Date : 20121121
Dossier : IMM-8601-11
Référence : 2012 CF 1350
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2012
En présence de monsieur le juge Russell
ENTRE :
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YANNI YANG
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
INTRODUCTION
[1] La demanderesse sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 28 octobre 2011, qui lui a refusé la qualité de réfugiée au sens de la Convention et la qualité de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.
CONTEXTE
[2] La demanderesse, âgée de 41 ans, est citoyenne chinoise et originaire de la province de Guangdong, en République populaire de Chine. Chrétienne protestante, elle craint la persécution en Chine à cause de ses convictions religieuses. Elle craint aussi d’être stérilisée de force par les fonctionnaires de l’État à cause de la politique chinoise de l’enfant unique. Elle est arrivée au Canada en décembre 2009 et a demandé l’asile dès son arrivée.
L’exposé circonstancié accompagnant le FRP
[3] En mai 2006, la demanderesse a constaté qu’elle était enceinte de son deuxième enfant. Elle craignait que les fonctionnaires s’aperçoivent de sa grossesse et la contraignent à se faire avorter, car cette grossesse était contraire à la politique de l’enfant unique. Elle est allée séjourner chez sa cousine et ne s’est pas présentée à son examen de vérification de dispositif intra-utérin prévu le 31 mai 2006.
[4] Le 1er juin 2006, des fonctionnaires chargés de la régulation des naissances se sont rendus chez la demanderesse pour s’enquérir d’elle et pour savoir pourquoi elle ne s’était pas présentée à son rendez-vous. Le 3 juin 2006, ils sont retournés chez elle, puis encore une fois le 5 juin 2006. Le 5 juin, ils ont dit que la demanderesse devait être enceinte et lui ont fait signifier l’ordre de se présenter à l’hôpital pour subir un avortement le 21 juin 2006.
[5] La demanderesse ne s’est pas présentée pour l’avortement prévu et a continué de se cacher chez sa cousine. Le 26 juin 2006, les fonctionnaires chargés de la régulation des naissances se sont rendus chez la demanderesse et ont dit aux occupants que, si elle-même ou son mari étaient pris, ils risquaient la stérilisation. Le mari de la demanderesse, craignant d’être stérilisé, a présenté une demande d’asile au Canada le 24 juillet 2006. Sa demande d’asile a été rejetée le 1er octobre 2008.
[6] Le 23 décembre 2006, la demanderesse a donné naissance à sa deuxième fille. En raison de problèmes de santé survenus après l’accouchement, elle n’a pas été stérilisée immédiatement. Une amende de 30 000 yuans lui a été imposée pour infraction à la politique de l’enfant unique, et on lui a ordonné de se présenter à ses examens futurs.
[7] Après la naissance de son deuxième enfant, la demanderesse a commencé à se sentir très faible et elle manquait d’énergie. Elle prenait des médicaments pour ses problèmes de santé découlant de l’accouchement, mais ils avaient peu d’effet. En janvier 2009, son amie, Xi Cai Huang, lui a raconté comment elle en était venue à se convertir au christianisme parce qu’elle croyait que Jésus-Christ l’avait guérie de règles irrégulières, un mal dont elle avait souffert durant des années. Xi Cai Huang était certaine que, si elle avait guéri, c’était grâce aux prières de ses amis chrétiens, de même qu’à ses propres prières. Elle a dit à la demanderesse que ses amis seraient disposés à prier pour elle, et elle l’a encouragée à faire l’essai de la foi chrétienne. La demanderesse s’est jointe à des groupes de prière chrétiens au milieu du mois de janvier 2009.
[8] Elle s’est d’abord rendue dans une église chrétienne clandestine le 22 mars 2009. Elle savait que l’église était illégale, mais jusque-là cette église n’avait jamais eu d’ennuis. Elle participait aux offices une fois par semaine et a rencontré le pasteur Guo à quelques reprises. Elle devait être baptisée six mois après s’être jointe à l’église.
[9] Le 19 juillet 2009, la demanderesse assistait à un office quand l’un des membres a reçu un appel l’informant que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) était en route vers l’église. Tout le monde a quitté les lieux et la demanderesse est allée se cacher chez une amie. La demanderesse n’a jamais été vue personnellement par des agents du BSP, mais elle a finalement appris qu’ils étaient au courant de son appartenance à une église clandestine et qu’ils voulaient l’arrêter.
[10] Le 20 juillet 2009, des agents du BSP se sont présentés chez la demanderesse pour l’arrêter. La demanderesse se cachait chez son amie, mais ils ont fouillé son domicile et ont posé de nombreuses questions à ses beaux‑parents sur l’église qu’elle fréquentait et l’endroit où elle se trouvait. Le 22 juillet 2009, la demanderesse a appris que Xi Cai Huang et l’hôte de la réunion avaient été arrêtés lors de la rafle. Tous deux ont été condamnés à une peine d’emprisonnement.
[11] Des agents du BSP se sont à nouveau présentés chez la demanderesse le 26 juillet 2009 pour l’arrêter. Ils disaient que la demanderesse avait enfreint la réglementation religieuse et tenté de troubler l’ordre social et qu’ils allaient continuer de la traquer. La demanderesse savait qu’elle ne pourrait pas retourner chez elle et a décidé de quitter la Chine. Elle s’est adressée à un passeur, qui lui a procuré des documents et l’a accompagnée au Canada.
