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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20121128


Dossier : IMM-5539-11

Référence : 2012 CF 1382

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

 

ENTRE :

 

JIJO JACOB

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction et contexte

[1]               Le demandeur citoyen de l’Inde. Il conteste la décision du 8 août 2011 par laquelle l’agent d’immigration Harmon (l’agent) a refusé sa demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[2]               Pour bien comprendre le fondement de la demande de résidence permanente, il importe de retenir les faits suivants.

 

[3]               M. Jacob est arrivé au Canada le 20 septembre 2005 grâce à un visa d’étudiant pour faire des études dans une école de commerce de Toronto qui a fermé ses portes trois mois après l’arrivée de M. Jacob.

 

[4]               Après avoir examiné d’autres solutions, il a trouvé un emploi d’aide familial auprès d’un homme âgé et grabataire dont l’épouse avait passé une annonce d’offre d’emploi après avoir obtenu un avis relatif au marché du travail (AMT) favorable. Le demandeur avait deux ans d’expérience comme aide familial en Inde. Il a sollicité un permis de travail en invoquant l’AMT favorable; un permis lui a été délivré le 16 novembre 2006, pour une durée d’un an. Ce permis de travail contenait la note suivante : [traduction] « Ce permis de travail n’est pas délivré en vertu du Programme des aides familiaux résidants. »

 

 

[5]               La catégorie des aides familiaux est une catégorie prévue par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) (le RIPR). Il s’agit d’une catégorie d’étrangers qui peuvent devenir des résidents permanents s’ils répondent aux conditions énoncées dans la loi habilitante, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR). L’article 113 du RIPR dispose que l’étranger fait partie de la catégorie des aides familiaux s’il est entré au Canada à titre d’aide familial et s’il a travaillé en cette qualité durant au moins deux des quatre ans qui ont suivi son entrée. Pour que l’étranger devienne membre de la catégorie, le permis de travail doit lui être délivré avant son entrée au Canada. Le traitement des demandes faites en vertu du Programme des aides familiaux résidants (le PAFR) est régi par les règles du guide d’opération OP-14, qui établit les conditions d’admissibilité en matière d’études, de formation ou d’expérience, de connaissances linguistiques, et d’offre d’emploi approuvée par Service Canada, c’est-à-dire un AMT favorable.

 

[6]               Le permis de travail du demandeur a été renouvelé le 3 mars 2008 pour une durée de deux ans, jusqu’au 23 février 2010. Ce permis de travail contenait lui aussi la même note que le permis initial : « Ce permis de travail n’est pas délivré en vertu du Programme des aides familiaux résidants. »

 

[7]               Le 7 avril 2009, le demandeur a présenté depuis le Canada une demande de statut de résident permanent au titre du Programme des aides familiaux résidants (PAFR) après avoir travaillé au Canada durant trois ans en vertu de permis de travail valides. Il a rempli sa demande avec l’aide d’un conseiller qui lui avait dit qu’il était admissible à la résidence permanente au titre du PAFR.

 

[8]               Le 30 juillet 2009, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a informé le demandeur qu’il remplissait les conditions requises pour demander le statut de résident permanent en tant que membre de la catégorie des aides familiaux. On lui a dit qu’une décision définitive ne serait prise que lorsque toutes les conditions restantes seraient remplies, notamment les examens médicaux et les vérifications de sécurité. CIC a aussi dit au demandeur qu’il pouvait désormais demander un permis de travail ouvert lui donnant le droit de travailler dans le domaine et à l’endroit de son choix, et qu’il pouvait aussi demander un permis d’études.

 

[9]               Le même fonctionnaire (TJ-E) qui avait annoncé ces bonnes nouvelles dans la lettre du 30 juillet 2009 a envoyé au demandeur une deuxième lettre, le 20 octobre 2009, pour l’informer que [traduction] « durant l’examen de votre dossier, il est apparu que votre demande de résidence permanente pourrait devoir être refusée parce que vous ne semblez pas remplir les conditions d’immigration ». Ce fonctionnaire a informé le demandeur que, pour devenir résident permanent au titre du PAFR, il devait remplir les conditions du RIPR se rapportant à cette catégorie et, plus précisément, il devait avoir été évalué en vertu du PAFR depuis l’étranger pour présenter une demande au titre de ce programme. Le fonctionnaire a souligné que les permis de travail du demandeur n’avaient pas été délivrés en vertu du PAFR et que le demandeur n’avait donc jamais relevé du PAFR. Le fonctionnaire a demandé à M. Jacob de lui fournir des observations.

