que, même s’il y avait bien des reçus, il était déraisonnable de s’attendre à ce que ses parents soient en mesure de les produire.

[37]           Le demandeur provient de la Chine rurale, et aucune preuve présentée à la SPR ne laissait croire que conserver les documents y était la pratique courante. Le demandeur est instruit, mais cela ne fait pas nécessairement de ses parents des personnes prenant bien soin d’obtenir des reçus et de tenir des documents financiers. Le demandeur donnait des conseils généraux à ses parents et il les aidait à faire leur publicité, mais il n’a jamais pris part directement aux activités de leur entreprise. Compte tenu du contexte culturel et de l’absence de preuve quant à la délivrance de reçus en Chine rurale pour toutes les transactions, les attentes de la SPR étaient déraisonnables

[38]           Le demandeur estime également déraisonnable que la SPR ait tiré une conclusion défavorable de son incapacité de produire l’avis d’expropriation. Il a expliqué qu’il avait fallu plus de temps à ses parents pour trouver ce document et qu’ils le lui avaient donc envoyé séparément. Puis l’avis a été égaré dans le courrier. Le demandeur soutient que son explication n’a rien d’invraisemblable et que, malgré cela, la SPR l’a tout bonnement rejetée. La SPR n’a pas jugé crédible que les parents du demandeur n’aient pas conservé le document dans un lieu sûr, sans toutefois asseoir cette conclusion sur le moindre fondement raisonnable.

[39]           En outre, la déclaration de la SPR selon laquelle les parents du demandeur auraient dû savoir que leur fils aurait besoin du document pour établir le bien-fondé de sa demande d’asile relevait de la pure hypothèse. Estimer que les parents du demandeur devaient savoir que certains documents seraient nécessaires pour une audience relative à une demande d’asile au Canada, revient à imposer au demandeur et à sa famille un fardeau indu quant aux connaissances juridiques attendues d’eux.

[40]           La SPR a commis une erreur en déclarant « [c]omme il est facile d’obtenir toutes sortes de documents frauduleux en Chine, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que ce simple document ne peut être considéré comme authentique », étant donné que la SPR ne peut conclure que, parce qu’on peut se procurer de faux documents en Chine, tous les documents qui en proviennent sont présumés faux (voir Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 175).

[41]           La SPR s’est aussi montrée déraisonnable en tirant une conclusion défavorable du fait que le demandeur s’était peut-être légèrement trompé quant aux dates des incidents en cause. Dans son témoignage, le demandeur a affirmé de manière catégorique qu’il s’était rendu dans les bureaux municipaux le 17 janvier, déclarant dans son FRP qu’il y était allé à la fin janvier. Il ne s’agit pas nécessairement d’une contradiction et, quand bien même ce le serait, l’écart entre les dates mentionnées n’est pas grave au point de justifier une conclusion défavorable.

[42]           La SPR s’est également livrée à une analyse très minutieuse de la date de l’incident qui a conduit le demandeur à se cacher. Le demandeur a déclaré dans son témoignage que deux semaines s’étaient passées entre le moment où il s’était rendu aux bureaux municipaux et l’altercation du 13 février, mais l’écart entre les deux événements semble avoir été un peu plus long. Il était déraisonnable pour la SPR de se concentrer sur de tels détails fournis dans le témoignage, et de tirer de divergences mineures une conclusion fortement défavorable.

[43]           La SPR a aussi réagi de manière déraisonnable à l’absence de citation à comparaître. La SPR a en effet conclu que le BSP ne devait pas s’intéresser au demandeur vu qu’on n’avait laissé entre les mains des membres de sa famille ni mandat d’arrêt, ni citation. La SPR a toutefois fait abstraction, pour en arriver à cette conclusion, à des éléments de preuve tendant à démontrer le contraire. On déclare ainsi dans un document de la CISR que l’application pratique des lois varie considérablement d’une région à l’autre en Chine, et qu’il existe une « grande liberté de décision en matière administrative au pays ». On ajoute dans ce document que « les procédures d’arrestation diffèrent selon l’endroit, car elles doivent respecter les habitudes locales ». Qui plus est, la preuve documentaire donne aussi à entendre qu’on ne recourt à des mandats d’arrêt que dans des situations extrêmes en Chine.

