T-47-91
E n t r e :
KATHLEEN S. MAPLESDEN,
demanderesse,
et
SA MAJESTÉ LA REINE, REPRÉSENTÉE PAR
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
défenderesse.
T-1134-90
E n t r e :
ALBION TRANSPORTATION RESEARCH TRANSPORTATION,
285614 ALBERTA LTD., et HENRY JOHN ALBERT MAPLESDEN,
alias JOHN HENRY ALBERT MAPLESDEN et
KATHLEEN SYLVIA MAPLESDEN,
demandeurs,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
défenderesse.
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE REED
[1] L'audition consécutive des actions T-47-91 et T-1134-90 devait commencer le 1er décembre 1997. Au commencement de l'audition de l'action T-47-91, il a été décidé qu'une ordonnance prescrivant l'audition simultanée des deux actions sur preuve commune devait être prononcée.
[2] L'action T-47-91 est un appel d'une décision par laquelle la Cour de l'impôt a jugé que la demanderesse était assujettie à l'impôt sur le revenu en raison d'un prêt d'actionnaire qu'elle avait reçu. Aucun arrangement n'avait été conclu de bonne foi pour que le prêt soit remboursé dans un délai raisonnable et le prêt n'avait pas été remboursé dans l'année suivant la fin de l'année d'imposition du créancier (voir le paragraphe 15(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu). L'action T-1134-90 est une demande fondée sur la négligence de la défenderesse, dans laquelle la demanderesse affirme que ce sont les actes du ministère du Revenu lui-même qui l'ont empêchée de rembourser le prêt. Elle réclame des dommages-intérêts qui correspondent au montant de l'impôt à payer. Les deux actions découlent de la même situation de fait. La plupart des faits ne sont pas contestés.
Les faits
[3] Le mari de la demanderesse, M. Maplesden, s'est trouvé engagé, en 1984, dans plusieurs entreprises qui se sont prévalues des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu relatives au crédits d'impôt pour la recherche scientifique. Plusieurs compagnies interreliées participaient à ces opérations. Les deux compagnies qui nous intéressent en l'espèce sont la 285614 Alberta Ltd. (la 614) et l'Albion Transportation Research Corporation (l'Albion). M. Maplesden possédait 51 pour 100 des actions de la compagnie 614 et Mme Maplesden en possédait 49 pour 100. La 614 était une compagnie de portefeuille et elle était propriétaire de toutes les actions de l'Albion. M. et Mme Maplesden n'avaient aucun lien de dépendance avec la 614 ou avec l'Albion.
[4] Le 30 octobre 1984, l'Albion a approuvé, par résolution, l'octroi d'un prêt de 750 000 $ à Mme Maplesden. Ce prêt était remboursable sur demande et devait être garanti au moyen d'un billet à ordre. Le 3 novembre 1984, l'Albion a versé la somme de 710 025 $ à Mme Maplesden, qui a signé en faveur de l'Albion un billet à ordre sur demande ne portant pas intérêt pour une somme de 750 000 $.
[5] L'argent a servi à acheter une maison, ainsi qu'environ 160 acres de terrain (la propriété de Priddis). Le prix d'achat de cette propriété était de 750 000 $. M. Maplesden a fourni la partie du prix d'achat qui excédait la somme de 710 025 $ qui avait été prêtée à Mme Maplesden par l'Albion. Cet excédent lui avait été avancé sous forme de prêt consenti par l'Albion Microelectronics Research Corporation Ltd. Cette compagnie était, comme l'Albion, une débitrice fiscale, ou l'est devenue par la suite.
[6] La propriété de Priddis a été acquise par Mme Maplesden, qui l'a fait enregistrer en son nom. C'est depuis lors sa résidence. Elle n'a jamais travaillé à l'extérieur de la maison et son seul élément d'actif important est la propriété de Priddis. Elle n'a pris aucune décision personnelle en ce qui concerne l'obtention du prêt ou l'achat de la propriété. Elle s'en remettait entièrement au jugement de son mari à cet égard.
