Date : 20121002
Dossier : IMM-567-12
Référence : 2012 CF 1163
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 2 octobre 2012
En présence de monsieur le juge Rennie
ENTRE :
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ISMAEL AZADI
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Le demandeur, Ismael Azadi, est un Irano-Kurde né en 1988 dans un camp de réfugiés en Iraq où ses parents s’étaient réfugiés à cause de la guerre opposant ce pays à l’Iran. Le 13 décembre 2001, il a accompagné ses parents et sa sœur aînée au Canada en qualité de personne à charge au titre de la catégorie des réfugiés outre‑frontières et est devenu résident permanent. Le ministre a maintenant déterminé que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada et il souhaite l’expulser en Iran, où il n’a jamais vécu, malgré le fait qu’il est un réfugié au sens de la Convention.
[2] Le demandeur a été déclaré coupable de deux chefs d’accusation de vol qualifié le 29 janvier 2010, alors qu’il était âgé de 20 ans. Il a été condamné à une peine de 17 mois avec sursis après avoir été détenu durant 102 jours en attendant le prononcé de cette peine. Le 8 septembre 2010, il a été déclaré coupable de possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic. Il a plaidé coupable et a été condamné à un emprisonnement de deux ans.
[3] Il a été informé qu’un avis allait être demandé au ministre sur la question de savoir s’il constituait un danger pour le public au Canada au sens de l’alinéa 115(2)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), et la preuve lui a été communiquée. À cause de la condamnation prononcée contre lui en matière de drogue, son expulsion a été ordonnée le 22 juillet 2011.
La norme de contrôle et les questions en litige
[4] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision et soulève les questions suivantes :
a. Le délégué du ministre a-t-il manqué à l’obligation d’équité à son endroit en ne lui communiquant pas (i) les notes inscrites par le bureau des visas dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) ou (ii) un document faisant ressortir les principaux aspects de son récit, et en ne lui donnant pas la possibilité d’y répondre?
b. La conclusion selon laquelle il constituait un danger pour le public était‑elle raisonnable?
c.
Le délégué du ministre a-t-il commis une erreur en ne
tenant pas expressément compte, dans son examen des facteurs d’ordre
humanitaire, du risque auquel il serait exposé?
[5] À mon avis, ces arguments ne sauraient être retenus et la demande doit être rejetée.
[6] La norme de la décision correcte s’applique aux questions d’équité procédurale : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Nagalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 176, au paragraphe 93.
[7] La Cour reconnaît par contre que le délégué du ministre a droit à un degré élevé de déférence pour ce qui est des conclusions de fait concernant l’alinéa 115(2)a) de la LIPR. Ces conclusions sont maintenant assujetties à la norme de la raisonnabilité : Nagalingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153, au paragraphe 32. Lorsque cette norme s’applique, la Cour ne devrait intervenir que si la décision ne respecte pas les principes de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité ou qu’elle ne constitue pas une issue acceptable pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.
La décision faisant l’objet du contrôle
[8] Le délégué du ministre a reconnu que les antécédents criminels du demandeur se limitaient à trois condamnations, mais il a souligné que la nature des infractions et les circonstances dans lesquelles elles avaient été commises, qui ont été décrites par le juge ayant prononcé les peines, étaient très graves. Il était préoccupé par le fait que la famille du demandeur n’était pas au courant de la véritable raison de son incarcération et qu’elle ne constituerait pas un réseau de soutien efficace au moment de sa libération. Il a cependant examiné les chances de réadaptation du demandeur.
[9] Après avoir examiné les infractions, le délégué du ministre a dit :
[traduction] Après avoir évalué la situation, j’arrive à la conclusion que M. Azadi se retrouvera presque dans la même situation qu’avant sa condamnation et que le fait qu’il ne prend pas conscience du caractère répréhensible de sa conduite et sa décision de tromper ses parents au sujet de ses infractions et de sa peine ne permettent pas de croire à ses chances de réinsertion dans la société.