[44]           La Cour fédérale a conclu dans des décisions récentes qu’exiger la production d’un mandat d’arrêt ou d’une citation à comparaître constituait une erreur susceptible de contrôle. Dans la décision Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 65, le juge Michel Shore a ainsi affirmé ce qui suit (aux paragraphes 12 à 14) :

Compte tenu de la preuve documentaire, le témoignage de la demanderesse selon lequel aucun mandat ou aucune sommation n’a été laissé chez elle est très plausible. Des conclusions défavorables concernant la crédibilité peuvent manquer de raisonnabilité lorsque la preuve documentaire montre clairement que les faits relatés par le demandeur ont pu véritablement arriver.

 

La preuve documentaire a établi que de laisser une sommation ou un mandat à une personne autre que celle à qui le document est adressé ne fait pas partie de la procédure habituelle. Dans le présent cas, le BSP semble avoir suivi la procédure habituelle.

 

La preuve documentaire a également montré que les procédures suivies par le BSP varient d’une région à une autre et que dans la plupart des cas, les procédures habituelles ou les règles sont mises de côté au profit des normes régionales. Par conséquent, si la norme de la région où la demanderesse habite veut que le BSP ne laisse aucun mandat ou aucune sommation à une personne autre que celle à qui le document est adressé, cette norme est vraisemblablement suivie, peu importe le nombre de visites des agents du BSP chez la demanderesse ou le nombre de personnes qui auraient pu être arrêtées et condamnées si elles avaient été trouvées dans la maison-église.

 

[45]           La SPR n’a pas expliqué pourquoi elle s’attendait à ce qu’on ait remis une citation à la famille du demandeur, et ses conclusions étaient déraisonnables à cet égard. C’était là, selon la jurisprudence, une supposition erronée et une erreur susceptible de contrôle.

[46]           Le demandeur soutient que rien ne portait atteinte à la crédibilité générale de son témoignage, et que toutes les erreurs précédemment exposées justifient qu’on fasse droit à la présente demande. Le demandeur demande que la décision soit annulée, et l’affaire renvoyée afin que l’affaire soit renvoyée à un autre tribunal pour qu’il statue à nouveau sur elle.

Le défendeur

[47]           Le défendeur fait valoir que la SPR a conclu que le récit du demandeur n’était absolument pas crédible, et n’a pas prêté foi au fondement même de la prétention du demandeur selon laquelle ses parents auraient exploité un verger dont on les aurait expropriés. La SPR a conclu plus particulièrement que d’importants documents manquaient, qu’un document n’était pas fiable et qu’il y avait des incohérences dans le témoignage du demandeur quant à la chronologie des incidents allégués. Les conclusions de la SPR n’étaient pas exagérées ni superficielles, mais elles étaient plutôt de portée générale et touchaient au cœur même de la demande d’asile du demandeur.

[48]           La SPR a conclu que le récit du demandeur n’était pas crédible dans son ensemble. Elle s’est livrée à une analyse approfondie et exhaustive de la crédibilité du demandeur et traité de tous les éléments importants de sa demande d’asile. La SPR a particulièrement tiré les conclusions suivantes :

                    i.                     le demandeur n’a pas produit suffisamment de documents pour démontrer que ses parents exploitaient bien un verger situé sur un terrain loué;

                  ii.                     il était invraisemblable que le très important avis d’expropriation se soit perdu dans le courrier;

                iii.                     le demandeur n’a présenté aucun document corroborant l’existence des prêts commerciaux qui auraient été consentis;

                iv.                     il y avait des raisons de douter de l’authenticité du document faisant état de l’indemnisation pour le terrain exproprié, hormis le fait qu’on peut facilement avoir accès à de faux documents en Chine;

                  v.                     aucun document n’a été produit attestant le paiement de l’indemnité aux parents du demandeur;

                vi.                     les photographies du verger ne corroboraient pas le récit du demandeur;

              vii.                     des incohérences entachaient le témoignage du demandeur quant à la chronologie des événements;

            viii.                     le témoignage du demandeur était aussi contradictoire quant au nombre des visites d’agents du BSP à sa recherche;

                ix.                     il est invraisemblable que les agents du BSP recherchent le demandeur avec autant de diligence, alors qu’il aurait simplement crié une fois en direction d’un immeuble municipal, et que malgré cette diligence, ils n’aient jamais laissé de citation;

                  x.                     il est invraisemblable que les parents du demandeur aient été embauchés par la municipalité alors que, selon le témoignage du demandeur, le BSP avait menacé de les punir s’ils ne divulguaient pas où il se trouvait.

