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Date : 20121010

Dossier : IMM-1060-12

Référence : 2012 CF 1179

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2012

En présence de madame la juge Gagné

 

 

ENTRE :

 

CUNIE BANGAYAN DALUMAY

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 20 décembre 2011 par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [SAI] a rejeté l’appel interjeté par Mme Cunie Bangayan Dalumay [la demanderesse] à l’encontre de la décision d’un agent des visas, qui avait refusé à la demanderesse la possibilité de parrainer la demande de visa de résident permanent de son mari, M. Jorge Garcia Vasquez. Selon la SAI, le mariage de la demanderesse visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], et n’était pas authentique, aux termes du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement].

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée. Compte tenu de l’état actuel du droit, la décision faisant l’objet du contrôle est raisonnable.


Faits et procédures

[3]               La demanderesse est une citoyenne du Canada d’origine philippine âgée de 39 ans. Elle est mariée depuis le 14 juin 2008 à un citoyen du Mexique. Ce dernier a 41 ans et vit actuellement au Mexique, mais il était un demandeur d’asile débouté au Canada à l’époque du mariage.

 

[4]               En octobre 2008, le mari de la demanderesse a présenté une demande de visa de résident au titre de la catégorie du regroupement familial en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi, parrainé par la demanderesse. Il a été interrogé le 11 mars  2009, et un agent des visas de l’ambassade du Canada au Mexique a rejeté la demande le 15 avril 2009.

 

[5]               L’agent a conclu que les circonstances du mariage du couple ne semblaient pas concorder avec une relation authentique. Cette conclusion était fondée principalement sur le fait que le mari de la demanderesse était un demandeur d’asile débouté; sa demande avait été rejetée en 2005, et une mesure de renvoi avait été prise contre lui le 26 août 2006. Le mari de la demanderesse a demandé par la suite un permis de travail, mais cette demande a aussi été rejetée le 19 juin 2007. Étant donné que le mari de la demanderesse a volontairement quitté le Canada après avoir épousé sa répondante canadienne, il semblait avoir contracté son mariage essentiellement en vue d’acquérir un privilège au titre de la Loi, a estimé l’agent.

 

[6]               Lors de l’appel de novo interjeté devant la SAI, le témoignage de la demanderesse et celui de son mari sur leur première rencontre, le développement de leur relation et les circonstances de leur mariage ont été jugés cohérents et crédibles. La Cour s’appuie donc sur les faits tels qu’ils sont exposés dans les motifs de la SAI.

 

[7]               La demanderesse et M. Vasquez se sont rencontrés en décembre 2006, par l’entremise d’un ami commun. Ils ont pris contact plus tard, et la demanderesse a invité son futur mari à une fête pour célibataires organisée à son église, en février 2007. Après cette fête, M. Vasquez a commencé à fréquenter cette église et a été baptisé en mars 2007. La demanderesse et M. Vasquez ont commencé à approfondir leur relation au printemps 2007.

 

[8]               La demanderesse a témoigné avoir appris que M. Vasquez était un demandeur d’asile débouté lors de leur deuxième rencontre. À cette époque‑là, a‑t‑elle expliqué, il étudiait et travaillait, mais sa situation précaire en matière d’immigration le rendait anxieux. Il n’avait toutefois pas peur de se lier d’amitié avec la demanderesse parce qu’il lui faisait confiance.

 

[9]               Leur relation devenant plus intime, ils ont commencé à parler de leur possible avenir commun et d’un éventuel mariage vers le mois de mai 2007, mais la demanderesse avait toutefois l’impression que cette relation était encore trop jeune. En janvier 2008, la demanderesse a fait la connaissance du fils de M. Vasquez, venu en visite au Canada. En février 2008, le couple a emménagé ensemble, et la demanderesse a souscrit une assurance‑vie, dont M. Vasquez était le bénéficiaire. Lorsqu’ils vivaient ensemble, la demanderesse et M. Vasquez travaillaient tous les deux et partageaient les dépenses du ménage.

 

[10]           M. Vasquez a d’abord demandé la demanderesse en mariage en décembre 2007, puis de nouveau le 19 mai 2008, en présence de membres de la famille et d’amis de la demanderesse, à l’occasion de l’anniversaire de l’oncle de celle‑ci. Le couple s’est marié le 14 juin 2008 à l’église; l’employeur, les parrain et marraine, l’oncle, les cousins et cousines ainsi que les amis de la demanderesse ont assisté au mariage. Toutefois, les parents de la demanderesse et de son mari n’étaient pas présents pour des raisons de santé et des raisons financières.