 

[10]           Le demandeur lui a répondu par une lettre faisant état de ce qui suit : la manière dont il était devenu un aide familial au Canada, son emploi continu d’aide familial auprès de M. et Mme Thomas, son oubli à propos du fait que le permis de travail n’avait pas été délivré en vertu du PAFR et la lettre favorable qu’il avait reçue de CIC le 30 juillet 2009.

 

[11]           Il a conclu sa lettre en disant qu’il avait fait une erreur, en demandant l’indulgence du fonctionnaire et en demandant à celui-ci de poursuivre le traitement de la demande. La demande de résidence permanente a été refusée le 8 février 2010 par TJ-E.

 

[12]           Le demandeur a contesté le refus devant la Cour fédérale le 28 octobre 2010. Le juge Campbell, notant la demande de considération spéciale faite par le demandeur, était d’avis que, par sa lettre du 6 novembre 2009, « le demandeur cherchait à avoir l’occasion de formuler des observations complètes sur l’existence de motifs d’ordre humanitaire, et que cette demande n’a pas été prise en considération avant que la décision sur la résidence permanente ne soit prise » [non souligné dans l’original]. L’ordonnance du juge Campbell est ainsi formulée :

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

 

En conséquence, j’annule la décision en cause, renvoie l’affaire pour nouvel examen, et ordonne qu’avant qu’une décision ne soit prise à l’égard de la demande de résidence permanente du demandeur, ce dernier ait l’occasion de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et que cette demande soit étudiée avant qu’une décision définitive ne soit rendue sur la demande de résidence permanente.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

II. La demande de nouvel examen

[13]           Le demandeur a présenté sa demande de dispense fondée sur les motifs d’ordre humanitaire le 2 janvier 2011. Au soutien du nouvel examen ordonné par le juge Campbell, l’ancien avocat du demandeur a joint à la demande du 2 janvier 2011 une lettre où il écrivait que [traduction] « en accord avec la décision de la Cour fédérale, le demandeur, M. Jacob, envoie la présente demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ». Il citait les documents suivants, joints à la lettre :

a)         Formulaires de demande remplis IMM 5001 et IMM 5283, dont l’un contenait les renseignements supplémentaires sur les motifs d’ordre humanitaire. Dans ces documents, le demandeur a souligné que, depuis novembre 2006, il avait travaillé comme aide familial pour M. Thomas, qui est grabataire, et pour l’épouse de ce dernier, qui est invalide. Il écrit qu’il était attaché [traduction] « à cette famille comme si elle était la mienne » et qu’il ne serait pas juste de les quitter, car ils ont besoin d’aide. Le demandeur a aussi expliqué qu’il était un aide familial professionnel et il décrivait ce qui l’attendait en Inde en matière de perspectives d’emploi, de conditions de travail, de rémunération et d’expérience.

 

b)         Au soutien de sa demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le demandeur a répondu à la question suivante : « Expliquez les raisons d’ordre humanitaire qui vous empêchent de quitter le Canada » :

[traduction]

J’ai demandé à obtenir le statut de résident permanent à titre d’aide familial, ma demande a été refusée au motif que je ne suis pas entré au Canada en cette qualité. Conformément à la décision de la Cour fédérale, je demande ici que l’on veuille bien me dispenser de cette exigence. Je voudrais rester au Canada et y travailler comme aide familial pour la famille (mon ancienne employeuse) dont l’un des membres est grabataire et l’autre invalide; une lettre de l’épouse est annexée, de même qu’une lettre de leur médecin de famille. Je n’ai aucune perspective d’emploi en Inde et ma famille n’a pas les moyens de financer une entreprise pour moi.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

c)         En réponse à la question : « Si vous sollicitez une dispense, prière d’indiquer clairement la dispense en question », le demandeur a écrit :

[traduction]