Compte tenu de la preuve démontrant que les activités criminelles de Mme Azadi étaient graves et dangereuses pour le public et de l’absence de preuve de réadaptation, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que M. Azadi constitue un danger actuel et futur pour le public au Canada et que sa présence au Canada pose un risque inacceptable.
[10] En ce qui concerne le danger auquel serait exposé le demandeur s’il était renvoyé en Iran, le délégué du ministre a traité de la preuve relative au traitement réservé aux Kurdes dans ce pays. Il a dit :
[traduction] La preuve documentaire m’amène à conclure que les Kurdes sont victimes de discrimination systémique de la part de l’État en Iran. Cette preuve ne me permet toutefois pas de conclure que la discrimination dont les Kurdes font l’objet en Iran équivaut à de la persécution, sauf dans les cas indiqués ci‑dessus, lorsqu’il s’agit d’opposants connus au régime iranien et de membres connus de certaines organisations. Je ne peux, à la suite de l’examen de son dossier, conclure raisonnablement que M. Azadi est un dissident connu ou un membre d’un tel groupe, ni qu’il est actif sur le plan politique. En outre, je ne dispose pas d’une preuve suffisante indiquant que la famille de M. Azadi est toujours liée au groupe.
[11] Enfin, le délégué du ministre a examiné les motifs d’ordre humanitaire, comme il devait le faire. Malgré les difficultés émotionnelles causées à la famille du demandeur et le fait que celui‑ci n’avait jamais vécu en Iran, le délégué du ministre n’était pas convaincu que le degré d’établissement du demandeur au Canada entraînerait des difficultés excessives s’il était renvoyé.
Les dispositions pertinentes
[12] L’alinéa 115(2)a) permet le renvoi du Canada de la personne à qui la qualité de réfugié ou de personne à protéger a été reconnue – comme le demandeur – qui est interdite de territoire pour grande criminalité et qui constitue un danger pour le public. Cette disposition est libellée comme suit :
115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée. (2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire : a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada; […]
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115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment. (2) Subsection (1) does not apply in the case of a person (a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; […]
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[13] Par contre, une personne est interdite de territoire au Canada pour grande criminalité selon l’alinéa 36(1)a) de la LIPR si elle a été « déclaré[e] coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé ».
Analyse
L’obligation d’équité procédurale
[14] Le demandeur conteste le fait que le délégué du ministre s’est appuyé sur les notes se trouvant dans le STIDI qui avaient été prises au cours d’une entrevue d’un agent des visas avec son père, qui voulait être admis au Canada en qualité de réfugié en 2001. Il soutient qu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité car ces notes ne lui ont pas été communiquées et qu’il n’a pas eu la possibilité d’y répondre avant qu’elles soient prises en compte dans l’évaluation des risques auxquels il serait exposé à son retour en Iran. Il soutient plus particulièrement que le délégué du ministre a créé une attente légitime qu’il ne tiendrait compte que des documents et des arguments qui auraient été communiqués.
[15] Je reconnais que la communication de la preuve est importante dans le contexte d’un avis de danger, comme l’a souligné la Cour d’appel dans Bhagwandass c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 49. Le défendeur soutient cependant – et je suis d’accord avec lui – qu’il n’y a pas eu atteinte à une attente légitime parce que les éléments qui ont été communiqués ne faisaient pas expressément référence aux notes du STIDI. En fait, c’est plutôt le contraire en l’espèce. Le demandeur savait, par suite de la première lettre de communication, que le ministre pouvait faire référence aux éléments relatifs à sa demande d’asile. Contrairement à ce que le demandeur prétend, les notes du STIDI pouvaient raisonnablement faire partie de ces éléments.
[16] Comme il a été mentionné précédemment, le demandeur avait été informé de la possibilité que le délégué du ministre prenne en considération ce qui se trouvait dans son dossier relatif à sa demande d’asile. De plus, il ressort clairement des prétentions du demandeur qu’il comprenait le fondement de la demande d’asile et qu’il a décrit le risque associé afin que le délégué du ministre en tienne compte.
