Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 


Date : 20121127

Dossier : IMM‑1838‑12

Référence : 2012 CF 1377

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

NNAEMEKA GODFREY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

       MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie, sous le régime du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), d’une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 3 février 2012 (la décision contrôlée) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Nnaemeka Godfrey tendant à se faire reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention au titre de l’article 96 de la Loi ou la qualité de personne à protéger au titre de son article 97.

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen nigérian de 34 ans. Il est entré au Canada en 2001 pour étudier à l’Université de la Saskatchewan. Son oncle, qui résidait au Canada à l’époque, s’est porté répondant pour lui aux fins de ses études. Cet oncle est rentré au Nigeria en 2003. Le demandeur a achevé ses études en 2004 et s’est ensuite installé à Toronto, chez des amis qui subvenaient à ses besoins.

[3]               M. Godfrey a demandé l’asile le 13 mars 2011. L’audience de cette demande a été tenue le 16 décembre 2011. Du 13 au 15 du même mois, le demandeur a déposé quatre ensembles distincts de documents, dont une version modifiée de l’exposé circonstancié de son Formulaire des renseignements personnels (FRP). Le FRP présente sa demande d’asile en détail.

L’exposé circonstancié du FRP

[4]               En 2008, l’oncle du demandeur a décidé de se lancer en politique au Nigeria. Quelques mois plus tard, la police nigériane l’arrêtait sous l’accusation d’être un bailleur de fonds du Mouvement pour la réalisation de l’État souverain du Biafra (le MASSOB). La tante du demandeur lui a dit au téléphone que son mari n’appartenait pas en réalité au MASSOB et que cette accusation n’était qu’un stratagème mis en œuvre par ses adversaires pour réprimer ses ambitions politiques. Depuis son arrestation, l’oncle du demandeur est détenu par les agents de la sûreté de l’État nigérian en un lieu secret.

[5]               Avant d’arrêter l’oncle du demandeur, les agents de l’État ont saccagé sa maison au Nigeria et y ont saisi des reçus de meubles, d’appareils électroniques et d’autres articles que le demandeur avait expédiés au Nigeria en 2003. Ils ont aussi posé à la tante du demandeur de nombreuses questions sur celui‑ci, présumant qu’il travaillait pour le MASSOB comme passeur de fonds étrangers.

[6]               Le demandeur, privé de l’aide de son oncle, s’est trouvé aux prises avec des difficultés pécuniaires au Canada. Il a téléphoné à ses parents au Nigeria pour leur dire qu’il voulait rentrer au pays, mais ils lui ont recommandé d’essayer de rester au Canada parce que la police et les agents de la sûreté de l’État le soupçonnaient de financer le MASSOB et s’attaqueraient à lui s’il revenait.

[7]               Les agents de l’État ont de nouveau interrogé la tante du demandeur en décembre 2010. Ils lui ont posé des questions sur ce dernier, cherchant à savoir s’il projetait de revenir au Nigeria. Par suite, le demandeur craint, s’il rentrait dans son pays, d’y être arrêté et emprisonné comme son oncle.

L’audience devant la SPR

[8]               La SPR a instruit la demande d’asile de M. Godfrey le 16 décembre 2001. Elle lui a demandé à l’audience pourquoi il avait produit une version augmentée de son FRP, à quoi il a répondu qu’il voulait [TRADUCTION] « y ajouter certaines choses [...] [qu’il] estimai[t] nécessaire d’y voir figurer ». À la question de savoir pourquoi il avait tant tardé à modifier son FRP, il a répondu qu’il voulait fournir des explications supplémentaires et qu’il n’avait appris certains faits pertinents que plus tard. Par exemple, a‑t‑il déclaré, il n’avait été informé de l’interrogatoire subi par sa tante qu’en décembre 2010, deux ou trois semaines avant l’audience : il ne lui parlait pas souvent à cause de l’état défectueux des lignes téléphoniques.