 

[11]           Le mari de la demanderesse est retourné au Mexique le 24 août 2008, étant donné qu’il faisait l’objet d’une mesure d’expulsion. La demanderesse l’a accompagné dans ce voyage et retourne au Mexique une fois par année depuis 2008 pour le visiter, lui et sa famille. Ils se parlent au téléphone régulièrement et s’envoient des messages textes. La demanderesse a expliqué que le coût des voyages l’empêchait d’aller au Mexique plus souvent.

 

[12]           Le mari de la demanderesse ne travaille pas depuis qu’il est rentré au Mexique en 2008. Il dépend financièrement de la demanderesse, qui lui envoie de l’argent chaque mois et qui paie les factures. Il n’est pas revenu au Canada depuis son départ, à la fois pour des raisons financières et parce que sa mère est malade. Il n’a pas pu rejoindre sa femme quand elle dû se rendre aux Philippines pour les funérailles de sa mère en février 2011. Cependant, il a pu se payer un voyage de deux semaines à Londres en août 2009, grâce à l’argent qu’il aurait gagné en effectuant de petits boulots, comme des travaux de nettoyage et de peinture. Le mari de la demanderesse ne travaillait toujours pas au moment de l’audience de la SAI, le 2 novembre 2011.

 

[13]           De son côté, la demanderesse occupe trois emplois (comme employée de magasin de détail et comme femme de ménage) et travaille en tout de 60 à 70 heures par semaine. Elle envoie 300 $ par mois à son mari, c’est‑à‑dire environ la moitié de son revenu disponible, une fois le loyer payé.

 

 

[14]           Selon la SAI, les principaux doutes émis par l’agent des visas concernaient notamment le fait que M. Vasquez était un demandeur débouté faisant l’objet d’une mesure de renvoi (ce qui rendait non crédible le développement de sa relation avec la demanderesse) et l’absence de leurs parents au mariage. La SAI a cherché à clarifier les questions de crédibilité et les motivations du mari de la demanderesse, de même que la compatibilité des époux.

 

[15]           Comme nous l’avons vu plus tôt, la SAI a estimé que le témoignage de la demanderesse était franc et crédible. Toutefois, la SAI a accordé une « valeur moyenne » à la preuve documentaire produite pour étayer l’authenticité du mariage, qui concernait le soutien financier fourni par la demanderesse, les communications sous forme de courriels, de cartes, de conversations téléphoniques et de clavardage et les voyages au Mexique faits par la demanderesse.

 

[16]           La SAI a accepté les raisons données par la demanderesse et son mari pour expliquer l’absence de leurs parents à leur mariage. La SAI a cependant accordé plus de poids aux facteurs suivants : 1) le statut (ou l’absence de statut) du mari de la demanderesse au Canada à titre de demandeur d’asile débouté et le fait qu’il faisait l’objet d’une mesure de renvoi au moment de son mariage; 2) le fait que, même avant le mariage, la demanderesse s’inquiétait de l’accès aux soins de santé de M. Vasquez (la demanderesse a expliqué qu’il avait un problème non traité à l’œil droit parce qu’il n’avait pas l’argent nécessaire pour se faire soigner); et 3) le fait que le mari de la demanderesse dépendait financièrement de sa femme et avait fait peu d’efforts pour subvenir à ses besoins au Mexique. La SAI comprenait que le mari de la demanderesse devait s’occuper de sa mère malade, mais elle a noté qu’il avait réussi à économiser assez d’argent pour faire un voyage à Londres.

 

[17]           Compte tenu de ces faits, la SAI a estimé que l’expulsion imminente de M. Vasquez avait motivé ce dernier à épouser la demanderesse dans le but de rester au Canada. Par conséquent, l’appel a été rejeté.

 

Question en litige et norme de contrôle applicable

[18]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les arguments de la demanderesse soulèvent une seule question : la SAI a‑t‑elle commis une erreur en rejetant l’appel, ayant conclu que, du point de vue de l’époux parrainé, le mariage n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut au titre de la Loi?

 

[19]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question qui lui est soumise est bien arrêtée par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Il est bien établi que « [l]es évaluations de demandes de résidence permanente sur le fondement de la catégorie du regroupement familial et de l’authenticité du mariage en particulier, soulèvent des questions mixtes de faits et de droit, et la norme de contrôle établie est la raisonnabilité » (Glen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 488, aux paragraphes 42 et 43, [2011] ACF no 607; Keo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1456, au paragraphe 7, [2011] ACF no 1755 [Keo]).