J’ai demandé le statut de résident permanent au titre de la catégorie des aides familiaux (le Programme AFR). Cependant, ma demande (approuvée au départ) a été refusée parce que je ne suis pas entré au Canada en tant qu’aide familial. La lettre de refus précise que je ne suis pas membre de la catégorie selon la description apparaissant à l’article 112 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, et selon ce qu’exige l’article 115 de ce même Règlement. Je demande à être dispensé de la condition qui m’obligeait à entrer au Canada en tant qu’aide familial pour pouvoir solliciter le statut de résident permanent au titre de la catégorie des aides familiaux.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[14]           Le demandeur a joint les documents suivants :

a)         Une lettre du 24 novembre 2010 de Mme Alamma Thomas, où elle écrivait que le demandeur est le principal fournisseur de soins de son mari, qui est paralysé et grabataire; elle y faisait état de ses propres besoins, étant âgée de 75 ans et devenue invalide après un accident de voiture. Elle faisait observer que, depuis qu’il a subi un AVC, son mari n’est plus en mesure de s’exprimer clairement et s’exprime principalement dans sa langue indienne maternelle, ce qui permet au demandeur de communiquer avec lui et de comprendre ses besoins.

 

b)         Une lettre du 8 décembre 2010 du médecin de famille des Thomas, où il évoque leur état de santé, en insistant sur leurs besoins particuliers et leurs contraintes linguistiques, et en soulignant l’importance pour eux que le demandeur demeure leur principal fournisseur de soins afin qu’ils puissent continuer de recevoir le niveau de soins dont ils ont besoin pour vivre au quotidien.

 

c)         Une lettre de l’Église syrienne orthodoxe St Thomas faisant état de l’engagement du demandeur dans cette communauté.

 

d)         Une lettre de la Banque Royale.

 

III. La décision contestée

 

[15]           Le 8 août 2011, l’agent Harmon a refusé la demande de résidence permanente de M. Jacob. Dans ses motifs, sous la rubrique intitulée [traduction] « Facteurs présentés pour examen », il écrivait : [traduction] « Dispense au titre du PAFR, établissement au Canada et difficultés qu’il rencontrerait s’il retournait en Inde ».

 

 

[16]           Sous la rubrique [traduction] « Niveau d’établissement démontré », l’agent a exposé les détails de l’emploi du demandeur au Canada, et il a fait état de la lettre du médecin de famille et de celle de l’église.

 

[17]           L’agent a écrit ce qui suit, en guise d’introduction à son analyse :

[traduction]

Le demandeur voudrait être dispensé, pour des raisons d’ordre humanitaire ou d’intérêt public, de l’exigence de sélection à partir du Canada, afin de faciliter le traitement de sa demande de résidence permanente depuis le Canada même. Il appartient au demandeur de convaincre le décideur que sa situation personnelle est telle que les difficultés pour lui d’obtenir un visa de résident permanent depuis l’étranger, de la manière ordinaire, seraient i) inhabituelles et injustifiées, et ii) excessives.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[18]           Puis l’agent a écrit :

[traduction]

Les motifs d’ordre humanitaire invoqués par le demandeur sont fondés sur son niveau d’établissement au Canada et sur les difficultés qu’il rencontrerait s’il retournait en Inde. Le demandeur voudrait être dispensé d’une des exigences d’appartenance à la catégorie des aides familiaux.

 

[…]

 

Le demandeur écrit sur le formulaire IMM 5283 daté du 23 janvier 2010 (sic) qu’il voudrait être dispensé de la condition l’obligeant à entrer au Canada en tant qu’aide familial et pouvoir demander le statut de résident permanent au titre de la catégorie des aides familiaux. Il écrit aussi qu’il voudrait rester au Canada et travailler comme aide familial pour son ancienne employeuse, et il voudrait que cet engagement soit pris en compte.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]           L’agent a pris note de l’affirmation du demandeur selon laquelle il est actuellement sans travail et habite depuis février 2010 chez son ancienne employeuse, qui subvient à ses besoins comme cela est attesté par une lettre de soutien.

 

[20]           L’agent a ensuite pris note de la réponse du demandeur à la question le priant d’expliquer les motifs d’ordre humanitaire qui l’empêchaient de quitter le Canada, et il a écrit ce qui suit :

[traduction]

Je reconnais que le demandeur aide la famille Thomas en tant qu’aide familial. Cependant, le demandeur n’a nullement prouvé qu’Alamma Thomas et son mari Koshy Thomas ne seraient pas en mesure d’obtenir des soins autrement ou seraient privés de soins si le demandeur quittait le Canada. J’observe qu’aucune preuve n’a été apportée montrant le niveau d’interdépendance ou montrant que les Thomas subiraient un préjudice physique ou affectif durable si le demandeur retournait en Inde. Je reconnais que le demandeur a développé un lien très fort avec la famille Thomas, mais rien ne prouve que cette proximité ne pourrait pas être maintenue. J’observe que les rapports d’amitié ne sont pas empêchés par les frontières géographiques, et qu’il y a des méthodes par lesquelles le demandeur et les Thomas pourraient continuer de communiquer.