[12] Au milieu du mois d’août 2009, des agents du BSP se sont rendus chez la mère de la demanderesse dans l’espoir de l’y trouver. Ils y sont retournés à la fin du mois d’août 2009, au début du mois d’octobre 2009 ainsi que le 28 décembre 2009. La dernière fois que les fonctionnaires chargés de la régulation des naissances ont cherché la demanderesse et son mari fut le 2 novembre 2009. La demanderesse craint d’être détenue, torturée ou emprisonnée si elle est attrapée par les agents du BSP, ou craint d’être stérilisée de force si elle est trouvée par les fonctionnaires chargés de la régulation des naissances.
La preuve documentaire
[13] La demanderesse a produit de nombreux documents décrivant la situation des chrétiens en Chine. Un rapport annuel de la China Aid Association (CAA) faisait état de certains incidents survenus dans la province de Guangdong. On peut y lire que le pasteur Wang Dao a été agressé et détenu et que son épouse et sa fille ont été convoquées pour interrogatoire. Le rapport mentionnait aussi que des églises avaient été contraintes à la fermeture durant les Jeux asiatiques, qu’une autre avait été contrainte d’organiser ses réunions en plein air et qu’un délégué au congrès de Lausanne avait été empêché de quitter le pays.
[14] Selon un rapport du Département d’État des États-Unis daté du 17 novembre 2010, les organisations caritatives confessionnelles doivent s’enregistrer auprès du bureau local des affaires religieuses, qui requiert souvent une affiliation à l’une des cinq associations religieuses patriotiques. Si un groupe n’est pas enregistré, il n’est pas autorisé à collecter publiquement des fonds, à recruter des employés, à ouvrir des comptes bancaires ni à acquérir des biens. Si un groupe religieux est enregistré, le gouvernement soutient sa mission de service social. Un exemple est l’Amity Foundation, un groupe enregistré appartenant à la religion protestante et approuvé par l’État, qui a aidé à reconstruire des villages touchés par le tremblement de terre de 2008 dans la province du Sichuan.
[15] Après examen de la demande d’asile, la SPR l’a rejetée le 28 octobre 2011.
LA DÉCISION CONTESTÉE
[16] La SPR a rejeté la demande d’asile parce que la demanderesse n’était pas exposée à un risque de persécution en Chine pour ses croyances religieuses, ni à un risque de stérilisation forcée.
La stérilisation forcée
[17] Selon la SPR, la demanderesse n’était pas une témoin crédible à propos de sa crainte d’être stérilisée par les agents de la régulation des naissances en Chine, et elle n’est pas recherchée non plus en vue d’une stérilisation.
[18] La SPR a accepté le témoignage de la demanderesse sur le fait que son état de santé avait empêché sa stérilisation en 2006. Elle a relevé que la demanderesse avait apporté à son FRP une modification selon laquelle les agents de la régulation des naissances avaient recommencé à se présenter chez elle en 2010 pour exiger qu’elle se fasse stériliser. La SPR a jugé invraisemblable que les agents de la régulation des naissances aient pu attendre trois ans pour à nouveau ordonner à la demanderesse de se faire stériliser, et elle a tiré de cette invraisemblance une conclusion défavorable.
[19] La SPR a examiné la preuve documentaire relative à la politique chinoise de l’enfant unique et a constaté que la solution la plus couramment appliquée consiste à imposer une amende de compensation sociale pour une naissance contraire à cette politique. Cette preuve confirme le témoignage de la demanderesse, qui disait avoir payé 30 000 yuans après la naissance de sa deuxième fille. Par ailleurs, le déséquilibre entre les sexes en Chine est devenu un sujet de préoccupation important, surtout dans la province de Guangdong. Selon la politique suivie dans cette province, si le premier enfant est une fille, les parents ont le droit d’avoir un autre enfant. Les enfants de la demanderesse sont tous deux des filles. En outre, il n’est pas prouvé que la stérilisation forcée est pratiquée à Guangzhou, la ville d’où la demanderesse est originaire. La SPR a noté qu’il existe toute une gamme de preuves documentaires sur le sujet et que les informations varient sur la manière dont le gouvernement applique la politique de l’enfant unique. Cependant, la SPR a été persuadée par l’ensemble de la preuve et a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’est pas exposée au risque d’une stérilisation forcée par décision des agents de la régulation des naissances.
La persécution fondée sur la foi chrétienne de la demanderesse
[20] La SPR a estimé que la demanderesse était une chrétienne authentique, mais qu’elle n’était pas une témoin crédible à propos de la persécution qu’elle disait avoir subie en Chine en raison de ses convictions religieuses. Selon la SPR, la demanderesse serait en mesure de pratiquer sa foi chrétienne dans la province de Guangdong sans risquer véritablement d’être persécutée à cause de cela.
[21] Selon les documents produits, la province de Guangdong est tolérante à l’endroit des chrétiens pratiquants. Le 14 juin 2010, un représentant du Conseil chrétien de Hong Kong affirmait que les autorités chinoises se montrent tolérantes envers les chrétiens, y compris ceux qui pratiquent leur foi au sein de groupes non enregistrés. Des chrétiens avaient été arrêtés en Chine entre 2005 et 2010, mais aucune des arrestations rapportées n’avait eu lieu dans la province de Guangdong. Le rapport du Département d’État des États-Unis daté du 17 novembre 2010 fait le point sur les arrestations de chrétiens et sur les cas de persécution, mais aucun cas du genre n’y est mentionné pour la province de Guangdong. Le rapport de la China Aid Association intitulé Annual Report of Persecution by the Government on Christian House Churches within Mainland China (« Rapport annuel sur la persécution des maisons-églises chrétiennes par le gouvernement dans la Chine continentale ») précisait lui aussi qu’il n’y avait pas eu de cas de persécution dans la province de Guangdong en 2010. On y signale que des églises ont dû fermer, mais il est clair que personne ne fut alors arrêté ou maltraité.