 

[20]           La demanderesse renvoie la Cour à Zambrano c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481, au paragraphe 32, [2008] ACF no 601, où la juge Dawson présente ainsi la norme de la décision raisonnable :

S’agissant du contrôle fondé sur la norme de la décision raisonnable, la Cour doit examiner les attributs qui font qu’une décision est raisonnable, et qui comprennent à la fois le processus et le résultat. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47.

[Non souligné dans l’original.]

 

Examen des motifs de la SAI

[21]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève une question de droit transitoire. Lorsque l’agent des visas a rejeté la demande et lorsque l’appel devant la SAI a été déposé, l’article 4 du Règlement était ainsi rédigé :

Mauvaise foi

4.  Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

[Non souligné dans l’original]

Bad faith

4.  For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

 

[22]           Toutefois, au moment de l’audience de novo devant la SAI et au moment où la décision a été rendue, c’était le nouveau paragraphe 4(1) du Règlement (modifié le 30 septembre 2010) qui était en vigueur. La disposition est maintenant rédigée comme suit :

Mauvaise foi

 

4. (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

b) n’est pas authentique.

 

[Non souligné dans l’original.]

Bad faith

 

4. (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

 

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under la Loi; or

 

(b) is not genuine.

 

 

 

 

[23]           Ayant constaté que le critère conjonctif à deux volets avait été remplacé par un critère disjonctif à deux volets, la SAI n’a pas jugé nécessaire de déterminer quelle version du Règlement elle devait appliquer dans ses motifs, compte tenu des conclusions « qu’[elle avait] tirées quant à l’objectif principal et quant à l’authenticité du mariage ». Après une lecture attentive des motifs de la SAI, il est évident que la conclusion finale était essentiellement fondée sur le premier volet du critère, à savoir les intentions principales du mari de la demanderesse. Toutefois, la SAI a fait clairement savoir que, à son avis, l’appel aurait également été rejeté en application de l’ancien article 4 parce que le mariage de la demanderesse n’était pas authentique.

 

[24]           À l’audience devant la Cour, une discussion a été soulevée sur la question de savoir quelle version du Règlement aurait dû être appliquée en l’espèce. Les parties ont été invitées à déposer d’autres observations détaillant leur position respective. La demanderesse estime que la Cour devrait examiner la décision contestée à la lumière de l’ancien article 4 parce que la question soumise à la Cour concerne le caractère raisonnable de la décision de l’agent des visas qui a été rendue avant la modification de septembre 2010. Le défendeur soutient que la Cour a adopté une approche différente dans des situations similaires dans Wiesehahan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 656, [2011] ACF no 831 [Wiesehahan], et Macdonald c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 978, [2012] ACF no 1048 [Macdonald]. Ces décisions appuient la thèse selon laquelle l’actuel paragraphe 4(1) devrait s’appliquer aux appels entendus après septembre 2010, étant donné que les audiences devant la SAI sont des appels de novo, visés par le nouveau Règlement.

 

[25]           Je souscris à la position que fait valoir le défendeur. Premièrement, c’est la décision rendue en appel et non la décision de l’agent des visas qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire, quoique les deux contiennent des conclusions similaires. De plus, bien que la Cour ait conclu dans des cas exceptionnels que l’ancien critère conjonctif demeurait applicable quand la SAI avait rendu sa décision originale en se fondant sur l’ancienne version du Règlement (Elahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 858, au paragraphe 26, [2011] ACF no 1068) ou quand le caractère raisonnable de la décision dans son ensemble – plutôt que l’applicabilité d’une version particulière du critère – était mis en cause (Keo, précitée, au paragraphe 14), la jurisprudence récente de la Cour favorise le maintien de l’application, par la SAI, du Règlement modifié, entré en vigueur entre le moment où l’appel a été introduit et l’audience (Wiesehahan, précitée; MacDonald, précitée). J’examinerai donc le caractère raisonnable de la décision contestée à la lumière du nouveau paragraphe 4(1) du Règlement, de sorte que la décision devrait être maintenue si l’un ou l’autre des volets du critère est satisfait.

 

[26]           Après avoir examiné attentivement les observations des parties, la décision contestée et les transcriptions des audiences, je suis d’avis que la SAI a raisonnablement conclu que le mari de la demanderesse était principalement motivé par l’intention durable de demeurer ou de retourner au Canada, bien que la SAI n’ait pas corroboré par suffisamment d’éléments de preuve sa conclusion voulant que le mariage n’était pas authentique de manière générale.

