Date : 20121123
Dossier : T‑943‑11
Référence : 2012 CF 1355
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2012
En présence de monsieur le juge Manson
ENTRE :
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MICHAEL KORS, LLC ET MICHAEL KORS (CANADA) CO.
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demanderesses
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et
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BEYOND THE RACK ENTERPRISES INC.
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défenderesse
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] La défenderesse, Beyond the Rack Enterprises Inc. [BTR], interjette appel de trois ordonnances de madame la protonotaire Milczynski datées du 21 septembre 2012. Les conclusions qu’elle demande à la Cour de prononcer sont les suivantes :
A. Annuler l’ordonnance par laquelle la protonotaire Milczynski a rejeté la requête de BTR visant à faire radier les paragraphes 1d), e), (vii) et g), 1e) (ii)‑(iv), 1f), 1i), 9 à 18 inclusivement, 19b)‑e), 21 et 31c) de la nouvelle déclaration modifiée des demanderesses, sauf dans la mesure où ces paragraphes concernent les allégations autres que celles qui portent sur la contrefaçon de marque de commerce et la commercialisation trompeuse sans autorisation de les modifier.
B. Radier les allégations contestées conformément à l’alinéa 221f) des Règles ou, sinon, de l’alinéa 221a) des Règles.
C. Annuler et casser l’ordonnance par laquelle la protonotaire Milczynski a accueilli la requête des demanderesses visant l’obtention d’un affidavit de documents contenant des précisions supplémentaires de BTR.
D. Annuler l’ordonnance par laquelle la protonotaire Milczynski a modifié l’ordonnance de protection datée du 21 juin 2012 afin d’y incorporer une disposition de « consultation restreinte aux avocats » et de rendre une ordonnance de confidentialité à cet effet.
E. Modifier l’ordonnance de protection datée du 21 juin 2012 pour y faire incorporer une disposition de « consultation restreinte aux avocats ».
F. Établir les dépens relatifs à la requête et en exiger le paiement immédiatement.
[2] L’avocat de la défenderesse a reconnu que si la requête en radiation des allégations énoncées ci‑dessus était rejetée, la requête en production de documents contenant des précisions supplémentaires devrait aussi être rejetée.
I. Norme de contrôle
[3] Bien que la norme de contrôle applicable en l’espèce ait fait l’objet d’un certain débat, j’estime que le critère à appliquer lors du contrôle judiciaire d’une décision discrétionnaire de la protonotaire Milczynski est celui qu’a formulé la Cour d’appel fédérale dans Merck & Co Inc c Apotex Inc, 2003 CAF 488, [2003] ACF no 1925, au paragraphe 19 :
Afin d’éviter la confusion que nous voyons parfois découler du choix des termes employés par le juge MacGuigan, je pense qu’il est approprié de reformuler légèrement le critère de la norme de contrôle. Je saisirai l’occasion pour renverser l’ordre des propositions initiales pour la raison pratique que le juge doit logiquement d’abord trancher la question de savoir si les questions sont déterminantes pour l’issue de l’affaire. Ce n’est que quand elles ne le sont pas que le juge a effectivement besoin de se demander si les ordonnances sont clairement erronées. J’énoncerais le critère comme suit : « Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants : a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. »
[4] Comme le soulignait la juge Sandra J. Simpson dans Sanofi‑Aventis Canada Inc c Teva Canada Inc Ltd, 2010 CF 1210, [2010] ACF no 1503, aux paragraphes 27 et 28 :
[traduction]
… il faut se pencher sur l’ordonnance rendue par le protonotaire et l’examiner de novo si, en fait, elle a eu sur le procès une influence qui peut être jugée déterminante.
[5] Par conséquent, si la question en litige n’exerce pas une influence déterminante sur l’issue de l’affaire, la Cour doit se demander si les ordonnances étaient « entachée[s] d’erreur flagrante » avant de les modifier, commandant ainsi la déférence (voir Canada (Procureur général) c United States Steel Corp, 2011 CF 226, [2011] ACF no 279, au paragraphe 15).
[6] J’estime qu’aucune de ces trois questions n’exerce une influence déterminante sur l’issue de l’affaire. Par conséquent, les questions seront abordées en fonction du critère selon lequel les ordonnances de la protonotaire ont pu être « entachée[s] d’erreur flagrante », au sens où l’exercice par la protonotaire de son pouvoir discrétionnaire était fondé sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits.
II. Questions en litige
A. Les paragraphes contestés de la déclaration devraient-ils être radiés?
[7] L’acte de procédure ou une partie de cet acte ne doit pas être radié sauf s’il est « évident et manifeste » qu’ils ne révèlent aucune cause d’action raisonnable (voir Hunt c Carey Canada Inc, [1990] 2 RCS 959, [1990] ACS no 93, à la page 980).
[8] De plus, comme le soulignait la Cour d’appel fédérale dans la décision Bande indienne de Montana c Canada, 2002 CAF 331, [2002] ACF no 1257, au paragraphe 7 :
Nous aimerions insister une fois encore sur le lourd fardeau qui incombe aux parties désirant faire annuler une ordonnance interlocutoire rendue par un juge responsable de la gestion de l’instance. Notre Cour répugne en tout état de cause à intervenir en regard de telles ordonnances, en raison des retards et des frais occasionnés par pareils appels dans quelque instance que ce soit. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’appel est interjeté de la décision interlocutoire d’un juge responsable de la gestion de l’instance qui a une connaissance intime de l’historique des faits ainsi que des détails d’une affaire complexe. La gestion d’instance ne peut être efficace que si notre Cour n’intervient que « dans les cas où un pouvoir discrétionnaire a manifestement été mal exercé », pour reprendre l’expression du juge Rothstein dans Bande indienne de Sawridge et al. c. Canada, 2001 CAF 339, (2001) 283 N.R. 112.
