Cour fédérale |
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Federal Court |
Référence : 2012 CF 1139
Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2012
En présence de monsieur le juge Simon Noël
ENTRE :
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ET DE L'IMMIGRATION
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire introduite à l'encontre d'une décision de la Section d’appel de l’immigration [« la SAI »] de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, rendue le 14 mars 2012, en vertu de l’article 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [« LIPR »]. Le tribunal a rejeté l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre du refus de la demande de résidence permanente de son épouse, dans la catégorie du regroupement familial au motif que le mariage n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut, ce qui contrevient à l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [« RIPR »].
I. Faits
[2] Le demandeur est un citoyen canadien, né au Canada, âgé de 67 ans. Il est aussi citoyen de la Côte d’Ivoire, par son mariage avec Aicha Sangare [« l’épouse »]. Il travaille dans le domaine de la finance depuis 1975. Il en est à son quatrième mariage et il a deux enfants. Son épouse est une citoyenne de la Côte d’Ivoire et est âgée de 36 ans. Elle en est à son premier mariage et elle n’a pas d’enfant.
[3] Ceux-ci se sont rencontrés sur l’internet durant le mois d’octobre 2007 et ont initié une relation. Le demandeur a envoyé la somme d’environ 65 000$ CAD à l’épouse entre les mois de février 2008 et avril 2008, moment où le demandeur lui a demandé de l’épouser. Une cérémonie traditionnelle a eu lieu en Côte d’Ivoire le 31 mai 2008 en l’absence du demandeur. Le demandeur a épousé civilement son épouse le 5 juin 2008, lors de sa première visite en Côte d’Ivoire, et ce, le jour de son arrivée. Il y est resté pendant cinq jours.
[4] Le demandeur a investi en Côte d’Ivoire dans un lave-auto ainsi que dans une cafétéria. Ces deux commerces sont gérés par son épouse. Le demandeur a aussi déboursé une somme de
1 000$ CAD par mois afin que son épouse emménage dans un appartement plus spacieux. Selon les dires du demandeur, elle utilise une partie de l’argent reçu pour subvenir aux besoins de son oncle qui est paralysé.
[5] Le demandeur a présenté une demande de parrainage en octobre 2008 à l’appui de la demande de visa de résident permanent de son épouse, laquelle a été refusée en octobre 2009. Elle s’était présentée à une entrevue au bureau de visa. L’appel devant la SAI a été rejeté.
II. Décision révisée
[6] Le tribunal est arrivé à la conclusion que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer que sa relation avec son épouse est authentique et qu’elle n’a pas comme but premier de permettre à l’épouse d’obtenir un statut. Il a conclu, suite au témoignage du demandeur et de son épouse que le demandeur est de bonne foi dans sa relation, mais qu’elle ne l’est pas et n’entrevoit pas poursuivre une vie commune avec le demandeur une fois arrivée au Canada.
[7] Pour en arriver à cette conclusion, le tribunal a analysé la relation entre le demandeur et l’épouse à la lumière de plusieurs critères servant à évaluer l’authenticité d’une relation, lesquels comprennent notamment le soutien financier, la présence de membres de la famille de l’épouse au Canada et l’évolution de la relation.
[8] Le tribunal a soupesé, de façon générale, plusieurs facteurs entourant les circonstances du mariage soit le fait que le demandeur se soit marié le jour de son arrivée en Côte d’Ivoire et qu’il n’y soit resté que cinq jours, le fait que le couple n’ait pas pris une période de temps raisonnable pour se connaître et que la demande en mariage ait eu lieu avant même qu’ils ne se soient vus en personne.
[9] Selon la SAI, l’épouse n’a pas su répondre de façon satisfaisante aux préoccupations de l’agent de visa lors de son entrevue. De plus, le tribunal a accordé une valeur peu probante à son témoignage étant donné qu’elle n’a pas expliqué précisément en quoi le demandeur possède les qualités qu’elle recherche chez un conjoint.
[10] Quant à la célébration traditionnelle, le tribunal conclut que le témoignage de l’épouse manque de crédibilité; cette dernière ne se souvenait pas de la date de la célébration.
[11] Quant à l’absence du demandeur à celle-ci, le tribunal n’a pas été satisfait de l’explication fournie par le demandeur selon laquelle il était trop occupé pour se rendre en Côte d’Ivoire pour y assister, considérant l’importance que revêt une telle cérémonie.