[7] Le 16 novembre 1984, Revenu Canada a établi un avis de cotisation concernant l'impôt dû par l'Albion aux termes du paragraphe 195(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Aucun avis d'opposition à cette cotisation n'a ét é déposé.
[8] En juillet 1985, M. et Mme Maplesden et ceux qui les conseillaient ont envisagé la possibilité de transférer le titre de propriété de la propriété de Priddis de Mme Maplesden à la compagnie 614. Ce transfert de propriété n'a pas eu lieu, parce que Revenu Canada surveillait à l'époque les compagnies Albion relativement à une possible fraude fiscale (pièce 28, page 5).
[9] Le 27 août 1985, un certificat a été enregistré à la Cour fédérale en vertu de l'article 223 de la Loi de l'impôt sur le revenu pour attester que l'Albion devait le capital de 15 millions de dollars en impôts, ainsi que la somme de 1 368 835,62 $ en intérêts. Le même jour, un bref de fieri facias a été délivré relativement à ce certificat. Revenu Canada a réalisé un produit net de 3 391 659,01 $ par suite de la délivrance de ce bref et a affecté cette somme à la réduction des impôts dus par l'Albion.
[10] Le 23 septembre 1985, l'Albion a cédé à la compagnie 614 la créance qu'elle détenait envers Mme Maplesden. La compagnie 614 a convenu de payer sur demande à l'Albion une somme correspondant au montant de cette créance. Deux jours plus tard, une compagnie non liée, la 328095 Alberta Ltd., a accepté d'acheter toutes les actions de la compagnie 614 et d'assumer la dette contractée par la compagnie 614 envers l'Albion. Cet achat n'a toutefois pas eu lieu. La compagnie 614 est donc demeurée propriétaire de toutes les actions de l'Albion.
[11] Le 30 septembre 1985, Revenu Canada a établi à l'égard de Mme Maplesden une cotisation fiscale d'un montant de 750 000 $ pour l'année d'imposition 1984. Cette cotisation était fondée sur le paragraphe 160(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le même jour, un certificat a été enregistré à la Cour fédérale en vertu de l'article 223 de la Loi. Le 2 octobre 1985, un bref de fieri facias a été enregistré sur le titre de propriété que détenait Mme Maplesden sur la propriété de Priddis.
[12] L'avis de cotisation du 30 septembre 1985 portait :
[TRADUCTION]
La présente cotisation est établie en vertu des dispositions du paragraphe 160(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu et concerne le transfert opéré le 3 novembre 1984 d'Albion Transportation Research Corporation à Kathleen S. Maplesden de l'immeuble sis au 10, de la route rurale no 1, à Priddis, en Alberta dont voici la description légale : un terrain d'une superficie de 64,7 hectares situé sud-ouest 1/4, section 20, canton 22, rang 3 ouest du 5e méridien.
[Non souligné dans l'original.]
[13] Une faute de frappe a été commise. L'avis devait porter : [TRADUCTION] « concerne le transfert opéré le 3 novembre 1984 d'Albion de la somme nécessaire pour acheter l'immeuble [...] » L'hypothèse sous-jacente à cette cotisation était que le billet à ordre signé par Mme Maplesden était sans valeur.
[14] En tout état de cause, l'avis de cotisation qui a été délivré était manifestement erroné à sa face même, étant donné que la propriété de Priddis n'avait pas é té transférée de l'Albion à Mme Maplesden. La propriété avait été acquise d'un vendeur avec qui l'acquéresse n'avait aucun lien de dépendance.
[15] Voici les dispositions pertinentes de l'article 160 :
160.(1) Lorsqu'une personne a [...] transféré des biens, directement ou indirectement [...] de toute [...] façon,
[...]
à une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,
[...]
le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont conjointement et solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des deux montants suivants :
(i) la fraction, si fraction il y a, de la juste valeur marchande des biens à la date du transfert qui est en sus de la juste valeur marchande à cette date de la contrepartie donnée pour le bien, et
[...]