[9] À cet égard, l’avocat de la défenderesse soutient que la demande ne comporte pas suffisamment de faits substantiels qui étayent les simples allégations qui sont à l’origine des allégations contestées de contrefaçon de marque de commerce et de commercialisation trompeuse contenues dans l’exposé des faits des paragraphes 9 à 18 de la nouvelle déclaration modifiée. Il est allégué qu’il s’agit d’allégations farfelues et théoriques, qu’aucun fait substantiel n’étaye les causes d’action en commercialisation trompeuse et en contrefaçon de marque de commerce et que l’action en elle‑même ne constitue qu’une [traduction] « recherche déguisée de faits ». La défenderesse soutient qu’une action ne peut être intentée sur la foi d’hypothèses et de suppositions selon lesquelles quelque chose [traduction] « sortira » de l’interrogatoire préalable. L’avocat de la défenderesse invoque à l’appui de sa thèse le paragraphe 12 de ses observations écrites relatives au contre‑interrogatoire de la représentante de la demanderesse, Mme Grodnitzky.
[10] Selon la défenderesse, les faits, tels que présentés, en plus du témoignage de Mme Grodnitzky en contre‑interrogatoire, ne correspondent pas à un exposé approprié des faits substantiels.
[11] Dans sa défense, la défenderesse nie avoir vendu des produits non autorisés Michael Kors; elle allègue vendre uniquement de véritables produits de marque Michael Kors et que, par conséquent, elle n’a pas violé les droits de marque de commerce des demanderesses et qu’elle ne s’est pas non plus livrée à des activités de commercialisation trompeuse. Dans leur réponse à la défense, les demanderesses soutiennent que Michael Kors n’a pas connaissance du fait que de véritables produits Michael Kors sont vendus au Canada à l’extérieur des voies de distribution autorisées Michael Kors et, au paragraphe 8, soutiennent que la défenderesse ne vend pas de produits [traduction] « authentiques » ou « légitimes » Michael Kors sur le site Web BTR.
[12] J’ai pris en compte les faits invoqués en l’espèce, de même que la preuve soumise en contre‑interrogatoire au cours de l’examen de la requête relative à la production de précisions supplémentaires au moment de l’interrogatoire préalable et je suis d’accord avec la protonotaire Milczynski pour dire qu’on ne saurait alléguer que la demande est tellement dépourvue de faits substantiels qu’elle constitue un abus de procédure ou une recherche déguisée de faits. Vu l’ensemble des actes de procédure, particulièrement les paragraphes 9 à 18 de la déclaration, suffisamment de faits substantiels ont été présentés afin d’étayer les allégations de contrefaçon de marque de commerce et de commercialisation trompeuse et l’instance devrait se poursuivre. Si la défenderesse possède des moyens légitimes de défense contre les allégations de vente de marchandises sur le marché parallèle et d’épuisement des droits, il lui incombera de toute évidence de les faire valoir au fur et à mesure du déroulement de l’instance.
B. L’ordonnance de production de documents devrait-elle être maintenue?
[13] Étant donné que l’avocat de la défenderesse reconnaît que si la Cour confirmait la décision de la protonotaire Milczynski relativement à la radiation des causes d’action figurant dans la déclaration, l’ordonnance de production de précisions supplémentaires lors de l’interrogatoire préalable ne serait pas contestée et donc maintenue.
C. L’ordonnance de protection doit-elle être modifiée?
[14] Enfin, en ce qui concerne la requête demandant à la Cour de rendre une ordonnance fondée sur les articles 151 et 152 des Règles en vue de modifier l’ordonnance de protection datée du 21 juin 2012 afin d’y incorporer une disposition de « consultation restreinte aux avocats », je ne crois pas là encore que la protonotaire Milczynski a exercé son pouvoir discrétionnaire en s’appuyant sur un principe entaché d’erreur flagrante. Le fait que deux avocats internes des demanderesses aient eu accès aux documents et à l’information pour informer un avocat externe est raisonnable dans les circonstances de l’espèce. Par conséquent, l’ordonnance, telle que produite, est appropriée en l’espèce.
[15] Pour tous les motifs susmentionnés, je rejette la requête de la défenderesse et j’adjuge les dépens aux demanderesses compte tenu de l’issue de la cause.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la requête de la défenderesse soit rejetée et que les dépens soient adjugés aux demanderesses compte tenu de l’issue de la cause.
Michael D. Manson
Juge
Traduction certifiée conforme
Linda Brisebois, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑943‑11
INTITULÉ : Michael
Kors, LLC et autres c
Beyond the Rack Enterprises Inc.
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 19 novembre 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT PAR : LE JUGE MANSON
DATE DES MOTIFS : Le 23 novembre 2012
COMPARUTIONS :
Mark Davis
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POUR LES DEMANDERESSES
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Mark Hines |
POUR LES DEMANDERESSES
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Patrick Cotter |
POUR LA DÉFENDERESSE
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Sanjukta Tole
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POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Heenan Blaikie LLP Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDERESSES
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Sim Lowman Ashton & McKay LLP Toronto (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE
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