Date : 20121031
Dossier : T-1989-11
Référence : 2012 CF 1269
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2012
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
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RODNEY TORRANCE
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] Il n’est pas exact de dire que « les cas épineux créent de mauvais précédents ». En effet, Lord Denning lui-même a résumé la question en ces termes :
[traduction] Lorsque la loi risque de créer une injustice, il y a lieu de se tourner vers l’equity pour réparer l’injustice.
Re Vandervell’s Trusts (n° 2), [1974] Ch 269, [1974] EWCA Civ 7
Telle est la situation qui se présente en l’espèce, où la ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences du Canada est investie du pouvoir de réparation « reconnu en equity » qui lui permet de corriger le refus d’accorder à M. Torrance sa pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada [pension d’invalidité].
[2] La présente affaire concerne l’applicabilité de la mesure corrective prévue au 66(4) du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C-8 [la Loi].
66. (4) Dans le cas où le ministre est convaincu qu’un avis erroné ou une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la présente loi a eu pour résultat que soit refusé à cette personne, selon le cas :
a) en tout ou en partie, une prestation à laquelle elle aurait eu droit en vertu de la présente loi,
b) le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension en application de l’article 55 ou 55.1,
c) la cession d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1,
le ministre prend les mesures correctives qu’il estime indiquées pour placer la personne en question dans la situation où cette dernière se retrouverait sous l’autorité de la présente loi s’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative. |
66. (4) Where the Minister is satisfied that, as a result of erroneous advice or administrative error in the administration of this Act, any person has been denied
(a) a benefit, or portion thereof, to which that person would have been entitled under this Act,
(b) a division of unadjusted pensionable earnings under section 55 or 55.1, or
(c) an assignment of a retirement pension under section 65.1,
the Minister shall take such remedial action as the Minister considers appropriate to place the person in the position that the person would be in under this Act had the erroneous advice not been given or the administrative error not been made. |
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[3] Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision par laquelle le représentant de la ministre a refusé d’accorder au demandeur une pension d’invalidité à laquelle celui-ci aurait eu droit par ailleurs en l’absence d’erreurs administratives commises au cours du traitement de sa demande de pension. Les circonstances de la présente affaire sont uniques et malheureuses.
II. LES FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE
[4] Rodney Torrance était âgé de 29 ans lorsqu’il est devenu quadriplégique par suite d’une chute survenue le 29 août 1998 et n’a pu continuer à travailler depuis. Lors de l’accident, M. Torrance travaillait à son compte sur une base contractuelle comme livreur à bicyclette pour une entreprise de messagerie. Il exerçait ces fonctions en 1997-1998.
[5] Au cours des années 1990 jusqu’à l’année 1997, le demandeur a touché un revenu d’emploi de trois employeurs différents. Comme il est expliqué ci-dessous, le fait pour le demandeur de devenir travailleur autonome a eu des incidences sur la préparation de ses déclarations de revenus et sur le versement de cotisations au RPC.
[6] En novembre 1998, trois mois après son grave accident, le demandeur a présenté sa première demande de pension d’invalidité avec l’aide d’amis et de membres de sa famille.
[7] La demande de pension a été refusée le 14 décembre 1998, parce que les dossiers indiquaient que le demandeur n’avait versé de cotisations suffisamment élevées au RPC que pour deux années au cours de la période allant de 1993 à 1998. Pour être admissible à une pension d’invalidité, il aurait fallu qu’il verse des cotisations pendant quatre ans au cours de cette période.
[8] Lorsqu’il a présenté sa première demande, M. Torrance n’avait pas produit de déclarations de revenus pour les années 1996, 1997 et 1998. En raison de cette omission, des renseignements importants concernant les cotisations versées au RPC ne figuraient pas au dossier que le ministère détenait au sujet de M. Torrance.
[9] Le 27 février 1999, M. Torrance a écrit au ministère, qui portait à l’époque le nom de ministère du Développement des ressources humaines du Canada [DRHC], afin de lui demander de garder son dossier ouvert jusqu’à ce qu’il puisse produire ses déclarations. M. Torrance était manifestement préoccupé par les problèmes d’adaptation liés à sa nouvelle situation, qui avait radicalement changé.
[10] Le 18 mars 1999, DRHC a accusé réception de la demande susmentionnée de M. Torrance et a traité cette demande comme une requête en révision sans fixer de date limite pour le dépôt des déclarations de revenus ou d’autres renseignements financiers.