(2) Le Ministre peut, à une date quelconque, cotiser un bénéficiaire du transfert à l' égard de toute somme payable en vertu du présent article et les dispositions de la présente section s'appliquent mutatis mutandis à une cotisation faite en vertu du présent article comme si elle avait été faite en vertu de l'article 152.
[16] Le 16 octobre 1985, un avis d'opposition a été produit relativement à la cotisation qui avait été établie en vertu du paragraphe 160(2). Il a été souligné que la propriété de Priddis n'avait pas été transférée de l'Albion à Mme Maplesden et que le prêt était autorisé par le paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
[17] Le 18 octobre 1985, un avis de nouvelle cotisation concernant l'année d'imposition 1984 a été envoyé à Mme Maplesden. La nouvelle cotisation était fondée sur le fait qu'un avantage régi par les paragraphes 15(1) et 15(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu avait été reçu. L'impôt dû a été fixé à 371 954,18 $. Un avis d'opposition a été déposé relativement à cette cotisation. Il y était affirmé que la compagnie 614 n'avait versé aucun argent à Mme Maplesden et que le sous-alinéa 15(2)a)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu autorisait expressément la contribuable à contracter ce type d'emprunt. Le sous-alinéa 15(2)a)(ii) de la Loi de l'impôt sur le revenu permet à une compagnie de consentir un prêt pour permettre l'acquisition d'une habitation lorsque certaines conditions sont remplies. Une des deux conditions qui nous intéressent en l'espèce est que des arrangements aient été conclus de bonne foi au moment où le prêt est consenti pour que le prêt soit remboursé dans un délai raisonnable. Si cette condition est respectée, le prêt n'est pas considéré comme un revenu entre les mains du contribuable. L'autre condition exige que le prêt soit remboursé dans l'année suivant la fin de l'année d'imposition du créancier. Dans ce cas, le prêt ne fait pas non plus partie du revenu du contribuable.
[18] Les fonctionnaires de Revenu Canada ont eu de nombreuses discussions avec les représentants de M. Maplesden au sujet de la situation fiscale des diverses compagnies Albion. En ce qui concerne la situation de Mme Maplesden, ainsi qu'il a déjà été souligné, un avis d'opposition a été déposé le 16 octobre 1985. En outre, une lettre datée du 14 mars 1986 a été envoyée à Revenu Canada. À cette lettre étaient jointes des copies des documents pertinents. L'auteur de la lettre y soulignait que la propriété de Priddis n'avait jamais appartenu à l'Albion, mais que Mme Maplesden l'avait acquise d'un vendeur avec lequel elle n'avait aucun lien de dépendance.
[19] Le 9 juin 1988, Revenu Canada a établi un avis de nouvelle cotisation au sujet de l'impôt sur le revenu que Mme Maplesden devait payer pour l'année d'imposition 1984. L'impôt dû a été fixé à 342 101,53 $ dans la nouvelle cotisation, qui était fondée sur la réception par Mme Maplesden d'un avantage conféré à un actionnaire. Le même jour, la cotisation qui avait été établie en vertu du paragraphe 160(2) a été ramen ée à zéro. Le 10 juin 1988, le bref qui avait été enregistré relativement à la propriété de Priddis en vertu du paragraphe 160(2) a été radié et un nouveau bref d'un montant de 342 101,53 $ a été enregistré.
[20] Ainsi qu'il a déjà été mentionné, le paragraphe 15(2) énumère les conditions qui doivent être respectées pour qu'un avantage conféré à un actionnaire ne fasse pas partie de son revenu :
Lorsqu'une personne [...] est rattachée à un actionnaire d'une corporation donnée [...] et a reçu dans une année d'imposition un prêt consenti par une corporation donnée, [...] le montant du prêt ou de la dette doit être inclus dans le calcul du revenu, pour l'année [...] sauf
[...]