 

[27]           La demanderesse s’appuie fortement sur la conclusion de la SAI selon laquelle la demanderesse était crédible et avait fait d’honnêtes et importants efforts pour soutenir son mari pendant plusieurs années. La demanderesse affirme en outre que la preuve ne permettait pas de conclure que son mari n’était pas crédible étant donné que les témoignages des époux avaient été jugés explicitement cohérents et crédibles quant à leur première rencontre, au développement de leur relation et aux circonstances de leur mariage, et que ces faits avaient été corroborés par une ample preuve documentaire démontrant la continuité et la stabilité de leur relation.

 

[28]           Le défendeur soutient que l’authenticité du mariage et les fins ultérieures du mariage doivent être appréciées du point de vue de chacune des parties. Ainsi, bien qu’une partie puisse croire honnêtement que le mariage est authentique et qu’il n’a pas été contracté dans un but illégitime, le mariage n’est pas authentique si l’autre partie a une vision différente des choses. Cette thèse correspond à mon interprétation du paragraphe 4(1) du Règlement et à la jurisprudence de la Cour.

 

[29]           Dans la décision Keo, précitée, le juge Martineau a examiné les deux versions du paragraphe 4(1) du Règlement, c’est‑à‑dire avant et après la modification apportée le 30 septembre 2010. La Cour a déclaré ce qui suit :

La modification apportée à l’article 4 du Règlement n’est pas de nature cosmétique, l’utilisation des termes « selon le cas » dans la version française et du terme « or » dans la version anglaise ne laisse place à aucun doute : il suffit que l’un ou l’autre des deux éléments (authenticité du mariage et intentions des parties) ne soit pas rencontré pour que l’exclusion du nouveau paragraphe 4(1) du Règlement s’applique.

[…]

 

Un mariage a pu être célébré selon toutes les formes légales exigées, n’empêche, l’agent des visas ou le tribunal peuvent refuser d’en reconnaître les effets aux fins de l’application de la Loi et du Règlement s’ils concluent que le mariage n’a pas été contracté de « bonne foi », et ce même si l’expression « mariage non-authentique » n’est pas utilisée dans leurs motifs de décision. Voir Vézina c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 900 au para 14 (Vézina). En effet, ce que les lois en matière d’immigration ne reconnaissent pas, ce sont les cas où les deux époux sont complices d’une duplicité (mariage non-authentique) et/ou que l’intention des époux ou de l’un des époux vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège (même si l’autre partenaire peut y trouver son compte). Dans d’autres juridictions, on décrira quelquefois ces unions comme des mariages « blancs » ou « gris », alors qu’au Canada, l’expression « mariage de convenance » est utilisée dans le Guide.

 

Par conséquent, qu’il s’agisse d’un mariage conventionnel, d’un mariage arrangé ou d’un autre type de relation conjugale, il est essentiel de retrouver dans la relation du couple un engagement mutuel à une vie commune à l’exclusion de toute autre relation conjugale. L’interdépendance physique, émotive, financière et sociale des époux va de pair, car après tout, dans toutes cultures et traditions, au delà des engagements religieux s’il en est, du point de vue de ses effets civils, le mariage est avant tout un contrat à durée indéterminée obligeant les époux à s’aider mutuellement et à contribuer aux charges du mariage à proportion de leurs facultés respectives, ce qui inclut bien entendu l’activité au foyer de l’un ou l’autre des époux et même des deux.

 

D’ailleurs, dans l’arrêt M c H, [1999] 2 RCS 3, au paragraphe 59, la Cour Suprême du Canada s’est référée aux critères que l’on retrouve dans Molodowich c Penttinen (1980), 17 RFL (2d) 376 (C. dist. Ont.) pour inclure les relations « semblables à un mariage ». On parlera d’« union conjugale » à partir de caractéristiques généralement acceptées : soit le partage d’un toit, les rapports personnels et sexuels, les services, les activités sociales, le soutien financier, les enfants et aussi l’image sociétale du couple. Toutefois, ces éléments peuvent être présents à des degrés divers et tous ne sont pas nécessaires pour que l’union soit tenue pour conjugale. On retrouve le même genre de critères dans le Guide.

