Date : 20121004
Dossier : IMM-1775-12
Référence : 2012 CF 1171
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2012
En présence de monsieur le juge Phelan
ENTRE :
|
ASADOLLAH FOROOGH BADRIEH FOROOGH
|
|
|
demandeurs
|
|
et
|
|
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
|
|
|
défendeur
|
|
|
|
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
I. INTRODUCTION
[1] Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision par laquelle un agent des visas (l’agent des visas) a rejeté la demande de résidence permanente à titre de réfugiés au sens de la Convention de monsieur et de madame Foroogh. La décision a tout d’abord confirmé le statut de réfugié de M. Foroogh (la demande de son épouse était subordonnée à la sienne), pour conclure ensuite qu’il était « interdit de territoire ».
[2] Les demandes d’asile des deux enfants, Farzan et Farhad, ont été acceptées.
II. LES FAITS
[3] Les demandeurs sont des citoyens afghans qui vivent actuellement à Quetta (Pakistan). Leur demande d’asile et les visas nécessaires ont été parrainés par le Lutheran Rim ad hoc Committee, un organisme répondant autorisé par le défendeur.
[4] Le fait crucial dans la présente affaire est que M. Foroogh a servi dans l’armée de 1977 à 1979. Il a prétendu qu’après un mois d’entraînement, il a été affecté dans une unité de communications à titre de commis. Ses responsabilités, a-t-il indiqué, consistaient à organiser les documents relatifs aux présences, au mess et aux patrouilles. Il n’a pas pu nommer avec exactitude l’arme avec laquelle il s’était entraîné, pas plus qu’il n’avait sa carte d’identité contenant les détails de son service militaire.
[5] L’entretien avec l’agent des visas est décrit dans les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration [STIDI], auxquelles s’ajoute l’affidavit de l’agent des visas déposé dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Il n’y a pas de transcription et les notes du STIDI prêtent parfois à confusion et sont manifestement incomplètes.
[6] L’entretien a été mené en compagnie d’un interprète. Il y a eu des problèmes d’interprétation évidents et, quand M. Foroogh s’est plaint de la qualité de l’interprétation, l’agent des visas lui a demandé de quitter la pièce.
[7] Dans la lettre de décision, l’agent des visas a décrit la raison pour laquelle il n’était pas convaincu que M. Foroogh [traduction] « n’était pas interdit de territoire » : ce dernier ne disait pas la vérité au sujet du lieu où il avait fait son service militaire, du moment où il l’a fait, ainsi que des tâches connexes. Comme M. Foroogh n’avait pas de preuve documentaire sur son service militaire (je signale qu’il avait accompli ce dernier 34 ans plus tôt), l’agent des visas a déclaré qu’il avait dû se fier à la version des faits de M. Foroogh, version qui, disait-il, contenait des [traduction] « contradictions importantes ».
[8] Les contradictions précisément reprochées à M. Foroogh étaient qu’il disait avoir suivi son entraînement avec un AK47, alors qu’à cette époque l’armée afghane ne se servait pas de cette arme-là, et qu’il ne pouvait pas dire quelles étaient ses affectations ou ses tâches, ni ses dates d’affectation et leurs emplacements. L’agent des visas en a déduit que M. Foroogh ne satisfaisait pas aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR]. La disposition précise qui est en litige est le paragraphe 11(1) de la LIPR :
11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi. |
11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.
|
[9] Dans les notes consignées dans le STIDI, l’agent des visas a ajouté des références à des faits survenus à l’époque du service militaire de M. Foroogh, notamment la fin du régime Daoud en 1978 et des incidents de violations des droits de la personne. Aucune corrélation n’a été tirée ou aucune pertinence n’a été établie entre ces violations des droits de la personne et le propre service militaire de M. Foroogh.
[10] Dans l’affidavit de l’agent des visas que l’intimé a déposé, censément pour traiter des questions d’équité procédurale, l’agent des visas expose d’autres faits historiques qui, dit-il, étayent sa décision. Il indique, en rapport avec la crédibilité, que d’après sa propre expérience des entretiens, les militaires affectés à des tâches de bureau faisaient aussi des patrouilles. M. Foroogh avait dit qu’il ne s’occupait que de tâches administratives et qu’il ne faisait pas de patrouilles.
III. ANALYSE
[11] Les questions juridiques de fond sont les suivantes :
• y a-t-il eu un ou plusieurs manquements à l’équité procédurale?