[12] Quant aux sommes importantes envoyées à l’épouse, le tribunal n’est pas satisfait des explications fournies par celle-ci et le demandeur au sujet de l’utilisation de ces sommes. Malgré que le support financier soit un critère qui milite généralement en faveur de l’authenticité d’une relation, le tribunal croit que tel n’est pas le cas dans la présente situation puisque les sommes sont considérables. De plus, les réponses évasives de l’épouse au sujet de l’utilisation de l’argent pour subvenir au besoin de l’oncle qui est malade affectent la crédibilité de l’épouse. Enfin, au moment de l’acceptation de la demande en mariage par l’épouse, elle était en possession d’une somme de
65 000$ CAN, envoyée par le demandeur.
III. Arguments des parties
Soumissions du demandeur
[13] Le demandeur soutient d’abord que la décision du tribunal contient une contradiction concernant l’appréciation par le tribunal de la crédibilité du demandeur, laquelle rend cette décision inintelligible. Dans un premier temps, le tribunal mentionne qu’il est convaincu de la bonne foi du demandeur, son témoignage étant crédible et fiable mais dans un deuxième temps, il conclut que ce dernier ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver que la relation est authentique et qu’elle ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut.
[14] Deuxièmement, le demandeur soutient que la conclusion selon laquelle son épouse est dans une situation précaire et qu’elle désire améliorer son sort en venant au Canada est déraisonnable étant donné que les investissements du demandeur en Côte d’Ivoire ont permis à celle-ci d’atteindre un bon niveau de vie dans son pays d’origine et en n’accordant pas d’importance au fait que c’est le demandeur qui a demandé son épouse en mariage et lui a envoyé de l’argent sans qu’elle ne le demande.
[15] Troisièmement, le demandeur soutient qu’il y a une confusion dans la décision du tribunal aux paragraphes 30 et 33 car le tribunal se réfère à « l’appelante » et dans les passages en question, il n’est pas possible de savoir si celui-ci se réfère au demandeur ou à son épouse.
Soumissions du défendeur
[16] Le défendeur soutient que la décision de la SAI est raisonnable, à la lumière de la preuve et des témoignages du demandeur et de son épouse.
[17] En premier lieu, le défendeur soutient que la preuve doit démontrer impérativement l’authenticité de la relation des deux conjoints, mais que la preuve de l’authenticité des intentions d’un seul des deux conjoints est insuffisante.
[18] Deuxièmement, quant à l’épouse, le défendeur soutient qu’il était loisible à la SAI de tirer une conclusion négative d’un ensemble de facteurs comprenant notamment la différence d’âge entre le demandeur et son épouse, l’absence de relation à long terme et la cérémonie traditionnelle qui a eu lieu en l’absence du demandeur.
[19] En ce qui a trait à l’envoi de sommes d’argent, quoique le support financier soit en général perçu comme favorisant une relation authentique, considérant l’importance de la somme, il était raisonnable pour la SAI d’en tirer une conclusion défavorable.
IV. Question en litige
[20] Le tribunal a-t-il rendu une décision déraisonnable en arrivant à la conclusion que le mariage de l’épouse visait principalement l’acquisition d’un privilège et n’est pas authentique?
V. Norme de contrôle
[21] La norme de contrôle applicable à la détermination de l’authenticité d’un mariage est la norme de la décision raisonnable, car c’est une question de fait qui exige une déférence à l’égard de la décision rendue (Ma c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 509 aux paras 31-32, [2010] WDFL 2919).
VI. Analyse
[22] La décision rendue par la SAI est raisonnable et aucune intervention de cette Cour n’est requise.
[23] La conclusion qu’elle a tirée suite à l’analyse de toute la preuve y incluant les témoignages du demandeur et de son épouse, constitue une option raisonnable au problème qui lui a été soumis (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190).
[24] Dans un premier temps, il est important de souligner que cette Cour a déjà noté qu’il n’existe pas de test précis pour établir le caractère authentique d’un mariage (Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 432 au para 23, 388 FTR 61). Dans Khera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 632 au para 10,
[2007] WDFL 3916, cette Cour a validé l’approche de la SAI selon laquelle les facteurs tels que la durée de la relation des époux, la différence d’âge, leur situation financière et d’emploi, leur connaissance respective du passé de l’autre, leur langue, leurs intérêts et le fait que certains membres de la famille de l’épouse habitent au Canada sont pertinents pour déterminer l’authenticité d’un mariage. Le critère qui doit guider la SAI dans son analyse des faits et de la preuve est donc la pertinence et il lui est loisible de prendre en considération tous les éléments qu’elle juge pertinents.