[11] M. Torrance a produit sa déclaration de revenus de 1996 peu après que DRHC eut accepté sa demande visant à laisser son dossier ouvert, mais n’a pas produit ses déclarations de revenus pour les années 1997 et 1998. Il a expliqué qu’il était relativement facile de déposer la déclaration de 1996, parce qu’il s’agissait alors d’un revenu d’emploi, mais qu’il était plus difficile de le faire pour les années 1997 et 1998, parce que le revenu qu’il a touché au cours de ces années-là était un revenu de travail indépendant. La préparation de ces déclarations était une tâche qu’il devait faire lui-même et il n’était pas en état d’entreprendre cette tâche.
[12] Malgré le fait qu’il n’avait pas déposé ses déclarations de revenus pour les années 1997 ou 1998, DRHC a informé le demandeur, le 17 mai 1999, que des [traduction] « renseignements sur les gains avaient été reçus jusqu’à l’année 1997 » et que seul son avis de cotisation pour l’année 1998 devait être déposé. Les renseignements étaient demandés [traduction] « le plus tôt possible », mais aucune date d’échéance n’était fixée.
[13] Les événements subséquents montrent qu’à compter de la communication du 17 mai 1999, il y a eu des dérapages dans ce dossier.
[14] Après son accident, M. Torrance a fait un séjour au centre GF Strong [GF Strong] afin de soigner les graves blessures qu’il avait subies et de se réadapter. Le 20 juin 1999, M. Torrance a déménagé dans son propre appartement. Il a informé le centre GF Strong de son adresse de réexpédition, mais n’a pas avisé explicitement DRHC de sa nouvelle adresse.
[15] Le 30 juin 1999, DRHC a fait parvenir au centre GF Strong une lettre fixant un délai de 45 jours pour le dépôt des renseignements financiers nécessaires, y compris pour les années d’imposition 1997 et 1998. La lettre a été retournée à DRHC. Les fonctionnaires du ministère ont poursuivi l’affaire; cependant, malgré leurs efforts louables, une erreur s’est glissée.
[16] Le 22 ou 23 juillet 1999, les fonctionnaires de DRHC ont tenté de connaître la nouvelle adresse de M. Torrance. À cette fin, ils ont communiqué avec le bureau du médecin du demandeur et avec le centre GF Strong. Le centre a fourni la nouvelle adresse et, sur la note écrite à la main, la lettre de la deuxième partie du code postal était écrite de la façon illustrée ci-dessous. Il semble s’agir de la bonne lettre « V » avec un petit trait vers le bas dans le coin supérieur gauche du « V ».
[17] Le 27 juillet 1999, DRHC a écrit à M. Torrance pour l’informer que sa demande de pension d’invalidité était refusée et qu’il disposait d’un délai de 90 jours pour demander une révision, auquel cas il devrait joindre son avis de cotisation de 1998 à sa requête en révision.
[18] Cette lettre du 27 juillet a été retournée à DRHC et M. Torrance n’en a appris l’existence qu’en 2007, lorsqu’il a examiné les dossiers du ministère. Le code postal contenait une erreur. Le « V » stylisé de la note de la nouvelle adresse écrite à la main est devenu un « N » dans le code postal dactylographié qui a été utilisé aux fins de la lettre.
[19] Il n’est pas nécessaire d’être graphologue judiciaire pour voir avec quelle facilité cette erreur de transposition pouvait se produire par inadvertance.
[20] Ce n’est qu’en 2006 que M. Torrance a songé à nouveau à faire valoir sa demande de pension d’invalidité. Bien que les circonstances concernant ce retard ne soient pas exposées en détail, en 2006, M. Torrance s’était adapté à sa situation et bénéficiait des services d’une préposée aux soins infirmiers qui a bien voulu l’aider à préparer ses déclarations de revenus.
[21] M. Torrance a produit ses déclarations de revenus de 1997 et 1998 en 2006. Ces déclarations montraient que M. Torrance avait gagné un revenu suffisamment élevé en 1997 et 1998 pour être admissible à une pension d’invalidité. Il a versé des cotisations en 1997 sur son revenu d’emploi, mais n’a pu verser de cotisations au RPC pour l’année d’imposition 1998, en raison de l’interdiction législative applicable pour cette année-là.
[22] Selon le paragraphe 30(5) du Régime de pensions du Canada, lorsqu’aucune déclaration de revenus n’a été produite plus de quatre ans après la date requise, le montant des cotisations au RPC est réputé nul.