[22] Plusieurs des documents produits parlent du pasteur Dao, de l’église de Liangren, dans la province de Guangdong. On peut y lire que l’église continue d’être harcelée par les autorités et que le pasteur Dao a été arrêté et interrogé plusieurs fois. On y laisse entendre que le pasteur Dao éveille une attention accrue parce qu’il cherche à célébrer des offices de grande envergure dans des lieux publics. Les incidents relatifs au pasteur Dao et à l’église de Liangren ne sont donc pas assimilables à ceux d’autres églises clandestines qui célèbrent leurs offices dans des lieux privés. Le BSP ne s’est d’ailleurs jamais intéressé qu’au pasteur Dao, et aucun autre membre de l’église de Liangren n’a été arrêté.
[23] La SPR a trouvé révélatrice et convaincante l’absence de renseignements faisant état d’arrestations ou autres formes de persécution de chrétiens dans la province de Guangdong. Selon toute vraisemblance, si des chrétiens avaient été persécutés dans cette province, des sources dignes de foi en auraient fait état. Pratiquer la foi chrétienne dans une église non enregistrée est illégal en Chine, mais la SPR a fait observer que la plupart des groupes chrétiens, qui le plus souvent ne sont pas enregistrés, ne se réunissent plus dans le plus grand secret. En fait, bon nombre d’entre eux diffusent ouvertement leurs messages et accomplissent ouvertement leurs missions de service social.
[24] Le rapport du Home Office du Royaume-Uni précise que les églises clandestines se heurtaient souvent à des difficultés quand le nombre de leurs adhérents croissait, quand elles faisaient régulièrement usage de leurs installations ou quand elles nouaient des liens avec d’autres groupes. Tel n’est pas le cas pour l’église de la demanderesse, qui comptait 20 membres et dont le pasteur se rendait à l’église deux ou trois fois l’an. La SPR a estimé que, selon la prépondérance des probabilités, la maison‑église de la demanderesse n’avait jamais subi de rafle et que la demanderesse n’est pas recherchée par le BSP. Si elle retournait dans la province de Guangdong, elle serait en mesure de pratiquer sa foi chrétienne et ne serait pas exposée à cause de cela à un risque de persécution.
[25] La SPR, citant deux décisions de la Cour fédérale, Yang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1274, et Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 254, a affirmé que, eu égard au niveau de détail des documents produits se rapportant aux arrestations de chrétiens en Chine, il était raisonnable de conclure que, si des membres d’églises clandestines avaient été persécutés dans la province de Guangdong, des exemples de cette persécution auraient été rapportés. La SPR a aussi noté la décision Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 222, où la Cour a jugé que, d’après la preuve documentaire concernant la province du Fujian, les gens y sont généralement autorisés à pratiquer librement leur religion, de même que la décision Yao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 902, où le juge John O’Keefe a conclu que la décision de la SPR était raisonnable compte tenu de l’insuffisance de détails sur la destruction de maisons‑églises.
Conclusion
[26] La SPR a estimé que, vu l’ensemble de la preuve, la demanderesse n’avait pas établi qu’elle était exposée à une possibilité sérieuse de persécution, à une menace pour sa vie, à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités, ou au risque d’être soumise à la torture. La SPR a rejeté la demande de protection.
POINTS LITIGIEUX
[27] La demanderesse soulève les points suivants dans sa demande de contrôle judiciaire :
a. La conclusion de la SPR selon laquelle l’église clandestine de la demanderesse n’avait pas subi de rafle et la demanderesse n’était pas recherchée par le BSP était‑elle raisonnable?
b. La conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse pourrait pratiquer librement sa foi chrétienne dans la province de Guangdong est-elle raisonnable?
NORME DE CONTRÔLE
[28] Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a jugé qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse relative à la norme de contrôle dans chaque affaire. Lorsque la norme de contrôle qui est applicable à une question donnée soumise à la juridiction de contrôle est déjà fixée par la jurisprudence, la juridiction de contrôle peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette quête se révèle infructueuse que la juridiction de contrôle doit examiner les quatre facteurs constituant l’analyse relative à la norme de contrôle.
[29] La norme de contrôle qui est applicable aux deux points litigieux soulevés dans la présente affaire est celle de la décision raisonnable. Il est bien établi que la norme de contrôle applicable aux conclusions de la SPR portant sur la crédibilité est celle de la décision raisonnable. Voir les décisions Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF n° 732 (CAF), Elmi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 773, au paragraphe 21, et Wu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2009 CF 929, au paragraphe 17. Il est bien établi également que la norme de contrôle applicable à une conclusion touchant le risque est celle de la décision raisonnable. Voir les décisions Sarmis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 110, au paragraphe 11, S.A.H. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 613, et Qiu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 605, au paragraphe 17. Finalement, la norme de contrôle applicable à toutes les conclusions de fait tirées par la SPR est celle de la décision raisonnable (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 53).