[9]               Le demandeur a expliqué qu’il n’avait pas fait mention dans la première version de son FRP de la saisie par les agents de l’État des reçus afférents aux meubles qu’il avait achetés pour son oncle parce qu’il n’avait appris que plus tard que c’était là la raison pour laquelle les autorités nigérianes le croyaient impliqué dans les activités du MASSOB. La SPR a demandé à M. Godfrey des précisions sur la manière dont il avait expédié les meubles en question de Saskatoon au Nigeria. Il a répondu qu’il avait un ami qui s’occupait de transport de marchandises, mais lorsqu’on lui a demandé de produire des récépissés à cet égard, il n’a pu en fournir aucun. La SPR a aussi demandé à M. Godfrey pourquoi des reçus relatifs à des meubles le feraient soupçonner par qui que ce soit d’être un bailleur de fonds du MASSOB, étant donné en particulier qu’il aurait été possible de vérifier si ces meubles avaient franchi les douanes. Le demandeur a répondu qu’il y avait à cela deux raisons : les autorités nigérianes ont désigné le Canada comme un pays où des fonds considérables sont collectés pour le MASSOB et, étant donné qu’il est presque un fils pour son oncle, lesdites autorités devaient simplement le supposer engagé dans les mêmes activités que lui, quelles qu’elles soient.

[10]           La SPR désirant savoir pourquoi il n’avait pas demandé l’asile en 2008, M. Godfrey a répondu qu’il avait d’abord pensé que son oncle serait relâché, de sorte qu’il ne se faisait pas de souci pour lui-même. Il ne pensait pas que sa vie était en danger à ce moment. Sa famille lui a recommandé de ne pas rentrer dans le courant de 2009, a‑t‑il poursuivi, mais il ne craignait toujours pas pour sa vie à cette époque. C’est en 2010, après l’interrogatoire de la femme de son oncle, qu’il a commencé à craindre que la police ne l’arrête s’il rentrait au Nigeria. Le demandeur a ajouté que son père avait été arrêté en 2011 pour s’être enquis du sort de son oncle. La SPR a fait observer qu’elle trouvait étrange que ce fait ne figure pas dans le FRP du demandeur.

[11]           Le 3 février 2012, la SPR a rejeté la demande d’asile de M. Godfrey.

LA DÉCISION CONTRÔLÉE

[12]           La SPR a rejeté la demande d’asile de M. Godfrey au motif que le dépôt tardif de celle‑ci lui paraissait infirmer sa crédibilité.

[13]           La SPR a reconnu que la lenteur à déposer une demande d’asile ne règle pas toujours le sort de cette demande, mais en ajoutant qu’un tel retard peut jouer un rôle décisif s’il n’en est pas fourni d’explication raisonnable. En l’espèce, étant donné le caractère considérable du retard et la situation du demandeur, la SPR n’a pas estimé raisonnable l’explication que ce dernier avait proposée de sa lenteur à agir. Elle a ajouté que le demandeur aurait pu produire, sous forme d’affidavits ou de lettres, des éléments corroborant les renseignements qu’il affirmait avoir reçus du Nigeria, mais qu’il n’en avait rien fait.

[14]           Le demandeur est arrivé au Canada le 1er septembre 2001, et son visa a expiré en avril 2004. Or, il a attendu jusqu’en mars 2011 pour déposer une demande d’asile. À la question de savoir pourquoi il avait attendu si longtemps pour demander l’asile, M. Godfrey a simplement répondu qu’il ne croyait pas en avoir besoin.

[15]           Interrogé sur les raisons pour lesquelles il n’avait pas cherché à se renseigner sur son statut avant le dépôt de sa demande d’asile, M. Godfrey a invoqué sa crainte d’être expulsé. Lorsque la SPR lui a demandé pourquoi il n’avait pas essayé de trouver sur Internet des renseignements relatifs à l’asile, il lui a répondu que ses amis s’occupaient de lui. La SPR a rejeté cette explication, l’estimant déraisonnable. Elle a conclu que M. Godfrey n’avait cherché aucune aide pour le dépôt d’une demande d’asile entre 2004 et mars 2011. Étant donné le niveau d’instruction du demandeur, la SPR se serait attendue à le voir exercer plus de diligence en vue d’obtenir le statut de réfugié.