30. (5) Lorsque aucune déclaration des gains pour une année provenant du travail qu’une personne exécute pour son propre compte n’a été produite auprès du ministre, ainsi que l’exige le présent article, et ce au plus tard quatre ans après la date à laquelle elle est tenue de produire pour l’année en question la déclaration visée au paragraphe (1), le montant de toute cotisation qui, d’après la présente loi, doit être versé par elle pour l’année, à l’égard de semblables gains, est réputé nul sauf si, avant l’expiration de ces quatre ans, le ministre a évalué la cotisation pour l’année à l’égard de ces gains. |
30. (5) The amount of any contribution required by this Act to be made by a person for a year in respect of their self-employed earnings for the year is deemed to be zero where
(a) the return of those earnings required by this section to be filed with the Minister is not filed with the Minister before the day that is four years after the day on or before which the return is required by subsection (1) to be filed; and
(b) the Minister does not assess the contribution before the end of those four years. |
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[23] Il ne semble pas être contesté que, si la présomption n’avait pas existé, M. Torrance aurait été admissible à verser des cotisations au RPC en 1998; de plus, la Cour a appris que le compte d’impôt de M. Torrance pour l’année 1997 avait un solde créditeur et que cet argent aurait pu être affecté aux cotisations au RPC en 1998, mais qu’il avait été retourné au demandeur.
[24] Le demandeur a précédemment contesté l’application du paragraphe 30(5) par le ministre du Revenu national. Dans Torrance c Canada (Revenu national), 2008 CF 1083, 335 FPR 164, le juge Beaudry a conclu que le ministre du Revenu national n’était investi d’aucun pouvoir discrétionnaire relativement à l’application du paragraphe 30(5). Le juge Beaudry n’a pas examiné le paragraphe 66(4) et la décision ne porte pas sur les questions que la Cour doit trancher en l’espèce.
[25] En octobre 2010, le demandeur a demandé une mesure corrective en application du paragraphe 66(4). Cette demande a été refusée, en raison de l’absence d’avis erroné ou d’erreur administrative. Dans la lettre de refus, envoyée par Ressources humaines et Développement des compétences Canada [RHDCC], le demandeur était informé en ces termes :
a) M. Torrance avait l’obligation de produire ses déclarations de revenus. Il n’appartenait pas à RHDCC de l’informer des conséquences pouvant découler du défaut de production.
b) Aucune erreur administrative n’a été commise lors du refus de la demande de pension d’invalidité avant l’expiration du délai de 45 jours précisé dans la lettre du 30 juin 1999. Les renseignements demandés étaient des renseignements de nature médicale et le ministère avait obtenu les renseignements en question avant l’expiration du délai de 45 jours.
Il n’est pas fait mention des lettres non livrées et des conséquences du défaut de livraison pour les droits de M. Torrance ou, plus important encore, de la mesure dans laquelle la livraison des lettres aurait permis à M. Torrance de protéger ses droits à pension.
III. LA QUESTION EN LITIGE
[26] La question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si le représentant de la ministre a commis une erreur en décidant qu’il n’y avait pas eu d’avis erroné ou d’erreur administrative qui aurait permis à la ministre du Développement des ressources humaines et des compétences du Canada d’exercer son pouvoir de réparation en application du paragraphe 66(4).
[27] Le défendeur a fait valoir que le demandeur ne pouvait invoquer le paragraphe 66(4), parce que cette disposition ne saurait l’emporter sur la présomption énoncée au paragraphe 30(5).
IV. ANALYSE
A. La norme de contrôle judiciaire
[28] Les parties admettent que la norme de contrôle applicable à la question de savoir s’il y a eu un avis erroné ou une erreur administrative est la norme de la décision raisonnable. Eu égard aux décisions que la Cour fédérale a rendues, notamment dans Manning c Canada (Développement des ressources humaines), 2009 CF 523, 2009 CarswellNat 408, et Grosvenor c Canada (Procureur général), 2011 CF 799, 2011 CarswellNat 2532, telle est la norme de contrôle judiciaire qui s’applique.
[29] La question de savoir si la ministre peut exercer les pouvoirs de réparation prévus au paragraphe 66(4) malgré le paragraphe 30(5) est une question de droit qui doit être tranchée selon la norme de la décision correcte (Bartlett c Canada (Procureur général), 2012 CAF 230, 2012 CarswellNat 3473 [Bartlett]).
B. Le paragraphe 66(4)
[30] Dans sa décision, le représentant de la ministre n’a jamais explicitement abordé la question des communications envoyées à la mauvaise adresse. Au mieux, la question a été liée aux conclusions principales selon lesquelles a) il n’y a pas eu d’avis erroné, parce que RHDCC n’était pas tenu d’informer le demandeur des conséquences pouvant découler du défaut de produire ses déclarations de revenus, et b) aucune erreur administrative n’a été commise dans la décision de refuser la demande de pension avant l’expiration du délai de 45 jours mentionné dans la lettre du 30 juin 1999.