 

Je reconnais que, par le passé, le demandeur a joué un rôle comme employé et aide familial pour ce couple de personnes âgées, mais je ne suis pas persuadé que le couple serait entièrement privé des soins ou des soutiens nécessaires pour combler leurs besoins de base. Selon moi, la preuve est insuffisante et le demandeur n’a donc pas établi que la rupture de ces liens aurait des conséquences négatives importantes telles qu’il en résulterait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives, auquel cas une dispense au titre de considérations humanitaires serait justifiée.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[21]           L’agent a ensuite analysé l’établissement du demandeur au Canada, et les difficultés que lui causerait une obligation de quitter le Canada, où il est arrivé en septembre 2005 comme étudiant. Il a écrit que le demandeur avait occupé un emploi rémunérateur de novembre 2006 au 10 février 2010 comme aide familial et qu’il avait su gagner la confiance de son employeuse, qui lui avait offert l’hébergement gratuit, qu’il n’avait jamais recouru à l’aide sociale et qu’il dispose d’économies suffisantes. L’agent a fait état de la lettre de recommandation fournie par l’Église. Au sujet du retour du demandeur en Inde, l’agent a examiné les observations du demandeur. Il a écrit ce qui suit :

[traduction]

Je reconnais que le demandeur justifie d’un certain niveau d’intégration et d’établissement après avoir résidé au Canada durant environ six ans. Je relève qu’il a aussi été en mesure d’atteindre un niveau d’établissement en Inde. Avant de venir au Canada, il a bénéficié de 15 années d’éducation formelle, il a obtenu un baccalauréat en sciences et il a occupé un emploi rémunérateur en Inde comme aide familial, au Kripa Bhavan (foyer pour personnes âgées Gill Gal). Compte tenu de ses études et de son expérience, j’ai du mal à croire que le demandeur ne serait pas en mesure de se réinstaller en Inde ou de subvenir à ses propres besoins dans ce pays. Je reconnais qu’il réside au Canada depuis septembre 2005 et qu’il devra consentir à des ajustements pour reconstruire sa vie en Inde, mais quand il est arrivé au Canada, il avait déjà vécu en Inde jusqu’à l’âge de 22 ans – il connaît donc bien la langue, les coutumes et la culture de ce pays. Je constate que le demandeur a en Inde des proches qui seront sans doute en mesure de faciliter sa réadaptation. Je ne suis pas persuadé que la preuve produite démontre qu’il ne serait pas en mesure de se réinstaller en Inde ou qu’il serait totalement privé de soutien en Inde.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[22]           L’agent a conclu ainsi :

[traduction]

J’ai examiné toute l’information concernant cette demande de dispense. Après examen attentif des motifs invoqués par le demandeur pour obtenir une dispense, je ne crois pas qu’ils constituent des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Par conséquent, je ne suis pas persuadé qu’il existe des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour que soit approuvée cette demande de dispense.

 

IV. L’affidavit du demandeur

[23]           Au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur a fait un affidavit, au sujet duquel il n’a pas été contre-interrogé :

1.                  Le contexte général évoqué dans l’introduction des motifs en cause, plus précisément :

                                                              i.      le fait qu’il est arrivé au Canada à la faveur d’un visa d’étudiant en septembre 2005, qu’il a commencé ses études, mais que, après trois mois, le collège a fermé ses portes, ce qui l’a forcé à abandonner son programme d’études;

                                                            ii.      le fait qu’il a répondu à l’annonce publiée dans les journaux par Mme Thomas, qui cherchait un aide familial pour son mari;

                                                          iii.      le fait que, lorsqu’il a présenté sa demande de permis de travail, accompagnée d’un AMT favorable, il n’avait aucune idée des exigences du PAFR, ni ne savait qu’il devait présenter sa demande depuis l’étranger;

                                                          iv.      le fait qu’il ne comprenait pas le sens de la note inscrite dans les permis de travail délivrés, selon laquelle les permis n’étaient pas délivrés en vertu du PAFR;

                                                            v.      le fait que, à partir de ce malentendu, il a demandé le statut de résident permanent en vertu de ce programme, étant donné qu’il avait travaillé au Canada durant trois ans à la faveur des permis de travail valides et qu’un conseiller l’avait à tort informé qu’il était admissible à la résidence permanente au titre du PAFR;

                                                          vi.      le fait que CIC a commis une erreur en l’avisant d’abord qu’il était admissible;

                                                        vii.      le fait qu’il n’a jamais été convoqué à une entrevue.

