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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20121023

Dossier : IMM-2778-12

Référence : 2012 CF 1212

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2012

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

Rachel KAYINAMURA

 

demanderesse

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le 21 mars 2012, Rachel Kayinamura (la demanderesse) a déposé la présente demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi). La Commission a statué que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger visés aux articles 96 et 97 de la Loi.

 

* * * * * * * *

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Rwanda, et elle appartient à l’ethnie tutsie. Elle avait 17 ans à l’époque du génocide au Rwanda.

 

[3]               La demanderesse allègue qu’elle passait les vacances de Pâques chez sa tante lorsque le génocide a commencé. Elle soutient que des militants hutus l’ont capturée ainsi que sa tante et la servante de cette dernière.

 

[4]               La demanderesse allègue que les militants ont épargné sa vie parce que M. Mparibatenda Theodomir, qui possédait un débit de boisson fréquenté par les militants, a décidé de garder la demanderesse pour lui. La demanderesse allègue que M. Theodomir l’a gardée en otage pendant plus d’un mois. Elle soutient qu’il l’a violée et battue de nombreuses fois au cours de cette période. Elle allègue qu’elle a été secourue par le Front patriotique rwandais.

 

[5]               La demanderesse soutient qu’elle a témoigné devant le tribunal gacaca entre 2007 et 2009, où elle a accusé M. Theodomir de l’avoir violée et a accusé quatre autres individus, Mbyariyehe Gaspard, Ngirabanzi Felicien, Ahishakiye Jean et Nshimiyimana Bosco, de l’avoir capturée et battue, ainsi que sa tante et la servante de cette dernière, et d’avoir voulu les tuer.

 

[6]               Après qu’elle eut livré son témoignage, la demanderesse soutient qu’elle a reçu des menaces de mort de ces individus et de leurs familles en personne ainsi que des menaces anonymes au téléphone. Elle n’a pas dénoncé ces menaces à la police parce qu’elle ne pouvait pas les prouver.

 

[7]               La demanderesse allègue que, des cinq individus contre qui elle a témoigné devant le tribunal gacaca, seul M. Theodomir a reçu une peine d’emprisonnement. La demanderesse soutient que M. Theodomir a interjeté appel de sa sentence au début de 2009 et qu’il a été remis en liberté dans des circonstances que la demanderesse n’a pas bien comprises.

 

[8]               En janvier 2009, la demanderesse soutient qu’elle a vu M. Theodomir en liberté. Il lui aurait dit qu’il la tuerait si elle osait le poursuivre de nouveau. Incapable de se retenir, la demanderesse soutient qu’elle lui a répondu qu’elle continuerait de le poursuivre. Elle se serait ensuite adressée au procureur général de Kigali pour demander la réouverture du dossier de M. Theodomir.

 

[9]               En février 2009, la demanderesse allègue qu’elle a reçu deux notes lui disant que sa mort était proche. Elle soutient qu’elle a remis ces notes à la police pour que celle-ci puisse faire enquête.

 

[10]           Le soir du 2 mars 2009, la demanderesse allègue qu’au moment où elle quittait le travail, elle a été enlevée par deux hommes qu’elle n’avait jamais vus auparavant. Ces hommes lui auraient dit qu’elle devrait mourir afin qu’elle cesse de poursuivre les Hutus. Un des ravisseurs l’aurait violée. La demanderesse soutient qu’elle a été secourue par deux de ses collègues de travail qui avaient suivi le véhicule des ravisseurs. Ces derniers se seraient enfuis, après quoi la demanderesse et ses collègues de travail ont contacté la police.

 

[11]           La demanderesse soutient qu’elle a passé une semaine à l’hôpital à la suite de l’enlèvement. Elle a commencé à avoir des cauchemars au sujet des ses récents agresseurs, que la police n’avait pas réussi à trouver.

 

[12]           Craignant pour sa sécurité, la demanderesse a décidé de profiter de l’occasion pour se rendre aux États-Unis avec son groupe de danse traditionnelle. Elle a quitté le Rwanda le 21 avril 2009 et est arrivée aux États-Unis le lendemain.

 

[13]           La demanderesse est arrivée au poste-frontière de Lacolle le 10 juillet 2009 pour demander l’asile au Canada en qualité de réfugiée.

 

* * * * * * * *

 

[14]           La Commission a conclu que la demanderesse n’était pas crédible et que son témoignage n’était pas fiable quant aux éléments essentiels de sa demande d’asile.

 

[15]           De plus, la Commission a conclu que même si la demanderesse était crédible, sa demande échouerait sur la question de la protection de l’État. La Commission a conclu que le fait que la police n’avait pas arrêté les hommes qui avaient enlevé la demanderesse en 2009 au cours des six semaines précédant le départ de la demanderesse du pays ne constituait pas une preuve claire et convaincante que la protection de l’État était inadéquate au Rwanda. La Commission a également relevé des éléments de preuve documentaire concernant la disponibilité d’un régime de protection des témoins dans ce pays.