 

[49]           Le fondement de l’argumentation du demandeur est que la SPR s’est livrée à tort à une analyse excessivement minutieuse de sa preuve. Le demandeur affirme qu’il a présenté une preuve suffisante pour étayer sa demande d’asile, et prétend qu’aucune preuve ne démontre que les transactions financières donnent lieu à la délivrance de reçus en Chine, et qu’il ne faut pas déduire de l’aide qu’il a apportée à ses parents quant à certains aspects de leur entreprise en Chine que ceux‑ci doivent tenir des dossiers financiers. Le défendeur fait par conséquent ressortir l’invraisemblance des arguments du demandeur, et le fait que la décision de la SPR s’appuyait sur une longue liste de problèmes de crédibilité.

[50]           Quant à la conclusion de la SPR selon laquelle les parents du demandeur devaient  connaître l’importance pour la demande d’asile de l’avis d’expropriation, le défendeur fait aussi valoir que la conclusion véritablement tirée par la SPR était que le demandeur et son conseil devaient connaître, quant à eux, l’importance de ce document et en auraient ainsi fait part aux parents du demandeur. Il était ainsi raisonnable pour la SPR de supposer que les parents du demandeur se seraient occupés avec soin de leur avis d’expropriation.

[51]           La SPR a aussi mentionné certains motifs précis, allant bien au-delà de la simple possibilité de se procurer de faux documents en Chine, pour douter de l’authenticité de l’avis d’indemnisation. La SPR a fait état de la facilité de se procurer des faux documents en Chine parmi les divers autres motifs qui lui faisaient douter de l’authenticité de ce document.

[52]           Selon le défendeur, bien que le demandeur ait accordé une attention particulière à la conclusion de la SPR selon laquelle les agents du BSP auraient vraisemblablement remis une citation à sa famille, il ne s’agissait là que d’une parmi plus de dix importantes conclusions concernant la crédibilité, qui en plus n’a pas joué un rôle crucial dans la décision rendue. Le défendeur fait valoir que la SPR a tiré cette conclusion en lien précis avec la déclaration faite par le demandeur dans son témoignage, selon laquelle des agents du BPS étaient venus chez lui à sa recherche, toutes les deux ou trois semaines, au cours des deux dernières années. C’est dans ce contexte que la SPR a déclaré qu’à un moment donné, ces agents auraient vraisemblablement remis une citation. Bien que la remise d’une citation ne soit pas la procédure la plus correcte, on y recourt toutefois assez fréquemment. Le défendeur soutient qu’il s’agit d’une conclusion mineure qui n’a pas eu d’effet déterminant, et que la SPR a fait état de nombreux autres graves problèmes de crédibilité de grande importance.

[53]           Le défendeur soutient en résumé que la SPR a jugé le demandeur non crédible pour plusieurs raisons importantes, et ce, de manière raisonnable. Le défendeur sollicite ainsi le rejet de la présente demande.

ANALYSE

[54]           Le demandeur met en cause ce qu’il considère être une analyse exagérée et excessivement minutieuse de sa preuve. La demande d’asile du demandeur est toutefois entachée de problèmes de taille et la SPR a simplement évalué ce qu’on lui avait présenté ainsi que les éléments manquants. Il y avait lieu de douter des documents soumis par le demandeur pour corroborer ses prétentions, et celui‑ci n’a pas fourni d’autres documents corroborants, sans explication valable, dans une situation où l’on pouvait s’attendre à ce qu’il le fasse. Il y avait en outre des incohérences dans la chronologie des événements exposée par le demandeur, ainsi que de graves invraisemblances.

[55]           L’évaluation de la SPR était de nature cumulative. Il est possible de mettre en cause certains éléments de la décision. Par exemple, le demandeur prétend que la SPR a eu tort de supposer que le bail reconduit aurait dû mentionner le bail précédent. C’est peut-être vrai, mais le demandeur sort cette conclusion de son contexte. Comme le révèle la lecture du paragraphe 16 de la décision, la SPR s’inquiétait du fait que le demandeur n’avait produit « aucun élément de preuve d’un bail précédant le renouvellement ni aucun élément de preuve selon lequel ses parents avaient exploité un verger avant 2007 ». Je ne crois donc pas vraiment qu’en l’occurrence, comme le demandeur le soutient, la SPR a évalué des formalités juridiques en fonction de normes canadiennes. La SPR a fait plutôt ressortir l’absence de tout élément de preuve quelconque concernant l’exploitation d’un verger par les parents du demandeur avant 2007.