• la décision était-elle raisonnable?
[12] Avant de traiter des questions de fond, il y a quelques questions préliminaires à examiner. Les parties ont fait état d’autres questions, comme l’utilisation de documents supplémentaires et le fait de savoir si Mme Foroogh était une personne protégée.
[13] La demande de Mme Foroogh étant subordonnée à celle de M. Foroogh, il n’est pas nécessaire de traiter de cette question.
[14] Quant à l’introduction d’éléments de preuve supplémentaires non soumis au décideur, il s’agit là d’une tactique à laquelle se sont livrées les deux parties. Les demandeurs se trouvent dans une étrange situation : ils s’opposent à l’affidavit de l’agent des visas pour certaines questions, tout en se fondant sur ce document pour d’autres.
[15] Les documents supplémentaires des demandeurs ne sont pas importants dans le contexte de l’issue à déterminer devant la présente Cour. L’affidavit de l’agent des visas est des plus pertinents pour ce qui est de la question de l’équité procédurale. Le fait que cet agent tente indûment de justifier davantage le bien-fondé de sa décision est une question qui a trait à l’équité procédurale.
A. La norme de contrôle applicable
[16] Il est maintenant bien établi en droit que l’on contrôle l’équité procédurale en fonction de la norme de la décision correcte (Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 RCS 539).
[17] Les questions relatives au bien-fondé d’une décision relative à un visa sont soumises à la norme de contrôle de la raisonnabailité. Les normes de contrôle qui s’appliquent en l’espèce sont bien décrites dans la décision Saifee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 589, 2010 CarswellNat 1510, aux paragraphes 25 et 26 :
[…] les décisions des agents des visas déterminant si les demandeurs appartiennent à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou à la catégorie de personnes de pays d’accueil soulèvent surtout des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, assujetties par conséquent à la raisonnabilité comme norme de contrôle; les questions concernant la justice naturelle et l’équité procédurale que soulèvent ces décisions sont toutefois assujetties à la décision correcte comme norme de contrôle.
Je souscris à cette analyse, mais y ajoute la mise en garde suivante : les décisions des agents des visas rendues sur de pures questions de droit dans le contexte de ces décisions peuvent être assujetties à la décision correcte comme norme de contrôle. Il n’y a donc pas lieu de considérer que la norme de la décision raisonnable en l’espèce s’applique obligatoirement aux décisions sur des questions de droit.
B. L’équité procédurale
[18] Pour évaluer l’effet des questions relatives à l’équité procédurale en l’espèce, il est important de garder à l’esprit qu’il a été conclu que M. Foroogh avait le statut de réfugié au sens de la Convention, mais que cette protection a été refusée à lui et à son épouse à cause de la [traduction] « question d’interdiction de territoire ». Les problèmes d’équité procédurale sont tous liés à la question de l’interdiction de territoire et ont d’importantes conséquences pour les demandeurs.
[19] Les demandeurs disent que le fait de ne pas avoir fourni de services d’interprétation appropriés est un manquement à l’équité. Cependant, sans un dossier convenable, la Cour n’est pas en mesure de juger si ces services étaient à ce point mauvais que cela constituait un manquement à l’équité.
[20] Ce qui pose problème est la façon dont l’agent des visas a réagi à la plainte de M. Foroogh, au milieu de l’entrevue, à savoir que l’interprète ne traduisait pas convenablement ce qu’il disait. Rien n’a été fait pour déterminer s’il y avait un problème, et M. Foroogh a été chassé de la pièce. Le problème d’interprétation, à lui seul, n’atteindrait peut-être pas le niveau d’un manquement à l’équité mais, dans le contexte d’autres problèmes, il dénote à quel point le processus d’audition a été insatisfaisant et à quel point la décision ultime est lacunaire.
[21] Le manquement le plus grave à l’équité procédurale est le fait que l’agent des visas se soit fondé sur des éléments de preuve extrinsèques, en l’occurrence l’expérience personnelle qu’il avait acquise en interrogeant d’autres commis, à savoir que les commis, en plus de leurs tâches administratives, exécutaient souvent des tâches de patrouille et de surveillance. Il ressort clairement de la décision que la conclusion défavorable de l’agent des visas au sujet de la crédibilité était liée dans une large mesure à cette preuve extrinsèque.