 

[…]

Il n’existe pas un mode d’analyse unique. Par exemple, l’envoi d’argent, la mise en commun de ressources financières, l’existence de comptes conjoints, l’achat de propriétés au nom des deux conjoints, sont certainement indicatifs d’un soutien ou d’une interdépendance au niveau financier. On peut également vérifier comment les conjoints se comportent l’un envers l’autre et vis‑à‑vis les autorités de leurs pays respectifs. Ont-ils des enfants? S’offrent-ils mutuellement du soutien lorsqu’ils sont malades? S’offrent-ils des cadeaux? Voyagent-ils ensemble? Vivent-ils sous le même toit lorsqu’ils se retrouvent dans le pays d’origine du conjoint étranger? Comment communiquent-ils lorsqu’ils sont séparés et à quelle fréquence?

                                                                                                [Non souligné dans l’original.]

[30]           Lorsqu’il s’agit d’établir le caractère authentique du mariage, la preuve requise est plus objective que lorsqu’il s’agit d’établir les vraies intentions à l’origine du mariage des époux, car l’authenticité touche à de vastes aspects de la relation. Toutefois, à mon avis, pour chaque volet du critère établi au paragraphe 4(1) du Règlement, le tribunal doit analyser l’intention principale et vraie des époux, ce qui passe par l’évaluation de leurs points de vue subjectifs. En fait, les facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si une relation conjugale existe, tels qu’ils sont établis dans le Guide, comprennent le degré d’engagement mutuel et de soutien entre les époux, leur intention bien arrêtée d’établir une relation à long terme et les aspects financiers et sociaux élargis de la relation.

 

[31]           Le point de vue voulant qu’il existe un certain chevauchement entre l’authenticité du mariage et le but principal du mariage aux yeux des époux est également appuyé par la jurisprudence antérieure à la modification de 2010. Dans Sharma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1131, aux paragraphes 17 et 18, [2009] ACF no 1595, la juge Snider a statué qu’il existe un lien entre les deux volets du critère, de sorte que « le manque d’authenticité constitue une preuve convaincante que le mariage visait principalement à acquérir [la résidence permanente au Canada] ». Par la suite, la Cour a conclu que le manque de bonne foi pouvait créer la présomption que le mariage visait l’acquisition d’un statut (Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 417, au paragraphe 16, [2010] ACF no 482).

 

[32]           En l’espèce, la SAI n’a pas explicitement contesté la preuve de l’authenticité du mariage, mais elle a conclu que, dans le cas des deux époux (quoique dans une plus grande mesure pour le mari de la demanderesse), le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au titre de la Loi. Autrement dit, la SAI a considéré que le mariage (ou la relation) était unilatéral. La demanderesse a souscrit une police d’assurance dont le bénéficiaire est son mari, elle a visité son mari plusieurs fois au Mexique et payé elle-même toutes ses dépenses, elle a fait, avec son mari et le fils de son mari, un voyage qu’elle a payé elle-même, elle envoie de l’argent à son mari tous les mois et paie ses factures, etc.

 

[33]           La SAI a également conclu que, d’après le témoignage de la demanderesse, le couple s’était marié en partie parce qu’il s’inquiétait de l’accès aux soins de santé au Canada de l’époux parrainé. La demanderesse soutient que cet élément de preuve est ressorti d’autres questions non liées qui lui avaient été posées au cours de l’entrevue et qu’il ne suffit pas à établir que l’un ou l’autre des époux visait principalement à permettre, par le mariage, à l’époux parrainé d’avoir accès aux soins de santé ou d’acquérir un statut juridique au Canada.

 

[34]           Après avoir lu les transcriptions de l’audience, je constate que la demanderesse a explicitement déclaré qu’elle et M. Vasquez avaient discuté de cette question assez tôt au début de leur relation, et même avant de décider de se marier :

[traduction] Q : Vous avez affirmé plus tôt n’avoir pas demandé de consultation juridique avant de vous marier.
R : Nous l’avons fait. Oui, nous l’avons fait.

Q : Vous avez obtenu une consultation juridique avant de vous marier?

R : Oui.
Q : À qui avez-vous parlé?
R : Il a parlé à un ami, à quelqu’un qu’il connaissait, et nous avons tout préparé.
Q : D’accord.
R : Et c’est comme ça que nous avons passé tous les papiers après le mariage.
Q : Vous avez entamé ces démarches en avril et vous vous êtes mariés – fiancés en mai et mariés en juin?
R : Oui.
Q : Pourquoi prépariez‑vous les papiers d’immigration avant de vous fiancer?
R : Je m’inquiétais pour lui. Nous préparions les papiers parce que je m’inquiétais de sa situation, de sa santé. Et puis il devait avoir accès à des soins de santé au cas où il se blesserait.