[30] Lorsqu’elle contrôle une décision d’après la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour n’interviendra que si la décision de la SPR est déraisonnable, c’est-à-dire si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
DISPOSITIONS APPLICABLES
[31] Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :
96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :
a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;
[…] 97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :
a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;
b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :
(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,
(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,
(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.
[…] |
96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,
(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;
[…] 97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally
(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or
(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if
(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,
(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,
(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and
(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care
[…] |
ARGUMENTS
La demanderesse
[32] Pour conclure que l’église de la demanderesse n’avait pas été le théâtre d’une rafle et que la demanderesse n’était pas recherchée par le BSP, la SPR s’est fondée sur une preuve documentaire montrant un niveau croissant de tolérance envers les personnes qui pratiquent la foi chrétienne en Chine. Selon la demanderesse, la SPR avait l’obligation de tirer une conclusion précise sur son cas personnel, et il ne suffisait pas à la SPR de fonder sa conclusion uniquement sur des documents relatifs à la situation ayant cours dans le pays.
[33] Dans la décision Lin, précitée, le juge Robert Barnes s’exprimait ainsi, aux paragraphes 14 et 15 :
[14] L’observation de la Commission, selon laquelle elle ne pouvait pas faire concorder cette partie du témoignage de Mme Lin avec la preuve documentaire sur la situation du pays, constitue aussi une erreur de logique. Bien que la preuve documentaire sur la situation du pays faisait état de l’augmentation de la tolérance envers le christianisme en Chine, cette preuve montrait aussi que cette tolérance était inégale et fondée sur l’attitude des autorités locales. La Commission était saisie d’un ensemble de preuve qui montrait que, par moments, les fidèles chrétiens étaient traités durement en Chine. Il s’agissait donc d’une erreur de la part de la Commission que de conclure que le récit de Mme Lin ne correspondait pas à la preuve documentaire sur la situation du pays, parce qu’une partie de cette preuve concordait avec son récit portant sur les risques.
[15] Pour que la Commission puisse se fonder de façon juste sur la preuve générale portant sur la diminution du risque de persécution religieuse en Chine, il était essentiel qu’elle tire des conclusions précises au sujet de la véracité du récit de Mme Lin sur la descente policière à son église. Elle était tenue de le faire parce qu’elle devait examiner le risque général pour les chrétiens en Chine en fonction du profil particulier de Mme Lin, y compris ses antécédents avec les autorités. Il n’était pas suffisant pour la Commission de conclure que les cas de persécution de chrétiens sont maintenant rares, alors que les autorités dans la collectivité de Mme Lin avaient fait preuve de persécution, comme le démontrait leur comportement envers Mme Lin et les autres fidèles de son église. Elle pouvait personnellement faire face à un risque accru, ce qui distingue son cas de la norme statistique en Chine, et il était erroné de la part de la Commission de ne pas avoir tiré une conclusion déterminante à ce sujet. De plus, la conclusion selon laquelle les autorités locales ne s’intéresseraient plus à Mme Lin ne constituait pas une réponse complète. La Commission devait se demander si, compte tenu de sa situation particulière, Mme Lin risquait d’être persécutée si elle retournait en Chine et qu’elle continuait ses pratiques religieuses.
[34] Selon la demanderesse, la SPR a commis dans son cas la même erreur que dans l’affaire Lin. Au soutien de sa position, elle cite aussi les paragraphes 5 à 7 de la décision Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1052 :
[5] La SPR a donc rejeté la demande du demandeur en raison d’une conclusion d’invraisemblance; il était peu vraisemblable que la descente se soit produite de la manière dont l’a relaté le demandeur. Pour étayer cette conclusion, le SPR a énoncé ce qui suit :
La documentation révèle que le traitement des maisons-églises varie d’une région à l’autre. La preuve documentaire indique que les réunions de prière et les séances d’étude de la Bible entre amis et parents dans des résidences privées ne font pas l’objet de descentes. Les maisons-églises éprouvent des problèmes lorsque le nombre de leurs membres s’accroît, et le demandeur d’asile a affirmé que le nombre de membres de la maison-église qu’il fréquentait n’avait jamais dépassé onze personnes.
Le demandeur d’asile a affirmé que, bien qu’il ait recruté un nouveau membre de la maison-église, il se décrivait comme un membre de l’église, il ne jouait aucun rôle de direction, et les messes n’avaient jamais été célébrées chez lui. La preuve documentaire indique que, bien que des membres aient été arrêtés, les policiers ont concentré leurs efforts d’arrestation et de sanction sur les leaders d’églises et des chrétiens bien en vue. En 2006, les agents du [BSP] ont détenu des leaders de maisons-églises pendant de longues périodes, tandis qu’ils ont relâché des membres peu après les avoir interrogés sur place. On rapporte aussi une baisse du nombre d’arrestations de chrétiens membres de maisons-églises en Chine en 2006 par rapport à l’année précédente. Parmi les arrestations documentées de chrétiens membres de maisons-églises, la majorité visait des leaders.
(Décision de la SPR, pages 3 et 4)
[6] Le critère à satisfaire pour tirer une conclusion d’invraisemblance est énoncé par le juge Muldoon dans Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1131, au paragraphe 7 :
Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur.