[22] Cette preuve extrinsèque, lue de pair avec les commentaires faits à propos des droits de la personne, amène à conclure, vaguement et sans preuves, que M. Foroogh faisait des patrouilles pendant que l’on commettait des violations des droits de la personne.
[23] L’agent des visas se devait de donner à M. Foroogh la possibilité de le confronter, à tout le moins, à propos du fait que les commis faisaient bel et bien des patrouilles et de la surveillance et que, par conséquent, le témoignage de M. Foroogh ne concordait pas avec ces faits. Ce dernier avait le droit de faire des commentaires sur n’importe quel soupçon et de le dissiper. On ne lui a jamais donné l’occasion de le faire en rapport avec une une question d’importance cruciale pour l’agent des visas.
[24] Dans la décision Chowdhury c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 43 Imm LR (2d) 291, 1998 CanLII 7505 (CF), la Cour a déclaré que les agents des visas ne doivent pas « faire le timide » lorsqu’ils font état de leurs doutes; ils agissent comme interrogateur et juge et doivent donc exposer scrupuleusement les doutes qu’ils ont.
[25] Cette question à elle seule justifie que l’on fasse droit au contrôle judiciaire concernant la conclusion d’interdiction de territoire.
C. La raisonnabilité de la décision
[26] La raisonnabilité de la décision est liée dans une large mesure aux faits qui sous-tendent les questions d’équité procédurale.
[27] L’agent des visas n’a pas souscrit à la version de M. Foroogh parce qu’il s’est fondé sur des éléments de preuve extrinsèques.
[28] Sans ces éléments de preuve, la conclusion de l’agent des visas selon laquelle M. Foroogh n’avait pas prouvé de manière suffisante son service militaire est déraisonnable. M. Foroogh a décrit à quel moment il a joint les rangs de l’armée, où il a été affecté, dans quelle unité il a été cantonné et quelles étaient ses fonctions. Il est difficile de savoir quelles informations supplémentaires l’agent des visas aurait raisonnablement voulu avoir.
[29] L’agent des visas ne dit jamais pourquoi M. Foroogh pourrait être interdit de territoire, par exemple pour cause de complicité à l’égard de violations des droits de la personne ou d’une autre conduite illicite. C’est donc dire que la seule raison pour laquelle M. Foroogh n’est [traduction] « pas interdit de territoire » est le caractère suffisant de sa preuve.
[30] Si la décision a été fondée sur l’insuffisance de la preuve - et la Cour a conclu que ce n’était pas le cas - il s’ensuit que la conclusion est déraisonnable à cause du paragraphe 28 des présentes. Si la décision a un semblant quelconque de raisonnabilité, elle repose sur la véracité d’éléments de preuve extrinsèques et leur pertinence à l’égard du demandeur, mais ces preuves ne lui ont pas été soumises.
[31] De ce fait, la décision est elle aussi déraisonnable.
IV. LA MESURE DE RÉPARATION
[32] La mesure de réparation qui convient est difficile à établir. Les demandeurs sont parvenus à obtenir la qualité de réfugié. Il semble injuste que l’on puisse mettre en péril cette conclusion favorable en renvoyant l’affaire pour qu’une nouvelle décision soit rendue.
[33] Cependant, la Cour craint que le processus tout entier soit vicié. Elle annule donc la décision toute entière et renvoie l’affaire à un agent différent. Compte tenu des conclusions qui ont été tirées au sujet des deux fils et de la conclusion en matière d’asile concernant M. Foroogh, il serait surprenant que l’on ne confirme pas la conclusion initiale qui a été tirée en matière d’asile.
[34] Il n’y a pas de question à certifier.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la décision du Haut-commissariat du Canada annulée et l’affaire renvoyée à un agent différent.
« Michael L. Phelan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1775-12
INTITULÉ DE LA CAUSE : Asadollah Foroogh
Badrieh Foroogh
et
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 25 septembre 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : Le juge Phelan
DATE DES MOTIFS : Le 4 octobre 2012
COMPARUTIONS :
Daniel McLeod
|
POUR LES DEMANDEURS
|
Caroline Christiaens |
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
PRESTON CLARK McLEOD Avocats Vancouver (Colombie-Britannique)
|
POUR LES DEMANDEURS |
MYLES J. KIRVAN Sous-procureur général du Canada Vancouver (Colombie-Britannique) |
POUR LE DÉFENDEUR
|