[...] si des arrangements ont été conclus de bonne foi, à la date à laquelle le prêt a été consenti ou la dette est survenue, pour que le prêt ou la dette soit remboursé dans un délai raisonnable; ou
b) si le prêt ou la dette a été remboursé dans l'année suivant la fin de l'année d'imposition du prêteur ou du créancier dans laquelle le prêt a été consenti ou la dette est survenue, et s'il est établi, à la suite d'événements postérieurs ou autrement, que le remboursement n'a pas été fait dans le cadre d'une série de prêts, de remboursements ou d'autres opérations.
(Non souligné dans l'original.)
[21] La demanderesse a interjeté appel de la cotisation devant la Cour de l'impôt. Cet appel a été rejeté le 11 décembre 1990. Dans cet appel, elle faisait valoir que le billet à ordre remboursable sur demande était un « arrangement conclu de bonne foi pour que le prêt soit remboursé dans un délai raisonnable ». À titre subsidiaire, elle affirmait que la dette avait été remboursée dans le délai prescrit par le paragraphe 15(2), étant donné que la créance de l'Albion avait été payée lors de la cession du prêt à la compagnie 614. La Cour a jugé ces moyens mal fondés. Elle a d'abord estimé, en ce qui concerne le premier moyen, que, bien qu'un billet à ordre puisse constituer un arrangement conclu de bonne foi en vue du remboursement d'un prêt, il ne satisfait pas à la condition voulant qu'il prévoie le remboursement « dans un délai raisonnable ». Un billet à ordre peut en effet durer indéfiniment. La Cour a jugé le second moyen mal fondé parce qu'elle a estimé que, lorsqu'on examine le paragraphe 15(2), la question qu'il convient de se poser n'est pas celle de savoir si l'on doit encore de l'argent au prêteur initial, mais bien celle
de savoir si la contribuable doit encore de l'argent relativement à l'emprunt qu'elle a contracté.
Annulation d'une cotisation fiscale pour des motifs tirés de l'equity?
[22] L'argument qui est invoqué devant moi est quelque peu différent de celui qui a été formulé devant la Cour de l'impôt. La demanderesse soutient en effet que c'est le ministère du Revenu national lui-même qui l'a empêchée de rembourser son emprunt et qui est à l'origine de sa dette fiscale. Elle affirme par conséquent qu'en equity, Revenu Canada ne devrait pas pouvoir percevoir l'impôt réclamé et que la cotisation devrait être annulée.
[23] Lorsque le bref délivré à l'égard de la propriété de Priddis a été enregistré pour la première fois, en octobre 1985, le délai de remboursement prescrit par l'alinéa 15(2)b) n'était pas expiré. La fin de l'exercice financier de l'Albion et de la compagnie 614 était le 31 août. L'argent avait été emprunté en novembre 1984. Ainsi, Mme Maplesden avait jusqu'au 30 août 1986 avant que le prêt ne soit considéré, selon l'alinéa 15(2)b), comme un revenu entre ses mains.
[24] L'avocat de la demanderesse soutient que, n'eût été le bref délivré en vertu de la cotisation erronée établie sur le fondement du paragraphe 160(2), Mme Maplesden aurait pu vendre la propriété de Priddis pour rembourser sa dette ou qu'elle aurait pu transférer la propriété à la compagnie 614, éteignant ainsi sa dette. L'avocat affirme donc que la dette fiscale de la demanderesse est imputable aux gestes accomplis par Revenu Canada en enregistrant et en conservant un bref à l'égard de la propriété pour appuyer une cotisation erronée, longtemps après que le caractère erroné de cette cotisation eut été porté à son attention. Dans ces conditions, la cotisation fiscale devrait, selon l'avocat de la demanderesse, être annulée.
[25] On ne m'a cité aucun précédent qui appuie la proposition que la Cour a le pouvoir d'accorder la réparation demandée. Le pouvoir qui est conféré à notre Cour est celui de déterminer le bien-fondé des décisions du ministre en appliquant aux faits de l'affaire du contribuable les règles de droit applicables, principalement celles contenues dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Si les faits pertinents tombent sous le coup des dispositions de la Loi, ce sont alors celles-ci qui s'appliquent.