[7] J’estime que la conclusion d’invraisemblance tirée par la SPR ne répond pas au critère de Valtchev parce que, selon la preuve au dossier, les actes dont a été victime de demandeur ne débordent pas du cadre de ce dont on peut s’attendre, selon la prépondérance de la preuve. Plus précisément, les événements qu’a vécus le demandeur à la maison-église se produisent de temps à autres et à différents endroits, et ce ne sont pas que les leaders qui sont victimes de persécution, sous la forme d’arrestation et de détention. Il s’ensuit, à mon avis, que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que « la preuve documentaire n’étaie pas la thèse selon laquelle [le demandeur] serait exposé à une possibilité sérieuse d’être persécuté à cause de ses croyances religieuses » (Décision de la SPR, pages 4 et 5).
[35] Selon la demanderesse, la SPR a tiré des conclusions erronées dans son cas parce qu’elle ne s’est pas prononcée précisément sur la crédibilité de son témoignage concernant la rafle menée dans son église, et parce qu’elle a récusé son témoignage du seul fait qu’il ne s’accordait pas avec les documents qui décrivaient la situation ayant cours dans le pays. Il y a eu des cas de persécution de chrétiens dans la province de Guangdong, et il était déraisonnable pour la SPR de récuser le témoignage de la demanderesse en se fondant sur ces documents.
[36] La SPR a trouvé aussi que la demanderesse pourrait pratiquer librement sa foi dans l’église de son choix et qu’elle ne serait pas exposée à plus qu’une simple possibilité d’être persécutée. Selon la demanderesse, pour arriver à cette conclusion, la SPR s’est fondée sur une preuve périmée, tirée à la fois du rapport de la China Aid Association (CAA) et du rapport du Département d’État des États-Unis sur la liberté religieuse dans le monde. La SPR disposait, pour ces rapports, de versions plus récentes dont elle n’a pas tenu compte.
[37] Le document le plus récent de la CAA mentionnait que, dans la province de Guangdong, le pasteur Wang Dao avait été agressé et détenu et que sa famille avait été convoquée pour interrogatoire. On pouvait y lire aussi que de nombreuses églises avaient été contraintes de fermer leurs portes durant les Jeux asiatiques. Cette preuve contredit la conclusion de la SPR pour qui il existe un certain niveau de tolérance dans la province de Guangdong.
[38] La SPR citait aussi dans sa décision le rapport du Département d’État des États-Unis affirmant que les églises non enregistrées n’opèrent plus dans le plus grand secret et que de nombreuses églises non enregistrées accomplissent une diversité de missions de service social. Cependant, cette information était tirée d’une version antérieure du rapport, et, selon la version du 17 novembre 2010 que la SPR avait devant elle, [traduction] « les groupes religieux non rattachés à une association religieuse patriotique officielle disaient avoir du mal à s’enregistrer comme organisations non gouvernementales (ONG) ou à accomplir des missions de service social ». Selon la demanderesse, non seulement la SPR s’est fondée sur une information périmée, mais encore la dernière version du rapport contredit en réalité l’information sur laquelle la SPR s’est fondée.
[39] Pour appuyer son propos, la demanderesse invoque les paragraphes 9 à 11 de la décision Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1359 :
[9] En l’espèce, la Commission s’est appuyée sur un document daté du 7 septembre 2005 qui n’a pas été communiqué au demandeur et qui ne se trouvait pas dans le cartable national de documentation de la Commission concernant les demandes fondées sur la persécution religieuse en Chine. La Commission a pris le document en question comme source pour étayer sa conclusion relative au traitement réservé aux églises clandestines dans la province d’origine du demandeur. Cependant, le document avait été retiré du cartable de documentation et remplacé par une version à jour datée du 30 juin 2010. L’information selon laquelle le Fujian aurait une politique libérale envers la pratique du christianisme a été enlevée dans le document à jour parce que de récents rapports révèlent qu’une telle conclusion serait erronée.
[10] Comme il a été mentionné aux paragraphes 23 et 24 de la décision Bokhari, précitée, et au paragraphe 16 de l’arrêt Mancia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1998] 3 CF 461 (CAF), la communication de documents est importante eu égard à l’équité procédurale parce qu’elle donne l’occasion au demandeur de répondre adéquatement aux réserves de la Commission. Voir aussi May c Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, paragraphe 92.
[11] En l’espèce, les réserves de la Commission portaient principalement sur le traitement des chrétiens dans la province d’origine du demandeur. L’ancien document présentait de façon plus favorable la situation dans cette province que le rapport de 2010.
[40] La demanderesse affirme que, comme dans l’espèce Zheng, l’information périmée sur laquelle s’est fondée la SPR décrivait la situation sous un jour plus favorable que ce qu’autorisait la réalité. Les documents soumis à la SPR montraient que les églises non enregistrées se heurtaient à de nombreuses restrictions et que les fidèles qui fréquentaient ces églises n’avaient pas la possibilité de déclarer ouvertement leurs convictions religieuses. On pouvait y lire aussi que le gouvernement limitait la distribution de bibles et que, pour s’enregistrer, une organisation caritative confessionnelle devait au préalable être parrainée par le bureau local des affaires religieuses.
[41] Selon la demanderesse, l’accomplissement d’une mission de service social est l’un des moyens par lesquels une personne peut manifester ses croyances religieuses, et de telles restrictions portaient atteinte à son droit de pratiquer sa religion. Les restrictions imposées à la distribution de bibles portaient aussi atteinte à son droit de manifester sa foi religieuse. Elle fait observer que, selon le rapport du Département d’État des États-Unis, les maisons-églises fidèles au Vatican ne sont pas autorisées à célébrer publiquement des offices religieux à moins d’être rattachées à une association religieuse patriotique. Le rapport du Département d’État précisait aussi qu’il est interdit de faire du prosélytisme dans les lieux publics et dans les lieux de culte non enregistrés. La Cour a jugé, dans la décision Irripugge c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF n° 29, que le fait de devoir pratiquer sa foi dans la clandestinité équivaut à persécution.
