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Date: 20121016

Dossier : IMM‑1745‑12

Dossier : IMM‑9265‑11

Référence : 2012 CF 1203

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

Dossier : IMM‑1745‑12

ENTRE :

 

 

SIMRANJEET WALIA, SARIKA SHARMA

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

défendeur

 

 

 

 

Dossier : IMM‑9265‑11

ET ENTRE :

 

 

SIMRANJEET WALIA, SARIKA SHARMA

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Pour les motifs que je vais exposer, les deux demandes connexes de contrôle judiciaire sont accueillies.

 

Contexte

[2]               Simranjeet Walia et Sarika Sharma, citoyens de l’Inde, sont mari et femme. M. Walia est sikh et Mme Sharma, hindoue; ils ont deux enfants, de 2 et 5 ans, qui sont nés au Canada.

 

[3]               En septembre 2001, M. Walia est arrivé au Canada muni d’un permis d’études. Ce permis a été prorogé jusqu’en septembre 2006. En mars 2006, les autorités sont arrivées à la conclusion que M. Walia avait fait des fausses déclarations au sujet de ses antécédents professionnels dans sa demande de résidence permanente. Elles ont par conséquent décidé que M. Walia serait interdit de territoire pendant deux ans en application de l’alinéa 40(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, et ont délivré à M. Walia un avis de départ volontaire l’informant qu’il devait quitter le Canada au plus tard le 31 mai 2007. Malgré son interdiction de territoire, M. Walia a poursuivi ses démarches en vue d’obtenir le droit de rester au pays. On a finalement reporté au 14 février 2008 la date limite de son départ du Canada, mais M. Walia n’a pas quitté le pays dans le délai imparti.

 

[4]               Mme Sharma est arrivée au Canada en avril 2003. Elle a obtenu des prorogations de son statut au pays jusqu’en septembre 2007 et est restée sans statut au Canada après cette date. En mai 2008, un rapport d’interdiction de territoire a été établi contre Mme Sharma conformément à l’article 44 de la Loi.

 

[5]               Les demandeurs ont présenté une demande d’asile en décembre 2008. Ils faisaient valoir qu’advenant leur retour en Inde, ils seraient victimes de crimes d’honneur commis par la famille Walia à cause de leurs religions différentes. Leur demande d’asile a été rejetée en novembre 2010 parce qu’on a estimé que les demandeurs ne craignaient pas avec raison d’être persécutés, qu’ils pouvaient obtenir la protection de l’État et qu’ils disposaient de trois possibilités de refuge intérieur en Inde.

 

[6]               Le 12 mars 2009, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente depuis le Canada en invoquant des considérations d’ordre humanitaire (demande CH). Cette demande a été rejetée par décision datée du 14 février 2012. Le dossier IMM‑1745‑12 correspond à la demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

[7]               En mai 2011, les demandeurs ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Cette demande a été rejetée par décision datée du 16 novembre 2011. Le dossier IMM‑9265‑11 correspond à la demande de contrôle judiciaire de cette décision.

 

Conduite non irréprochable

[8]               Le défendeur soutient qu’il convient de rejeter les deux demandes parce que les demandeurs qui se sont présentés devant la Cour n’ont pas eu une conduite irréprochable. Il attire en particulier l’attention sur les faits suivants :

1.      M. Walia a joint à sa demande à titre de travailleur qualifié des documents frauduleux.

2.      M. Walia a poursuivi ses démarches en vue d’obtenir le droit de rester au pays malgré l’interdiction de territoire qui a résulté des fausses déclarations susmentionnées.

3.      M. Walia a accepté de quitter le Canada et s’est vu accorder un délai pour acheter lui‑même son billet, mais il n’a ni fait cet achat ni quitté le pays.

4.      Au lieu de partir, M. Walia a présenté une demande d’asile environ sept années après son arrivée au Canada.

5.      Mme Sharma a demandé un permis d’études pour pouvoir fréquenter le Mohawk College à compter du 10 octobre 2007 environ, mais elle ne s’y est jamais inscrite et n’a même pas répondu à l’offre d’admission faite par le collège.