[16]           La SPR a conclu que, suivant la prépondérance des probabilités, le demandeur n’avait pas fourni d’explication raisonnable de sa lenteur à agir. La lenteur à agir est considérée comme un facteur important dans l’appréciation de la crédibilité et de la crainte subjective des demandeurs d’asile. Les sept années que M. Godfrey a laissées passer avant de demander l’asile constituent un retard considérable, qui incite à douter de sa crédibilité. Voir Mesidor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1245; et Espinosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324.

[17]           La SPR a cité la décision Williams c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 793 [Williams], à l’appui du principe que le retard à agir peut se révéler déterminant lorsque les explications du demandeur d’asile, « considérées dans le contexte de l’ensemble de la preuve non corroborée, justifi[ent] le rejet de sa demande par la Commission ». La SPR a repoussé l’explication donnée par M. Godfrey de son retard à agir et elle a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention comme celle de personne à protéger.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[18]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables à la présente instance :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[…]

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au  sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[…]

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

[…]

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning ­ of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or  incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

[…]

 

LA QUESTION EN LITIGE

[19]           Le demandeur met la question suivante en litige :

a.                   La conclusion de la SPR sur sa crédibilité est-elle raisonnable?

LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[20]           La Cour suprême du Canada a posé en principe dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer dans chaque cas une analyse exhaustive pour déterminer la norme de contrôle qui convient. Lorsque la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à la question dont elle est saisie, la cour de révision peut l’adopter sans autre examen. C’est seulement lorsque sa recherche dans la jurisprudence se révèle infructueuse qu’elle doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui définissent la norme de contrôle appropriée.

[21]           La norme de contrôle applicable à la question ici en litige est celle du caractère raisonnable. Il est de droit constant que les conclusions de la SPR sur la crédibilité relèvent de cette norme. Voir Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF); Elmi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 773, paragraphe 21; et Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 929, paragraphe 17.

[22]           La cour qui contrôle une décision suivant la norme du caractère raisonnable doit se rappeler dans son analyse que ce caractère « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, paragraphe 47; et Canada (Citoyenneté et Immigrationc Khosa, 2009 CSC 12, paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision contrôlée se révèle déraisonnable au sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Le demandeur

 

 

[23]           Le demandeur soutient que la conclusion de la SPR sur sa crédibilité est déraisonnable. La SPR a fondé son analyse de la question du retard à agir sur les sept années écoulées de 2004 à 2011, alors que le demandeur lui avait expliqué que c’était seulement en décembre 2010 qu’il avait commencé à craindre pour sa personne s’il rentrait au Nigeria.

[24]           Le demandeur a expliqué à la SPR qu’il ne pensait pas que son retour au Nigeria mettrait sa vie en danger avant d’apprendre qu’on avait interrogé sa tante en décembre 2010 pour savoir où il se trouvait. La SPR n’a pas pris en considération cette explication fournie par le demandeur et l’a tout simplement rejetée. Il s’ensuit, soutient le demandeur, que la décision contrôlée est déraisonnable.

Le défendeur

            La conclusion sur la crédibilité est raisonnable

[25]           Le défendeur soutient que la conclusion de la SPR sur la crédibilité du demandeur est raisonnable, étant donné les erreurs, omissions et contradictions qui entachaient ses déclarations :

a.                   Le demandeur a écrit dans son FRP que ses ennuis avaient commencé [TRADUCTION] « dans le courant de 2003 », pour affirmer ensuite que son oncle s’était lancé en politique en 2008.

b.                  Le demandeur a déposé quatre ensembles distincts de documents, y compris une version modifiée de son FRP, dans les trois jours qui ont précédé l’audience de sa demande d’asile. À cette audience, la SPR a formulé des observations à ce sujet, s’étonnant de ce que l’exposé circonstancié de M. Godfrey eût [TRADUCTION] « changé considérablement » et se demandant pourquoi il avait mis [TRADUCTION] « si longtemps » à modifier son FRP. Elle lui a aussi demandé pourquoi il avait omis certains faits dans la première version de son exposé circonstancié.

c.                   Le demandeur aurait pu faire corroborer les renseignements qu’il affirmait avoir reçus du Nigeria, mais il ne l’a pas fait.

d.                  M. Godfrey n’a pas fourni à la SPR d’explication raisonnable de son retard à demander l’asile.