 

[16]           La présente affaire soulève les questions suivantes :

    1. La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a statué que la demanderesse n’était pas crédible?

 

    1. La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a statué que la demanderesse bénéficiait d’une protection de l’État adéquate au Rwanda?

 

 

 

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[17]           Je traiterai en premier lieu de la question de la protection de l’État.

 

[18]           La norme de contrôle applicable à une conclusion concernant la protection de l’État, qui est une question mixte de fait et de droit, est habituellement celle de la décision raisonnable (Ramokate c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 210, au paragraphe 9; Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, 362 N.R. 1, au paragraphe 38).

 

[19]           Lorsqu’elle contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit déterminer si les conclusions de la Commission appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47). Bien qu’il puisse exister plus d’un résultat possible, tant que le processus de décision de la Commission est justifié, transparent et intelligible, la cour de révision ne peut intervenir parce qu’à son avis il existait un résultat préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59).

 

[20]           La demanderesse soutient que la conclusion de la Commission au sujet de la protection de l’État est déraisonnable parce que le régime de protection des témoins est inadéquat au Rwanda. La demanderesse invoque le rapport de 2010 sur le Rwanda du Département d’État des États-Unis, et elle cite des extraits de ce rapport qui démontrent que le régime de protection des témoins est faible.

 

[21]           Pour sa part, le défendeur soutient que la demanderesse n’a pas présenté une preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption selon laquelle le Rwanda est capable de protéger ses citoyens. Le défendeur invoque l’arrêt Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636.

 

[22]           Je conviens avec le défendeur que la demanderesse n’a pas épuisé tous les recours internes qui s’offraient à elle et qu’elle n’a pas présenté de preuve claire et convaincante que le Rwanda n’était pas capable de protéger ses citoyens.

 

[23]           Premièrement, la demanderesse n’a pas déposé de plainte contre quatre des cinq auteurs du préjudice. Pourtant, elle allègue que ces personnes avaient proféré des menaces de mort à son endroit.

 

[24]           Deuxièmement, lorsque la demanderesse a appelé la police après avoir été enlevée et violée en 2009, les policiers sont venus sur-le-champ sur les lieux du crime et ont entrepris une enquête. Ils n’avaient eu qu’un mois et demi pour tenter de trouver les agresseurs au moment où la demanderesse a quitté le pays. Puisque même au Canada, comme le défendeur l’a souligné, les gens ne sont pas toujours traduits en justice rapidement, je conclus que l’incapacité de la police à trouver les agresseurs en six semaines avant que la demanderesse quitte le Rwanda ne constitue pas une preuve claire et convaincante que le régime de protection des témoins est inadéquat au Rwanda. En outre, la protection de l’État n’a pas besoin d’être parfaite (voir Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Villafranca, [1992] ACF no 1189 (C.A.F.), 99 D.L.R. (4th) 334, au paragraphe 7).

 

[25]           Troisièmement, la Commission a mentionné le rapport de 2010 sur les droits de la personne au Rwanda du Département d’État des États-Unis, soit le même que celui sur lequel s’appuie la demanderesse. Comme celle-ci l’a souligné, le rapport signale des cas de menaces et de violence à l’endroit de témoins du génocide au Rwanda. Cependant, comme la Commission l’a raisonnablement fait remarquer, il existe une équipe qui surveille les survivants du génocide jugés les plus à risque. Les éléments de preuve documentaire indiquaient que les autorités et les collectivités locales étaient responsables de la protection des témoins, qu’elles déployaient des efforts importants à cette fin, que les menaces et la violence à l’endroit de survivants du génocide avaient considérablement diminué, et que l’on ne rapportait aucun survivant du génocide ou témoin tué au cours de l’année. Contrairement à ce qu’allègue la demanderesse, cela démontre que les autorités et les collectivités au Rwanda font des efforts importants pour protéger les témoins et que ces efforts se sont avérés efficaces.

 

[26]           Je suis donc d’avis que la Commission a raisonnablement statué que la demanderesse bénéficiait d’une protection de l’État adéquate au Rwanda. Puisque cette conclusion est déterminante au regard de la demande de contrôle judiciaire, il ne sera pas nécessaire de traiter de l’autre question, concernant la crédibilité.

 


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[27]           Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[28]           Je conviens avec les avocats des parties qu’il n’y a pas de question à certifier en l’espèce.

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rendue le 20 février 2012 est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2778-12

 

INTITULÉ :                                      Rachel KAYINAMURA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 23 octobre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Harry Blank, c.r.                                             POUR LA DEMANDERESSE

 

Denisa Chrastinova                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harry Blank, c.r.                                             POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                               POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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