[25] Pour en arriver à la conclusion que l’épouse n’est pas de bonne foi, la SAI a soupesé la crédibilité du témoignage de cette dernière. Le témoignage de celle-ci quant à la raison pour laquelle elle désirait épouser un homme d’une culture différente, et ce, sans l’avoir jamais rencontré en personne était vague. Elle n’a pas non plus donné d’explication satisfaisante à la SAI quant à sa décision d’épouser une personne de trente ans son aîné, et ce, de manière précipitée, considérant que celle-ci n’avait pas eu de relation à long terme avec un homme. Elle n’a fourni que des généralités en réponse.
[26] Quant à son témoignage au sujet de la cérémonie traditionnelle, il était loisible à la SAI de ne pas y accorder de valeur probante étant donné que celle-ci ne se souvenait pas de la date à laquelle elle avait eu lieu alors qu’une telle cérémonie revêt une certaine importance en Côte d’Ivoire, selon son témoignage d’autant plus que cette dernière se souvenait avec précision de certaines autres dates telle la date de la demande en mariage et celle du mariage civil. De plus, les explications du demandeur et de son épouse au sujet de l’absence de ce dernier à la cérémonie traditionnelle n’ont pas été jugées comme étant satisfaisantes par la SAI, qui a conclu que la cérémonie traditionnelle aurait pu avoir lieu à un autre moment, ce qui aurait permis au demandeur d’être présent.
[27] De plus, l’épouse a fourni des réponses évasives quant à l’usage des sommes d’argent envoyées par le demandeur, en mentionnant de manière générale qu’elles ont été affectées au coût des traitements médicaux de son oncle, à un projet d’affaires qui s’est avéré infructueux ainsi qu’au paiement de son appartement, sans pouvoir toutefois fournir de montants précis, ce qui justifie une conclusion négative de la SAI quant à la crédibilité de l’épouse et ses intentions réelles.
[28] Quant à l’argument du demandeur selon lequel la décision de la SAI est contradictoire et ne peut être retenue, il est reconnu qu’une décision d’un tribunal administratif doit être lue dans son ensemble et non pas de manière littérale. En effet, il est évident, à la lecture de celle-ci, que la conclusion du tribunal constate que le demandeur est de bonne foi, mais que celui-ci n’a pas réussi à se décharger de son fardeau de prouver que son épouse ne cherche pas l’acquisition d’un statut, fardeau qui lui incombait (Nguyen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CF 709 au para 7).
[29] L’épouse n’a pas pu satisfaire la SAI et ce, bien que le demandeur ait témoigné avec assurance et conviction quant à son histoire. Le témoignage de l’épouse et les conclusions de la SAI à son égard sont raisonnables dans les circonstances.
[30] Dans sa décision, la SAI s’est validement appuyée sur le témoignage de l’épouse, pour conclure que celui-ci n’est pas de bonne foi. En effet, ce n’est que cette dernière, et non pas le demandeur, jugé comme étant crédible, qui peut témoigner au sujet de son intention d’immigrer au Canada afin de vivre avec le demandeur (Canada (Solliciteur général) c Bisla, 88 FTR 312 aux paras 9-10, 52 ACWS (3d) 176).
[31] En ce qui concerne la référence à « l’appelante » aux paragraphes 12, 19, 21, 22, 30 et 33 de la décision, il est évident, à la lecture des passages en cause, que la SAI voulait plutôt se référer à l’épouse. Contrairement à ce que prétend le défendeur, une simple erreur quant à l’appellation de l’épouse dans la décision de la SAI ne requiert pas l’intervention de cette Cour.
[32] Pour toutes ces raisons, la décision de la SAI est raisonnable et est justifiable selon les faits mis en preuve.
[33] Les parties, bien qu’invitées à le faire, n’ont pas soumis des questions aux fins de certification.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question ne sera certifiée.
« Simon Noël »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3425-12
INTITULÉ : JEAN STUART c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 26 septembre 2012
ET JUGEMENT : LE JUGE SIMON NOËL
DATE DES MOTIFS : Le 1er octobre 2012
COMPARUTIONS :
Me Thomas Cormie |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Stéphane Handfield Avocat Montréal (Québec) |
POUR LE DEMANDEUR |
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