[31] Le défendeur soutient que RHDCC n’est pas responsable de l’erreur liée à l’utilisation d’une mauvaise adresse pour l’envoi de la lettre portant refus de la demande de pension et accordant au demandeur la possibilité de demander une révision puisque, selon le formulaire de demande de prestations, M. Torrance était tenu d’informer le ministère de sa nouvelle adresse lorsqu’il a quitté le centre GF Strong.
[32] La décision que la Cour d’appel a rendue dans l’arrêt Bartlett, précité, est pertinente et éclairante, même si la question à trancher dans cette affaire était de savoir si la personne concernée avait droit à des intérêts sur sa demande de prestations qui avait été acceptée.
[33] Au paragraphe 52 de l’arrêt Bartlett, la Cour d’appel a confirmé que l’intention sous-jacente au paragraphe 66(4) consistait à accorder à la ministre des pouvoirs dépassant ceux qu’elle pouvait exercer dans le cadre d’un appel ou d’une révision afin de corriger les refus de demandes de prestations découlant d’un avis erroné ou d’une erreur administrative dans les cas où cette erreur ne pourrait être corrigée de façon satisfaisante à l’aide des autres dispositions du RPC.
[34] En interprétant et en appliquant de cette façon le paragraphe 66(4), la Cour d’appel a rappelé que la disposition doit être considérée comme une disposition de nature réparatrice qui s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet (paragraphe 59).
[35] La Cour d’appel a ajouté que le paragraphe 66(4) vise à permettre à la ministre de prendre toutes les mesures correctives équitables pour que la personne dont la demande de prestations a été refusée par suite d’une erreur administrative puisse bénéficier d’une réparation satisfaisante (paragraphe 60).
[36] Dans Scheuneman c Canada (Développement des ressources humaines), 2005 CAF 254, 2005 CarswellNat 1879, la Cour d’appel a confirmé le rejet d’une action en responsabilité délictuelle fondée sur une erreur administrative et, au paragraphe 40, elle a cité le rapport du ministère lui-même sur la question :
[traduction] Du point de vue des politiques applicables, s’agissant d’un examen d’un dossier fondé sur une allégation d’erreur administrative, il n’est pas question de jeter le blâme, mais d’assurer le versement des prestations auxquelles a droit le client. Il incombe donc au département concerné d’enquêter et de rétablir les droits qui ont été perdus en raison d’une erreur.
[37] Compte tenu des points de vue juridique et politique exposés plus haut, il était déraisonnable de ne pas reconnaître que l’omission de donner à M. Torrance un avis du refus de sa demande de pension et de lui permettre de solliciter une révision et de produire sa déclaration de revenus pour l’année 1998 selon la description figurant dans la lettre du 27 juillet 1999 était imputable à une erreur administrative de la part du personnel de RHDCC.
[38] L’erreur que M. Torrance a commise en omettant d’envoyer un avis de son changement d’adresse au ministère, qui portait à l’époque le nom de DRHC, n’est pas déterminante.
[39] Il s’agit en l’espèce d’une simple erreur malheureuse commise lors de la transposition d’un code postal. Ce n’est pas une question de négligence de la part des fonctionnaires par rapport à celle de M. Torrance.
[40] Cette erreur administrative a entraîné plusieurs conséquences. M. Torrance a été privé de la possibilité de solliciter une révision et de produire les déclarations manquantes. En conséquence, la possibilité d’obtenir une pension lui a été refusée.
[41] Compte tenu des mesures qu’il a prises pour se conformer aux exigences et de l’intention qu’il avait de solliciter une pension en 1999, il n’est pas raisonnable de supposer (comme l’a fait le défendeur) que, s’il avait reçu la lettre du 27 juillet 1999, M. Torrance n’aurait pas produit les documents exigés.
[42] Dans un monde « hypothétique », si l’erreur administrative n’avait pas été commise, M. Torrance aurait produit sa déclaration de revenus pour l’année 1998 et le paragraphe 30(5) ne se serait jamais appliqué.
[43] En conséquence, il était déraisonnable de conclure qu’aucune erreur administrative n’a été commise. Il n’est pas nécessaire que j’examine la question de l’avis erroné, car il suffit pour M. Torrance de prouver l’existence d’un avis erroné ou d’une erreur administrative pour être visé par le pouvoir de réparation prévu au paragraphe 66(4).