[17] En outre, je ne peux être d’accord avec le demandeur lorsqu’il prétend que les notes du STIDI constituaient une preuve extrinsèque à laquelle le délégué du ministre devait lui donner la possibilité de répondre avant de s’appuyer sur elle. Le demandeur laisse entendre que, comme ces notes ont été prises pendant une entrevue avec son père, on ne peut pas s’attendre à ce qu’il en connaisse la teneur et qu’il y réponde de manière appropriée dans ses observations. Il fait valoir que, sans sa réponse, le délégué du ministre a minimisé la participation de sa famille aux activités du groupe kurde appelé le PDKI (ou Parti démocratique kurde d’Iran).
[18] En règle générale, le fait qu’une décision est fondée sur une preuve extrinsèque fait naître l’obligation d’équité et le demandeur doit avoir la possibilité de répondre (voir, par exemple, Dasent c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 CF 720, aux paragraphes 15 et 16). Il faut, pour savoir ce qui constitue une preuve extrinsèque, déterminer s’il s’agit d’« éléments de preuve dont la partie requérante n’est pas au courant parce qu’ils proviennent d’une source extérieure » : Dasent, au paragraphe 22; voir aussi Azali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 517.
[19] Le demandeur n’a pas à proprement parler fourni lui‑même l’information aux autorités de l’immigration car cette information a été inscrite dans les notes du STIDI à la suite de l’entrevue avec son père. Je suis néanmoins convaincu qu’elle était suffisamment connue du demandeur ou que celui‑ci pouvait raisonnablement y avoir accès, de sorte qu’elle ne constitue pas une preuve extrinsèque au sens de Dasent et d’Azali. Le demandeur était présent avec tous les membres de sa famille à l’entrevue avec l’agent des visas au cours de laquelle son père a donné l’information en question. Comme leur demande était faite conjointement, il s’agissait de la seule information concernant la demande de sa famille qui figurait dans le dossier d’immigration du demandeur.
[20] En outre, le ministre ne s’est pas fondé de manière importante sur les notes du STIDI. La source de l’obligation de communication dépend de l’aspect de l’équité procédurale qui exige d’une partie qu’elle ait la possibilité de savoir ce qu’on entend faire valoir contre elle et d’y répondre. En l’espèce, aucun renseignement contenu dans les notes du STIDI n’a été utilisé à l’encontre du demandeur.
[21] Le principal objet de l’obligation de communication est de faire en sorte que le demandeur a une possibilité raisonnable de participer d’une manière significative au processus décisionnel : Bhagwandass, au paragraphe 22. J’estime que le demandeur a été en mesure de décrire les risques auxquels l’exposerait son renvoi en Iran en raison de son origine kurde et de participer d’une manière significative au processus en rédigeant des observations avant que l’avis de danger ne soit rendu.
[22] Le deuxième manquement à l’équité procédurale allégué par le demandeur a trait à la non‑communication du rapport d’interdiction de territoire visé au paragraphe 44(1), en particulier les [traduction] « faits saillants » ou le sommaire du rapport, et à son utilisation possible par le délégué du ministre. Le demandeur était préoccupé par le fait que le délégué du ministre disposait de ce sommaire – une case l’indiquant avait été cochée. Comme le rapport n’était pas joint au sommaire, le demandeur n’a pas été en mesure de répondre aux recommandations qui y étaient formulées.
[23] Le sommaire du rapport ne se trouvait pas dans le dossier certifié du tribunal et un affidavit produit en preuve indiquait qu’il ne se trouvait pas non plus dans le dossier. Le défendeur a confirmé également que le délégué du ministre ne disposait pas du document. En conséquence, il ne peut y avoir aucun manquement à l’équité procédurale.
[24] Comme le délégué du ministre ne disposait d’aucun élément additionnel inconnu du demandeur qui exigeait une réponse, il n’y a eu aucun manquement à l’équité. De plus, le demandeur aurait pu faire part de ces préoccupations beaucoup plus tôt au cours du processus de communication et de décision.