[42] Selon la demanderesse, la SPR n’a pas compris que les restrictions susmentionnées faisaient obstacle à son droit de déclarer et répandre ouvertement ses convictions religieuses (arrêt R c Big M Drug Mart Ltd, [1985] 1 RCS 295). La SPR n’a jamais vraiment considéré cet aspect, et la demanderesse affirme que cette erreur a rendu la décision déraisonnable.
Le défendeur
[43] La SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas établi le bien-fondé de ses deux revendications en présentant un témoignage ou des éléments de preuve convaincants. La SPR a tiré de nombreuses conclusions détaillées et précises, notamment les suivantes :
i. la preuve documentaire atteste une tolérance croissante envers le christianisme en Chine;
ii. la demanderesse affirme que son église dans la province de Guangdong avait subi une rafle et que certains de ses membres avaient été arrêtés; cependant, il n’ést nulle part fait état d’arrestations dans cette région;
iii. il n’existait aucune preuve documentaire persuasive faisant état d’arrestations récentes ou d’un autre genre de persécution à l’endroit de protestants laïques dans la province de Guangdong;
iv. la preuve montrait que la persécution envers l’église de Liangren dans la province de Guangdong s’était limitée au harcèlement d’un pasteur, et aucun chrétien laïque n’avait été arrêté;
v. la preuve documentaire concernant la fermeture d’églises clandestines en Chine est contrastée, mais on ne trouve nulle part des exemples d’arrestations ou de persécution dans la province de Guangdong;
vi. la description qu’a faite la demanderesse de son église ne s’accordait pas avec le genre d’églises que ciblent en général les autorités d’après les documents relatifs aux conditions ayant cours dans le pays; plus exactement, il ne s’agissait pas d’une église comptant de nombreux membres, elle n’avait pas de liens avec d’autres églises, et elle n’avait pas son propre pasteur;
vii. selon la jurisprudence récente, eu égard au niveau élevé de détail des documents faisant état d’arrestations de chrétiens en Chine, il était raisonnable pour la SPR de conclure que, si un cas de persécution avait eu lieu dans une région donnée, ce cas aurait été rapporté.
[44] La SPR a estimé que, en dépit du témoignage de la demanderesse selon lequel son église avait été le théâtre d’une rafle, cette rafle n’avait probablement pas eu lieu, car la preuve documentaire ne faisait état d’aucune arrestation de chrétiens dans la province de Guangdong durant la période concernée. La demanderesse n’a apporté aucune preuve corroborante, et certains éléments soumis à la SPR faisaient douter de son témoignage.
[45] Au vu de la preuve documentaire montrant qu’il n’y avait pas eu d’arrestations de chrétiens dans la province de Guangdong au cours des années récentes, il était raisonnable pour la SPR d’en conclure qu’il n’y avait eu ni rafle ni arrestations à l’église de la demanderesse. La SPR a préféré la preuve documentaire au témoignage de la demanderesse; il n’y a aucune raison d’affirmer que ce choix était déraisonnable. Puisqu’elle considérait que la preuve documentaire était plus solide et devait être préférée, il n’était pas nécessaire à la SPR de conclure explicitement que la preuve de la demanderesse sur ce point n’était pas crédible; elle a tiré cette conclusion indirectement (voir Yu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 310).
[46] La Cour a jugé à maintes reprises que la SPR peut raisonnablement conclure que les chrétiens qui retournent dans une province déterminée en Chine ne sont pas véritablement exposés à la persécution si la preuve documentaire n’indique nulle part que des arrestations ou des rafles ont eu lieu dans des églises non enregistrées de cette province. Voir les décisions Yang, précitée, aux paragraphes 30, 31 et 33, He c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 525, aux paragraphes 24 et 25, Jiang, précitée, aux paragraphes 7, 27, 35 et 36, Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 636, aux paragraphes 20 à 22, et He c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1199, au paragraphe 16.
[47] La demanderesse affirme aussi que la SPR a commis une erreur en fondant sa décision sur des documents périmés. Il est vrai que la SPR s’est fondée sur certains documents de 2010 alors qu’il en existait des versions de 2011. Cependant, sa conclusion reposait sur le fait qu’aucune arrestation de chrétiens dans la province de Guangdong n’avait été signalée depuis de nombreuses années; la demanderesse n’a produit aucun élément susceptible de réfuter cette conclusion. Elle disait que les conclusions de la SPR sur ce point étaient erronées, mais elle n’a pas prouvé que des chrétiens laïques pratiquants avaient été arrêtés dans la province de Guangdong.
[48] La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en comprenant mal ce que signifie la liberté de religion, et elle ajoute que des obstacles tels que [traduction] « des difficultés à accomplir une mission de service social » équivalent à persécution. Selon le défendeur, les documents décrivant les conditions qui ont cours dans le pays ne sont pas suffisamment détaillés et ne permettent pas de dire si les obstacles en question équivaudraient à persécution selon la Convention et selon le droit canadien des réfugiés, mais, en tout état de cause, la demanderesse n’a nullement prouvé qu’elle a par le passé été empêchée de pratiquer sa foi à sa guise, ni en quoi ces obstacles pourraient lui nuire à l’avenir. D’après les documents sur la situation ayant cours dans le pays, il n’y a eu ni arrestations ni persécution de chrétiens laïques dans la province de Guangdong.