 

[26]           Le défendeur fait valoir que la SPR était fondée à rejeter la demande d’asile de M. Godfrey après avoir conclu qu’il n’avait pas donné d’explication raisonnable de son retard à agir. La SPR a pris acte de l’affirmation de M. Godfrey selon laquelle il n’avait pas demandé l’asile plus tôt parce qu’il ne craignait pas de rentrer au Nigeria avant que parents ne l’en aient dissuadé; cependant, elle n’était pas tenue d’accepter cette explication. La SPR, rappelle le défendeur, a souligné le niveau d’instruction du demandeur et fait observer qu’il aurait pu chercher conseil avec plus de diligence.

[27]           Le défendeur fait valoir que la Cour suprême du Canada a affirmé au paragraphe 15 de Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, que la cour de révision peut, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat. Or, étant donné le dossier produit devant elle, la SPR a agi raisonnablement en rejetant la demande d’asile de M. Godfrey.

[28]           Le défendeur rappelle en outre qu’il n’est pas nécessaire que chaque élément du raisonnement exposé dans la décision contrôlée, pris isolément, remplisse le critère du caractère raisonnable; voir Barreau du Nouveau‑Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20, paragraphe 56; Corona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 174, paragraphes 29 à 31; et Gan c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1329, paragraphes 16 et 17. La SPR s’est appuyée sur la décision Williams, précitée, où un retard de deux ans s’était révélé suffisant pour justifier le rejet de la demande d’asile, dans le contexte d’une crédibilité globalement mise en doute. Il était raisonnable de la part de la SPR de rejeter la demande d’asile de M. Godfrey au motif de son retard à agir, quelle qu’en soit la durée.

[29]           Étant donné le dossier dont elle disposait – qui comprenait notamment la transcription de l’audience et le FRP avec ses omissions –, la SPR a agi raisonnablement en déboutant le demandeur d’asile, soutient le défendeur; la conclusion de la SPR sur la crédibilité de M. Godfrey est raisonnable, tout comme la décision contrôlée dans son ensemble.

ANALYSE

 

[30]           Le retard à demander l’asile a joué un rôle important dans la décision de la SPR, comme l’atteste le passage suivant :

7.         Le retard dans la présentation d’une demande d’asile ne constitue pas toujours un facteur déterminant pour une revendication du statut de réfugié. Toutefois, il existe des circonstances, fondées sur l’incapacité du demandeur d’asile à expliquer ce retard de manière satisfaisante, où ce facteur peut jouer un rôle décisif.

 

8.         Le demandeur d’asile est arrivé au Canada le 1er septembre 2001 et a été autorisé à demeurer au Canada, muni d’un visa d’étudiant, pour fréquenter un établissement scolaire. Il a attendu plus de sept ans à compter d’avril 2004 pour présenter une demande d’asile. Questionné à savoir pourquoi il a attendu si longtemps avant de présenter une demande d’asile au Canada, il a répondu qu’il n’en voyait simplement pas la nécessité à l’époque.

 

9.         Le demandeur d’asile a également déclaré que ce n’est qu’après avoir parlé à ses parents au Nigeria qu’il a compris qu’il ne pouvait pas retourner dans son pays. Il a donc décidé de présenter une demande d’asile.

 

10.       Le demandeur d’asile aurait pu faire valider l’information qu’il soutient avoir reçue d’une personne du Nigeria, au moyen de lettres ou d’affidavits de membres de sa famille ou d’amis. Questionné quant à savoir pourquoi il ne s’était pas présenté à un bureau d’Immigration Canada pour se renseigner au sujet de son statut, il a répondu qu’il craignait d’être expulsé. Lorsqu’il lui a été demandé pourquoi il n’a pas essayé de se renseigner par Internet pour savoir comment présenter une demande d’asile au Canada, il a répondu qu’il était logé et nourri par des amis et que ces derniers lui prêtaient de l’argent à l’occasion. Le tribunal rejette cette explication, qu’elle ne juge pas raisonnable. Le demandeur d’asile n’a produit, ni dans son témoignage de vive voix ni dans sa preuve documentaire, aucun élément de preuve permettant de confirmer l’allégation voulant qu’entre septembre 2004 et mars 2011, il ait demandé un avis juridique à des avocats ou à des consultants en immigration sur la façon de présenter une demande d’asile au Canada.

 

11.       Le tribunal n’accepte pas la raison donnée par le demandeur d’asile pour expliquer pourquoi il n’a pas présenté une demande d’asile entre 2004 et 2011. Le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’a pas demandé l’aide d’un avocat ou d’un consultant entre 2004 et 2011 afin de savoir s’il remplissait les conditions requises pour présenter une demande d’asile. Le demandeur d’asile a 11 ans de scolarité. Le tribunal se serait attendu à ce qu’il fasse preuve de plus de diligence afin d’obtenir des conseils pour présenter sa demande d’asile en temps opportun.

 

12.       Pour tous les motifs susmentionnés, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’a pas expliqué de manière satisfaisante pourquoi il a tardé à présenter sa demande d’asile.

 

13.       La Cour fédérale a statué que le retard à présenter une demande d’asile constitue un facteur important dans l’évaluation de la crédibilité et de la crainte subjective d’un demandeur d’asile. Il est raisonnable de supposer que les personnes qui craignent avec raison d’être persécutées tenteront de demander l’asile dans un délai raisonnable. En l’espèce, le retard est tel – plus de sept ans – qu’il mine la crédibilité du demandeur d’asile ainsi que son allégation selon laquelle il serait exposé à un préjudice grave à son retour au Nigeria.

 

 

[31]           Le juge David Near a eu l’occasion de récapituler et d’appliquer la jurisprudence de notre Cour concernant le retard à agir aux paragraphes 19 à 25 de la récente décision Garcia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 412 (CanLII) :

Le fait de tarder à présenter une demande d’asile « n’est pas un facteur déterminant en soi », mais c’est « un élément pertinent dont le tribunal peut tenir compte pour apprécier les dires ainsi que les faits et gestes d’un revendicateur » (Huerta c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 NR 225, [1993] ACF n° 271 (CA)). Il est raisonnable de penser que les demandeurs présenteraient une demande d’asile à la première occasion possible (voir la décision Jeune c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 835, [2009] ACF n° 965, au paragraphe 15).

 

La jurisprudence récente donne aussi à penser que, bien que la lenteur à déposer une demande d’asile ne soit pas déterminante, elle « peut, dans les cas appropriés, constituer un motif suffisant de rejet de la demande » (Duarte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 988, [2003] ACF n° 1259, au paragraphe 14). Sans une explication satisfaisante du demandeur pour justifier sa lenteur à agir, la demande d’asile « peut être déclarée irrecevable, même si les allégations de son auteur sont jugées par ailleurs crédibles » (Velez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 923, [2011] ACF n° 1138, au paragraphe 28).

 

La Commission a donné à entendre que le retard de dix-neuf mois dans le cas présent rendrait les demandes d’asile irrecevables, mais elle soulevait ensuite plusieurs autres points intéressant la crédibilité des demandeurs, notamment le caractère évasif des témoignages et l’absence de documents corroborants. Il ressort du reste de la décision de la Commission que la lenteur des demandeurs à agir était un facteur important, mais qu’elle n’était certainement pas la seule raison pour laquelle la Commission avait tiré une conclusion défavorable quant à leur crédibilité. La Commission a souligné que c’était « pour tous ces motifs » que ses conclusions touchant les demandeurs étaient justifiées.