[9]               Les demandeurs font valoir que le juge qui a instruit la requête en sursis a déjà tranché la question de la conduite irréprochable : il a pris acte de leur conduite, mais a néanmoins déclaré qu’il n’était pas disposé à rejeter les requêtes pour ce motif. Selon les demandeurs, le défendeur ne peut donc pas remettre cette question en litige. Les demandeurs soutiennent de manière subsidiaire que M. Walia a déjà payé le prix de ses fausses déclarations puisqu’il lui est désormais interdit, pendant deux ans, de présenter une demande en vue d’obtenir un statut lui permettant de résider au Canada. Ils ajoutent que le défendeur n’est pas cohérent : il accepte d’eux l’argent versé pour la demande CH et vient ensuite dire devant la Cour qu’ils n’ont pas eu une conduite irréprochable.

 

[10]           Dans Poveda Mayorga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1180, au paragraphe 18, la Cour a examiné la jurisprudence relative à la conduite irréprochable :

Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2006 CAF 14, la Cour d’appel fédérale a dit au paragraphe 9 que si la cour « est d’avis qu’un demandeur a menti, ou qu’il est d’une autre manière coupable d’inconduite, elle peut rejeter la demande sans la juger au fond ou, même ayant conclu à l’existence d’une erreur sujette à révision, elle peut refuser d’accorder la réparation sollicitée ». La Cour a ajouté, au paragraphe 10, que les facteurs à prendre en compte pour se prononcer sur le rejet d’une demande de cette façon sont les suivants :

 

[...] la gravité de l’inconduite du demandeur et la mesure dans laquelle cette inconduite menace la procédure en cause, la nécessité d’une dissuasion à l’égard d’une conduite semblable, la nature de l’acte prétendument illégal de l’administration et la solidité apparente du dossier […].

 

[11]           À l’instar du juge des requêtes, j’estime qu’[traduction] « à certains égards, la conduite de [M. Walia] ne devrait pas être tolérée ». Toutefois, comme ce juge, je ne suis pas non plus disposé à rejeter les présentes demandes pour ce motif. L’inconduite des demandeurs ne constitue pas pour la présente procédure une « menace » telle que la Cour doive refuser d’examiner leurs demandes, compte tenu notamment du fait que les deux décisions à l’examen sont erronées, comme je vais l’expliquer.

 

Décision relative à la demande CH

[12]           Les demandeurs soutiennent que l’agent n’était pas « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt de leurs enfants et citent à l’appui le passage suivant de la décision relative à la demande CH : [traduction] « On traitera du bien‑être physique des enfants en même temps que de celui de leurs parents dans la section sur les risques ci‑dessous ».

 

[13]           Les demandeurs affirment que l’agent a commis une erreur en combinant l’évaluation des enfants avec celle des parents, et qu’il aurait dû traiter du bien‑être physique des enfants et procéder à une évaluation à cet égard dans une perspective de garantie de leur intérêt supérieur, et non dans le cadre d’une appréciation générale des risques. Je suis d’accord avec eux.

 

[14]           En procédant à une analyse combinée, l’agent n’a pas pleinement mesuré l’intérêt des enfants et les risques auxquels ils seraient exposés. Les enfants sont des citoyens canadiens qui, en raison de leur âge et de la situation familiale, n’ont d’autre choix que de demeurer auprès de leurs parents. Ils ne sont pas, comme l’agent le laisse entendre dans le passage qui suit, de simples immigrants indiens dont l’intérêt et les risques auxquels ils seront exposés sont les mêmes que ceux de tous autres :

[traduction] Les demandeurs craignent également pour leur bien‑être physique et celui de leurs enfants, menacé par les « divers groupes militants armés qui prennent des civils pour cibles partout au pays ». J’ai consulté l’Avis aux voyageurs du MAECI et le Rapport mondial d’Human Rights Watch. Je sais que la situation est moins avantageuse en Inde qu’au Canada sur le plan de l’ordre public et que les demandeurs auront certaines inquiétudes quant à leur sécurité personnelle. Il est bien naturel, et je le comprends, que les demandeurs préfèrent vivre avec leur famille au Canada plutôt que dans un environnement rendu plus difficile par la menace terroriste. Toutefois, la situation difficile en Inde est le lot de l’ensemble de la population, y compris des immigrants éventuels; il ne semble pas que la famille des demandeurs serait touchée davantage que toute autre ». [Non souligné dans l’original.]