[49] Le défendeur affirme que la SPR a tiré une conclusion raisonnable en affirmant qu’un demandeur d’asile chrétien qui retourne en Chine dans une province donnée n’est pas exposé à plus qu’une possibilité de persécution si la preuve montre, comme c’était le cas ici, que les chrétiens peuvent pratiquer leur foi dans cette province sans être inquiétés outre mesure (voir les décisions Yang, précitée, au paragraphe 37, Jiang, précitée, aux paragraphes 29 et 35, Wang, précitée, au paragraphe 20, et Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 9, aux paragraphes 68 à 75). Eu égard aux conclusions examinées plus haut, le défendeur affirme que la décision de la SPR appartenait aux issues possibles acceptables, et il demande à la Cour de rejeter la demande de contrôle judiciaire.
ANALYSE
[50] La demanderesse ne conteste pas les conclusions tirées par la SPR sur les aspects de sa demande d’asile qui concernent la régulation des naissances et la stérilisation, et la Cour n’examinera pas ces conclusions. La demanderesse conteste la manière dont la SPR a traité les aspects religieux de sa demande d’asile.
[51] Sur ce point, la Cour se trouve devant un genre de cas qu’elle-même et la SPR ont dû traiter à maintes reprises. Essentiellement, la demanderesse s’est convertie au christianisme et a fréquenté une église clandestine. Le BSP a fait une descente dans l’église et la demanderesse s’est échappée puis est allée se cacher. Le BSP s’est présenté chez elle pour l’arrêter, et c’est alors qu’elle s’est adressée à un passeur pour qu’il l’aide à venir au Canada. Le BSP la cherche encore.
[52] La demanderesse n’a produit aucune preuve documentaire ni aucun élément corroborant pouvant appuyer son exposé circonstancié, et elle affirme aujourd’hui que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle parce que, se fondant sur une preuve documentaire selon laquelle il n’y a pas de persécution dans la province de Guangdong, la SPR n’a pas cru son exposé circonstancié et a conclu que, si la demanderesse retournait en Chine, elle pourrait pratiquer sa foi librement et comme elle le souhaite.
[53] Selon la demanderesse, en décidant que sa maison-église n’avait pas été le théâtre d’une rafle et qu’elle-même n’est pas recherchée par le BSP, la SPR ne s’est pas prononcée sur ses allégations précises. Cependant, au paragraphe 14 de sa décision, la SPR conclut sans équivoque « selon la prépondérance des probabilités, que la maison-église que fréquentait la demandeure d’asile n’a jamais fait l’objet d’une descente par les autorités et, par conséquent, que la demandeure d’asile n’est pas recherchée par le PSB ». Pour arriver à cette conclusion, la SPR considère la preuve, ou l’absence de preuve, de la demanderesse, puis la confronte avec la preuve documentaire pour conclure que « la situation dans la province de Guangdong n’est pas la même que dans bien d’autres provinces, où il y a eu des arrestations et des cas de persécution de chrétiens ordinaires » et « selon la prépondérance des probabilités, que, si des arrestations ou des incidents liés à la persécution de chrétiens protestants dans la province de Guangdong étaient survenus récemment, ces arrestations ou incidents de persécution seraient documentés par des sources fiables ». La Cour a déjà admis ce raisonnement et cette manière d’apprécier la preuve n’est donc pas déraisonnable en soi. Voir la décision Yang, précitée, et la décision Jiang, précitée.
[54] La demanderesse invoque les décisions Lin, précitée, et Jin, précitée, deux précédents qui, selon moi, ne sont pas assimilables à la présente espèce.
[55] Dans l’affaire Lin, la SPR s’était fondée sur la preuve générale d’une diminution du risque de persécution religieuse en Chine, sans considérer la réalité de la situation dans la collectivité de la demandeure d’asile. Dans la présente affaire, la SPR a bien précisé qu’elle était parfaitement au fait des différences régionales en Chine pour ce qui concernait la persécution religieuse, et qu’elle s’en tenait strictement à la province d’origine et à la collectivité de la demanderesse.
[56] Dans la décision Jin, la Cour a estimé que la conclusion d’invraisemblance tirée par la SPR ne satisfaisait pas à la norme énoncée dans la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776. Dans la présente affaire, vu la preuve se rapportant à la province de Guangdong, et puisqu’il n’était pas établi que d’autres personnes dans la situation de la demanderesse étaient persécutées, les allégations de la demanderesse « débord[aient] le cadre de ce à quoi l’on [pouvait] logiquement s’attendre », et la preuve documentaire « montr[ait] que les événements [n’auraient pas pu] se produire comme [la demandeure d’asile] le prétend[ait] ». La documentation objective consultée par la SPR offrait un fondement raisonnable qui lui permettait de conclure que les gens comme la demanderesse peuvent pratiquer librement leur foi dans la province de Guangdong. Ainsi, l’exposé circonstancié de la demanderesse concernant la persécution n’était pas vraisemblable parce qu’il n’était pas étayé. Comme le fait observer la SPR dans sa décision, ce raisonnement a été suivi par la Cour dans la décision Yang, précitée, et dans la décision Nen Mei Lin, précitée. Il m’est impossible de dire que, sur ce point, la décision de la SPR était déraisonnable.