 

En conséquence, le précédent invoqué par les demandeurs, Juan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 809, [2006] ACF n° 1022, au paragraphe 11, n’est guère pertinent. Dans cette affaire‑là, la juge Eleanor Dawson avait trouvé une faille dans le raisonnement de la Commission, estimant « que la conclusion que la Commission [avait] tirée au sujet du retard ne saurait à elle seule justifier la confirmation de son rejet de la demande ». Ici en revanche, les doutes de la Commission à propos du récit des demandeurs résultaient de leur lenteur à agir, ce à quoi s’ajoutaient d’autres facteurs pertinents. En outre, la jurisprudence plus récente susmentionnée donne à penser qu’il y a des cas où la lenteur à agir suffira à rendre la demande d’asile irrecevable.

 

Vu les doutes de la Commission sur la crédibilité des demandeurs, il était raisonnable également pour la Commission de les inviter à lui présenter des preuves documentaires corroborantes. C’était l’un de plusieurs facteurs ayant influé sur l’évaluation de leurs demandes d’asile. Comme le souligne le défendeur, les facteurs touchant la crédibilité des demandeurs étaient les suivants : leur lenteur à présenter leurs demandes d’asile, leur peu d’empressement à obtenir les documents nécessaires, enfin leurs réponses évasives à des questions qui les concernaient.

 

Les demandeurs sont donc malvenus à invoquer la décision Ahortor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 FTR 137, [1993] ACF n° 705, au paragraphe 45, et la décision Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 974, [2007] ACF n° 1267, au paragraphe 9. Ces précédents donnent à penser que, en l’absence d’une preuve contradictoire, la Commission ne peut exiger d’un demandeur d’asile qu’il produise des preuves corroborantes et qu’elle ne peut conclure à l’absence de crédibilité du demandeur d’asile du seul fait qu’il ne produit pas les preuves en question.

 

Cependant, comme je l’expliquais plus haut, ce n’est pas ce qu’a fait la Commission lorsqu’elle a examiné les demandes d’asile dont il s’agit ici. La crédibilité des demandeurs était déjà un facteur laissant à désirer compte tenu de leur lenteur à agir et du caractère évasif de leurs réponses aux questions. Le défendeur a raison d’appeler l’attention de la Cour sur la décision JJW c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 793, [2009] ACF no 915, aux paragraphes 24 à 26, qui portait sur la lenteur de la demanderesse à agir. On peut lire dans ce précédent que « ses explications, considérées dans le contexte de l’ensemble de sa preuve non corroborée, justifiaient le rejet de sa demande par la Commission ».

 

 

[32]           Dans la présente espèce, la SPR a de fait attiré l’attention sur la non-production par le demandeur d’éléments corroborant le contenu de la conversation avec ses parents qui avait suscité ses craintes pour sa sécurité s’il rentrait au Nigeria. Le demandeur fait valoir qu’on trouvait des éléments corroborants dans les affidavits de sa mère et de sa tante, mais ces éléments ne confirment pas l’attention répressive particulière dont il aurait fait l’objet et qui jouait un rôle si important dans son argumentation. Même si le demandeur bénéficie d’une présomption de véracité, il n’était pas déraisonnable de la part de la SPR de s’attendre à la production d’éléments documentaires sous forme d’affidavits ou de lettres de parents et d’amis, étant donné les doutes que suscitait déjà chez elle le dépôt tardif de la demande d’asile. Bref, M. Godfrey n’avait pas essayé de produire d’éléments confirmant l’événement déclencheur qui l’avait amené à demander l’asile en mars 2011, alors même qu’il lui aurait été facile de le faire.

[33]           La SPR continue ensuite à se demander pourquoi M. Godfrey n’a pas cherché à obtenir l’asile entre 2004 et 2011. La raison me paraît en être qu’elle n’accepte pas ses déclarations selon lesquelles un événement déclencheur se serait produit en 2010. Par conséquent, elle prend en considération la totalité du temps passé au Canada avant le dépôt de la demande d’asile et fonde sur cette durée son rejet de ladite demande.