[25] Par conséquent, le défaut de communiquer les notes du STIDI et le sommaire du rapport ne constituait pas un manquement à l’obligation d’équité en l’espèce. Le demandeur savait que des éléments concernant sa demande d’asile dont il avait déjà connaissance pourraient être pris en considération par le délégué du ministre.
Le caractère raisonnable de l’avis
[26] Le demandeur affirme que l’avis de danger du délégué du ministre est déraisonnable compte tenu de la preuve qui a été produite, parce (i) que le délégué a qualifié de très graves les infractions qu’il avait commises, (ii) qu’il a supposé que ses parents ignoraient la durée de sa peine, (iii) qu’il a refusé de reconnaître que sa famille constituait un réseau de soutien efficace et (iv) que l’agent de libération conditionnelle avait fait des commentaires positifs.
[27] Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il affirme que le demandeur ne souscrit tout simplement pas à ces conclusions de fait et qu’il demande à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve, ce qu’elle ne peut pas faire dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Je réitère les remarques formulées par la Cour d’appel dans Nagalingam selon lesquelles une grande déférence doit être démontrée à l’égard des conclusions du délégué du ministre concernant l’alinéa 115(2)a).
[28] Le demandeur soutient en outre que le délégué du ministre n’a pas relevé expressément les commentaires positifs faits par son agent de libération conditionnelle et qu’il a ainsi contrevenu au principe énoncé dans Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425. Il prétend que le délégué a commis une erreur en écartant l’avis d’un professionnel. Le délégué a noté l’existence d’éléments favorables, mais il a également indiqué que la libération conditionnelle n’avait été ni recommandée ni ordonnée par la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC). Il serait déraisonnable, lorsqu’on examine cette preuve dans le contexte comme il se doit, d’accorder aux commentaires de l’agent de libération conditionnelle l’importance qui justifie l’application du principe dans Cepeda‑Gutierrez.
[29] Le demandeur prétend en outre que le délégué du ministre est allé trop loin lorsqu’il a conclu que, comme sa famille ignorait les motifs et la durée de sa peine, il y avait un risque de récidive. Cette conclusion ne me paraît pas déraisonnable, l’agent de libération conditionnelle ayant constaté ce phénomène.
[30] Le demandeur critique la conclusion selon laquelle ses parents ne comprenaient pas vraiment pourquoi il était incarcéré, ce qui les empêcherait de l’aider à se réadapter. Par exemple, le délégué du ministre a expliqué que, [traduction] « bien que le soutien de la famille et des amis soit important, la compréhension des membres de la famille est cruciale pour promouvoir une conduite pro‑sociale et pour limiter les facteurs de stress qui pourraient entraîner la récidive. Les documents au dossier ne me permettent pas de conclure que la famille de M. Azadi comprend parfaitement ce qu’il a fait ou pourquoi il l’a fait ».
[31] Le délégué du ministre a conclu que la famille ne constituerait pas un réseau de soutien efficace empêchant le demandeur de s’associer à des personnes ayant sur lui un effet négatif. Il a justifié cette conclusion par des facteurs comme une absence de visite depuis septembre 2010 pendant l’incarcération du demandeur et un manque d’ouverture de membres de la famille. Il a traité expressément de la preuve figurant dans l’évaluation de la collectivité, selon laquelle son frère pourrait constituer un modèle positif dans sa vie. Le délégué du ministre a néanmoins conclu, après avoir soupesé l’ensemble de la preuve, qu’il ne s’agirait pas d’un réseau de soutien suffisant qui atténuerait le danger pour le public.
[32] La conclusion selon laquelle la nature des infractions et les circonstances dans lesquelles elles ont été commises étaient très graves est étayée par la preuve, plus précisément par les déclarations faites par le juge du procès au moment du prononcé des peines et par la CNLC. Les propos qu’a pu tenir l’agent du Service correctionnel du Canada (le SCC) sur la foi des premières condamnations ne compromettent pas le caractère raisonnable de cette conclusion générale.