 

V. Le cadre légal

[24]           L’expression « aide familial » est définie ainsi à l’article 2 du RIPR :

« aide familial » Personne qui fournit sans supervision des soins à domicile à un enfant, à une personne âgée ou à une personne handicapée, dans une résidence privée située au Canada où résident à la fois la personne bénéficiant des soins et celle qui les prodigue.

“live-in caregiver” means a person who resides in and provides child care, senior home support care or care of the disabled without supervision in the private household in Canada where the person being cared for resides.

 

 

[25]           Pour appartenir à la catégorie des aides familiaux, il faut suivre un processus en deux étapes. Le candidat doit d’abord obtenir l’autorisation d’emploi nécessaire, puis avoir un AMT favorable.

 

[26]           Le paragraphe 113(1) du RIPR renferme d’autres dispositions régissant l’appartenance à la catégorie des aides familiaux.

113. (1) L’étranger fait partie de la catégorie des aides familiaux si les exigences suivantes sont satisfaites :

 

a) il a fait une demande de séjour au Canada à titre de résident permanent;

 

b) il est résident temporaire;

 

c) il est titulaire d’un permis de travail à titre d’aide familial;

 

d) il est entré au Canada à titre d’aide familial et, au cours des quatre ans suivant son entrée, il a, durant au moins deux ans, ou encore, durant au moins 3 900 heures réparties sur une période de vingt-deux mois ou plus :

 

(i) d’une part, habité dans une résidence privée au Canada,

 

(ii) d’autre part, fourni sans supervision, dans cette résidence, des soins à domicile à un enfant ou à une personne âgée ou handicapée;

 

e) ni lui ni les membres de sa famille ne font l’objet d’une mesure de renvoi exécutoire ou d’une enquête aux termes de la Loi, ni d’un appel ou d’une demande de contrôle judiciaire à la suite d’une telle enquête;

 

f) son entrée au Canada en qualité d’aide familial ne résulte pas de fausses déclarations portant sur ses études, sa formation ou son expérience;

 

g) dans le cas où l’étranger cherche à s’établir dans la province de Québec, les autorités compétentes de cette province sont d’avis qu’il répond aux critères de sélection de celle-ci.

 

113. (1) A foreign national becomes a member of the live-in caregiver class if

 

(a) they have submitted an application to remain in Canada as a permanent resident;

 

(b) they are a temporary resident;

 

(c) they hold a work permit as a live-in caregiver;

 

(d) they entered Canada as a live-in caregiver and for at least two of the four years immediately following their entry or, alternatively, for at least 3,900 hours during a period of not less than 22 months in those four years,

 

(i) resided in a private household in Canada, and

 

(ii) provided child care, senior home support care or care of a disabled person in that household without supervision;

 

(e) they are not, and none of their family members are, the subject of an enforceable removal order or an admissibility hearing under the Act or an appeal or application for judicial review arising from such a hearing;

 

(f) they did not enter Canada as a live-in caregiver as a result of a misrepresentation concerning their education, training or experience; and

 

(g) where they intend to reside in the Province of Quebec, the competent authority of that Province is of the opinion that they meet the selection criteria of the Province.

 

 

VI. Les positions des parties

            a) Position du demandeur

[27]           L’avocat de M. Jacob (qui n’était pas le même que celui qui avait déposé la demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire) soutient ce qui suit :

1.      Par sa demande de dispense, présentée en vertu de l’article 25 de la LIPR, le demandeur voulait être dispensé de l’une des exigences du PAFR, à savoir celle selon laquelle il devait au départ être entré au Canada en vertu du PAFR. Plus précisément, il voulait être dispensé de l’exigence de l’alinéa 113(1)d) du RIPR. Il demandait de rester au Canada afin de continuer de s’occuper de ses employeurs, dont l’un est grabataire et l’autre invalide.

2.      La Cour fédérale avait ordonné le réexamen de la demande de résidence permanente au Canada présentée au titre du PAFR, de sorte que l’avantage de la résidence permanente procuré par le PAFR était ainsi rouvert et le demandeur souhaitait être dispensé de l’obligation afin de faire partie de la catégorie des aides familiaux pour être admissible à cet avantage.