Q : Mais vous n’étiez pas encore fiancés. Pensiez-vous l’épouser à ce moment‑là?
R : Oui.
Q : Même avant qu’il ---
R : Même avant qu’il fasse sa demande, oui.

 

[35]           Par conséquent, j’estime que les préoccupations de la SAI à cet égard n’étaient pas déraisonnables, en ce sens que sa conclusion appartenait « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

[36]           Cet élément de preuve aurait probablement été insuffisant à lui seul pour permettre de conclure que le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège, mais les principales préoccupations de la SAI concernaient les vraies intentions de l’époux parrainé. Je constate que M. Vasquez avait parlé de mariage avec la demanderesse à peine trois mois après leur première rencontre (et à peine six mois après le rejet de sa demande de permis de travail) alors qu’il faisait déjà l’objet d’une mesure de renvoi qu’il n’avait pas respectée, qu’il a déployé peu d’efforts pour trouver du travail depuis son retour au Mexique et qu’il a fait – avec le peu d’argent qu’il avait gagné en faisant de menus travaux au Mexique – un voyage de deux semaines à Londres sans la demanderesse, mais qu’il n’a toutefois pas accompagné sa femme lorsqu’elle s’est rendue aux Philippines pour assister aux funérailles de sa mère.

[37]           Compte tenu de l’ensemble de la preuve, les conclusions de la SAI selon lesquelles la demanderesse est « un témoin crédible, qui a répondu aux questions de manière franche » et « une personne qui travaille très fort, qui a fait des sacrifices financiers énormes pendant plusieurs années pour subvenir aux besoins de son époux », ou voulant que les témoignages respectifs des époux quant aux circonstances de leur mariage étaient cohérents et crédibles n’empêchent pas la SAI de déterminer que le mariage visait l’acquisition d’un privilège au titre de la Loi. La preuve présentée à la SAI appuyait cependant la conclusion selon laquelle le mari de la demanderesse n’était pas crédible ni de bonne foi.

 

[38]           Contrairement à ce qu’avance la demanderesse, ce n’est pas l’absence de statut au Canada de son mari qui fait que leur mariage n’a pas été contracté de bonne foi. La demanderesse affirme que le mariage lui avait été proposé alors que M. Vasquez essayait encore de régulariser son statut au Canada, malgré la mesure de renvoi prise contre lui. Elle soutient que le fait d’avoir attendu presque deux ans avant de se marier neutralise l’idée que M. Vasquez voulait se marier pour éviter le renvoi (Glen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 488, au paragraphe 46, [2011] ACF no 607).

 

[39]           Toutefois, le raisonnement qui sous-tend la décision dont je suis saisie repose plus généralement sur les circonstances des deux époux avant et après le mariage, y compris le moment du mariage. Dans ce contexte, la dépendance financière de l’époux parrainé à l’égard de la demanderesse pourrait raisonnablement être interprétée comme un facteur secondaire concordant avec la conclusion de la SAI, même si la situation économique de l’époux ou son incapacité à trouver du travail au Mexique n’étaient pas directement des facteurs à prendre en considération pour déterminer s’il était de bonne foi en épousant la demanderesse.

 

[40]           La demanderesse affirme que la conclusion défavorable de la SAI s’appuyait sur une preuve qui ne respectait pas le critère de la prépondérance des probabilités. Bien que la preuve crédible de l’authenticité de son mariage (démontrant les caractéristiques favorables d’un couple, aux dires de la demanderesse) n’ait pas été totalement soupesée dans l’évaluation, la décision de la SAI reposait sur le fait que le mari de la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il s’était engagé dans la relation avec l’intention de fonder, d’élever et de soutenir une famille avec la demanderesse. Il s’agit d’une conclusion raisonnable dans les circonstances, tant du point de vue du raisonnement sous-jacent que du résultat, et suffisante pour que la SAI rejette l’appel.

 

[41]           Aucune question d’importance générale n’a été proposée aux fins de certification et le dossier n’en soulève aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est par la présente rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« Jocelyne Gagné »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1060-12

 

INTITULÉ :                                      CUNIE BANGAYAN DALUMAY c MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 11 septembre 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 10 octobre 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Osborne G. Barnwell

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Brad Gotkin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Osborne G. Barnwell

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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