[26] L'avocat n'a cité que deux textes : l'article 3 de la Loi sur la Cour fédérale et le jugement Teledyne Industries Inc. et autre c. Lido Industrial Products Ltd., (1982), 31 C.P.C. 285 (C.F. 1re inst.).
[27] L'article 3 de la Loi sur la Cour fédérale dispose :
Tribunal de droit, d'equity et d'amirauté du Canada, la Cour fédérale du Canada est maintenue [...]
Cet article maintient la Cour à titre de tribunal d'equity et autorise l'application de principes fondés sur l'equity. Cette compétence remonte à l'époque où, avant l'adoption, en 1873, de la Judicature Act, les tribunaux anglais n'étaient pas encore unifiés. L'« equity » dont il est question à l'article 3 ne s'entend pas de ce qui est juste et équitable. Elle désigne les principes de droit que les tribunaux jugeant en equity (surtout la Cour de chancellerie) appliquaient avant 18731. Les lois fiscales n’ont jamais fait partie de ce régime. Les lois fiscales relevaient en effet de la compétence des cours de l’Échiquier. La Cour fédérale est dotée d’une compétence en equity dans de nombreux domaines (voir Sgayias et autres, Federal Court Practice, 1997, à la page 53). Mais cette compétence ne lui donne pas le pouvoir d'accorder le genre de réparation que la demanderesse (appelante) sollicite. On trouve une explication des principes d'equity et des cas dans lesquels ils s'appliquent dans l'ouvrage de Spry intitulé Equitable Remedies (3e éd., 1984).
[28] Dans le jugement Teledyne, la Cour a parlé de la compétence qu'elle possédait en equity pour déterminer la date à partir de laquelle l'intérêt devait courir sur un jugement. Elle possédait cette « compétence en equity » parce que les dispositions législatives qui lui conféraient sa compétence contenaient la mention « sauf ordonnance contraire de la Cour ». Aucun pouvoir discrétionnaire semblable n'est conféré à la Cour dans le cas des appels interjetés en matière fiscale. La demanderesse doit par conséquent être déboutée de l'appel qu'elle a interjeté de la décision de la Cour de l'impôt.
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1 Voir Hood Phillips. The First Book of English Law, (6e éd.), 1970, à la page 11.
L'action fondée sur la négligence
[29] Je passe maintenant aux moyens suivant lesquels Revenu Canada a fait preuve de négligence et a causé un préjudice à la demanderesse en conservant le bref enregistré relativement à la propriété de Priddis, longtemps après qu'elle aurait dû savoir que le bref était mal fondé. Il n'y a pas de doute que Revenu Canada a établi une cotisation erronée (la cotisation fondée sur le paragraphe 160(2)). Toutefois, une erreur ne constitue pas nécessairement en soi une négligence2. Rien ne permet de penser que les fonctionnaires de la défenderesse ont fait preuve de négligence lorsqu’ils ont envoyé le premier bref pour obtenir le paiement de l’impôt par Albion.
[30] La cotisation renfermait une erreur de frappe. Le dépôt d'un avis d'opposition ne signifie pas que la position du contribuable est nécessairement acceptée à ce moment-là. Il ressort de la lettre du mois de mars suivant à laquelle étaient jointes des copies des documents pertinents envoyés à Revenu Canada que Revenu Canada enquêtait toujours sur la situation. Rien ne permet de penser que l'enquête ait été terminée avant mai 1988 et aucune négligence prétendument commise entre mars 1986 et septembre 1986 n'a été établie.