[33] Il ressort clairement de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada (la CSC) dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, que « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables ». Les raisons pour lesquelles le délégué du ministre a tiré les conclusions de fait requises et a suivi un raisonnement logique ressortent clairement de mon examen des motifs et de la preuve. Je ne vois aucune raison d’infirmer la décision factuelle.
La prise en considération du risque dans le cadre de l’examen des facteurs d’ordre humanitaire
[34] Je suis convaincu que l’approche analytique adoptée par le délégué du ministre est conforme à la jurisprudence pertinente (voir, par exemple, Hassan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1069; Ragupathy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, aux paragraphes 18 et 19; Nagalingam, au paragraphe 44).
[35] La jurisprudence n’étaye pas l’affirmation du demandeur selon laquelle le délégué du ministre était tenu de prendre en considération un plus grand nombre de facteurs de risque dans le cadre de son examen des facteurs d’ordre humanitaire dans le contexte de l’avis de danger. J’estime que l’approche adoptée par le délégué du ministre relativement aux facteurs d’ordre humanitaire dans le contexte de l’alinéa 115(2)a) était appropriée et que la décision qu’il a rendue à cet égard était raisonnable.
[36] Il est bien établi en droit international qu’une personne à qui la qualité de réfugié est reconnue ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque d’être persécutée. Ce principe du non‑refoulement est énoncé à l’article 115 de la LIPR. Cette disposition incorpore également dans le droit canadien l’exception visant les cas de grande criminalité.
[37] La constitutionnalité de l’exception au principe du non‑refoulement dépend notamment de l’appréciation du risque de persécution, de torture ou de peines cruelles et inusitées auquel est personnellement exposé un demandeur. Comme la Cour d’appel l’a affirmé dans Ragupathy :
[…] Par contre, si le délégué estime que la personne constitue un danger pour le public, il doit alors évaluer si, et dans quelle mesure, la personne risquerait d’être persécutée, torturée ou de subir d’autres peines ou traitements inhumains si elle était renvoyée. À cette étape‑ci, le délégué doit se prononcer sur la gravité du danger qu’entraîne la présence de la personne en question, dans le but de mettre en balance le risque et, apparemment, les autres circonstances d’ordre humanitaire, avec la gravité du danger que cette personne constituerait pour le public dans le cas où celle-ci demeurerait au Canada.
L’analyse du risque et la comparaison subséquente du danger et du risque ne sont pas expressément exigées par le paragraphe 115(2) qui parle uniquement de grande criminalité et de danger pour le public. Ces éléments ont en fait été ajoutés à l’avis relatif au danger pour le public, de façon à pouvoir décider si le renvoi de la personne protégée choquerait la conscience des Canadiens au point de violer le droit, garanti par l’article 7 à cette personne, de n’être privée de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), en particulier aux paragraphes 76 à 79 [de la Cour d’appel fédérale].
[38] Le délégué doit mettre en balance le danger que le demandeur constitue pour le public au Canada et le risque auquel il sera exposé s’il est renvoyé; en d’autres termes, il doit déterminer si le danger posé est plus important que le risque couru. Dans Jama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 781, au paragraphe 91, le juge Russell a dit ce qui suit à ce sujet :
En d’autres termes, l’objectif de l’alinéa 115(2)a) et la mise en balance exigée par la jurisprudence ne visent pas à déterminer si les motifs d’ordre humanitaire suffisent à dispenser le demandeur de satisfaire à la Loi. L’objectif est de déterminer si le risque que le demandeur représente pour le public du Canada l’emporte sur les risques qu’il court en cas de renvoi et sur les « autres motifs d’ordre humanitaire ». Le risque pour le demandeur est traité séparément dans le processus de mise en balance et les « autres motifs d’ordre humanitaire » ne peuvent pas, à mon avis, vouloir dire autre chose que des motifs d’ordre humanitaire « autres » que le risque.