 

[15]           L’agent n’avait pas à chercher à savoir si le risque qu’allaient courir les enfants serait plus élevé, moins élevé ou aussi élevé que celui couru par les autres; il devait plutôt se demander ce que commandait leur intérêt supérieur. La preuve documentaire établit clairement que la vie et la santé des enfants seraient sérieusement menacées en Inde; l’agent aurait dû accorder un poids considérable à ce facteur lorsqu’il a examiné la demande CH de leurs parents. Or, il ne l’a pas fait, et sa décision sur cette question était par conséquent déraisonnable.

 

Décision relative à l’ERAR

[16]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a appliqué un critère juridique erroné, le bon critère étant de savoir s’il existait davantage qu’une simple possibilité de persécution. Ils soulignent à cette fin les commentaires suivants de l’agent : [traduction] « [L]es demandeurs n’ont pas présenté une preuve objective suffisante pour corroborer que la demanderesse subirait ce sort advenant son retour en Inde » et « la preuve produite ne corrobore pas qu’ils seraient pris personnellement pour cibles » [non souligné dans l’original].

 

[17]           Pour sa part, le défendeur fait valoir que l’agent a recouru au bon critère dans son dernier paragraphe, où il a écrit ce qui suit : [traduction] « Je conclus finalement, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, que les demandeurs n’ont pas présenté des éléments de preuve nouveaux suffisants pour me convaincre qu’il y aurait pour eux en Inde plus qu’une simple possibilité de persécution ».

 

[18]           Tour comme le défendeur, j’estime qu’il ne faut pas vérifier au microscope si la formulation des critères juridiques et la terminologie employées dans les motifs d’une décision administrative sont appropriées. Il faut plutôt examiner ces motifs comme un tout. Cela dit, la déclaration générique reproduite ci‑dessus est le seul élément qui dénote le recours au bon critère dans les motifs. Lorsqu’on examine les motifs donnés par l’agent juste avant cette déclaration, la seule conclusion à tirer est qu’il a utilisé un critère erroné. Par conséquent, le résultat est déraisonnable et il convient de renvoyer la demande afin qu’elle soit évaluée de manière correcte.

 

[19]           Le défendeur soutient que, même si cette erreur a été commise, la décision sur la demande d’asile comportait aussi comme conclusion – non contestée – que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption d’existence de la protection de l’État.

 

[20]           Tout ce que l’agent dit à ce sujet est ceci : [traduction] « Les demandeurs ont produit une preuve insuffisante pour démontrer que, depuis la décision rendue par la CISR, il y a eu un changement important dans la situation du pays ou quant à la protection offerte par l’État susceptible d’avoir une incidence sur leur demande d’ERAR ». Les demandeurs affirment que le rapport de 2010 du Département d’État des États‑Unis, publié après l’audience devant la CISR et examiné par l’agent sans qu’eux‑mêmes ne l’aient produit, constitue un nouvel élément de preuve qui contredit, ajoutent‑ils, la conclusion de la CISR relative à la protection de l’État.

 

[21]           On peut en effet soutenir que ce rapport était un nouvel élément de preuve et, qu’à ce titre, il méritait d’être examiné. En se contentant d’affirmer qu’il y avait [traduction] « une preuve insuffisante pour démontrer […] [qu’il] y a eu un changement important dans la situation du pays ou quant à la protection offerte par l’État », sans dire pourquoi le rapport ne changeait rien à la situation, l’agent a rendu une décision bien peu transparente.

 

Conclusion

[22]           Les deux décisions doivent être annulées. Ni l’une ni l’autre partie n’a proposé de question aux fins de certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1.                  Les présentes demandes sont accueillies.

 

2.                  La décision rendue le 14 février 2012 est annulée et la demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires présentée depuis le Canada par les demandeurs est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

3.                  La décision rendue le 16 novembre 2011 est annulée et la demande d’examen des risques avant renvoi des demandeurs est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

4.                  Aucune question n’est certifiée à l’égard de l’une ou de l’autre demande.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑1745‑12

 

INTITULÉ :                                                  SIMRANJEET WALIA ET AUTRE c
LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

DOSSIER :                                                    IMM‑9265‑11

 

INTITULÉ :                                                  SIMRANJEET WALIA ET AUTRE c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 16 octobre 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeremiah Eastman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Alex Kam

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JEREMIAH EASTMAN

Avocat

Brampton (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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