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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20121116

Dossier : IMM-1666-12

Référence : 2012 CF 1329

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 novembre 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

ILYAS AYDIN

ZEYNEP AYDIN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision datée du 24 janvier 2012 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la Commission) a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger suivant les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (LIPR).

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

I.          Les faits

 

[3]               Les demandeurs sont mariés et sont citoyens de la Turquie. Ils sont venus au Canada le 29 septembre 2009 et ont déposé une demande d’asile le 19 octobre 2009, affirmant qu’ils craignent d’être persécutés en Turquie en raison de leurs opinions politiques.

 

[4]               M. Aydin soutient qu’il est membre du Parti populaire républicain (CHP), un parti d’opposition de gauche en Turquie, depuis le 1er décembre 1993. Mme Aydin appuie également le parti, mais n’en est pas membre. Leurs demandes d’asile reposent principalement sur les expériences vécues par M. Aydin.

 

[5]               M. Aydin soutient avoir été arrêté et battu à plusieurs reprises en raison de ses allégeances politiques. Chaque fois, aucune accusation n’a été déposée contre lui et il a été libéré un jour ou un jour et demi après sa mise en détention. Mme Aydin a été arrêtée une fois, pour avoir contesté l’arrestation de son époux.

 

[6]               Les demandeurs affirment qu’ils craignent la police, le Parti d’action nationaliste (MHP), un parti d’extrême droite, et la mafia « idéaliste », à qui ils ont refusé de donner de l’argent.

 

II.        La décision visée par la demande de contrôle

 

[7]               La Commission a rejeté les demandes d’asile présentées par les demandeurs en raison du manque de crédibilité de la preuve déposée. La Commission a tiré plusieurs conclusions défavorables en matière de crédibilité, sur les points suivants : (i) les allégeances politiques des demandeurs, (ii) les allégations des demandeurs selon lesquelles ils ont été torturés et (iii) les menaces faites à l’égard de l’entreprise des demandeurs en Turquie.

 

(i)         Les allégeances politiques

 

[8]               La Commission a accordé peu de poids à la demande d’adhésion au CHP soumise en preuve par M. Aydin et en a tiré une conclusion défavorable concernant la crédibilité de ce dernier. Elle s’est demandé pourquoi le renouvellement de l’adhésion a été inscrit sur le formulaire de demande initiale, et n’a pas été convaincue par les réponses de M. Aydin à ce sujet. De plus, la Commission a noté que les demandeurs n’avaient pas déposé l’original du document et n’avaient avancé « aucun motif crédible » pour expliquer pourquoi la Commission ne disposait pas de cet original, d’autant plus que la date de renouvellement de l’adhésion, inscrite à la main sur le document, était le 9 novembre 2009.

 

[9]               De l’avis de la Commission, il était raisonnable de s’attendre à ce que le CHP fournisse davantage de renseignements sur l’adhésion de M. Aydin et les incidents subis par les demandeurs aux mains des membres du MHP et de la police en raison de cette adhésion. Faute de tels renseignements additionnels de la part du CHP, la Commission a affirmé qu’elle « n’accord[ait] tout simplement pas foi aux éléments de preuve qui [avaient] été présentés par les demandeurs d’asile » et a tiré une conclusion défavorable concernant leur crédibilité.

 

(ii)        Les allégations de torture

 

[10]           La Commission a également tiré des conclusions défavorables concernant la crédibilité en ce qui a trait aux allégations des demandeurs selon lesquelles ils avaient été battus et torturés. Premièrement, la Commission a conclu qu’elle ne disposait pas de « suffisamment d’éléments de preuve crédibles » concernant la raison pour laquelle les demandeurs se seraient soignés eux-mêmes après leur libération, au lieu de consulter un médecin pour obtenir des soins ou même pour se soumettre à un examen médical qui pourrait corroborer les sévices qu’ils avaient subis.

 

[11]           Deuxièmement, la Commission n’a pas cru le témoignage selon lequel le CHP n’était pas venu en aide aux demandeurs après l’arrestation et la torture de M. Aydin en 2009. Étant donné que les demandeurs avaient affirmé que le CHP avait exercé des pressions sur les autorités pour obtenir la libération de M. Aydin en 2007, la Commission a conclu qu’« aucune raison crédible ne permet d’expliquer pourquoi tel n’a pas été le cas ou pourquoi les demandeurs d’asile n’auraient pas obtenu d’aide » en 2009.

 

[12]           Troisièmement, la Commission a affirmé que le rapport psychiatrique soumis par les demandeurs, selon lequel M. Aydin souffrait de trouble de stress post-traumatique (TSPT), ne contrebalançait pas les divers doutes déjà établis concernant sa crédibilité. Bien que la Commission ait pris le rapport sous réserve, elle a noté qu’il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que M. Aydin envisage de consulter un psychiatre bien avant qu’il ne l’ait fait – soit trois ou quatre mois avant l’audience. Cela est d’autant plus pertinent que M. Aydin a des antécédents de dépression, pour laquelle on lui avait prescrit des médicaments en Turquie.

 

(iii)       Les menaces à l’égard de l’entreprise

 

[13]           Enfin, la Commission a tiré des conclusions défavorables concernant la crédibilité des témoignages des demandeurs au sujet des menaces faites à l’égard de l’entreprise de construction de M. Aydin en Turquie. Premièrement, bien que la Commission ait admis en preuve des photos de menaces tracées à l’aide de bombes aérosol sur la façade de l’entreprise, elle leur a accordé peu de poids. Elle a noté que M. Aydin ne pouvait se souvenir à quel moment ces photos avaient été prises et que, selon son témoignage, il les avait reçues au moins un an avant la tenue de l’audience. De l’avis de la Commission, il « n’est aucunement crédible » que M. Aydin ait oublié de transmettre des documents aussi importants à son avocat.

 

[14]           Deuxièmement, la Commission n’était pas convaincue que le fils des demandeurs, qui a assumé la direction de l’entreprise en Turquie après le départ de ses parents, a bel et bien reçu des courriels menaçants, ainsi que l’a prétendu M. Aydin dans son témoignage. En fait, ce dernier ne pouvait se rappeler quand ces courriels avaient été envoyés, ce qu’ils contenaient ou qui les avait envoyés. De l’avis de la Commission, il était raisonnable de s’attendre à ce que de tels courriels lui soient soumis pour qu’elle puisse les examiner. Bien que la Commission n’ait aucunement demandé aux demandeurs de lui soumettre les courriels lorsque la question a été abordée à l’audience, elle a tiré une conclusion défavorable concernant leur crédibilité.

 

[15]           Enfin, la Commission a affirmé qu’il était « insensé que le fils du demandeur d’asile ne soit pas allé voir la police pour lui demander de l’aide [à la suite de l’une ou de l’autre des menaces signalées ci-dessus], même s’il craignait que la situation empire ». La Commission a aussi conclu que, si les demandeurs avaient bel et bien subi des menaces, il serait « plus vraisemblable » que l’entreprise aurait été incendiée ou endommagée, comme le voulaient les menaces, plutôt que de demeurer indemne.

 

III.       Questions à trancher

 

[16]           Les questions soulevées par les demandeurs peuvent être formulées de la manière suivante :

 

a)                  La Commission a-t-elle contrevenu aux principes de l’équité procédurale?

b)                  Les conclusions de la Commission concernant la crédibilité des demandeurs étaient‑elles raisonnables?

 

IV.       Normes de contrôle

 

[17]           Les questions d’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 43).

 

[18]           Les conclusions concernant la crédibilité relèvent de la compétence spécialisée de la Commission, si bien qu’elles appellent une grande retenue. Les décisions de la Commission sur ces questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (A.M. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 964, [2011] ACF no 1187, au paragraphe 20; Aguirre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, [2008] ACF no 732, au paragraphe 14). Le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

[18]

V.        Analyse

 

A.        L’équité procédurale

 

[19]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a contrevenu aux principes de l’équité procédurale en ne leur faisant pas part de ses préoccupations concernant : (i) le fait qu’ils n’avaient pas soumis l’original de la demande d’adhésion de M. Aydin et (ii) le fait que le dossier de demande présenté par les demandeurs ne contenait pas de documentation provenant du CHP. Ils avancent qu’ils auraient dû avoir la possibilité d’aborder ces questions, qui étaient au cœur des conclusions défavorables de la Commission concernant leur crédibilité, et qui avaient rapport à la crédibilité, à l’exactitude et à l’authenticité de l’information qu’ils avaient soumise.

 

[20]           En ce qui a trait à la demande d’adhésion de M. Aydin, la conclusion défavorable concernant la crédibilité comportait deux éléments : (i) la Commission ne comprenait pas pourquoi le président du parti aurait écrit à la main une déclaration attestant de l’adhésion actuelle de M. Aydin sur la demande originale et (ii), comme l’ont signalé les demandeurs, le fait que le document original n’a pas été versé au dossier. Même si je trouve préoccupant que la Commission ait omis de demander pourquoi le document original n’avait pas été soumis, j’estime peu probable que ce document ait atténué les doutes de la Commission concernant la mention ajoutée à la main – un doute que les demandeurs ont eu l’occasion de dissiper. Par conséquent, je conclus que la Commission n’a pas contrevenu à un principe de l’équité procédurale.

 

[21]           Comme l’a souligné le défendeur, en tirant une conclusion défavorable en raison de l’absence d’information en provenance du CHP, la Commission se fondait sur l’absence de preuve corroborante. La question de savoir si l’on peut raisonnablement exiger une preuve corroborante dépend des faits propres à chaque affaire (Lopera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 653, [2011] ACF no 828, au paragraphe 31). À la lumière des faits de l’espèce, il était raisonnable de la part de la Commission de s’attendre à une preuve corroborante en provenance du CHP, compte tenu de l’importance de démontrer les liens des demandeurs avec le parti et la prétendue relation de longue date entre M. Aydin et le parti. La Commission n’est pas tenue de signaler aux demandeurs tous ses doutes concernant leur crédibilité et les demandeurs étaient conscients du fait que la crédibilité était un enjeu dans la présente affaire (Morales c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1239, [2011] ACF no 1522, au paragraphe 24). Par conséquent, je conclus que la Commission n’a pas contrevenu à un principe de l’équité procédurale en n’avisant pas les demandeurs de la conclusion défavorable qu’elle tirerait de l’absence d’information en provenance du CHP.

 

B.        Les conclusions concernant la crédibilité

 

[22]           La Commission est la mieux placée pour évaluer la crédibilité des demandeurs et de la preuve, et ses conclusions à cet égard appellent une grande retenue (Jerome c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1419, [2011] ACF no 1753, au paragraphe 6; Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CAF), [1993] ACF no 732, au paragraphe 4).

 

[23]           Pour se prononcer sur le caractère raisonnable des conclusions de la Commission, il faut tenir compte de l’ensemble de la décision. Après avoir examiné le dossier et les observations des parties, je suis convaincu que les doutes de la Commission concernant la crédibilité des demandeurs l’ont menée à une conclusion qui appartenait aux issues possibles acceptables.

 

[24]           Premièrement, il était raisonnable de la part de la Commission de tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité du fait que la demande d’adhésion de M. Aydin présentée en preuve n’était pas le document original – cela était d’autant plus raisonnable du fait que les ajouts inscrits à la main sur la demande initiale avaient été faits peu après l’arrivée des demandeurs au Canada.

 

[25]           Deuxièmement, il était loisible à la Commission d’accorder peu de poids à la lettre du psychiatre à cause du peu d’empressement de M. Aydin à consulter un médecin. En fait, le rôle de la Cour n’est pas de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve. Il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que la lettre ne contrebalançait pas ses autres doutes concernant la crédibilité.

 

[26]           Troisièmement, il était loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité du fait que les demandeurs n’avaient pas soumis les photos des graffitis menaçants qui avaient été tracés sur la façade de leur entreprise de construction en Turquie. La conclusion de la Commission – à savoir qu’il n’était « aucunement crédible » que le demandeur d’asile ait oublié de donner à son avocat une photo des menaces à l’appui de sa cause et qu’il y ait pensé tout juste avant la tenue de l’audience – appartient assurément aux issues possibles acceptables.

 

[27]           Enfin, il était raisonnable de la part de la Commission de s’attendre à ce que les demandeurs soumettent les courriels menaçants que leur fils avait prétendument reçus. De tels documents auraient pu corroborer leurs témoignages et il était raisonnable de la part de la Commission, compte tenu des faits de l’espèce, de s’attendre à recevoir des éléments de preuve corroborants sur ce point (voir la décision Lopera, précitée).

 

[28]           Je conclus également que les motifs de la Commission étaient suffisamment justifiés, clairs et intelligibles compte tenu du dossier à sa disposition. En raison du caractère central des doutes concernant la crédibilité des affirmations des demandeurs, et en raison de la retenue dont il faut faire preuve envers les conclusions de la Commission en matière de crédibilité, je ne suis pas convaincu qu’il y a des motifs de faire droit à la demande de contrôle judiciaire.

 

VI.       Conclusion

 

[29]           La décision de la Commission, examinée dans son ensemble, peut se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, elle est raisonnable.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean-François Leclerc-Sirois, LL.B, M.A.Trad.Jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1666-12

 

INTITULÉ :                                      ILYAS AYDIN ET AL c MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 5 novembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 16 novembre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clarisa Waldman

 

POUR LES DEMANDEURS

Catherine Vasilaros

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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