[56]           Le demandeur soulève d’ailleurs souvent ses arguments hors contexte. En ce qui concerne l’importante question de la citation, par exemple, le demandeur a dit dans son témoignage que des agents du BSP venaient chez lui à sa recherche toutes les deux ou trois semaines (en contredisant ainsi son FRP, où il faisait mention de telles visites tous les deux ou trois mois). Cela veut dire qu’un nombre important de visites auraient été faites pendant la période pertinente. Il n’était donc guère sensé que le BSP consacre autant de temps à des visites répétées à la maison du demandeur, simplement parce que celui‑ci avait crié contre un fonctionnaire municipal en public, plutôt que de simplement remettre à sa famille une « certaine forme de citation à comparaître ».

[57]           Si l’on peut mettre en question certaines conclusions particulières et laisser entendre que d’autres conclusions auraient pu être raisonnables, cela ne veut toutefois pas dire que les conclusions de la SPR n’appartiennent pas aux issues du type visé dans Dunsmuir. Je ne peux assurément pas dire non plus que, de manière cumulative, la décision est déraisonnable. Si je le faisais, j’évaluerais tout simplement la preuve de nouveau, tout en subsistant l’opinion de la Cour à celle de la SPR. Voir Smith c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1283, au paragraphe 32.

[58]           Comme le souligne le défendeur, la demande d’asile était entachée de nombreux problèmes :

a.                   Il n’y avait pas suffisamment de documents pour démontrer que les parents du demandeur exploitaient bien un verger sur un terrain loué – la SPR a fait remarquer que le demandeur n’avait produit aucun reçu de loyer ni aucun autre reçu commercial lié à l’exploitation du verger (hormis deux reçus pour de l’engrais), bien qu’il ait déclaré dans son témoignage que ses parents avaient investi la somme de 80 000 yuan dans leur entreprise. La SPR n’a pas estimé raisonnable qu’il n’y ait pas même quelques documents valables se rapportant à cette entreprise.

b.                  Il n’était pas vraisemblable que le très important avis d’expropriation ait été égaré dans le courrier.

c.                   Aucun document ne corroborait l’existence des prêts commerciaux qui auraient été consentis.

d.                  L’authenticité des documents soumis pour confirmer l’indemnisation relative au  terrain était douteuse.

e.                   Aucun document n’attestait le versement d’argent à titre d’indemnité.

f.                   Les photographies du verger soulevaient des soupçons. Le jour de l’audience, le demandeur a produit deux photographies d’un champ d’arbres, dont certains avaient les branches coupées; les arbres voisins avaient toutefois encore de longues branches. Le tribunal a conclu que ces photographies ne confirmaient pas l’existence du verger des parents, non plus qu’on préparait le verger en vue d’en enlever les arbres.

g.                  Il y avait des incohérences dans le témoignage quant à la chronologie des événements.

h.                  Le demandeur a été incohérent dans son témoignage quant à la fréquence de visites d’agents du BSP à sa recherche.

i.                    Il était invraisemblable que le BSP recherche le demandeur avec autant de diligence et que, malgré cela, ses agents ne laissent jamais de citation à comparaître.

j.                    Il était invraisemblable que les parents du demandeur puissent vivre en paix et être embauchés par la municipalité alors que les autorités auraient été à la  recherche de leur fils. Bien que le demandeur ait dit dans son témoignage que le BSP avait menacé de punir ses parents s’ils ne dévoilaient pas où il se trouvait, il a aussi admis que le village lui‑même leur avait donné un emploi et les rémunérait.

 

[59]           Le demandeur n’a fourni aucune explication quelconque à l’égard de certaines questions. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer pourquoi, par exemple, après qu’il eut crié contre le fonctionnaire, les policiers ne l’avaient pas arrêté sur-le-champ et lui avaient permis de quitter l’immeuble, le demandeur n’a rien eu à dire.

[60]           S’il est possible de mettre en question certaines d’entre elles, je ne puis dire que les conclusions de la SPR, individuellement ou collectivement, n’appartiennent pas aux issues du type visé dans Dunsmuir.

[61]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est d’accord.

 

JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                  REJETTE la demande.

2.                  DÉCLARE qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1977-12

 

INTITULÉ :                                      JIAN BING LIU

 

                                                            -   et   -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                                                                                  

                                                          

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 13 novembre 2012

                                                           

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Lindsey Weppler                                                                     POUR LE DEMANDEUR

                                                                                                                     

Alison Engle-Yan                                                                   POUR LE DÉFENDEUR                                 

 

                              

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Blanshay and Lewis                                                                POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                   

 

William F. Pentney                                                                 POUR LE DÉFENDEUR                                  

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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