[57] La demanderesse affirme aussi que la décision de la SPR était déraisonnable parce que, pour arriver à ses conclusions sur la situation qui avait cours dans la province de Guangdong, la SPR a fait abstraction d’éléments de preuve importants qui contredisaient ces conclusions. Ces éléments de preuve concernent le pasteur Wao et l’église de Liangren, la fermeture de maisons-églises au cours des Jeux asiatiques à Guangzhou, la Réponse de juin 2007 à la demande d’information concernant la fermeture forcée de maisons-églises dans la province de Guangdong en 2006, et la Réponse de juin 2010 à la demande d’information sur des cas de « persécution » dans la province de Guangdong en 2008 et 2009. Selon moi, cette preuve ne contredit pas les conclusions de la SPR sur la situation dans la province de Guangdong d’une manière qui appellerait une mention particulière. Le pasteur Wao et l’église de Liangren sont mentionnés dans la décision de la SPR et se distinguent de la situation « laïque » de la demanderesse. On ne sait pas dans quelle mesure les fermetures temporaires durant les Jeux asiatiques influencent la situation passée ou future de la demanderesse. Et la Réponse de juin 2010 à la demande d’information ne renferme rien qui, suivant la prépondérance de la preuve, laisse voir une contradiction avec les conclusions générales de la SPR.
[58] La demanderesse a aussi tenté de montrer que l’approche suivie par la SPR était déraisonnable parce que cette approche était fondée sur des documents périmés et qu’elle passait sous silence ce qui était arrivé au pasteur Wang Dao. Comme je viens de le dire, le cas du pasteur Dao est considéré dans la décision de la SPR. Quant à l’inexactitude de l’information sur laquelle s’est fondée la SPR, la demanderesse n’a rien produit qui donnerait à penser que la situation dans la province de Guangdong n’est pas celle que la SPR a retenue, suivant la prépondérance de la preuve.
[59] S’agissant de la situation future, et des propos de la SPR pour qui « [a]près avoir examiné attentivement les éléments de preuve documentaire, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure d’asile pourrait pratiquer sa religion dans n’importe quelle église si elle retournait vivre dans la province de Guangdong en Chine et qu’il n’existe pas de possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée pour cette raison », la demanderesse avance des arguments et des faits similaires à ceux évoqués plus haut. Encore une fois, la Cour ne croit pas que l’on puisse affirmer, suivant la prépondérance de la preuve, que cette conclusion de la SPR n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, selon les termes de l’arrêt Dunsmuir.
[60] La demanderesse avance aussi un argument général sur la liberté de religion dans la province de Guangdong. Elle affirme que la SPR aurait dû songer à la possibilité que son engagement religieux prenne plus tard d’autres formes, de sorte qu’elle pourrait être persécutée par les autorités. Par cet argument, insuffisamment détaillé, la demanderesse invite la Cour à se livrer à des conjectures. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas un argument qu’elle avait soumis à l’examen de la SPR. Il n’a pas été établi que la demanderesse modifiera ses pratiques d’une manière qui pourrait conduire les autorités à la persécuter. Ainsi, on ne saurait dire que la SPR a eu tort de ne pas considérer cet aspect de l’argument que la demanderesse avance maintenant devant la Cour.
[61] Comme le fait observer le défendeur, la SPR peut préférer la preuve documentaire plutôt qu’un témoignage. En l’espèce, la preuve documentaire montrait que les chrétiens laïques n’avaient pas été arrêtés ni victimes de persécution dans la province de Guangdong ces dernières années. Il était donc raisonnable de déduire qu’aucune rafle ni arrestation n’avait eu lieu dans l’église de la demanderesse. La SPR a décidé d’accepter cette preuve documentaire objective plutôt que le témoignage de la demanderesse. On ne saurait dire qu’elle a agi déraisonnablement en appréciant la preuve sur ce fondement. Estimant finalement que la preuve documentaire était plus solide et devait être préférée, la SPR n’était pas tenue de conclure expressément que la preuve de la demanderesse sur ce point n’était pas crédible, puisqu’elle était arrivée à cette conclusion indirectement. Voir les décisions Yu, précitée, Zhang, précitée, Barua c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 607, et He, précitée.
[62] La Cour a d’ailleurs jugé à maintes reprises que la SPR agit raisonnablement en concluant qu’un demandeur d’asile chrétien qui retourne en Chine dans une province donnée n’est pas exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution si la preuve documentaire ne montre pas que les chrétiens sont arrêtés ou persécutés dans ladite province. Voir la décision Yang, précitée, et la décision Yu, précitée.
[63] Je ne puis voir, dans la décision de la SPR, aucune erreur susceptible de contrôle.
[64] Les avocats s’accordent pour dire qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour partage leur avis.
JUGEMENT
LA COUR statue que
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question n’est certifiée.
« James Russell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-8601-11
INTITULÉ : YANNI YANG
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 6 novembre 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE RUSSELL
DATE DES MOTIFS : Le 21 novembre 2012
COMPARUTIONS :
Hart A. Kaminker POUR LA DEMANDERESSE
Kevin Doyle POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Hart A. Kaminker POUR LA DEMANDERESSE
Avocat
Toronto (Ontario)
William F. Pentney POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada