[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 31 octobre 2012
En présence de monsieur le juge Campbell
ENTRE :
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L’OFFICE DE LA SÉCURITÉ DES INSTALLATIONS ÉLECTRIQUES
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La présente demande de contrôle judiciaire concerne la qualité de la preuve d’emploi d’une marque qu’il faut soumettre au registraire des marques de commerce (le registraire) pour qu’il donne avis public d’une marque officielle en vertu du sous‑alinéa 9(1)(n)iii) de la Loi sur les marques de commerce (la Loi). En l’espèce, le défendeur, l’Office de la sécurité des installations électriques (l’Office) a demandé l’enregistrement de la marque « DIG SAFE » à titre de marque officielle (la Marque officielle) sur la foi d’un seul élément de preuve documentaire attestant l’adoption et l’emploi. Le registraire a fait droit à la demande et a donc publié, le 16 novembre 2011, la Marque officielle dans le volume 58, no 2977, du Journal des marques de commerce.
[2] Avant la publication de la Marque officielle, la demanderesse, Cable Control Systems Inc. (Cable Control), avait demandé et obtenu l’enregistrement de la marque de commerce « DIG SAFE & Design »; l’enregistrement date du 1er mars 2011 et a été accordé sous le numéro LMC791, 850. Cable Control s’oppose à la publication de la Marque officielle, car cela la priverait du degré d’exclusivité dont jouissent les marques de commerce en application de l’article 19 de la Loi. Cable Control fait valoir que le registraire a eu tort de donner avis public de la Marque officielle, étant donné que l’Office ne s’est pas acquitté du fardeau d’établir qu’il avait adopté et employé cette marque en liaison avec ses marchandises ou ses services avant la date de l’avis.
I. Le contexte de la demande
[3] Cable Control offre aux entrepreneurs et aux entreprises de services publics des services de centre d’appels visant à promouvoir des pratiques sûres en matière d’excavation et de construction. L’Office est une autorité administrative qui veille à la sûreté électrique dans la province de l’Ontario. Elle est chargée de réglementer l’utilisation en toute sécurité de l’électricité et des équipements dans cette province, d’appliquer l’Ontario Electrical Safety Code et de nommer des inspecteurs.
[4] Dans le cadre de son mandat, l’Office travaille avec un certain nombre de parties intéressées des secteurs public et privé. Vers 2003, l’Ontario Regional Common Ground Alliance (l’ORCGA) a été formée avec l’appui de l’Office, de la Technical Standards Safety Authority (la TSSA), du gouvernement provincial et d’autres intervenants, y compris Cable Control, pour promouvoir des pratiques d’excavation sûres autour des infrastructures souterraines d’utilité publique.
[5] En plus d’une preuve attestant son statut d’autorité publique, qui n’est pas contesté dans la présente instance, l’Office devait aussi établir qu’il avait adopté et employé la marque officielle au Canada. Celui-ci a donc présenté en preuve au registraire le bulletin d’information Plugged In du printemps 2010 (le bulletin du printemps 2010), téléchargé à partir de son site Web, qui montrait la Marque officielle dans un article faisant la promotion du mois « DIG SAFE » avec le logo qui l’accompagne. Sur la foi de cette preuve, le registraire a décidé de donner avis public de la Marque officielle de l’Office.
[6] Les répercussions sur Cable Control de cette décision du registraire découlent de la protection conférée aux marques officielles par le sous‑alinéa 9(1)(n)iii) de la Loi, aux termes duquel nul ne peut adopter comme marque de commerce une marque qu’on puisse vraisemblablement confondre avec celle adoptée et employée par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services. Les parties qui employaient auparavant une marque officielle visée par le sous‑alinéa 9(1)(n)iii) peuvent continuer de le faire, mais seulement en liaison avec les marchandises et services utilisés jusqu’au moment où la marque officielle a fait l’objet d’un avis public. Ainsi, la capacité de Cable Control d’étendre sa marque de commerce est restreinte du fait de l’adoption de la Marque officielle par l’Office (FileNET Corp v Canada (Registraire des marques de commerce), [2001] 1 CF 266 (CF)).
II. La norme de contrôle
[7] D’après la jurisprudence, de nouveaux éléments de preuve sont admissibles lors du contrôle judiciaire de la décision du registraire de donner avis public d’une marque officielle (Congrès juif canadien c Chosen People Ministries, Inc, [2003] 1 CF 29 (CFPI), au paragraphe 21; See You In‑Canadian Athletes Fund Corp c Comité olympique canadien (2007), 57 CPR (4th) 287 (CF), aux paragraphes 14 à 16; Conseil canadien pour la réadaptation des handicapés c Rehabilitation Foundation for the Disabled (2004), 35 CPR (4th) 260 (CF), aux paragraphes 7 à 16).
[8] Dans la décision Conseil canadien pour la réadaptation des handicapés, le juge O’Reilly aborde, au paragraphe 15, l’impact de nouveaux éléments de preuve sur la norme de contrôle :
Si je conclus que les nouveaux éléments de preuve produits ont une valeur probante — c’est‑à‑dire qu’ils auraient eu un effet appréciable sur la décision du registraire —, je dois arriver à ma propre conclusion sur le point de savoir si l’autorité publique avait effectivement adopté et employé la marque officielle. Autrement dit, je dois décider si la décision du registraire de donner un avis publique [sic] était correcte; voir l’arrêt Piscitelli, précité. Par contre, si je conclus que les nouveaux éléments de preuve n’auraient pas eu d’effet appréciable sur la décision du registraire, je dois me demander si la décision était raisonnable en me fondant sur la preuve dont disposait celui‑ci; voir Magnotta Winery Corp. c. Vintners Quality Alliance, 2001 C.F.P.I. 1421, [2001] A.C.F. no 1941 (1re inst.).
[9] Cable Control soutient que les nouveaux éléments de preuve appellent un nouvel examen et que je dois parvenir à mes propres conclusions sur la question. L’Office fait valoir que la preuve additionnelle n’a pas d’effet appréciable sur les conclusions du registraire, et que la norme de contrôle appropriée est plutôt la raisonnabilité, puisque cette preuve confirme le caractère raisonnable de la décision du registraire.
[10] Pour les motifs qui suivent, je souscris à l’argument de l’Office.
III. L’adoption et l’emploi
[11] La Loi définit les termes « adoption » et « emploi » dans le contexte des marques de commerce, mais non des marques officielles. Cependant, la Cour a décidé que ces définitions pouvaient s’avérer utiles pour l’interprétation du sous‑alinéa 9(1)(n)iii) de la Loi (FileNET Corp c Canada (Registraire des marques de commerce), [2001] 1 CF 266 (CF)).
[12] L’article 3 de la Loi définit le terme « adoption » en liaison avec des marques de commerce :
3. Une marque de commerce est réputée avoir été adoptée par une personne, lorsque cette personne ou son prédécesseur en titre a commencé à l’employer au Canada ou à l’y faire connaître, ou, si la personne ou le prédécesseur en question ne l’avait pas antérieurement ainsi employée ou fait connaître, lorsque l’un d’eux a produit une demande d’enregistrement de cette marque au Canada. |
3. A trade‑mark is deemed to have been adopted by a person when that person or his predecessor in title commenced to use it in Canada or to make it known in Canada or, if that person or his predecessor had not previously so used it or made it known, when that person or his predecessor filed an application for its registration in Canada. |
Dans l’arrêt FileNET Corp c Registraire des marques de commerce, [2002] CAF 418 (CAF), au paragraphe 11, la Cour d’appel fédérale a abordé le concept d’« adoption » en liaison avec l’article 9 :
Premièrement, l’on peut se demander en quoi consiste l’« adoption » d’une marque officielle. L’avocat de Filenet a fait valoir que la marque officielle en question n’avait jamais été adoptée, car aucun document officiel, telle une résolution du conseil d’administration ou de l’organisme public, ne l’attestait. Il n’a toutefois pas été en mesure de citer une disposition législative ou réglementaire prescrivant une procédure particulière pour l’adoption d’une marque officielle par un ministre ou un organisme mandataire de l’État. À mon sens, la question de l’adoption d’une marque officielle est une question de fait. Dans la présente affaire, et dans la plupart des cas selon moi, la demande présentée au registraire pour qu’il donne un avis public conformément à l’article 9 établit suffisamment ce fait, sauf s’il existe une bonne raison de croire que la demande n’était pas autorisée. Une telle raison n’existe pas en l’espèce.
[13] Le mot « emploi » dans la Loi doit s’entendre comme un emploi réputé être en liaison avec des marchandises ou des services au sens de l’article 4 :
4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.
(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.
(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les colis qui les contiennent est réputée, quand ces marchandises sont exportées du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces marchandises.
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4. (1) A trade‑mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.
(2) A trade‑mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.
(3) A trade‑mark that is marked in Canada on wares or on the packages in which they are contained is, when the wares are exported from Canada, deemed to be used in Canada in association with those wares. |
[14] Dans la décision See You In‑Canadian Athletes Fund Corp c Comité olympique canadien, 2006 CF 406 (CF), le juge Phelan a confirmé que les articles 3 et 4 de la Loi pouvaient contribuer à définir l’adoption ou l’emploi en liaison avec une marque officielle. Cependant, il a aussi fourni quelques repères en matière d’éléments requis pour établir l’adoption ou l’emploi d’une marque officielle, au paragraphe 48 de la décision :
Bien qu’une marque officielle ne soit pas employée à une fin commerciale ou dans la pratique du commerce, les articles 3 et 4 aident à interpréter ces mots. Une caractéristique commune du mot « emploi » et du mot « adoption » est l’existence d’un élément d’exposition ou d’étalage en public, ce qui n’a pas été établi en l’espèce.
Il est à présent reconnu que, pour satisfaire à l’exigence législative de l’adoption et de l’emploi, l’autorité publique doit démontrer que la marque officielle était publiquement exposée.
[15] La preuve d’adoption et d’emploi de la Marque officielle dont disposait le registraire était une copie du bulletin du printemps 2010 de l’Office. La Marque officielle est employée dans un article qui annonce qu’avril 2010 sera le premier mois « Dig Safe » annuel en Ontario. Un logo en forme de diamant encadrant les mots « DIG SAFE », où le « I » de « DIG » représente un homme muni d’une pelle, paraît près de l’article. Le bulletin est téléchargeable à partir du site Web de l’Office.
[16] Cable Control conteste la décision du registraire, arguant qu’avant l’avis public, l’Office n’employait pas la marque officielle en liaison avec ses propres marchandises et services. D’après Cable Control, l’Office faisait plutôt la promotion des activités d’autres parties, comme l’ORCGA, qui était le véritable utilisateur de la marque en question dans le bulletin du printemps 2010. Cable Control considère l’article paru dans le bulletin du printemps 2010 comme une simple publicité par l’Office des activités de l’ORCGA et d’autres parties connexes. Elle ajoute que le registraire s’en serait rendu compte s’il s’était renseigné sur les parties mentionnées dans l’article qui lui avait été présenté.
[17] Cable Control soutient que les renseignements dont je dispose dans la présente instance auraient clairement indiqué au registraire que la Marque officielle était employée par l’ORCGA, et non par l’Office. En particulier, il évoque une demande d’enregistrement de la marque de commerce « DIG SAFE & DESIGN » déposée par l’ORCGA en juin 2010. Cable Control s’appuie aussi sur des renseignements obtenus lors du contre‑interrogatoire de Mme Jennifer Robertson, une représentante de l’Office, notamment le fait que l’ORCGA n’a jamais demandé l’autorisation de l’Office pour utiliser la Marque officielle en liaison avec ses initiatives. Mme Robertson a également indiqué que l’article paru dans le bulletin du printemps 2010 poursuivait deux objectifs : [traduction] « Cet article comportait deux messages. Le premier consistait à parler du mois « Dig Safe ». Le deuxième concernait les avantages qu’il y avait à s’abonner à Ontario One Call » (transcription du contre‑interrogatoire de Jennifer Robertson, dossier de la demanderesse, p. 87). Cable Control fait valoir que la preuve dont disposait le registraire montrait que l’Office encourageait ou endossait les projets menés par d’autres organisations, ce qui ne pouvait constituer un emploi de la Marque officielle et donc ne devrait pas lui conférer les droits étendus qu’accorde la propriété d’une marque officielle.
[18] À mon avis, le contexte plus large relatif à l’emploi de la Marque officielle présenté par Cable Control ne rend pas la décision du registraire déraisonnable. Je suis convaincu que la preuve additionnelle n’aurait pas eu d’effet appréciable sur la décision de ce dernier de donner avis public de la Marque officielle. Comme l’a fait remarquer l’avocate de l’Office, le registraire n’avait pas à se renseigner sur les enregistrements ou l’emploi de la même marque par d’autres parties, étant donné qu’un tel emploi se serait avéré sans pertinente au regard de la décision de donner avis public de la Marque officielle. Tout ce que l’Office avait à faire était de convaincre le registraire qu’il était une autorité publique et qu’il avait adopté et employé la marque en question (FileNET Corp, [2002] CAF 418 (CAF), au paragraphe 7).
[19] La demande de l’Office présentée au registraire indique clairement qu’il a pour mandat de réglementer l’utilisation de l’électricité et des équipements en toute sécurité en Ontario. Le témoignage de Mme Robertson explique également que l’Office était l’un des membres fondateurs de l’ORCGA et qu’il continue d’appuyer cette organisation pour servir sa mission d’information en matière de sécurité publique. Bien que la preuve soumise au titre de la contestation de Cable Control précise la relation entre l’Office, l’ORCGA et d’autres parties, elle indique aussi clairement que la Marque officielle était employée par l’Office, l’ORCGA, la TSSA et d’autres organisations impliquées dans l’information du public et les campagnes de sécurité. Après tout, c’est là l’objectif dans lequel la marque a été employée dans le bulletin du printemps 2010. J’estime que l’emploi à une même fin de la marque par l’ORCGA et l’Office ne prive pas ce dernier du droit d’acquérir la marque comme marque officielle.
[20] Par conséquent, j’estime qu’il était raisonnable pour le registraire d’accepter le bulletin du printemps 2010 comme preuve de l’adoption et de l’emploi de la Marque officielle par l’Office.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Comme il a eu gain de cause dans la présente demande, j’adjuge les dépens au défendeur.
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Juriste-traducteur et traducteur-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T‑1985‑11
INTITULÉ : CABLE CONTROL SYSTEMS INC. c L’OFFICE DE SÉCURITÉ DES INSTALLATIONS ÉLECTRIQUES
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 25 OCTOBRE 2012
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE CAMPBELL
DATE DES MOTIFS : LE 31 OCTOBRE 2012
COMPARUTIONS :
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May M. Cheng Mimi R. Palmer |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
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Fasken Martineau DuMoulin, s.r.l. Avocats Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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FOR THE RESPONDENT
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