[39] Le demandeur affirme que le délégué a commis une erreur en ne tenant pas compte de facteurs d’ordre humanitaire plus larges comme les conditions générales existant dans le pays, ou de facteurs qui ne permettraient peut‑être pas de conclure à une violation de l’article 7 de la Charte, dans le cadre des motifs d’ordre humanitaire justifiant l’avis de danger.
[40] Je rejette cette prétention. L’exercice trouve son origine dans l’article 7 de la Charte des droits et libertés et dans l’arrêt rendu par la CSC dans Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3. Comme le but est de protéger contre toute atteinte aux droits garantis à l’article 7, il serait incorrect de tenir compte d’autres facteurs que ceux qui entraînent l’application de cette disposition ou qui sont visés par celle‑ci. En d’autres termes, l’application de l’analyse relative à l’article 7 à l’avis de danger ne doit pas permettre d’élargir de façon détournée les considérations générales dont le ministre peut tenir compte lorsqu’il exerce le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré à l’article 25, dont bon nombre ne seraient pas de la même nature ou de la même importance que celles visées par l’article 7.
[41] Le demandeur ne m’a pas convaincu qu’une erreur a été commise dans le cadre de l’examen des facteurs exigé par l’article 7 et du risque associé au renvoi consécutif à l’avis visé à l’alinéa 115(2)a).
Question certifiée
[42] Le demandeur demande que la question suivante soit certifiée :
Lorsqu’il décide s’il y a lieu de délivrer un avis de danger pour le public en vertu de l’alinéa 115(2)a) de la Loi, le ministre a-t-il l’obligation d’examiner les facteurs de risque pertinents qui ne sont pas visés aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?
[43] Cette question ne satisfait pas aux critères de la certification. La mesure dans laquelle un facteur qui n’entraîne pas l’application de l’article 7 de la Charte des droits et libertés doit être pris en considération dans le cadre d’un avis de danger délivré en vertu de l’alinéa 115(2)a) est contenue implicitement dans la question. Or, la Cour d’appel a répondu à celle‑ci dans Ragupathy, au paragraphe 18 :
[…] Par contre, si le délégué estime que la personne constitue un danger pour le public, il doit alors évaluer si, et dans quelle mesure, la personne risquerait d’être persécutée, torturée ou de subir d’autres peines ou traitements inhumains si elle était renvoyée. À cette étape‑ci, le délégué doit se prononcer sur la gravité du danger qu’entraîne la présence de la personne en question, dans le but de mettre en balance le risque et, apparemment, les autres circonstances d’ordre humanitaire, avec la gravité du danger que cette personne constituerait pour le public dans le cas où celle-ci demeurerait au Canada.
L’analyse du risque et la comparaison subséquente du danger et du risque ne sont pas expressément exigées par le paragraphe 115(2) qui parle uniquement de grande criminalité et de danger pour le public. Ces éléments ont en fait été ajoutés à l’avis relatif au danger pour le public, de façon à pouvoir décider si le renvoi de la personne protégée choquerait la conscience des Canadiens au point de violer le droit, garanti par l’article 7 à cette personne, de n’être privée de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Voir Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), en particulier aux paragraphes 76 à 79 [de la Cour d’appel fédérale].
[44] Comme l’arrêt de la Cour d’appel fédérale répond à la question proposée, il n’y a aucune question de portée générale en l’espèce.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la demande contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.
« Donald J. Rennie »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-567-12
INTITULÉ : ISMAEL AZADI c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 20 août 2012
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LE JUGE RENNIE
DATE DES MOTIFS : Le 2 octobre 2012
COMPARUTIONS :
David Matas
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POUR LE DEMANDEUR
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Sharlene Telles-Langdon |
POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David Matas Winnipeg (Manitoba)
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POUR LE DEMANDEUR
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Myles J. Kirvan Sous-procureur général du Canada Winnipeg (Manitoba) |
POUR LE DÉFENDEUR
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