[44] En ce qui concerne l’applicabilité du paragraphe 30(5) de la Loi, le principe directeur est celui qui a été énoncé au paragraphe 61 de l’arrêt Bartlett, précité :
[traduction] La disposition [soit le paragraphe 66(4)] accorde plutôt à la ministre un pouvoir large et absolu qui lui permet de prendre « les mesures correctives qu’[elle] estime indiquées » pour s’assurer que la personne lésée est dédommagée sous l’autorité du RPC comme « s’il n’y avait pas eu erreur administrative ».
[45] Dire que les mots « placer la personne en question dans la situation où cette dernière se retrouverait sous l’autorité de la présente loi » signifient que, puisque le paragraphe 30(5) figure dans la Loi, le pouvoir de réparation de la ministre est restreint par cette dernière disposition n’apporte aucune solution et irait à l’encontre du vaste objet réparateur que vise le paragraphe 66(4).
[46] En conséquence, le paragraphe 30(5) ne s’appliquerait pas si M. Torrance était placé dans la situation où il se retrouverait si l’erreur administrative n’avait pas été commise.
C. Mesure corrective
[47] Le demandeur a demandé à la Cour d’ordonner à la ministre de lui accorder une pension, parce qu’il craint que la ministre n’ait vraiment l’intention de lui refuser cette demande. Cette crainte ressort de la dernière observation formulée dans le mémoire de la ministre :
[traduction] Cependant, si la demande de contrôle judiciaire est accueillie, le défendeur soutient que la mesure corrective qui convient consiste à renvoyer l’affaire à un représentant différent de la ministre pour nouvelle décision, mais le demandeur verra encore sa demande de pension refusée, parce qu’il n’a pas versé suffisamment de cotisations au RPC.
[48] De l’avis de la Cour, cette observation est mal formulée. Si les cotisations au RPC sont insuffisantes, c’est parce que le défendeur soutient que le paragraphe 30(5) s’applique malgré l’erreur administrative et le large pouvoir réparateur prévu au paragraphe 66(4). La Cour a déjà tranché cet argument.
[49] La ministre est liée et la Cour reconnaît qu’elle agira conformément au large pouvoir réparateur énoncé au paragraphe 66(4). Au paragraphe 66 de l’arrêt Bartlett, précité, la Cour d’appel a décrit le large pouvoir discrétionnaire dont la ministre est investie quant à la façon dont le demandeur pourrait être placé dans la position dans laquelle il se serait retrouvé si l’erreur n’avait pas été commise :
[traduction] Le paragraphe 66(4) accorde à la ministre toute la latitude voulue pour prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées afin de placer l’appelante dans la situation où cette dernière se retrouverait sous l’autorité du RPC si l’erreur administrative reprochée dans son cas n’avait pas été commise. Ce pouvoir est suffisamment large pour permettre à la ministre de se demander si, eu égard à la situation de l’appelante, la prise d’une mesure corrective pour dédommager celle-ci du paiement tardif des prestations est indiquée ou non. Dans l’exercice du pouvoir dont elle est investie sous le régime de cette disposition, la ministre doit agir de manière raisonnable, mais elle est néanmoins investie d’un large pouvoir discrétionnaire pour décider comment la partie appelante pourrait être placée dans la position dans laquelle elle se retrouverait si l’erreur n’avait pas été commise.
[50] Il n’appartient pas à la Cour de donner des directives sur la façon de corriger l’erreur. Il est possible que, étant donné que les déclarations de revenus pour l’année 1998 ont déjà été déposées, le demandeur soit tenu de remettre le remboursement d’impôt qu’il a reçu pour 1997-1998 ou de verser le manque à gagner au titre des cotisations au RPC auquel la production de la déclaration de revenus de 1998 pourrait avoir donné lieu. La question des intérêts sur ces montants pourrait être pertinente. Il pourrait y avoir de meilleures solutions pour réparer l’erreur ou des façons plus pratiques ou plus équitables d’y parvenir.
V. CONCLUSION
[51] Pour tous les motifs exposés ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie et que l’affaire sera renvoyée à la ministre en vue d’un nouvel examen et de la prise des mesures correctives indiquées en application du paragraphe 66(4).
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à la ministre en vue d’un nouvel examen et de la prise des mesures correctives indiquées en application du paragraphe 66(4).
« Michael L. Phelan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Édith Malo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1989-11
INTITULÉ : RODNEY TORRANCE
et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 17 octobre 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : Le juge Phelan
DATE DES MOTIFS : Le 31 octobre 2012
COMPARUTIONS :
James L. Thornback
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POUR LE DEMANDEUR
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Kétia Calix |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Camp Fiorante Matthews Mogerman Avocats Vancouver (Colombie-Britannique)
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POUR LE DEMANDEUR |
Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR
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