[34]           On peut lire ce qui suit au paragraphe 17 de la décision contrôlée : « Compte tenu du délai important qui s’est écoulé avant la présentation de la demande d’asile, soit sept ans, et du fait que je n’accepte pas les explications du demandeur d’asile au sujet de ce retard excessif, je conclus que le demandeur d’asile n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. »

[35]           À l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur a soutenu que la SPR avait commis une erreur à cet égard, au motif qu’elle avait apprécié sa crédibilité et sa crainte subjective en fonction de toute la période de 2004 à 2011, quand la preuve montre qu’il n’avait aucune raison de croire que son retour au Nigeria le mettrait en danger avant 2008 au plus tôt, c’est‑à‑dire avant que ne commencent les ennuis de son oncle.

[36]           La SPR rejette les déclarations par lesquelles M. Godfrey a tenté d’expliquer pourquoi il avait attendu jusqu’en 2011 pour demander l’asile, au motif de l’absence d’éléments corroborant ce que lui auraient dit ses parents ou d’autres membres de sa famille à l’époque considérée. Le demandeur se voit en conséquence tenu de justifier le temps écoulé entre son arrivée au Canada en 2004 et le dépôt de sa demande d’asile. Il fait maintenant valoir que la preuve montre qu’il n’avait aucune raison d’avoir peur de rentrer au Nigeria avant 2008, c’est‑à‑dire avant le moment où son oncle a été pris pour cible en raison de ses activités politiques. Cependant, comme il ressort à l’évidence de la décision contrôlée, la SPR « n’accepte pas la raison donnée par le demandeur d’asile pour expliquer pourquoi il n’a pas présenté une demande d’asile entre 2004 et 2011 ». Autrement dit, elle rejette l’explication de M. Godfrey selon laquelle il n’avait pas besoin de demander l’asile avant que les autorités nigérianes n’aient pris son oncle pour cible. L’examen du dossier certifié du tribunal révèle que la SPR ne considérait pas le demandeur comme un témoin crédible, et – répétons‑le – elle a explicitement conclu dans la décision contrôlée qu’il n’avait pas fourni d’explication satisfaisante du fait d’avoir attendu si longtemps après 2004 pour présenter une demande d’asile. Étant donné tous les facteurs recensés par la SPR, je ne puis dire que cette conclusion soit déraisonnable. Non seulement M. Godfrey a tardé à demander l’asile, mais il n’a pas produit les éléments corroborants qu’il lui aurait été facile d’obtenir de sa famille et il s’est révélé incapable d’expliquer de manière satisfaisante les modifications de dernière minute apportées à son FRP. La SPR avait de bonnes raisons de mettre en doute son exposé circonstancié et l’explication qu’il donnait de son retard à agir.

[37]           En d’autres termes, je ne pense pas que la SPR accepte l’explication du demandeur qui établit un rapport entre sa situation au Canada et ce qui peut être arrivé à son oncle au Nigeria. C’est pourquoi elle « n’accepte pas la raison donnée par le demandeur d’asile pour expliquer pourquoi il n’a pas présenté une demande d’asile entre 2004 et 2011 ». Il aurait peut-être été préférable que la SPR justifie cette conclusion de manière plus détaillée, mais l’examen de l’ensemble de la décision contrôlée dans le contexte du dossier certifié du tribunal m’amène à conclure que ladite décision n’était pas déraisonnable à cet égard.

[38]           Les avocats des parties s’entendent pour dire qu’aucune question ne se prête ici à la certification, et la Cour souscrit à cette opinion.


JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE comme suit :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1838‑12

 

INTITULÉ :                                      NNAEMEKA GODFREY

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 23 octobre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 27 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dov Maierovitz                                                                       POUR LE DEMANDEUR

 

Leila Jawando                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Etienne Law Office                                                                POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

William F. Pentney                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.