[31] Même si je devais supposer qu'une négligence a été commise en l'espèce, il me serait quand même impossible de conclure que, par ses actes, Revenu Canada a empêché le transfert de la propriété. Il n'y a aucun élément de preuve fiable suivant lequel la
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2 Voir l’arrêt Hodgins c. Commission hydroélectrique de Nepean (canton), [1976] 2 R.C.S. 501.
contribuable a sérieusement envisagé de transférer la propriété à la compagnie 614 ou de la vendre à un tiers au cours de la période en question. Le transfert projeté de la propriété en juillet 1985 ne s'est pas matérialisé parce qu'on craignait que la propriété ne fasse l'objet d'une saisie par suite des enquêtes fiscales menées par Revenu Canada. Pour ê tre persuadée que le bref a empêché le transfert de la propriété au cours de la période pertinente de 1985-1986, je m'attendrais à tout le moins à une lettre demandant à Revenu Canada de lever le bref grevant la propriété pour permettre le transfert de celle-ci à la compagnie 614 ou pour en permettre la vente à un tiers. Compte tenu du fait que des enquêtes étaient en cours au sujet de la situation fiscale des compagnies Albion, je ne suis pas disposée à conclure que l'existence du bref est la cause du non-remboursement du prêt. Si l'on avait demandé à Revenu Canada d'accélérer le processus d'établissement de la nouvelle cotisation relativement à la propriété de Priddis pour permettre à Mme Maplesden d'aliéner cette propriété pour éviter une dette fiscale, le résultat aurait pu être différent. Je constate qu'encore en janvier 1986, des conseillers juridiques déconseillaient aux Maplesden de transférer la propriété3
[32] Il y a une autre raison pour laquelle la demanderesse ne peut obtenir gain de cause dans son action fondée sur la négligence. Mme Maplesden a introduit une action contre Mes Burnet, Duckworth et Palmer au motif qu'ils avaient fait des démarches en son nom pour qu'elle contracte un prêt d'actionnaire sans l'informer des incidences fiscales
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3 Pièce 28, à la page 5.
possibles. Le 26 février 1993, Mme Maplesden a obtenu des dommages-intérêts de 356 156,20 $ pour la négligence commise par ce cabinet d'avocats. La Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a estimé que cette somme correspondait aux dommages subis par Mme Maplesden en raison de la négligence des avocats. Cette somme visait à indemniser la demanderesse des impôts dus jusqu'à la date à laquelle la dette fiscale avait été confirmée par la Cour de l'impôt, le 11 décembre 1990.
[33] L'avocat de la demanderesse affirme, en ce qui concerne le jugement de la Cour du Banc de la Reine, que l'on devrait considérer que les dommages-intérêts qui ont été accordés n'ont indemnisé la demanderesse de sa dette fiscale que dans le mesure où elle a effectivement reçu cet argent. L'indemnité a été calculée en soustrayant du montant qui devait par ailleurs être accordé une somme imputable à l'avantage que Mme Maplesden avait reçu du fait qu'elle avait habité la maison pendant l'époque en cause. Les honoraires des avocats ont également été soustraits. Je ne trouve pas cet argument convaincant. La demanderesse a déjà obtenu des dommages-intérêts de ses avocats pour la dette fiscale qui a été créée. Elle ne peut obtenir une seconde indemnité.
[34] Je ne suis pas persuadée que l'existence du bref a causé le dommage reproché et, en tout état de cause, l'avocat de la demanderesse a déjà été condamné à verser à celle-ci des dommages-intérêts pour l'impôt dû.
Dispositif
[35] Par ces motifs, les deux actions seront rejetées.
B Reed
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 10 décembre 1997.
Traduction certifiée conforme François Blais, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : T-1134-90
INTITULÉ DE LA CAUSE : ALBION TRANSPORTATION RESEARCH CORPORATION ET AL c
SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L'AUDIENCE : CALGARY (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE : 1er DÉCEMBRE 1997
MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par Mme le juge Reed le 10 décembre 1997
ONT COMPARU :
Me Mark W. Gruman pour la demanderesse
Me Thomas O’Leary pour la défenderesse
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Mark S. Gruman pour la demanderesse
Calgary (Alberta)
Me George Thomson pour la défenderesse
Sous-procureur général du Canada
Calgary (Alberta)