3.      Il a soulevé trois points :

                                                              i.      L’agent a-t-il rendu une décision déraisonnable en rejetant la demande de dispense visant la condition de l’article 113 du RIPR selon laquelle, pour faire partie de la catégorie des aides familiaux, il devait entrer au Canada à titre d’aide familial?

                                                            ii.      L’agent a-t-il commis une erreur de droit en faisant abstraction de la preuve?

                                                          iii.      La décision de l’agent est-elle insuffisamment motivée?

 

            b) Position du défendeur

[28]           L’avocate du défendeur affirme que M. Jacob voulait que sa demande de résidence permanente soit évaluée au titre de la catégorie des aides familiaux et être dispensé de la condition l’obligeant à entrer au Canada à titre d’aide familial, et en particulier de la condition énoncée dans l’alinéa 113(1)d) du RIPR.

 

[29]           Le défendeur affirme que le refus de l’agent était raisonnable. Selon lui, la dispense doit être justifiée par des difficultés qui seraient causées à M. Jacob, et non par des considérations se rapportant à d’autres personnes. Le défendeur soutient aussi que M. Jacob n’a pas demandé, ni n’a obtenu, un permis de travail au titre de la catégorie des aides familiaux et qu’il n’a donc pas été évalué depuis l’étranger. Le défendeur ajoute que, si M. Jacob était autorisé à demander le statut de résident permanent, il ne pourrait pas nécessairement justifier d’une expérience professionnelle suffisante.

 

VII. Analyse et conclusions

            a) Norme de contrôle

[30]           Je conviens avec le défendeur que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, car la décision de l’agent a trait à questions mixtes de droit et de fait. La Cour n’interviendra donc pas si la décision de l’agent appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

            b) Conclusions

[31]           Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision de l’agent est effectivement déraisonnable.

 

[32]           D’abord, selon un arrêt de la Cour suprême, Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, en matière d’interprétation des lois, les termes d’une loi doivent être interprétés d’une manière qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la loi concernée. Ce n’est pas ce qu’a fait l’agent. Il n’a pas tenu compte du fait que l’objet du régime réglementaire à la base du Programme des aides familiaux résidants consiste à encourager des gens à venir au Canada pour combler un vide dont souffre notre marché du travail et que, en échange de leur engagement à faire du travail domestique, les participants sont presque assurés d’obtenir le statut de résident permanent. Par cette erreur, l’agent a fait n’a pas tenu compte d’une considération pertinente.

 

[33]           Deuxièmement, il m’est impossible de souscrire à l’argument du défendeur selon lequel l’article 25 de la LIPR ne concerne que les difficultés que pourrait rencontrer le demandeur concerné (ou ses enfants). Le libellé de l’article 25 n’est pas ainsi restreint. Ce que le demandeur souhaitait, c’était d’être dispensé de la condition selon laquelle il devait être entré au Canada à titre d’aide familial. Il est entré au Canada légalement grâce à un visa d’étudiant, mais, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté, l’institution d’enseignement qu’il fréquentait a fermé ses portes. Il a donc demandé l’autorisation de devenir aide familial et l’autorisation lui a été accordée. Il a rempli ses obligations suivant le RIPR, puis a été informé qu’il remplissait les conditions d’admissibilité au statut de résident permanent. En bref, l’agent a commis une erreur en traitant la demande de M. Jacob comme s’il s’agissait d’une simple demande de dispense de l’obligation de demander depuis l’étranger le statut de résident permanent au Canada. Le demandeur voulait obtenir depuis le Canada le statut de résident permanent parce que c’est ce à quoi il avait droit en tant qu’aide familial, mis à part qu’il était entré légalement au Canada, mais à titre d’étudiant.

 

[34]           Troisièmement, il est clair que l’agent n’a pas tenu compte de l’interdépendance de M. Jacob et des Thomas, et qu’il a notamment fait abstraction de la lettre de Mme Thomas et de la lettre du médecin.

 

[35]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent à l’égard de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen. Aucune question à certifier n’a été proposée.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5539-11

 

 

INTITULÉ :                                      JIJO JACOB c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 avril 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            LE JUGE LEMIEUX

 

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 novembre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Ronald Poulton

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Nimanthika Kaneira

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Poulton Law Office
Société professionnelle

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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